Cet article a initialement Ă©tĂ© publiĂ© sur le site scienceetonnante.com, le 2 octobre 2023. Il est accessible Ă l’adresse : https://scienceetonnante.substack.com/p/le-financement-quadratique-des-biens
Une formule mathématique bizarre pour mieux financer ces choses qui profitent à tous, mais que personne ne veut payer.
Un article trĂšs original traitant de la question du financement des biens publics est sorti en 2019
BUTERIN, Vitalik, HITZIG, Zoë, et WEYL, E. Glen. A flexible design for funding public goods. Management Science, 2019, vol. 65, no 11, p. 5171-5187.
ZoĂ« Hitzig (Ă©conomiste Ă Harvard), Glen Weyl (Ă©conomiste chez Microsoft Research) et Vitalik Buterin (connu pour ĂȘtre le crĂ©ateur dâEthereum) proposent de traiter cette question avec un mĂ©canisme utilisant une formule pour le moins Ă©tonnante : si chaque individu est prĂȘt Ă payer une certaine contribution, on ajoute les racines carrĂ©es de toutes les contributions et on met le tout au carrĂ©.
Ca vous parait absurde, étrange ou incompréhensible ? Voyons ensemble ce que cela cache !
Quâest-ce quâun bien public ?
Avant de dĂ©finir un bien public, commençons par son contraire : le bien privĂ©. Une pomme est un bien privĂ©, car câest un bien qui est Ă la fois rival et excluable. « Rival » signifie que si je consomme la pomme, plus personne dâautre ne peut la consommer. « Excluable » veut dire que si jâai une pomme, je peux facilement empĂȘcher les autres de la consommer. La quasi-totalitĂ© des biens que nous croisons tous les jours (objets, marchandises et autres denrĂ©es) sont des biens privĂ©s.
Au contraire de ça, un bien public est un bien non-rival et non-excluable. « Non-rival » veut dire que si jâen profite, ça nâempĂȘche pas les autres dâen profiter aussi. « Non-excluable » signifie quâil est difficile voire impossible dâempĂȘcher quiconque dâen profiter, mĂȘme ceux qui nâont pas participĂ© Ă son financement. Des exemples de biens publics, ce sont : lâĂ©clairage public, un parc municipal, des infrastructures de transport (routes ou transports publics gratuits), la radio, la connaissance scientifique, WikipĂ©dia, la dĂ©fense nationale, des vidĂ©os Youtube, le journalisme dâinvestigation, un artiste de rue, un logiciel open-sourceâŠ
Evidemment, dans mes exemples il y a des nuances. Certains biens peuvent ĂȘtre lĂ©gĂšrement rivaux (une route ou un parc municipal) car il peut y avoir congestion. Dâautres peuvent ĂȘtre excluables Ă un certain degrĂ© (les transports, les contenus sur InternetâŠ). On trouve parfois une classification plus fine suivant les degrĂ©s de rivalitĂ© ou dâexcluabilitĂ©, mais dans la suite jâutiliserai de façon gĂ©nĂ©rique le terme « bien public » pour dĂ©signer ces biens qui rĂ©pondent en gros Ă lâidĂ©e suivante : « une fois que câest lĂ , ça profite Ă tout le monde, indĂ©pendamment de qui lâa financé ».
Et donc justement, puisque les biens publics profitent Ă tous, ou du moins Ă ceux qui ont lâenvie dâen profiter, comment les financer de la meilleure façon possible ?
Deux solutions imparfaites
Une premiĂšre possibilitĂ©, câest de se reposer sur des contributions volontaires et charitables. Câest ce quâil se passe quand un artiste chante dans la rue et que certains lui font un don. Ou bien encore avec WikipĂ©dia, financĂ©e par les dons de (seulement) quelques millions de ses utilisateurs. Ou encore pour un journal comme le Canard EnchainĂ©, financĂ© par ses lecteurs mais dont tous le monde profite des enquĂȘtes dâinvestigation.
