Cet article est disponible dans le numéro 183 de la revue « Chronique internationale » de l’Ires, éditée en septembre 2023.


En Allemagne, les entreprises et les services publics se heurtent à des pénuries de personnel qualifié et à des difficultés croissantes de recrutement. La coalition gouvernementale dirigée par le chancelier Scholz a donc adopté des mesures en 2022-2023 pour inciter les femmes – en particulier les mères –, très nombreuses à travailler à temps partiel ou qui occupent des emplois précaires, à s’investir davantage dans leur vie professionnelle. Ces mesures restent toutefois insuffisantes face aux obstacles structurels qui réduisent les chances d’une plus importante participation des femmes au marché du travail.

Dans une première partie, nous dressons un tableau des modalités actuelles de la participation des femmes au marché du travail en mettant l’accent sur les importantes inégalités – horizontales et verticales[1] – entre les sexes et sur leurs répercussions dans différents domaines, en particulier dans celui des retraites. Dans la seconde partie, les multiples freins à un plus important investissement professionnel des femmes sont exposés. Enfin, on tente dans une troisième partie d’évaluer l’impact des mesures récentes sur les perspectives d’amélioration des conditions d’accès et de promotion des femmes sur le marché du travail à court et moyen terme.

Des différences persistantes entre les femmes et les hommes sur le marché du travail

S’il est vrai globalement que « le marché du travail résiste à la dégradation de l’activité économique et poursuit sa reprise après deux années difficiles du fait de la crise sanitaire » (Kahmann, 2022), qu’en est-il pour les femmes, qui représentent 46,6 % de la population active ? Le taux d’emploi de celles âgées de 20 à 64 ans a certes augmenté durant la dernière décennie (passant de 70,3 % en 2011 à 77,1 % en 2022 surpassant désormais ceux de la France et de la zone euro (respectivement 70 % et 69 % en 2021. Mais cette supériorité masque la prédominance, en particulier chez les mères, des emplois à temps partiel, ce qui témoigne du fort impact de la maternité sur les modalités de leur participation au marché du travail.

Le temps partiel toujours prédominant parmi les mères

En dix ans, le taux d’activité des mères a augmenté, passant de 69,3 % en 2010 à 74,9 % en 2020. Le travail à temps partiel reste toutefois la forme dominante de leur participation au marché du travail et a même augmenté de 2010 à 2020, à la fois chez les mères et les femmes sans enfants. En revanche, les hommes, y compris ceux qui vivent avec des enfants, y recourent rarement (graphique 1).

Presque 80 % des salariés assujettis aux assurances sociales et qui travaillent à temps partiel sont des femmes (tableau 1). À la suite d’une première naissance suivie d’un congé parental d’un an, la configuration la plus fréquente au sein des couples est la suivante : 31 % des mères travaillent entre 15 et 24 heures par semaine et le père à temps plein (35 heures ou plus). Celle où la mère travaille à temps partiel, mais entre 25 et 35 heures par semaine, représente 18 % de l’ensemble des parents. Les couples où les deux parents travaillent à temps plein ne représentent que 14 % des cas et ceux où la mère n’a pas d’emploi 15 % (Institut für Demoskopie Allensbach, 2021). En revanche, la proportion des mères âgées de 45 à 49 ans qui travaillent à temps plein a nettement augmenté de 2015 à 2022, passant de 42 à 57 %. La majorité d’entre elles ont en effet des enfants qui ont atteint l’âge de la scolarité (primaire et secondaire) et qui, grâce à l’augmentation du nombre d’établissements scolaires ouverts toute la journée, sont pris en charge.

Graphique 1 – Proportion des personnes de 15 à 65 ans, avec ou sans enfants, qui travaillent à temps partiel en 2010 et 2020

En %

Lecture : en 2020, 66 % des mères actives (salariées ou indépendantes) travaillent à temps partiel contre 64 % en 2010.

Source : Agence fédérale pour l’emploi (Bundesagentur für Arbeit, BA), 2022 : https://bit.ly/47baCmx.

