Le 17 octobre dernier, ENSAE Alumni et l’Institut des Actuaires ont reçu Philippe Donnet, CEO du groupe Generali, pour une soirée-débat sur le thème du « Marché européen de l’assurance et les effets de la digitalisation ». Des questions-réponses qui ont permis un large tour d’horizon et une mise en perspective.

Variances : Vous avez été nommé pour la deuxième année consécutive « best CEO » du secteur de l’assurance par le magazine « Institutional Investor ».

PhD : Il s’agit d’une reconnaissance importante qui nous indique que Generali est sur la bonne voie. Et comme il est toujours plus difficile de confirmer un résultat que de l’obtenir pour la première fois, j’en étais très heureux.

Pour moi, c’est vraiment un travail d’équipe : je n’aurais pas pu être nommé «Meilleur CEO dans le secteur européen de l’assurance » sans l’effort quotidien et l’engagement de notre équipe de direction et de tous nos collègues, J’adresse mes remerciements à chacun d’entre eux.

Comme preuve supplémentaire de l’excellent travail que nous avons accompli collectivement, Institutional Investor a également récompensé Generali dans plusieurs autres catégories, là-aussi pour la deuxième année consécutive :

  • Meilleur programme Environnement, Social, Gouvernance (ESG)
  • Cristiano Borean confirmé comme « Meilleur CFO » dans le secteur de l’assurance
  • Equipe en charge des relations avec les investisseurs et les agences de notation confirmée en tant que « Meilleure équipe de relations avec les investisseurs » et également en première place dans les catégories « Meilleur programme de relations avec les investisseurs».

Variances : Quelles évolutions futures du marché anticipez-vous, et quels sont les enjeux principaux du marché européen de l’assurance ?

PhD : Tout d’abord, nous continuons à faire face à un environnement extérieur globalement difficile car, ces dernières années, nous avons assisté à une pandémie sans précédent, avec toutes ses conséquences sanitaires, sociales et économiques, et maintenant au scénario géopolitique le plus tendu depuis des décennies. Tous ces éléments peuvent avoir des conséquences importantes sur notre activité en tant qu’assureurs.

En ce qui concerne les taux d’intérêt élevés, l’environnement actuel est favorable aux assureurs-vie, même s’il faut gérer la transition à court terme. Je ne suis pas non plus préoccupé par les niveaux d’inflation que nous observons aujourd’hui : nous y reviendrons plus longuement tout à l’heure.

En ce qui concerne nos principales préoccupations du moment, je distinguerais le risque climatique et le risque réglementaire :

  • Les phénomènes de changement climatique (et de risque climatique) obligent les gouvernements, les entreprises et les communautés du monde entier à prendre des engagements pour adopter des politiques plus strictes afin de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’effort de Generali en faveur de la transition énergétique est visible dans notre stratégie d’investissement, à la fois à travers les capitaux alloués au financement de la transition énergétique et à travers notre approche d’investissement durable et responsable, qui prend en compte la décarbonation du portefeuille et l’exclusion de certains combustibles fossiles comme le charbon. Mais il y a aussi un problème évident avec l’assurabilité des risques liés au climat : et compte tenu de leur ampleur et de l’ampleur des pertes qu’ils peuvent potentiellement entraîner, nous devons trouver de nouvelles solutions telles que le partenariat public-privé, qui nécessitent incontestablement l’implication d’un plus grand nombre d’acteurs.
  • En tant qu’assureurs, nous sommes confrontés à une augmentation significative de la complexité de la réglementation à un moment où notre rôle social et notre «puissance de feu» en tant qu’investisseurs institutionnels sont plus clairs et plus importants que jamais, et c’est particulièrement le cas ici en Europe. Je pense qu’il est dans l’intérêt de tous de préserver la compétitivité internationale des assureurs européens tout en nous permettant de remplir au mieux notre mandat vis-à-vis des clients et de la société dans son ensemble. Il s’agit d’un sujet clé non seulement pour Generali, mais aussi pour l’ensemble de notre secteur, et nous continuerons à nous engager de manière proactive avec les décideurs et de nombreuses autres parties prenantes clés pour trouver des solutions qui fonctionnent pour tous.

Variances : Comment le contexte de l’inflation et de la hausse des taux impacte-t-il les différents métiers de l’assurance ?