Sur ces exemples, on voit trĂšs bien le problĂšme de se reposer uniquement sur les contributions volontaires et charitables pour financer les biens publics : personne nâa dâintĂ©rĂȘt fort Ă donner, et une partie des utilisateurs se comportent en passagers clandestins : ils profitent du bien public sans le financer. Cette absence dâincitation conduit presque toujours Ă un sous-financement du bien public par rapport Ă ce qui serait optimal pour lâensemble du groupe.
Une solution alternative pour financer un bien public, câest quâun organisme centralisĂ© (Ă©tat, municipalitĂ©âŠ) sâen charge, en ayant prĂ©alablement collectĂ© les fonds nĂ©cessaires. Câest ce quâil se passe bien sĂ»r avec la plupart des services publics essentiels. Et pourtant, cela pose la question de comment choisir les biens publics Ă financer. La moins mauvaise solution semble de sâen remettre Ă un choix dĂ©mocratique, oĂč lâorganisme central prend ses dĂ©cisions sur la bases des votes de sa population.
Mais cela nâest pas si simple ! Imaginons une petite ville qui envisage de rĂ©habiliter une friche pour en faire un parc municipal. Supposons quâun tel parc soit une vĂ©ritable amĂ©lioration pour 40% de la population, qui en bĂ©nĂ©ficierait grandement. Mais imaginons que les 60% restants sâen fichent, peut-ĂȘtre parce quâils ont dĂ©jĂ un jardin, et ne voient pas pourquoi la ville ferait cette dĂ©pense. Un vote dĂ©mocratique sur la question « Faut-il crĂ©er le parc municipal ? » recueillerait donc une majoritĂ© de «non». Le projet ne se ferait pas alors que 40% en tireraient un trĂšs grand bĂ©nĂ©fice, tandis que les 60% restants sont juste faiblement contre. Câest une forme de ce quâon appelle parfois la tyrannie de la majoritĂ©, qui ici refuse la crĂ©ation dâun bien public au dĂ©triment dâune minoritĂ© qui en aurait grandement profitĂ©.
On peut Ă©galement prendre des exemples plus modernes : une fondation souhaite financer des dĂ©veloppements de logiciels open-source, comment choisir lesquels ? Comment faire si un projet nâintĂ©resse quâune minoritĂ© dâutilisateurs potentiels, mais que cela leur apporterait un bĂ©nĂ©fice Ă©norme ?
Bien souvent dans ces cas, on retombe de fait dans le financement volontaire charitable (avec son problĂšme de passager clandestin), et mĂȘme pour beaucoup de projets, le financement nâaboutit simplement pas !
On voit par ces exemples que le financement efficace des biens publics pose question. Il existe une solution intermĂ©diaire, qui mĂ©lange une source de financement centrale avec des contributions volontaires permettant aux agents dâexprimer leurs choix : lâabondement.
Lâabondement
Câest un mĂ©canisme que lâon retrouve assez frĂ©quemment dans les politiques publiques : un organisme central choisit de ne pas dĂ©cider parmi les biens publics Ă financer, mais sâengage Ă abonder les contributions volontaires de ses agents. On le voit parfois avec certaines actions philanthropiques, qui proposent par exemple de doubler les contributions des dons privĂ©s (un article sur le sujet)
Mais on le retrouve aussi pour les gouvernements, avec le mĂ©canisme du crĂ©dit dâimpĂŽt ou de la dĂ©fiscalisation. Par exemple, si vous payez des impĂŽts en France, certaines de vos contributions charitables Ă des organismes dâintĂ©rĂȘt public peuvent donner lieu Ă des rĂ©ductions dâimpĂŽts. Vous donnez 100⏠aux Restos du Coeur, lâĂ©tat vous donne un crĂ©dit dâimpĂŽt de 75%, votre don ne vous aura coĂ»tĂ© que 25âŹ. Ou bien autre façon de le dire, vous donnez 25⏠et lâĂ©tat abonde le triple de cette somme (avec un plafond Ă 1000⏠en France, ensuite câest 66%).