Il convient de préciser que des différences significatives persistent entre les nder de l’Ouest et ceux de l’Est : respectivement 22 et 63 % des mères dont l’aîné des enfants (ou l’enfant unique) est âgé de moins de 10 ans occupent un emploi à plein temps.

La surreprésentation des femmes dans les emplois précaires et faiblement rémunérés (mini-jobs)

Alors que moins de la moitié (46 %) des salariés occupant des emplois assujettis aux cotisations d’assurance sociale sont des femmes, elles représentent 65 % des personnes occupant un mini-job à titre principal (tableau 1). Or, ce statut ne leur permet pas d’avoir accès aux indemnités de chômage car ces « petits emplois » sont exonérés de cotisations sociales salariés et soumis à un taux de cotisations employeur forfaitaire qui ne couvre pas tous les risques (Chagny, Le Bayon, 2020 ; Knospe, 2007).

Tableau 1 – Proportion de femmes parmi les personnes en emploi selon leur statut et la durée du travail en 2021

Source : Statistik der Bundesagentur für Arbeit (BA), 2022.

Les mini-jobs ont toujours suscité controverses et débats au sein du SPD, du Parti de gauche et des Verts qui dénoncent l’existence de ces emplois. À l’instar de la DGB, Confédération allemande des syndicats, qui avait salué l’augmentation du salaire minimum légal, mais a vivement critiqué les nouvelles règles régissant les mini-jobs : ces dispositifs sont, selon lui, trop complexes, très avantageux pour les employeurs qui en profitent souvent pour ne pas déclarer les heures supplémentaires et qui maintiennent les personnes occupant ces emplois dans la précarité.

Outre le fait que les femmes travaillent plus souvent que les hommes dans des PME – où les chances et perspectives de promotion sont plus limitées que dans les grandes entreprises (Fagnani, 2021) –, l’écrasante majorité des emplois dans les secteurs de l’action sociale, de l’enseignement primaire et secondaire, de la santé, de l’accueil de la petite enfance, des soins aux personnes âgées ou du commerce sont occupés par des femmes. Cette ségrégation horizontale va de pair avec une plus grande probabilité que celle des hommes d’occuper des emplois peu rémunérés.

En dépit des efforts du ministère de la Formation et de la Recherche pour encourager les jeunes filles à s’engager dans des filières scientifiques, la proportion de femmes qui exercent un métier dans le domaine des mathématiques, informatique, sciences de la nature et technologies reste très limitée et n’augmente pas : 17 % en 2021 contre 16 % en 2016 (Bundesagentur für Arbeit, 2023).

Sans surprise, les différences entre les sexes sur le marché du travail restent importantes, comme en témoignent les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes : en 2022, le salaire horaire moyen net est respectivement de 24,36 euros contre 20,05 euros, soit 18 % de différence. Et parmi ceux qui travaillent à temps plein, le salaire mensuel moyen atteint 3 699 euros net par mois pour les femmes contre 4 270 euros pour les hommes.

De fortes répercussions sur le montant des retraites des femmes

Le montant moyen des retraites des femmes reste, compte tenu des caractéristiques professionnelles décrites ci-dessus, bien inférieur à celui des hommes : en 2021, il s’élève respectivement à 807 euros brut par mois contre 1 227 euros, soit 36 % d’écart. Cependant, des différences importantes subsistent entre les nder de l’Ouest, où le montant moyen des retraites des femmes est nettement moins élevé que celui des hommes, et ceux de l’ex-RDA (tableau 2 ; WSI, 2022).

Tableau 2 – Montant moyen des retraites en Allemagne de l’Ouest et en Allemagne de l’Est en 2021

En euros (brut)

* Stock, qui n’inclut pas les femmes qui viennent d’accéder à la retraite.

Source : WSI, Hans-Böckler Stiftung, 2022 : https://bit.ly/3rWpcOM.