PhD : Il y a bien sûr un impact, d’autant que nous sommes passés rapidement d’un environnement de taux d’intérêt bas et depuis longtemps, voire négatifs, à l’environnement actuel. Mais, si l’on remet en perspective, quand j’ai commencé ma carrière, l’inflation et les taux étaient élevés ; j’ai été formé comme les autres actuaires à anticiper et gérer ces variations d’environnement de taux. Je n’ai donc pas d’inquiétude fondamentale, nous revenons en fait, après une période atypique d’inflation faible et de taux bas, à une situation plus classique. Ce qui est délicat c’est la phase de transition.
Dans le domaine de l’assurance-vie, la hausse des taux d’intérêt réduit largement le risque de réinvestissement et rend les garanties de taux moins coûteuses d’un point de vue économique. Cependant, avec une hausse trop forte viennent des risques de rachats, comme c’est le cas actuellement, ce qui a un impact négatif en termes de réduction de la collecte nette.

Nous avons constaté, en Europe, une hausse des rachats sur certains segments spécifiques, notre proposition de valeur n’est pas de vendre des produits financiers mais des solutions d’assurance et de gérer à long terme

Dans le secteur de l’assurance-dommages, le scénario actuel est que l’évolution des primes progresse moins vite que le taux d’inflation alors que les coûts des sinistres augmentent.

Dans un tel scénario, la stratégie de notre Groupe reste inchangée et nous continuons de mettre l’accent sur la discipline de souscription des affaires nouvelles, sur les segments Santé et Protection et sur les produits à faible consommation de capital. De plus, nous continuons à nous concentrer sur les produits hybrides car ils nous permettent de répondre aux différents besoins de nos clients. Je pense également qu’il est essentiel d’avoir, comme nous le faisons, des canaux de distribution propriétaires, qui sont un levier clé pour piloter l’entreprise.

Variances : Quels changements de comportement des clients anticipez-vous ?

PhD : Nous avons déjà constaté que les comportements des clients ont considérablement changé ces dernières années, et c’est pourquoi nous avons décidé de lancer notre ambition Lifetime Partner, qui vise à construire une relation durable avec tous nos clients.

Aujourd’hui, les clients attendent de leur compagnie d’assurance le même niveau de service, ponctuel et fluide, que celui offert par des entreprises comme Amazon. S’ils ne l’obtiennent pas, ils iront simplement le chercher ailleurs.

Dans le même temps, il est essentiel de construire une relation plus étroite et plus personnalisée avec eux. L’assurance est et sera toujours un métier d’émotions car il s’attache à protéger ce que les gens ont de plus précieux ; il faut être là pour les clients quand ils ont le plus besoin de nous. C’est pourquoi, chez Generali, nos 161 000 agents dans le monde continuent de jouer un rôle clé : ils sont le visage et le cœur de notre entreprise, ils doivent connaître nos clients et être en mesure de leur proposer des produits et des services spécialement conçus pour eux. Les outils numériques peuvent nous y aider, mais ils ne remplaceront jamais la relation humaine, une présence à tout moment, et cela a été très clair une fois de plus pendant la pandémie de Covid-19, lorsque nos agents se sont avérés être un point de référence très important pour de nombreux clients qui vivaient une grande détresse.

Variances : Qu’est-ce pour vous que la digitalisation ? Comment l’avez-vous prise en compte chez Generali ? Quelles sont les zones d’ombre et les difficultés à surmonter dans la gestion des données ?

PhD : La digitalisation est une opportunité qui doit être saisie avec une approche claire et stratégique. Les assureurs ont toujours géré des données mais, aujourd’hui, nous traitons une quantité de données qui est incommensurablement plus importante que, par exemple, lorsque j’ai commencé ma carrière. Les nouvelles technologies peuvent nous aider à le faire beaucoup plus efficacement. En fait, le développement constant d’éléments tels que l’automatisation intelligente, la robotique, l’Internet des objets et la blockchain, pour n’en nommer que quelques-uns, peut apporter de nombreux avantages tangibles dans pratiquement tous les domaines de notre activité.

Nous nous concentrons chez Generali depuis des années sur notre transformation numérique, en engageant environ 1 milliard d’euros dans le cadre du plan stratégique actuel dans des initiatives liées à la technologie afin de d’accélérer notre mutation IT.

Mais cela ne suffit pas pour émerger comme un gagnant dans le monde de demain, car vous avez besoin d’une main-d’œuvre au top dans le nouvel environnement, et d’un réseau d’agents qui comprend l’évolution des besoins et des priorités de nos clients. C’est pourquoi il est tout aussi important d’investir dans la formation de nos collaborateurs en perfectionnant leurs savoirs faire que d’investir dans les technologies, et c’est ce que nous faisons.

