Peux-tu d’abord nous décrire les grandes lignes de ton parcours ?  

Ma carrière s’est déroulée en 3 grandes phases

D’abord au ministère des Finances, à la Fed puis en cabinets ministériels : c’est l’apprentissage et la pratique de la politique économique

Ensuite, à la Société Générale pendant près de 20 ans dans 2 métiers différents : la gestion d’actifs, puis comme chef économiste du Groupe

Enfin, depuis 2017, à la Banque de France comme Directeur général et Chef-économiste

Le point commun de ces phases est évidemment l’économie sous toutes ses facettes. Qu’est-ce qui t’a orienté vers ce domaine ?

J’ai fait le choix de l’économie à l’X : j’ai tout de suite aimé concilier l’approche quantitative et la politique économique. Dans sa « petite classe », Vivien Levy-Garboua, qui venait de publier son manuel de « Macroéconomie contemporaine », savait montrer comment la modélisation n’était pas une fin en soi mais le moyen de comprendre les problèmes économiques du moment.

Le choix de l’économie s’est confirmé pendant mes 2 ans à l’ENSAE. A la sortie, j’ai pris un poste dans l’unité de recherche de l’Insee, qui avait été créée par Edmond Malinvaud (alors DG de l’Insee). Ce fut une expérience très utile pour ma formation d’économiste, car cela m’a permis d’approfondir par moi-même ce qu’on m’avait enseigné à l’ENSAE. J’assurais aussi le secrétariat du « séminaire Malinvaud », qui réunissait alors régulièrement autour de lui tous ceux qu’on appelait alors les « ingénieurs-économistes » (comme Guesnerie, Grandmont, Laroque, Monfort, Artus, Trognon, etc.) et qui avaient été mes professeurs ou directeurs des études à l’ENSAE.

J’ai ensuite rejoint la Direction de la Prévision (DP), qui est aujourd’hui au sein de la DG Trésor, dans le bureau en charge de la synthèse des finances publiques. C’était au milieu  des années 1980, à peu près au moment où la règle de 3% de déficit est née en France. Signe que la dette publique était alors un sujet nouveau, j’ai publié la première étude en France analysant l’effet « boule de neige ».

Quand le directeur de la DP, Jean-Claude Milleron, a succédé à Edmond Malinvaud comme DG de l’Insee, il m’a proposé de le suivre sur un nouveau poste de directeur de cabinet. En revenant dans ma maison d’origine, j’avais initialement un peu le sentiment de  retourner habiter chez « mes parents », mais en réalité ce fut une expérience très nouvelle. Jean-Claude Milleron souhaitait faire évoluer l’organisation, et j’ai participé à la mise en œuvre du plan de transformation ; j’ai alors beaucoup appris en termes de management et de conduite du changement.

J’ai ensuite passé un peu plus de deux ans à la Fed à Washington au début des années 1990, c’est-à-dire dans le « temple » de la politique monétaire. Aujourd’hui la Fed compte de nombreux économistes étrangers dans son staff, mais à l’époque j’étais le seul. La Fed était alors présidée par Alan Greenspan, c’était au moment de la crise des savings and loans et de de la guerre du Golfe, avec une crise immobilière et une récession.

Après cette expérience américaine, comment s’est passé ton retour en France ?

Je suis rentré en France comme conseiller économique auprès de Jean-Claude Trichet à la Direction du Trésor, passant d’une crise à l’autre, avec la récession de 92-93 et la crise du système monétaire européen. Une période de fortes tensions mais passionnante, où j’ai pu voir de près les talents de gestionnaire de crise et de négociateur de JC Trichet pendant les nuits à Bruxelles.

J’ai ensuite occupé plusieurs postes en cabinets ministériels comme conseiller économique d’Edmond Alphandéry, puis d’Alain Madelin et de Jean Arthuis. J’ai ainsi participé activement à la préparation de l’union économique et monétaire. La dissolution de 1997 m’a donné l’opportunité d’aller exercer un nouveau métier, celui de la gestion d’actifs.

Comment passe-t-on au métier de la gestion d’actifs dans le privé après avoir été conseiller économique en cabinet ?

La loi de modernisation des activités financières avait alors conduit les banques à filialiser leurs activités de gestion d’actifs pour compte de tiers, elles recrutaient donc pour mettre en place ce changement. J’ai rejoint Société Générale  Asset Management comme directeur de la stratégie d’investissement puis comme DGA. SGAM était initialement une PME mais est progressivement devenue très internationale avec l’acquisition d’entités au Japon, au Royaume-Uni et de TCW (Trust Company of the West) aux Etats-Unis.

La gestion d’actifs est un métier de coûts fixes, qui requière une approche industrielle, et mon rôle initial était de mettre en place des processus d’investissement plus structurés et s’appuyant sur des méthodes et modèles robustes. C’est un métier où il faut régulièrement rendre des comptes à ses clients, c’est-à-dire pouvoir expliquer les choix faits non seulement en cas de sous-performance mais aussi de surperformance.