Toutefois, bien qu’il reste important, l’écart entre les sexes s’est réduit dans les nder de l’Ouest. En effet, le montant moyen perçu par les femmes en 2021 au moment de leur accès à la retraite est plus élevé que celui des retraitées des générations précédentes (+8,9 %), du fait qu’elles ont été plus longtemps en emploi et ont connu des interruptions moins longues et moins fréquentes durant leur vie professionnelle que leurs aînées.

Dans les nouveaux nder, les femmes, ayant eu fréquemment des carrières professionnelles plus continues, sont moins pénalisées qu’en Allemagne de l’Ouest : l’insertion et le maintien des mères sur le marché du travail à la suite d’une naissance y était un objectif prioritaire des politiques familiales avant la chute du mur de Berlin (Fagnani, Lestrade, 2020).

Il n’est pas surprenant, au vu de ces résultats, que les femmes âgées d’au moins 65 ans soient plus exposées au risque de pauvreté que les hommes du même âge, soit respectivement 20,3 % et 15,9 % en 202.

Les nombreux freins à un investissement plus important des femmes sur le marché du travail

Dans un contexte où les difficultés de recrutement deviennent aiguës, comment expliquer que les femmes, avec ou sans enfants, semblent souvent réticentes à s’investir à plein temps dans leur vie professionnelle ou ne soient pas en mesure de le faire ? Quels sont les obstacles qui se dressent sur la voie qui pourrait les conduire à ne plus subordonner leur vie professionnelle à leur vie familiale ou à envisager une trajectoire professionnelle qui leur ouvrirait de nouveaux horizons ? Un faisceau de facteurs explicatifs de nature diverse mais qui forment système réduit leur champ des possibles dans ce domaine.

Les lacunes des politiques d’accueil de la petite enfance

Ces dernières années, la hausse de la proportion d’enfants de moins de 3 ans accueillis en crèche (Kindertageseinrichtung, Kita) a été modeste : 35,5 % en mars 2022 contre 32,9 % en 2016. Selon une récente estimation, il manque 378 000 places en crèches en dépit du droit opposable, instauré en 2013, de chaque enfant d’y être accueilli à partir d’1 an.
Il est vrai que la participation financière de l’État fédéral reste modeste : elle est de 2,8 milliards d’euros alors que le montant total des dépenses liées aux crèches s’élève à 50 milliards en 2021. Ce sous-investissement, dénoncé en particulier par die Linke, affecte d’autres secteurs (les infrastructures routières et ferroviaires, par exemple) mais, dans la mesure où la question de l’égalité entre les sexes figure en bonne place sur l’agenda politique et social, il est devenu un problème crucial et récurrent.

En outre, dans les nder de l’Ouest, beaucoup de crèches n’accueillent les enfants qu’à mi-temps, ce qui incite les mères – et très rarement les pères – à réduire leur temps de travail. En effet, la loi régissant le droit opposable ne précise pas le nombre d’heures de garde auquel les parents ont droit : ceux qui souhaitent (ou doivent) travailler à temps plein sont ainsi pénalisés si les crèches municipales ne fonctionnent pas toute la journée.

Près de 32 % des femmes qui n’ont pas d’emploi déclarent ainsi que c’est parce qu’elles doivent s’occuper de leurs enfants ou de proches dépendants, contre 21 % en France. Le ministère fédéral en charge des Affaires familiales évalue à 49 % la proportion des parents d’enfants de moins de 3 ans qui ne peuvent pas avoir accès à une place en crèche (BMFSFJ, 2023). En revanche, la majorité des enfants âgés de 3 à 6 ans (92 %) peuvent être accueillis dans des jardins d’enfants (Kindergarten).

Le manque de personnel qualifié : un important obstacle au développement des modes d’accueil

Le développement des établissements d’accueil de la petite enfance se heurte depuis quelques années à une grave pénurie de personnels qualifiés (les éducatrices en particulier). Compte tenu de ces difficultés, les mesures contraignantes qui ont été prises pour que ces établissements puissent rester ouverts et assurer un fonctionnement plus ou moins satisfaisant se répercutent sur la gestion de la vie quotidienne des parents et entravent parfois le maintien des mères sur le marché du travail.

