Cet article a été initialement publié sur le blog de son auteur, le 17 septembre 2024.


Depuis la décennie 2000, le stock de méthane dans l’atmosphère s’accroit rapidement

La quatrième édition du Global Methane Budget (GMB) est désormais disponible. Ce travail, publié tous les 4 ans sous la coordination de Marielle Saunois de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), constitue le document de référence pour quiconque cherche à mieux comprendre la contribution du méthane au réchauffement climatique : +0,5°C depuis l’ère préindustrielle, contre +0,8°C pour le CO2 (6ème rapport du GIEC).

Cette édition lance une nouvelle alerte : « la concentration de méthane dans l’atmosphère durant la dernière décennie suit les tendances des trajectoires représentatives les plus pessimistes analysées par le GIEC ».

Simultanément, le GMB trace les pistes qui permettraient de réduire les émissions de méthane et d’avoir un impact rapide sur le réchauffement planétaire du fait de la courte durée de séjour de ce gaz dans l’atmosphère.

Méthane : le stock et les flux

Si les émissions de méthane sont difficiles à évaluer, sa concentration dans l’atmosphère est aujourd’hui mesurée avec précision. Cela permet une évaluation fiable et rapide de son stock atmosphérique dont l’accroissement réchauffe la planète.

Le GMB nous rappelle en premier lieu ce constat sans appel : le rythme d’accumulation du méthane dans l’atmosphère s’accélère depuis les années 2000 (graphique haut de page). Sa concentration dans l’atmosphère est aujourd’hui estimée à 2,6 fois celle de l’ère préindustrielle (1,5 fois pour le CO2). Les émissions de méthane excèdent donc la capacité des puits à l’éliminer de l’atmosphère.

Du fait de la difficulté à évaluer les émissions de méthane et de ses puits, le GMB croise deux méthodes d’évaluation : une méthode ascendante (Bottom-up) partant des informations disponibles sur les flux, et une autre descendante (Top-down) partant des informations recueillies à partir du stock atmosphérique.

Les écarts entre les résultats obtenus par ces deux méthodes ont été réduits dans la dernière mouture du GMB.  La figure ci-dessous donne une représentation simplifiée des flux entrant et sortant de l’atmosphère pour 2020, dernière année connue.


Côté émissions
, un peu moins de 70% des émissions proviennent de deux sous-ensembles : l’agriculture et le traitement des déchets ; les zones humides ou recouvertes d’eau douce. Ces émissions résultent toutes de la fermentation anaérobique (sans oxygène) de matières organiques : dans les décharges, le système digestif des ruminants, les marais, les lacs, les rizières, etc.

La troisième source d’émission, inférieure à 20% du total, est le secteur des énergies fossiles qui rejette du méthane non utilisé pour la combustion, principalement lors de l’extraction et du transport de gaz naturel et dans les mines de charbon.

Les autres sources d’émission comptent pour un peu plus de 10 %. Elles proviennent de la combustion imparfaite de biomasse et des émissions naturelles comme celles provoquées par les termites, les volcans ou la fonte du permafrost.

Côté puits, la grande majorité du méthane est éliminé par oxydation dans l’atmosphère. Il se transforme alors en CO2 dont le pouvoir de réchauffement est très inférieur (de 27 à 30 fois moins que le méthane à l’horizon de 100 ans). L’oxydation du méthane atmosphérique dégage également de l’ozone qui contribue à l’effet de serre.

Du fait de son oxydation, la durée moyenne de séjour du méthane dans l’atmosphère est de l’ordre d’une dizaine d’années. Après 30 ans, il ne subsiste que 10% du méthane initialement émis. Le méthane réchauffe donc bien plus fortement la planète que le CO2, mais sur une période beaucoup plus courte. La réduction de ses émissions aura donc un effet nettement plus rapide sur le climat. D’où l’intérêt des piste d’action tracées par le GMB.

Les potentiels de réduction des émissions

Au cours des deux dernières décennies, les émissions de méthane « directement anthropiques » (figure ci-dessous) se sont accrues de 20%. Contrairement à celles de CO2, leur rythme ne s’est pas ralenti sur la période récente. Seule l’Union européenne est parvenue à les infléchir significativement.

Les contraintes pesant sur les différentes sources d’émission sont très différentes d’un secteur à l’autre.

Source des données : Global Methane Budget (approche bottom-up)

Les émissions de l’agriculture, principalement les rejets de méthane provoqués par l’élevage des ruminants et la culture du riz, ont augmenté de 20% durant les deux dernières décennies. Elles constituent la première source anthropique d’émission et seront les plus difficiles à maîtriser.