Ce principe dâabondement permet dans une certaine mesure de corriger certains dĂ©fauts de la contribution charitable pure, et de la dĂ©cision centralisĂ©e pure. NĂ©anmoins, on voit aussi ses limites. Dâune part les montants et les seuils utilisĂ©s sont souvent arbitraires. Dâautre part le calcul est critiquable, car lâabondement pour une personne qui donne 500⏠sera identique Ă celui de 50 personnes donnant 10âŹ. Ce qui semble en tension avec lâidĂ©e dĂ©mocratique que si 50 personnes veulent une chose, lâĂ©tat devrait y accorder plus de poids que si câest une seule personne.
Et câest en partie pour rĂ©pondre Ă cette tension que Vitalik Buterin, Zoe Hitzig et Glen Weyl ont proposĂ© en 2019 un nouveau mĂ©canisme : le financement quadratique. LâidĂ©e est simple, bien quâun peu bizarre au premier abord.
Le financement quadratique
Avec le financement quadratique, si des agents souhaitent financer un certain bien public, ils peuvent faire une contribution de leur choix. Lâorganisme central collecte ces contributions volontaires et finance alors le bien public avec le montant suivant : on prend la racine carrĂ©e de chaque contribution, on les ajoute, et on met le tout au carrĂ©. Hein, quoi ? Prenons un exemple !
Imaginons quâil nây ait que deux personnes intĂ©ressĂ©es. Alice dĂ©cide de contribuer dâune somme a, et Bob de contribuer dâune somme b. LâĂ©tat collecte les contributions a et b, et affecte au financement du bien public la somme suivante :
On a pris les racines des deux contributions, on les a ajoutĂ©es, et on a mis la somme totale au carrĂ©. Ca ne semble pas avoir beaucoup de sens de prendre la racine carrĂ©e dâune somme dâargent, mais dĂ©veloppons le carrĂ© pour voir (souvenez vous de vos identitĂ©s remarquables)
On voit que le niveau de financement total F est Ă©gal Ă la somme des contributions initiales (a+b) augmentĂ©e dâun abondement égal Ă
Câest un terme qui « croise » les contributions dâAlice et de Bob.
Et on peut appliquer cette logique quand il y a un nombre quelconque dâagents. Le niveau de financement sera toujours Ă©gal Ă la somme des contributions dâorigine, augmentĂ©e dâun abondement qui correspond Ă tous les termes croisĂ©s possibles entre tous les agents. Pour les fans de formules
En particulier, on voit que si N personnes sont intĂ©ressĂ©es et mettent toutes la mĂȘme contribution X, le niveau de financement total sera
et augmente donc avec le carrĂ© du nombre de personnes impliquĂ©es ! Si on revient Ă lâexemple du financement dâun parc municipal ou dâun logiciel, 100 personnes qui contribuent chacune 10⏠engendreront un abondement 10 fois plus important que 10 personnes qui contribuent chacune 100âŹ.
Quand le nombre de participants devient important, on arrive donc vite Ă des cas oĂč la majoritĂ© du financement provient de lâabondement, en accord avec une logique de planification centralisĂ©e, mais oĂč les petites contributions volontaires permettent dâorienter les choix publics.
Evidemment, cela suppose quâil y a un pool dâargent central Ă affecter, et donc que cet argent a Ă©tĂ© collectĂ© dâune façon ou dâune autre (impĂŽt dans le cas dâune puissance publique, philanthropie dans le cas dâune fondation, etc.). Si la formule quadratique aboutit Ă un abondement qui dĂ©passe le montent de lâargent central disponible, il est toujours possible de rĂ©aliser un prorata.
Alors il est vrai que ce mĂ©canisme a lâair plutĂŽt sympathique, mais pourquoi cette formule quadratique bizarre ? Eh bien parce que câest la meilleure possible ! Au moinsâŠen thĂ©orie ! On a vu que le fait de prendre le carrĂ© de la somme des racines fait apparaitre des termes croisĂ©s pour toutes les paires dâagents. Ces termes reprĂ©sentent intuitivement le caractĂšre « public » du bien : le niveau dâinvestissement dâun agent aurait des consĂ©quences positives sur tous les autres agents, mais comme ce bĂ©nĂ©fice croisĂ© nâest pas pris en compte dans les choix individuels, les agents sous-financent, et câest donc lâĂ©tat qui abonde cette contribution croisĂ©e.