L’influence durable des normes et préjugés relatifs à l’éducation des jeunes enfants

L’influence des normes sociales en matière d’éducation des jeunes enfants s’est atténuée en Allemagne de l’Ouest mais n’a pas disparu pour autant et les différences avec les nder de l’Est restent significatives (Fagnani, Lestrade, 2021). À l’Ouest, la culpabilité que ressentent les mères lorsqu’elles adoptent le modèle des deux parents en emploi à plein temps contribue à expliquer l’important recours des femmes au temps partiel. Ainsi, 22 % seulement des parents, contre 52 % dans les nder de l’Est, sont tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle « le meilleur modèle est celui où la mère et le père travaillent à temps plein et se partagent à égalité le ménage et l’éducation des enfants ». Une autre enquête effectuée en 2021 auprès de parents dont l’aîné des enfants a moins de 10 ans (Institut für Demoskopie Allensbach, 2021) confirme ces résultats : à l’Ouest, près de 40 % des mères (34 % des pères) se prononcent en faveur du modèle selon lequel « l’homme travaille à temps plein, la femme à temps partiel, celle-ci effectuant l’essentiel des tâches domestiques et éducatives ».

Le recours des mères à de longs congés parentaux : un « cadeau empoisonné »

À la suite du congé de maternité d’une durée de 14 semaines, les mères et les pères peuvent légalement recourir à un congé parental d’une durée maximum de trois ans (non rémunéré) qui leur garantit le retour à l’emploi. Durant cette période, le parent peut percevoir une prestation mensuelle (Elterngeld)  proportionnelle à son revenu antérieur net (soit 65 %, plafonnée à 1 800 euros par mois).

Les pères ne bénéficient pas d’un congé de paternité (contrairement à la France), mais ont droit à ce congé parental, associé, sous certaines conditions, à l’octroi de l’Elterngeld. Dans le cas, par exemple, des parents qui ont eu un premier enfant, la majorité des pères qui y recourent (67 %) se satisfont des deux mois non transférables (perdus s’ils ne sont pas pris), le plus souvent au terme du congé parental d’un an de la mère, soit lorsque l’enfant atteint l’âge d’un an. La durée moyenne du congé pris par les pères est de 3,1 mois contre 18,5 mois pour les mères (avec ou sans l’Elterngeld) (Institut für Demoskopie Allensbach, 2021). Le fait que, dans la majorité des couples, l’homme dispose d’un revenu supérieur à celui de sa conjointe joue un rôle déterminant dans les arbitrages opérés au sein des ménages .

Or ce dispositif s’avère pénalisant du point de vue professionnel pour les mères dans la mesure où elles y recourent massivement et beaucoup plus que les hommes, ce qui renforce les réticences des employeurs à recruter ou à promouvoir les femmes en âge d’avoir des enfants à des postes de responsabilité et/ou mieux rémunérés. La possibilité de cesser de travailler ou d’être à temps partiel (au maximum 30 heures par semaine, auquel cas le montant de l’Elterngeld diminue) est d’autant plus pénalisante que ces congés durent longtemps : ainsi, la durée moyenne du congé parental des mères qui occupaient un emploi avant la naissance de leur premier enfant est de 18,5 mois. Plusieurs recherches ont mis en évidence les effets pervers de ce dispositif, en particulier son rôle dans le maintien des écarts de salaire entre les sexes (Gangl, Ziefle, 2015).

Ce congé parental (qui peut durer jusqu’aux 3 ans du benjamin) associé à une allocation généreuse (du moins au regard de celle octroyée en France dans le cadre du congé parental) peuvent dès lors être qualifiés de « cadeaux empoisonnés ».

