A horizon 2050 les pertes liées aux risques climatiques pourraient doubler

Le secteur de l’assurance est de plus en plus confronté à la montée en puissance des risques dits « secondaires » : les épisodes de grêle, les inondations par débordement ou par ruissellement, les sécheresses ou encore les incendies de forêt. Ces aléas, souvent moins spectaculaires que les tempêtes, les cyclones ou les ouragans, sont plus fréquents et responsables d’une part croissante des pertes assurées.

En 2024, les catastrophes naturelles auraient généré 402 milliards de dollars de pertes économiques dans le monde, dont 137 milliards couverts par les assureurs (swissre.com).

La croissance annuelle des pertes économiques issues des évènements naturels dans le monde a été de 5% à 7% sur les 10 dernières années. La part des périls secondaires est d’environ 50% sur les 30 dernières années selon Swiss Re.

En France, les indemnisations au titre des évènements naturels ont atteint 5 milliards d’euros en 2024 (France Assureurs) C’est la neuvième année la plus coûteuse pour la profession malgré une faible sinistralité sécheresse.

À horizon 2050 les projections climatiques (CCR, Covéa, France Assureurs), prévoient une intensification des aléas et un renchérissement de leur sévérité : les pertes liées aux catastrophes naturelles sur l’hexagone pourraient doubler dans un contexte de forte transition, ce qui pourrait rendre certaines zones géographiques difficilement habitables si rien n’est fait, l’aléa se transformant progressivement en certitudes qui rendent l’assurance inopérante.

Un quart seulement des sinistres dus aux catastrophes liées au climat dans l’UE est actuellement assuré et le déficit d’assurance devrait se creuser à mesure que l’impact du changement climatique s’accentue (Banque de France) Ces chiffres sont encore plus bas pour les entreprises et les agriculteurs :  seulement 13 % des entreprises et 20–30 % des pertes agricoles EU sont actuellement assurées.

Cette intensification des événements climatiques fragilise le système de protection des logements et des biens

Entre événements extrêmes de plus en plus fréquents et mutations économiques liées à la transition énergétique, les enjeux pour les compagnies d’assurance sont multiples : adapter les offres aux nouvelles réalités du risque climatique, assurer la viabilité économique du modèle assurantiel, renforcer les besoins ou capacités de réassurance. Une évolution des offres et des primes est nécessaire pour préserver l’équilibre actuariel de l’assurance des risques climatiques, mais une action résolue des pouvoirs publics pour la prévention et l’adaptation des territoires et du bâti l’est tout autant.

De nombreuses études insistent sur la nécessité pour le secteur d’intégrer des évolutions dans les modèles de tarification et les politiques de souscription. Des exercices de stress climatiques montrent que, sans adaptation, la capacité de solvabilité des assureurs pourrait se réduire de façon significative. En France, le dernier exercice de stress test climatique mené par l’ACPR, qui repose sur une succession de catastrophes naturelles induisant une crise financière, avec une forte dévaluation des actifs bruns et des actifs immobiliers, révèle une baisse du ratio de solvabilité de 60 points, passant ainsi de 230% à 170% entre 2022 et 2027  (acpr.banque-france.fr).

Le système français d’assurance des catastrophes naturelles repose sur un équilibre entre des assureurs privés, des réassureurs et de la réassurance publique (CCR) financée par une surprime prélevée sur les contrats dommages aux biens et automobiles. Les taux de surprime relèvent du cadre réglementaire général de cette couverture. Ainsi, au 1er janvier 2025, à la suite notamment du rapport Langreney, la surprime Cat Nat est passée de 12 % à 20 % pour les contrats dommages aux biens et de 6 % à 9 % pour les contrats d’automobiles.

La hausse des primes d’assurance ne peut pas être la seule réponse à l’augmentation du coût des dommages suite aux catastrophes naturelles. Les assureurs, l’Etat, les collectivités locales, et les citoyens/assurés doivent travailler ensemble à réduire l’exposition aux risques et conduire l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques.

Les assureurs adaptent leurs offres et produits et soutiennent des mesures de prévention

Pour mieux anticiper les impacts futurs du changement climatique sur les biens assurés, le secteur travaille en partenariat étroit avec les organismes publics (ADEME, Cerema, collectivités), les bureaux d’étude et de normalisation (AFNOR), les associations (AFPCNT, MRN), les universités et les laboratoires ainsi que les réseaux de recherche européens et internationaux comme le NGFS (Network for Greening the Financial System).

Ces travaux, dont une part importante de R&D, apportent des solutions de protection (rénovation durable, mieux reconstruire après sinistre, barrières anti-inondation, matériaux résistants à la grêle…) et en testent l’efficacité.

Des partenariats sont également mis en place avec les startups et les insurtechs qui développent des outils de prévention, des services d’alerte en temps réel ou des plateformes de modélisation.

Des produits d’assurance innovants émergent également, comme l’assurance paramétrique, dont les indemnisations sont déclenchées automatiquement sur la base d’un indicateur objectif (pluviométrie, vent, sécheresse). Le marché mondial de l’assurance paramétrique a été évalué à 16,2 milliards de dollars en 2024 et devrait augmenter de 12,6 % par an entre 2025 et 2034 (GMI). Quant à celui des « cat bonds » (obligations catastrophes), utilisé comme levier de réassurance alternatif, il dépasse aujourd’hui les 49,5 milliards de dollars, en hausse de 10 % sur un an. Ces outils financiers offrent aux assureurs une forme de couverture alternative face à l’intensification des aléas.