Mais on peut formaliser ça avec des maths ! Câest trĂšs joli, les allergiques peuvent sauter la partie Ă venir.
LâoptimalitĂ© du financement quadratique
Dans cette partie, je vais exposer la dĂ©monstration de Buterin, Hitzig et Weyl qui dĂ©montre que le financement quadratique est le meilleur mĂ©canisme possible, celui qui aboutit au niveau de financement optimal dâun bien public. Tout cela est Ă©videmment trĂšs formel, et repose sur les hypothĂšses habituelles de ces raisonnements micro-Ă©conomiques mathĂ©matisĂ©s (tout le monde est rationnel, a toutes les informations, agit de façon purement Ă©goĂŻste, etc.)
Pour introduire les idĂ©es, commençons par le cas simple dâun unique agent qui cherche Ă dĂ©terminer son niveau de contribution pour lâachat dâun bien privĂ©, par exemple des pommes. Disons que le kilo de pommes coĂ»te 3 euros, combien doit-il en acheter ? Eh bien cela dĂ©pend Ă©videmment de son envie de pommes ! Pour cela, les Ă©conomistes utilisent une quantitĂ© quâils appellent lâutilitĂ©. Attention, ce terme dâ «utilité» a un sens diffĂ©rent du sens commun usuel. Il dĂ©signe en quelque sorte le niveau de bonheur, de satisfaction ou encore de bien-ĂȘtre des agents, que leur procure une certaine quantitĂ© dâun bien. LâutilitĂ©, câest ce quâun agent cherche Ă maximiser quand il prend une dĂ©cision.
Si mon agent a faim et apprĂ©cie les pommes, acheter des pommes engendrera un certain niveau dâutilitĂ© pour lui. Mais cette utilitĂ© va Ă©videmment dĂ©pendre de la quantitĂ© achetĂ©e. Sâil achĂšte un kilo (pour 3âŹ), il aura un certain niveau de satisfaction. Mais sâil achĂšte 2 kilos (pour 6âŹ), il aura une satisfaction plus Ă©levĂ©e. Pour autant, avec 2 kilos, sa satisfaction ne sera probablement pas le double dâavec 1 kg. Chaque pomme supplĂ©mentaire quâil acquiert continue dâaugmenter sa satisfaction, mais moins que la pomme prĂ©cĂ©dente.
Cela signifie quâon a une relation de ce genre :
MathĂ©matiquement, on dit que la fonction dâutilitĂ© est concave. Une autre façon de le dire, câest que sa dĂ©rivĂ©e est dĂ©croissante, la pente de la courbe est de plus en plus faible, ce qui traduit le fait que chaque unitĂ© supplĂ©mentaire apporte moins de satisfaction que la prĂ©cĂ©dente : on parle dâutilitĂ© marginale dĂ©croissante.
Dans le cas prĂ©cĂ©dent, jâai illustrĂ© lâutilitĂ© comme Ă©tant une fonction de la quantitĂ©. Mais si on se place dans un cas oĂč le coĂ»t unitaire est connu et fixe, on peut simplement prendre lâutilitĂ© comme une fonction de lâargent dĂ©pensĂ©. Ainsi u(x) reprĂ©sentera lâutilitĂ© associĂ©e Ă lâachat dâun montant x de pommes.
Mais au fait, avec quelle unitĂ© on compte lâutilitĂ© ? Eh bien on peut parfaitement la compter en unitĂ© monĂ©taire Ă©galement. Si lâachat dâun bien procure une utilitĂ© de 10âŹ, cela reprĂ©sente une satisfaction qui est Ă©quivalente Ă celle de possĂ©der 10⏠en argent. Oui je sais, câest bizarre de compter le bonheur en euros, mais câest une modĂ©lisation mathĂ©matique simplifiĂ©e !