Des conditions de travail souvent difficiles pour les femmes

Le thème des conditions de travail s’est surtout imposé durant la crise sanitaire et figure maintenant en bonne place dans l’agenda des partenaires sociaux (Kahmann, 2022). Les femmes, surreprésentées dans les secteurs du social, de la santé, des modes d’accueil de la petite enfance, des soins aux personnes dépendantes (handicapés et personnes âgées), du commerce, sont particulièrement exposées, du fait des métiers qu’elles y exercent, à la pénibilité, aux surcharges de travail et/ou à l’imprévisibilité des horaires. C’est dans ces secteurs d’activité que le manque de personnel et les difficultés de recrutement se posent avec la plus grande acuité[2].

Dans une enquête menée auprès de 1 039 personnes en emploi, âgées de 18 ans et plus, les femmes déclarent ainsi plus fréquemment que les hommes être parfois dépressives ou anxieuses, se sentir épuisées sans pouvoir se détendre en fin de semaine.

Et parmi les mères dont le plus jeune enfant est âgé de moins de 16 ans qui souhaiteraient réduire leur temps de travail, la raison la plus souvent mentionnée (93 %) est le « stress » qui résulte du cumul d’une activité professionnelle avec leurs obligations familiales.

Le quotient conjugal : un système fiscal non conforme au principe de l’égalité entre les sexes sur le marché du travail

Créé en 1958, le quotient conjugal (Ehegattensplitting)[3] est souvent accusé d’être socialement injuste et de participer au maintien de l’asymétrie des revenus au sein des couples, l’homme travaillant à temps complet, la femme à temps partiel. Des associations féministes, des experts des politiques familiales, des économistes, comme ceux de l’Institut de recherches en économie de Münich ou des partis politiques comme les Verts ou die Linke préconisent son abolition au nom de la lutte contre les inégalités sexuelles sur le marché du travail. L’imposition conjointe favorise en effet les couples où l’homme et la femme perçoivent des revenus inégaux et, plus cette différence est importante, plus l’avantage fiscal augmente. Dans le cadre de cette configuration familiale, les emplois faiblement rémunérés et les mini-jobs, en particulier, sont très attractifs (Knospe, 2007).

Les mesures adoptées par la nouvelle coalition afin d’inciter les femmes à s’investir davantage dans leur vie professionnelle ont été mises en œuvre à partir du 1er janvier 2023. Permettent-elles d’améliorer la situation des femmes – et des mères en particulier – sur le marché du travail et d’atténuer les inégalités sexuelles ?

Les mesures gouvernementales de 2022 et 2023 : quelles perspectives d’amélioration pour les femmes sur le marché du travail ? 

C’est dans un contexte où les problèmes de pénurie de personnel qualifié et de difficultés de recrutement s’aggravent[4] que des mesures ont été adoptées pour tenter de les atténuer en incitant les femmes à s’investir davantage sur le marché du travail. En effet, selon les prévisions de l’Institut Population Europe (Potančoková et al., 2023), le recours à l’immigration (même accompagné d’une vigoureuse politique d’intégration) ne saurait apporter à lui seul une réponse à ce problème, compte tenu de la baisse continue de la population en âge de travailler[5] et d’une fécondité qui n’assure plus, depuis longtemps, le renouvellement des générations[6]. La nécessité de recourir à la population féminine en âge de travailler – mais aussi aux seniors[7] – est dès lors un enjeu d’une importance cruciale pour les entreprises allemandes et les services publics.

Sur le plan des rémunérations, il convient tout d’abord de préciser que, grâce à la revalorisation du salaire minimum légal interprofessionnel depuis le 1er octobre 2022 (en hausse de 30 % par rapport à 2021), les salaires ont augmenté dans les secteurs où les femmes peu ou pas qualifiées occupent l’écrasante majorité des emplois.

Le remplacement de l’allocation Hartz IV d’un montant de 449 euros par l’« Allocation de citoyenneté » d’un montant de 502 euros contribue aussi à une hausse des revenus des femmes qui en bénéficient[8]. L’augmentation en 2022 du montant des allocations familiales, passée de 219 à 250 euros par enfant à charge, complète cet arsenal de mesures financières visant à maintenir le pouvoir d’achat des familles dans un contexte de forte inflation (Kahmann, 2022).