Les acteurs privés et publics peuvent recourir au fonds Barnier pour financer des actions de prévention

Le fonds Barnier ou Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs (FPRNM) créé en 1995 avait pour but initial de financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur. Son utilisation a depuis évolué et il est devenu la principale source de financement de la politique nationale de prévention des risques naturels. Il a pour objectif d’améliorer la sécurité des personnes face aux risques naturels et de réduire les dommages aux biens. Ce fonds peut être mobilisé par les collectivités territoriales, les petites entreprises, les particuliers, les établissements publics fonciers et les services de l’État.

Les assurés doivent devenir des acteurs de la protection de leurs biens

Aujourd’hui, en France, la sensibilisation aux risques climatiques est plutôt élevée grâce à la couverture médiatique des événements climatiques, à des campagnes d’information, à la diffusion de guides pratiques par des organismes publics ou par des assureurs.

Des citoyens s’organisent déjà au sein d’associations syndicales de propriétaires : ASP (ASL, ASA, ASCO) pour construire, entretenir, gérer des ouvrages, réaliser des travaux ou des actions d’intérêt commun avec comme objectifs communs de prévenir les risques naturels ou sanitaires, les pollutions et les nuisances, préserver, restaurer ou exploiter des ressources naturelles, aménager ou entretenir des cours d’eau, lacs ou plans d’eau, voies et réseaux divers. Ils agissent aussi au sein des conseils municipaux, par la réalisation des Plans de Prévention des Risques et d’actions de protection des communes.

Les assureurs prennent cependant conscience qu’au-delà de l’indemnisation, ils ont un rôle d’acteur pédagogique à jouer auprès de leurs clients pour les amener à s’adapter aux nouvelles conditions climatiques, ce qui suppose une meilleure communication au moment de la souscription du contrat, par exemple, en intégrant des informations de type « diagnostic climatique » ou ERP. En effet en France, la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques naturels et technologiques a institué une obligation d’information des acquéreurs et locataires d’un bien immobilier sur certains risques majeurs auxquels est exposé ce bien, dit Etat des Risques et Pollutions (ERP). L’ERP, exigé depuis le 1er juin 2006, a été élargi[1] depuis le 1er janvier 2023 à de nouveaux risques : le recul du trait de côte, le retrait-gonflement des argiles et le radon.  Certains acteurs envisagent d’ailleurs l’équivalent d’un label de performance climatique des biens assurés, sur le modèle du DPE immobilier, pour informer les assurés de leur exposition réelle.

Cette transparence sur les risques naturels permet l’émission d’un signal-prix. Pour certains assurés, ce prix peut être trop élevé et les inciter à renoncer à la souscription d’une couverture d’assurance. De leur côté, les pouvoirs publics craignent que certains assureurs se retirent de certaines zones à risque. Cette possibilité a justifié la création d’un Observatoire de l’assurabilité par la CCR, qui publiera sa première carte fin 2025.

Rôle de l’IA et de la géomatique

L’intelligence artificielle représente un levier majeur pour renforcer l’efficacité du secteur face aux risques climatiques.

Elle est utilisée pour prévoir les événements à partir de données météorologiques, satellites, ou géographiques, avec des modèles de plus en plus performants comme le système GraphCast développé par Google. En améliorant la fiabilité de l’horizon de prédiction à plusieurs heures, cela permettrait de déclencher des alertes entendues par les populations. On peut penser qu’une partie des 230 morts de Valence en Espagne aurait pu être évitée, si ces alertes avaient été généralisées et suivies d’effet.

Les systèmes d’intelligence artificielle jouent également un rôle clé dans la gestion des sinistres, notamment pour améliorer la réactivité lors de crises à grande échelle. Sur le terrain, les technologies de vision par ordinateur détectent automatiquement les dégâts à partir d’images satellites ou de drones. L’IA intégrée dans les processus digitaux facilite la gestion des sinistres, et les plateformes d’alerte permettent une priorisation des interventions en temps réel. Ces outils transforment le métier d’assureur, de plus en plus ancré dans la donnée spatiale et prédictive.

Enfin, l’IA est utilisée dans le cadre de la veille opérationnelle et de l’analyse des tendances climatiques. On peut ainsi mesurer les efforts de sensibilisation et de promotion des mesures de prévention. Une analyse de la presse quotidienne régionale nous permet de voir que les mentions d’actions de prévention (renforcement de digues, reboisement pour lutter contre l’érosion, etc…) sont deux fois plus nombreuses en 2023 qu’en 2022.

En conclusion : Une réponse collective à construire

Face à cette vague croissante de sinistralité climatique, forte et durable, et à l’augmentation du coût des dommages, la hausse des primes d’assurance est inéluctable, mais elle ne peut pas être la seule réponse.

C’est à travers la modélisation avancée, la prévention, l’innovation technologique (IA, paramétrique), et une coopération renforcée entre l’Etat, les collectivités locales, les citoyens les acteurs privés, les assureurs, les réassureurs et les startups que l’exposition aux risques et l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques seront réalisées.

A l’échelle de la France, à chacun de contribuer à renforcer la résilience du territoire.

Priscilla Cournède, Maxence Jeunesse, Benjamin Poudret
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