Imaginons donc que lâon connaisse u(x), lâutilitĂ© (en euros) associĂ©e Ă lâacquisition de pommes pour un montant total x. Combien faut-il en acheter ? Faisons le bilan net de lâopĂ©ration : si on dĂ©pense x pour acquĂ©rir des pommes, notre utilitĂ© augmentera de u(x) du fait de la possession des pommes, mais en contrepartie diminuera de x du fait de lâargent dĂ©pensĂ©.
LâutilitĂ© nette n(x) est
Cette utilité nette va avoir une forme de ce type
On voit quâelle possĂšde un maximum. Maintenant ce que cherche Ă faire un bon agent Ă©conomique rationnel, câest Ă maximiser son utilitĂ© nette. Il doit donc trouver la quantitĂ© x* qui correspond Ă ce maximum.
Un maximum est en particulier un point oĂč la dĂ©rivĂ©e de n() sâannule. On veut donc trouver x* tel que nâ(x*) = 0. Puisque n(x)=u(x)-x, on veut trouver x* tel que
Retenez bien cette Ă©galitĂ©, elle est fondamentale. Elle montre que le choix optimal, câest de dĂ©penser la quantitĂ© x* pour laquelle la dĂ©rivĂ©e de lâutilitĂ© associĂ©e au bien est 1. La dĂ©rivĂ©e de lâutilitĂ©, on lâa dit, câest lâutilitĂ© marginale, câest-Ă -dire lâutilitĂ© supplĂ©mentaire associĂ©e Ă une dĂ©pense supplĂ©mentaire de 1. Si cette dĂ©rivĂ©e vaut 1 en x*, ça veut dire quâon a atteint le point dâindiffĂ©rence : 1⏠en argent ou 1⏠de pommes supplĂ©mentaires, ça nous procure le mĂȘme plaisir.
Ca, câĂ©tait pour un bien privĂ© financĂ© par un unique agent. Passons maintenant au cas dâun bien public !
Imaginons quâil y ait N agents (indicĂ©s par i), et que chaque agent puisse faire une contribution x au bien public. Dans le cas de contributions charitables et volontaires, le niveau de financement total F du bien public sera simplement la somme des contributions
Imaginons que chaque agent ait une utilitĂ© u() qui lui soit propre, et qui soit une fonction non pas de sa seule contribution, mais du montant total auquel a Ă©tĂ© financĂ© le bien commun. (Câest intuitif : plus le parc a reçu un financement total important, plus il procurera de plaisir aux agents) Chaque agent a donc une utilitĂ© qui dĂ©pend de F
Son utilité nette sera donc
Si chacun optimise Ă©goĂŻstement, cela veut dire quâil cherche son niveau de contribution qui maximise sa propre utilitĂ© nette. En annulant la dĂ©rivĂ©e de lâutilitĂ© nette par rapport Ă Ă sa contribution x_i, on trouve :
oĂč on a utilisĂ© de façon cruciale que
puisque F est une simple somme des contributions.
Maintenant regardons lâutilitĂ© nette totale de lâensemble du groupe, si un niveau global de financement F pour le bien public a Ă©tĂ© atteint. Elle vaut
Si le choix global Ă©tait socialement optimal, la dĂ©rivĂ©e par rapport Ă F de cette quantitĂ© devrait ĂȘtre nulle. Cela signifierai que collectivement, avoir dĂ©pensĂ© 1⏠de plus nâaurait pas amenĂ© plus dâutilitĂ© globale. Regardons si câest le cas ! On dĂ©rive cette utilitĂ© nette par rapport Ă F
Utilisons maintenant ce quâon a vu au dessus, câest-Ă -dire que chaque agent a rĂ©glĂ© sa propre contribution de façon Ă ce que
Cela signifie que dans la somme sur i dans lâexpression de Nâ(F), chacun des termes de la somme vaut 1. On a donc pour la dĂ©rivĂ©e de lâutilitĂ© totale nette
Elle ne vaut pas zĂ©ro (sauf si N=1), et donc on est pas Ă lâoptimum. Plus prĂ©cisĂ©ment, le fait que cette dĂ©rivĂ©e, qui est lâutilitĂ© marginale collective, soit positive (et mĂȘme trĂšs positive si N est grand) cela signifie que lâon pourrait encore largement augmenter lâutilitĂ© totale si on arrivait Ă augmenter le niveau de financement. Le bien public est donc largement sous-financĂ©. Si chacun optimise Ă©goĂŻstement dans son coin, on est loin de lâoptimum social.