En ce qui concerne les données, il ne faut pas oublier que leur utilisation judicieuse doit aller de pair avec un strict respect des exigences légales et des normes éthiques. En fait, il peut y avoir de nombreuses façons d’utiliser les données de manière contraire à l’éthique, et chacune de ces violations de la réglementation sur la protection de la vie privée peut entraîner des sanctions réglementaires, des plaintes de clients, une perte de confiance et une image de marque endommagée, nuisant ainsi considérablement à une entreprise, à sa réputation et à son avenir.

Variances : Quelle est votre anticipation des impacts du réchauffement climatique sur votre activité ? Outre les catastrophes naturelles et la gestion d’actifs où pensez-vous voir votre activité impactée ou modifiée ? Disposez-vous des éléments scientifiques suffisants pour protéger activement Generali des impacts du réchauffement climatique ?

PhD : Le changement climatique est une tendance systémique qui a un fort impact sur notre activité d’assureur, car il entraîne des risques accrus dont les conséquences négatives – d’un point de vue économique et social – peuvent être vraiment énormes, et nous le voyons de plus en plus ici aussi en Europe, alors qu’elle a longtemps semblé moins exposée aux phénomènes météorologiques extrêmes.

C’est un sujet qui demande un effort énorme à tous points de vue : tout d’abord, il faut rassembler autant d’informations scientifiques que possible car, d’une certaine manière, nous sommes encore en train d’apprendre à connaître et à comprendre ces phénomènes, et c’est la toute première chose à faire pour pouvoir ensuite trouver des solutions d’assurance.

Ensuite, il y a la question de l’ampleur des dommages potentiels qui y sont liés. Comme je l’ai dit, nous parlons de risques systémiques qui nécessitent des solutions différentes et nouvelles, qui nécessitent nécessairement l’implication d’un plus grand nombre d’acteurs, parce que les assureurs seuls pourraient ne pas disposer de ressources suffisantes pour couvrir tous les sinistres générés. Nous l’avons déjà vu avec la pandémie de Covid-19, nous l’avons vu avec de nombreuses catastrophes naturelles, et nous pourrions le voir à nouveau en cas de nouvelle pandémie ou, par exemple, en cas de cyberattaque massive.

Variances : Dans le contexte américain, des acteurs majeurs notamment AXA et Allianz sont sortis de Net Zero Insurance Alliance (NZIA), cela ne semble pas le cas de Generali. Quelle est votre position ?

PhD : Tout d’abord, je pense que ce qui s’est passé avec la NZIA est un très bon exemple de la façon dont la transition durable n’est certainement pas une voie sans obstacles, car il existe de nombreux intérêts, opinions et positions divergents qui peuvent entrer en jeu et avoir un impact fort sur le processus global.

Cela dit, il est vrai que chez Generali, nous avons pris une décision différente de ce qui a été fait récemment par de nombreux pairs importants qui avaient également été – tout comme nous – parmi les membres fondateurs de la NZIA. Nous en faisons toujours partie et nous en sommes le plus grand participant. Je rappelle que l’activité de Generali est aujourd’hui centrée en Europe.

Il est important de souligner que chaque entreprise qui choisit d’être membre de la NZIA décide unilatéralement et de manière indépendante des étapes à suivre sur sa voie vers la neutralité carbone, et que l’adhésion n’implique aucune conduite concurrentielle coordonnée ni aucun échange d’informations sensibles sur le plan de la concurrence. Cela dit, il est clair que ce qui s’est passé au cours des derniers mois a suscité un certain nombre de réflexions sur la meilleure façon de procéder pour l’avenir, et c’est ce que nous évaluons actuellement avec nos partenaires.

Variances : Quels sont les domaines de recherches dans lesquels vous investissez ? Dans le domaine actuariel et notamment en qui concerne la finance et l’assurance verte ?