La gestion d’actifs a la réputation d’attirer des personnalités très fortes

Un gérant d’actif est évalué en continu, sa performance est comparée à celle de ses pairs chaque jour. Ceux qui réussissent deviennent des stars, comme Jeffrey Gundlach , qui travaillait chez TCW au moment du rachat par la SG et classé parmi les « bond kings ». Mais même ceux qui ne sont pas des stars ont un moral très variable au gré de leurs performances, et ceci doit être pris en compte en matière de process d’investissement.

2008, l’affaire Kerviel et la crise financière, la SG est confrontée à des choix stratégiques et ton rôle évolue

Effectivement, la SG a dû prendre des décisions, parmi lesquelles celle de sortir de la gestion d’actifs en fusionnant cette activité avec celle du Crédit Agricole pour créer Amundi, devenu le leader européen. J’ai choisi de rester au sein de la SG, et Frédéric Oudéa m’a alors proposé de prendre la nouvelle fonction de Chef économiste du Groupe, membre du comité de direction. Il y avait plusieurs équipes d’économistes au sein de la SG, mais le rôle de Chef économiste au niveau de l’ensemble du Groupe n’existait pas.

La crise de la dette en zone euro de 2011-2012, avec notamment la restructuration de la dette grecque, a bien évidemment été un des moments forts de cette période. Je me souviens tout particulièrement de l’été 2011.

En 2017 tu quittes la Société Générale pour rejoindre la Banque de France, avec le même titre de chef économiste, mais est-ce le même métier ?

Effectivement, fin 2017 je rejoins la Banque de France sollicité par son Gouverneur, François Villeroy de Galhau. C’était la première fois qu’un Directeur général de la Banque était recruté à l’extérieur. Changement de perspective : après avoir été observateur et commentateur de la politique économique, je revenais sur le terrain du policy-making, cette fois-ci côté politique monétaire. Mais il y a bien sûr une continuité, puisque la matière – l’économie – et les outils d’analyse restent les mêmes. Et c’était aussi revenir au cœur du projet européen qui m’est cher.

Peux-tu nous présenter ta direction générale ?

La DG dont j’ai la responsabilité regroupe environ 380 personnes pour la production des statistiques monétaires et de balance des paiements, des analyses et projections économiques, mais également la préparation des réunions du Conseil des Gouverneurs de la BCE et des autres réunions internationales. Tout ceci s’appuie sur des travaux à la pointe de la recherche.

Lorsque je suis arrivé à la Banque, l’une de mes missions prioritaires a été de développer la visibilité et l’impact de nos travaux auprès de tous les publics, des experts au grand public, en passant par la presse et les entreprises. Outre nos publications comme notre blog (https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/bloc-note-eco), mes équipes et moi allons régulièrement dans notre réseau de succursales à travers toute la France pour dialoguer avec tous ces publics sur la conjoncture, l’inflation ou la politique monétaire.

Quelle est l’ouverture de la Banque de France à l’international ?

Elle est évidemment très importante que ce soit à travers la participation active de la Banque dans de nombreuses instances internationales ou dans son recrutement.

Notre cœur de métier s’inscrit par nature dans le cadre européen, du fait de notre appartenance à l’Eurosystème. Les équipes de la Banque de France collaborent étroitement avec leurs homologues de la BCE et des autres banques centrales nationales.

Au-delà de l’Europe, la Banque siège aux côtés du ministère des finances dans les réunions du G7/G20, du FMI et de l’OCDE. Il y a aussi des forums plus spécifiques aux banques centrales, qui se réunissent à la Banque des règlements internationaux à Bâle. Les experts de la Banque participent par ailleurs à de nombreuses conférences internationales avec leurs pairs.

La Banque a aussi un recrutement ouvert à l’international. Par exemple, pour les économistes-chercheurs, nous recrutons sur le ‘job market’ international où une fois par an toutes les offres et demandes de jeunes docteurs en économie se confrontent. Il s’agit d’un marché ultra concurrentiel.

Par ailleurs, la Banque offre aussi à ses collaborateurs de nombreuses opportunités de mobilité à l’international, non seulement au sein de l’Eurosystème mais aussi à la Commission européenne, au FMI ou dans les Ambassades.

La Banque de France recrute-t-elle encore des ENSAE ?

Oui bien sûr. Si j’en crois l’annuaire, il y a au moins une cinquantaine d’ENSAE à la Banque. Le concours reste une voie d’accès, mais la grande majorité des recrutements de statisticiens ou économistes se font sur le marché externe, soit en premier poste, soit le plus souvent après une première expérience dans le public (Trésor, CEPII, OFCE, universités,…) ou dans le privé. Il  y a aussi des administrateurs ou attachés de l’Insee qui viennent en détachement à la Banque.

Un dernier mot pour nos élèves et nos alumni ?

L’ENSAE est sur un créneau unique, elle a su rester à la pointe en économie, statistique et finance. Ses liens avec la recherche, la sphère publique et la sphère privée sont aussi une richesse. Enfin sa taille « humaine » permet des relations plus étroites au sein de la « promo » et avec le corps enseignant. J’ai enseigné pendant de nombreuses années à l’ENSAE, et j’ai toujours trouvé des étudiants motivés, curieux et rigoureux.