Mais ce sont avant tout les formations ciblées sur les femmes au chômage et souvent peu qualifiées qui pourraient permettre d’améliorer leur situation sur le marché du travail et les inciter à travailler à temps plein. En effet, les personnes qui souhaitent bénéficier d’une formation ou procéder à une reconversion professionnelle sont soutenues de manière plus intensive. Par exemple, il sera désormais possible d’obtenir un diplôme professionnel en trois ans au lieu de deux. En outre, une allocation mensuelle supplémentaire de formation continue de 150 euros a été décidée en faveur de la participation à des formations aboutissant à l’obtention d’un diplôme professionnel. La participation à des formations qui ne visent pas l’obtention d’un diplôme et durent plus de huit semaines donne aussi droit à un bonus de 75 euros par mois. Dans ce cadre, les agences pour l’emploi et les organismes qui gèrent les assurances de base des demandeurs d’emploi sont largement mobilisés.

Par ailleurs, une attention particulière a été accordée aux moyens d’accroître les effectifs de femmes qualifiées pour atténuer les difficultés de recrutement dans les domaines scientifique et de la haute technologie.

En effet, la proportion de femmes dans les professions scientifiques reste modeste et a peu augmenté, passant de 14 % en 2012 à 16 % en 2022. À l’échelle internationale, l’Allemagne figure parmi les pays les moins performants à cet égard (Anger et al., 2023). Encore peu de lycéennes et étudiantes choisissent les filières scientifiques et technologiques. Or les difficultés de recrutement dans ces domaines ont décidé les pouvoirs publics à prendre des mesures pour combler des pénuries qui handicapent le fonctionnement des entreprises et des universités qui sont obligées de recruter massivement à l’étranger, en particulier en Inde, chercheurs et enseignants[9].

Au vu des changements à l’œuvre dans ce domaine, l’avenir semble malgré tout assez prometteur : dans les disciplines de la mécatronique, de l’énergie, de l’électricité, de l’informatique et des technologies de l’information et de la communication (TIC), le pourcentage d’apprenties a augmenté de manière comparable à celui de leurs collègues masculins au cours des cinq dernières années (BA, 2022).

Par ailleurs, un nombre croissant de femmes occupent des postes de responsabilité ou des fonctions de direction dans des grandes entreprises. Grâce à la loi de 2021 qui a instauré l’obligation légale d’une participation minimale des femmes aux conseils d’administration (CA), les 200 entreprises les plus importantes d’Allemagne en termes de chiffre d’affaires comptaient en moyenne 16 % de femmes dans leur CA et 31 % dans leurs conseils de surveillance en 2022 (Garnitz, von Maltzan, 2023).

De même, on observe une légère amélioration en ce qui concerne le « Gender pay gap » qui a régulièrement diminué depuis une vingtaine d’années, et au regard du nombre croissant de femmes diplômées, on peut faire l’hypothèse qu’une poursuite de cette diminution est envisageable à moyen terme.

Conclusion

Pour les pouvoirs publics, atténuer les fortes inégalités de genre sur le marché du travail reste une course d’endurance bien que cette question se soit imposée dans les débats publics et les médias. La ségrégation entre les sexes, à la fois horizontale et verticale, peut ainsi décourager des femmes à travailler à plein temps ou à envisager de « faire carrière » tant les obstacles pour y parvenir peuvent être perçus comme insurmontables.

En outre, la dissymétrie dans le recours au travail à temps partiel entre les sexes et la présence massive des femmes dans les secteurs à bas salaire constituent autant de freins à une atténuation de ces inégalités (Schmitt, Auspurg, 2022). Ainsi, Elke Hannack, vice-présidente au niveau fédéral et experte du marché du travail, a mis l’accent sur la nécessité d’un changement culturel radical au sein des entreprises qui se concrétiserait par des mesures en faveur du développement du travail à temps partiel parmi les salariés masculins. Selon elle, les femmes pourraient alors augmenter leur temps de travail ce qui, par la même occasion, atténuerait les problèmes de recrutement des employeurs.