Pour le riz, les émissions résultent de l’inondation des rizières, la méthode la plus courante d’intensification de sa culture. Les méthodes alternatives exigent plus de main-d’œuvre et leurs incidences sur les rendements sont incertaines. Dans les élevages de ruminants, on peut limiter les émissions en améliorant l’alimentation des bêtes et le traitement des effluents d’élevage. Mais l’effet sur le volume des émissions sera limité tant que la consommation de viande et de lait continue d’augmenter dans les pays émergents, l’Inde, le Brésil et la Chine étant les trois premiers émetteurs de méthane d’origine agricole dans le monde.

Les émissions résultant de l’usage des énergies fossiles, seconde source anthropique, ont augmenté de 25 % sur la période. Ces émissions sont des fuites de méthane, n’apportant aucun service énergétique contrairement à la combustion d’énergie fossile. Leur réduction, souvent leur élimination totale, ne pose aucune difficulté technique et pourrait s’opérer au moindre coût en valorisant le méthane récupéré. Il y a donc là un gisement majeur de réduction d’émission qui pourrait résulter soit de contraintes réglementaires (cas de l’Union européenne) ou en tarifant les rejets de méthane (en cours de création aux Etats-Unis).

Les émissions de méthane lors du traitement des déchets ont augmenté à un rythme comparable à celui des énergies fossiles. Elles résultent du rejet de méthane par la mise en décharge de déchets organiques et lors du traitement des eaux usés. Le potentiel de réduction de ces rejets, par récupération du méthane et utilisation à des fins énergétiques ou industrielles est élevé et peu coûteux. Le compostage est également une technique permettant de limiter à la source la production de déchets organiques.

Les rejets de méthane provoqués par la combustion de biomasse comptent pour moins de 10% des émissions anthropiques. Ils résultent principalement des systèmes de cuisson précaires prévalant dans les pays moins avancés et des feux (arbres, mais aussi brûlis agricoles) dont 90% sont d’origine anthropique. Les obstacles à leur réduction sont essentiellement d’ordre socioéconomique et politique.

La frontière poreuse entre émissions anthropiques et naturelles

L’une des innovations du GMB est d’avoir mis le projecteur sur l’ensemble des émissions provenant des zones humides et des surfaces toujours en eau. Souvent qualifiées de « naturelles », ces émissions, les plus difficiles à évaluer, sont également tributaires des activités humaines.

Lorsqu’on construit une retenue sur une rivière ou quand on crée une mare artificielle, le couvert végétal inondé est promis à une décomposition anaérobique qui produira du méthane. Le GMB estime que la moitié des émissions de méthane issus des surfaces toujours en eau proviennent d’interventions humaines : aménagements hydroélectriques, extension des lacs, aménagements agricoles, etc. (figure ci-dessous)

Les émissions des zones humides sont très majoritairement d’origine naturelle, et de plus en plus fréquemment protégées pour préserver leurs richesses en biodiversité. Elles n’en émettent pas moins du méthane.

Sur la période récente (depuis 2020), la production de méthane par ces zones humides a été amplifiée par le réchauffement climatique dans les zones tropicales et subtropicales. L’accumulation du méthane dans l’atmosphère est donc accentuée par le réchauffement climatique. L’importance et surtout la pérennité de cette rétroaction climatique font objet de débats au sein de la communauté scientifique.

Du fait de la meilleure prise en compte de ces impacts anthropiques nouvellement intégrés, le GMB estime désormais à deux-tiers la part des émissions de méthane attribuable à une activité humaine.

Les puits de méthane affectés par les rejets d’oxydes d’azote

L’élimination du méthane dans l’atmosphère est tributaire de la présence de radicaux hydroxyles (OH) qui dopent son oxydation. Or, la teneur atmosphérique des radicaux OH est augmentée par les émissions d’oxydes d’azote (NOx), des polluants locaux résultant de la combustion de charbon et de produits pétroliers. En contribuant à la destruction du méthane atmosphérique, les NOx exercent donc un effet de refroidissement, estimé à 0,2°C depuis l’ère préindustrielle par le 6ème rapport du GIEC.

A contrario, la réduction des rejets de NOx freine l’oxydation du méthane et donc accélère son accumulation dans l’atmosphère. En 2020, les confinements instaurés pour lutter contre le COVID ont ainsi provoqué une chute des émissions du transport et donc des NOx rejetés par les moteurs. Cette chute a contribué à l’augmentation inédite du stock de méthane dans l’atmosphère cette année là.

Au-delà de cet exemple conjoncturel, les trajectoires de baisse des émissions des combustibles fossiles, requises pour limiter le réchauffement global en dessous de 2°C, provoqueront une forte réduction des rejets de NOx. Cette réduction des NOx sera bénéfique pour la santé publique, mais agira à contresens des objectifs climatiques.

Une raison supplémentaire pour accélérer et élargir les actions de réduction des émissions de méthane, nous rappellent les auteurs du GMB.

Christian de Perthuis
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