PhD : Investir dans la recherche est absolument vital pour être au fait de toutes les tendances qui affectent ou pourraient affecter ce que nous faisons en tant qu’entreprise. Il est donc important de le faire de manière cohérente dans tous les domaines. Je vous donne deux exemples qui sont tous deux liés à l’activité de Generali France :

  • En 2015, nous avons créé le Generali Climate Lab, une équipe pluridisciplinaire de 10 experts de haut niveau comprenant des ingénieurs hydrologues, des docteurs en géographie, des actuaires, des ingénieurs en sciences sociales, et climatologues et des data scientists. Son objectif est de revisiter et d’adapter le métier d’assureur à travers des solutions d’assurance augmentées (souscription, tarification, indemnisation, distribution, etc.) qui permettent également de sensibiliser et d’informer les clients et partenaires sur l’augmentation des risques naturels liés au changement climatique. Travaillant en architecture ouverte avec les universités, les centres de recherche publics (BRGM bureau géologique et minier, IPSL, CNRS), cette entité propose des outils d’analyse et d’anticipation permettant de comprendre et de gérer les risques présents et futurs avec un niveau de précision unique sur le marché français, d’apporter aux assurés des services personnalisés de prévention et de protection à long terme tout au long de leur relation avec Generali et de travailler au développement d’une véritable culture du risque et de la prévention.
  • En ce qui concerne l’actuariat, Generali France a créé en 2018 une plateforme située à Nantes et dédiée aux actuaires. C’est un lieu inspirant avec un esprit jeune et dynamique qui rappelle celui des start-ups, où nos actuaires ont l’occasion de traiter de nombreux sujets (aspects techniques, financiers, durables, commerciaux) qui les aideront à progresser dans leur carrière. Nous y employons actuellement 50 personnes, dont la majorité sont des actuaires ou des data scientists, avec, d’une part, un fort accent mis sur le conseil interne en matière d’assurance vie et non-vie (15 personnes) et, d’autre part, sur d’autres sujets tels que l’épargne, la retraite,, la santé, le climat, la date, la finance et le risque (35 personnes, dont une partie basée à Saint-Denis). Jusqu’à présent, les résultats sont très bons, avec un faible taux de turn-over et une grande mobilité au sein de la plateforme, beaucoup de bonnes pratiques et de partage de connaissances, ainsi qu’une forte contribution à la marque employeur de Generali France.

Variances :Qu’avez-vous appris de plus important dans votre formation d’actuariat ?

PhD : Devenir actuaire m’a vraiment permis de développer une bonne compréhension du secteur de l’assurance et d’acquérir les compétences techniques sur lesquelles j’ai bâti ma carrière.

Vous savez que les actuaires jouent un rôle clé dans notre entreprise, car ils sont chargés, par exemple, d’évaluer les risques financiers afin de calculer une prime appropriée pour les polices. Cela signifie qu’ils doivent posséder une bonne compréhension des mathématiques et de l’économie, ainsi que des compétences dans le calcul des probabilités et l’interprétation des statistiques pour identifier les facteurs de risque majeurs et mineurs.

C’est un travail où vous pouvez développer et mettre à l’épreuve vos compétences en résolution de problèmes et en réflexion stratégique au quotidien, et ces capacités sont vitales pour tout chef d’entreprise.

Variances : Un autre sujet nous tient à cœur, l’enseignement des mathématiques et la place des filles dans les métiers scientifiques, notamment la finance et l’actuariat. Que pouvez-vous faire pour nous aider ?

PhD : Ce sont des sujets très importants. J’ai obtenu mon diplôme de l’Ecole Polytechnique avant de passer à peu près toute ma vie professionnelle dans le secteur de l’assurance, je ne peux donc que dire des choses positives sur l’utilité et l’importance d’étudier les mathématiques et les matières scientifiques, et sur la stimulation de travailler dans ce domaine.

De plus, travailler dans la finance vous permet de jouer un rôle social plus large, car nous avons les moyens et les actifs pour faire une réelle différence non seulement pour nos entreprises mais aussi pour nos communautés et la société dans son ensemble, et c’est quelque chose qui peut être un moteur très fort pour les jeunes professionnels, car ils ont une forte sensibilité à ces sujets.

Dans le même temps, il est essentiel d’avoir une main-d’œuvre avec des profils très diversifié, que ce soit au plan du genre, au plan générationnel ou culturel, car cela rend toute entreprise plus riche de points de vue différents et plus forte. Pour soutenir davantage cette tendance, je pense que les entreprises doivent s’engager de manière proactive auprès des universités et des jeunes professionnels, afin qu’ils puissent bien comprendre ce que nous représentons et comment ils peuvent nous aider à avoir un impact plus fort et durable.

 

Mots-clés : Assurance – Generali – Assurance-vie – Assurance-dommage – Taux d’intérêt – NZIA – Actuariat

Philippe Donnet
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