Toutefois, dans cette perspective, la hausse des investissements en faveur des infrastructures d’accueil de la petite enfance est plus que jamais nécessaire pour combler les importantes lacunes (en termes d’offre de places et d’amélioration de la qualité de l’accueil) qui entravent l’accès des mères à un emploi à plein temps.

Le gouvernement Scholz met déjà à disposition 1 milliard d’euros supplémentaires dans le cadre du cinquième programme d’investissement (BMFSFJ, 2023) en partie financé par des fonds de l’Union européenne (« NextGenerationEU »). Des efforts sont accomplis dans le domaine de la formation du personnel, afin d’améliorer son niveau de qualification.

Des progrès ont aussi été accomplis dans les domaines de la formation et du niveau d’éducation des femmes. Les inégalités de genre se sont atténuées et une proportion croissante d’entre elles ont accès à des postes de responsabilité, y compris dans la vie politique. Toutefois, le chemin à parcourir est long et chaotique pour modifier de façon significative les comportements professionnels des femmes. Pris en tenaille entre la nécessité d’investir massivement dans différents domaines pour atteindre cet objectif et un retour à une probable politique d’austérité budgétaire, les pouvoirs publics risquent de ne disposer que d’une étroite marge de manœuvre pour affronter ce défi.

 

* Jeanne Fagnani est chercheure associée à l’IRES.

 

Mots-clés : Emploi – Travail – Femmes – Allemagne


Sources :

▪    Allmendinger J. (2021), Es geht nur gemeinsam! Wie wir endlich Geschlechter-gerechtigkeit erreichen, Berlin, Ullstein.

▪    Anger C., Betz J., Plünnecke A. (2023), MINT-Bildung stärken, Potenziale von Frauen, Älteren und Zuwandernden heben, MINT-Frühjahrsreport 2023, Institut der deutschen Wirtschaft, mai, https://bit.ly/44ZdnWJ.

▪    Bachmann R., Jäger P., Jessen R. (2021), « A split decision: Welche Auswirkungen hätte die Abschaffung des Ehegattensplittings auf das Arbeitsangebot und die Einkommensverteilung? », RWI Materialien, n° 144, Rheinisch-Westfälischen Instituts für Wirtschaftsforschung, https://bit.ly/45cKXIe.

▪    Baclet A., Dell. F, Wrohlich W. (2007), « Composantes familiales des impôts sur le revenu en Allemagne et en France : les différences pertinentes », Économie et Statistique, n° 401, 1er août, https://bit.ly/3YvJDhG.

▪    BMFSFJ (2023), « Kita-Ausbau: Gesetze und Investitionsprogramme », Hintergrundinformation, 24. Januar, https://bit.ly/3DyxcI1.

▪    Bundesagentur für Arbeit (2023), « Die Arbeitsmarktsituation von Frauen und Männern 2022 », Berichte: Blickpunkt Arbeitsmarkt, Mai, https://bit.ly/3Oa9AOR.

▪    Chagny O., Le Bayon S. (2020), « La loi sur le salaire minimum en Allemagne : un bilan globalement positif, des enjeux d’application majeurs », La Revue de l’IRES, n° 100, p. 103143, https://bit.ly/3RkDf8t.

▪    Deutscher Kitaleitungskongress (2023), Personalmangel in Kitas, DKLK-Studie 2023, März, https://bit.ly/44I1aVT.

▪    Fagnani J. (2021), « Allemagne : renforcement des dispositifs en faveur des familles durant la crise sanitaire : objectifs, conséquences et enjeux », Chronique internationale de l’IRES, n° 174, juin, p. 3445, https://bit.ly/3mG40Ho.

▪    Fagnani J., Lestrade B. (2020), « Allemagne : politiques familiales, emploi et représentations collectives : des différences Est/Ouest qui s’atténuent », Chronique internationale de l’IRES, n° 169170, mars-juin, p. 318, https://bit.ly/3hJP6hg.

▪    Gangl M., Ziefle A. (2015), « The making of a good woman: Extended parental leave entitlements and mothers’ work commitment in Germany », American Journal of Sociology, vol. 121, n° 2, p. 511563, https://doi.org/10.1086/682419.