Voyons maintenant le mĂ©canisme de financement quadratique. Il est en fait trĂšs similaire Ă ce quâon vient de faire, Ă part quâon a maintenant comme fonction de financement
Si on reprend le raisonnement tenu par chaque agent, qui cherche à trouver la contribution qui maximise sa propre utilité nette, on trouve maintenant quelque chose de plus compliqué. En dérivant par rapport à x_i on trouve
Et donc lâannulation de la dĂ©rivĂ©e donne
On peut calculer explicitement la dérivée partielle pour le mécanisme F de financement quadratique, on trouve alors que
On peut revenir Ă notre calcul de la dĂ©rivĂ©e de lâutilitĂ© nette globale, et injecter cette valeur dans
Et je vous laisse vĂ©rifier quâon trouve que câest zĂ©ro ! (lĂ oĂč on trouvait N-1 avant). On est Ă lâoptimum social. Le financement quadratique permet donc de faire en sorte que lâon atteigne le niveau de financement optimal, mĂȘme si chaque agent optimise son utilitĂ© dans son coin.
Que faire de ce mécanisme ?
Je vous lâaccorde, tout cela est trĂšs thĂ©orique, mais ça me semble suffisamment intĂ©ressant pour quâon se penche un peu dessus. Il y a plein de problĂšmes dâimplĂ©mentation dĂ©jĂ relevĂ©s par les auteurs dans leur papier (voir Ă©galement cette critique), comme par exemple la nĂ©cessitĂ© dâassurer une identitĂ© unique pour chaque agent (quâil ne puisse pas contribuer sous deux noms diffĂ©rents) ou encore dâĂ©viter les collusions (âje finance ton truc pour que tu finances le mien en retourâ).
NĂ©anmoins, lâidĂ©e me semble suffisamment stimulante pour que lâon puisse imaginer des tests Ă petite Ă©chelle (attribution de financement participatif par exemple), et voir ce quâil en retourne ! On pourrait aussi imaginer des variantes intermĂ©diaires entre le financement participatif volontaire et le financement quadratique, avec une formule du type
En particulier on voit que dans la vraie vie, le financement participatif volontaire donne des rĂ©sultats moins pires que la thĂ©orie (qui prĂ©voit essentiellement que personne ne fait quoi que ce soit). Les gens sont moins Ă©goĂŻste que ce que ne prĂ©voit la thĂ©orie de lâhomo economicus ultra-rationnel (ou plutĂŽt, ils comptent dans leur utilitĂ© le plaisir de contribuer Ă une bonne causeâŠ) Donc peut-ĂȘtre quâun mĂ©canisme de financement moins ambitieux que le financement quadratique (alpha=1.5 par exemple) donnerait dĂ©jĂ des rĂ©sultats intĂ©ressants sans avoir un effet dâexplosion de lâabondement dĂšs quâon est beaucoup.
Si le sujet vous intĂ©resse, vous pourrez aussi avoir envie de lire des choses sur le vote quadratique, un mĂ©canisme reliĂ©, ou encore les radical markets, qui proposent en plus un mĂ©canisme original de taxe pour financer lâabondement. Jâen parlerai un jour !
Mots-clĂ©s : Financement – Biens publics – Abondement – FiscalitĂ© – UtilitĂ©
Cet article a été initialement publié le 5 octobre 2023.
- Le financement quadratique des biens publics - 19 août 2024
Ce texte bĂ©gaya dans son dĂ©but … Ă corriger svp
Sur le pourquoi pas fond, j’aimerais bien une (petite) justification sur le choix d’un coefficient sous optimal; pourquoi 1,5 ou 1,2 ou 1,7
ET
quelques cas d’usage rĂ©els?