▪    Garnitz J., von Maltzan A. (2023), « Frauen in Führungspositionen: Wo stehen Deutschlands Unternehmen ? », ifo Schnelldienst, n° 78, 19. April, https://bit.ly/3OyAZui.

▪    Institut für Demoskopie Allensbach (2021), Elternzeit, Elterngeld und Partner- schaftlichkeit. Eine repräsentative Onlinebefragung von Eltern mit ältestem Kind unter 10 Jahren, https://bit.ly/3Dua9hL.

▪    Kahmann M. (2022), « Allemagne : l’inflation plus forte que la négociation salariale », n° spécial, « Les salaires au piège de l’inflation : quelles mesures publiques, quel renouveau des revendications ? », Chronique internationale de l’IRES, n° 180, décembre, p. 79-99, https://bit.ly/43LK48g.

▪    Knospe A. (2007), « Die Attraktivität der geringfügigen Beschäftigung im zeitlichen Wandel politisch motivierter Reformen », Die Sozialgerichtsbarkeit, n° 1, p. 816, https://doi.org/10.37307/j.1864-8029.2007.01.04.

▪    Potančoková M., Marois G., Bijak J. (2023), « High-migration events and future labour force in Europe », Population and Policy Brief, n° 39, Population Europe, June, https://bit.ly/3QgReyf.

▪    Schmitt L., Auspurg K. (2022), « A stall only on the surface? Working hours and the persistence of the gender wage gap in Western Germany 1985-2014 », European Sociological Review, vol. 38, n° 5, p. 754769, https://doi.org/10.1093/esr/jcac001.

▪    WSI (2022), « Durchschnittliche Rentenhöhe von Frauen und Männern 2021 », https://www.wsi.de/data/wsi_gdp_ek-pensiongap_02.pdf.


[1]     La ségrégation horizontale est la concentration des femmes et des hommes dans différents secteurs et professions, selon leur sexe. La ségrégation verticale est la concentration des femmes et des hommes à divers niveaux de responsabilité ou diverses situations, selon leur sexe.

[2]     L. Malin, R. Köppen, op. cit., 7. März 2023.

[3]     Il consiste à calculer le revenu imposable moyen par unité fiscale (soit deux unités fiscales) puis d’appliquer ensuite le barème pour obtenir l’impôt moyen, qui, multiplié par le nombre d’unités fiscales, constitue l’impôt dont le couple doit s’acquitter. Ce quotient permet ainsi d’alléger le taux de prélèvement et ceci d’autant plus que le barème est progressif
et que les revenus sont inégaux au sein du couple (Baclet et al., 2007).

[4]     L. Malin, R. Köppen, op. cit. .

[5]     La population âgée de 15 à 64 ans est passée de 68 millions en 2000 à 64 millions en 2021.

[6]     L’indice conjoncturel de fécondité reste faible (1,58 enfant par femme en 2021) et le ratio de dépendance (nombre
des personnes âgées de 65 ans et plus pour 100 personnes âgées de 20 à 64 ans) a augmenté, passant de 26,5 %
en 2000 à 40,5 % en 2022.

[7]     Le taux d’activité des personnes âgées de 55 à 64 ans est passé de 62 % en 2012 à 72 % en 2021 et celui de la tranche d’âge de 65-69 ans de 11 à 17 %, soit nettement plus que la moyenne des pays de l’Union européenne. Pour un départ à la retraite en 2023, il faut atteindre 65 ans et 11 mois. En 2031, l’âge d’ouverture des droits à pension de retraite sera de 67 ans pour toutes les personnes nées à partir de 1964 (Jolivet, 2023).

[8]     En 2023, environ 3,9 millions de personnes aptes au travail percevaient le Bürgergeld, auxquelles s’ajoutaient environ 1,6 million de bénéficiaires de celui-ci non aptes au travail (ayant bénéficié auparavant de l’aide sociale).

[9]     L. Malin, R. Köppen, op. cit..