La question de l’humain réparé ou augmenté suscite de nombreux rêves depuis plusieurs années. Sans s’aventurer sur le terrain du transhumanisme, nous proposons de nous focaliser sur plusieurs exemples de ce qui peut être apporté à l’être humain, dès aujourd’hui et dans les années à venir, dans les domaines de la santé et du handicap.

Les progrès concernant l’humain réparé sont constants en médecine. Les techniques médicales combinées aux biotechnologies connaissent déjà et vont continuer à connaître des innovations radicales concernant par exemple la thérapie optogénétique (permettant de recouvrer partiellement la vue pour un aveugle), la xénotransplantation (greffes d’organes animaux sur l’homme avec une première mondiale récente concernant la greffe d’un cœur de porc sur un patient humain) ou encore la médecine régénérative avec la thérapie cellulaire et les cellules souches avec les travaux sur le ralentissement du vieillissement des cellules, etc.

Sans être des spécialistes à jour des progrès de la médecine, il ne nous appartient pas ici de dresser un tableau de ceux-ci, et c’est pourquoi nous voulons nous focaliser dans cette réflexion sur l’apport des nouvelles technologies intégrant le numérique à l’humain réparé et augmenté, ceci étant directement dérivé de l’expérience acquise, d’une veille permanente sur le sujet et d’un numéro spécial de la revue Télécom[1] que nous avons récemment réalisé sur le sujet.

Les technologies numériques avec la robotique et l’électronique jouent en effet un rôle crucial pour venir soutenir certaines innovations médicales. Il s’agit le plus souvent de réparer l’humain suite à une maladie grave, un accident ou bien encore un handicap, ces technologies étant le plus souvent intimement liées au corps humain mais aussi pouvant prendre la forme de compagnons technologiques de l’humain. De plus, ces nouvelles technologies sont souvent liées à l’histoire de startups et correspondent à de véritables aventures humaines et entrepreneuriales.

Des technologies intimement liées au corps humain

Il s’agit de technologies liées à l’humain réparé, avec un potentiel d’ouverture vers l’humain augmenté.

Les types d’application sont très variés et celles-ci sont basées sur des dispositifs constituant le plus souvent un dispositif médical [2] : prothèses intelligentes (genou artificiel, pacemaker, jambe ou main artificielle, etc.), orthèses intelligentes (telles que les exosquelettes), organes artificiels (cœur, rétine ou oreille artificiels par exemple) ou encore implants neuronaux, cette liste n’étant bien sûr pas exhaustive.

Ces applications font appel le plus souvent à une combinaison de technologies pouvant mêler robotique ou électronique miniaturisée, impression 3D d’organes ou tissus humains, usage de nanotechnologies (pour la vision par exemple), bioélectronique (sur le corps humain ou implantés dans le corps), développements logiciels embarqués et enfin intelligence artificielle (IA).

Il s’agit de technologies sophistiquées nécessitant des études cliniques poussées pour leur mise au point. Nous parlons donc de dispositifs invasifs et coûteux venant pallier une déficience importante. Cela fait alors le plus souvent appel à ce qu’on appelle la « deeptech », nécessitant des développements longs et coûteux spécifiques, requérant de lourdes études préalables menant à des autorisations d’usage demandant un temps important, et mobilisant des investissements élevés. C’est pourquoi il s’agit le plus souvent d’innovations issues de travaux de recherche menés par des laboratoires de recherche publique avec un essaimage ultérieur par exemple sous forme de startup ou de licence.

Ce type de technologie vise le plus souvent aujourd’hui à réparer l’humain. Demain, une fois ces technologies au point et leur coût maîtrisé, elles pourraient servir à bien d’autres usages pour augmenter l’humain. En effet, rien n’interdit aux technologies d’aller plus loin que simplement pallier une carence/impotence fonctionnelle et d’aller vers une augmentation des fonctions humaines (plus de force, meilleure vision, etc.), ceci de facto pouvant poser des questions éthiques complexes. C’est par exemple le cas de récentes avancées de chercheurs chinois travaillant sur un utérus artificiel géré par IA [3].

Par ailleurs, les nouvelles technologies se développent parfois en visant directement l’humain augmenté pour des applications dans le domaine du service, de l’industrie ou du militaire concernant notamment les exosquelettes. Le cas des interfaces neuronales est emblématique à cet égard, comme en témoigne le Pr Selim Eskiizmirliler [4] . En effet, l’enthousiasme et la curiosité que suscite ce nouveau domaine de recherche sont provoqués par sa capacité à permettre des expérimentations et à effectuer des études dans le contexte à la fois de l’humain réparé mais aussi augmenté avec des usages potentiels dans l’industrie, le divertissement et le secteur militaire.

Par ailleurs, ces technologies sont souvent le fait de startups remarquables comme par exemple le cœur artificiel Carmat, la prothèse de genou intelligente avec FollowKnee ou encore l’exosquelette avec Wandercraft, qui font chacun l’objet d’un article dans la revue Télécom mentionnée précédemment.

Exemple de Carmat [5] avec son cœur artificiel Aeson ®

Carmat ambitionne de répondre à un enjeu majeur de santé publique lié aux maladies cardiovasculaires, l’insuffisance cardiaque, qui représente la première cause de décès dans le monde. Plus précisément, Carmat vise à apporter une solution durable au traitement de l’insuffisance cardiaque terminale, maladie pour laquelle il existe aujourd’hui très peu d’options efficaces, la principale étant la transplantation cardiaque

Exemple de Followknee [6] avec sa prothèse intelligente du genou

The goal of the Followknee project is to propose a totally innovative workflow in Knee replacement surgery as an answer to the changes in the population for the next 20 years. Its aims at defining a set of technological solutions to decrease the number of revisions: a personalized implant design adapted to each patient anatomy, the use of augmented reality in the operating room to optimize the surgical techniques, and the integration of a new generation of sensors in the implant to improve postoperative follow-up.

These innovations will have a significant impact among several actors: patients, surgeons, manufacturer, and insurances.

Exemple de Wandercraft [7] avec ses exosquelettes Atalante ®

En concevant des exosquelettes qui accompagnent et libèrent la marche, Wandercraft permet à chaque personne qui le souhaite de se relever et de bouger. Pour affirmer librement son identité, retrouver une autonomie de mouvement, de sociabilité, et une meilleure santé.

Compagnons technologiques de l’humain

Ils jouent une place secondaire dans le sujet de l’humain réparé, mais tendent à se généraliser bien plus vite que les technologies précédentes et méritent en ce sens d’être soulignés.

Les types d’application sont très variés comme précédemment : dispositifs de suivi et télésuivi pour les pathologies chroniques ou l’âge (télésuivi du diabète ou de troubles cardiaques ou autres pathologies chroniques ou encore de plaies, etc.), dispositifs de suivi et télésuivi pour les pathologies mentales (applications interagissant par SMS, détection de situations anormales, etc.), applications (mobiles) pour l’information et l’éducation thérapeutique, aides pour des personnes déficientes visuelles ou auditives ou sourdes-muettes, aides pour les personnes âgées ou handicapées physiques (canne intelligente, fauteuil intelligent, etc.), cette liste n’étant bien sûr pas exhaustive comme précédemment.

Il s’agit ici de technologies plus ou moins complexes mais plus simples en général que les précédentes venant aider l’humain à faire face à des déficiences ou problèmes. Les technologies dont il est question ici sont le plus souvent une adaptation au contexte santé de technologies génériques, telles que les applications mobiles, l’IoT ou Internet des Objets / Objets connectés (montre intelligente, bracelet ou bague intelligente, patch intelligent sur la peau, etc.) avec toujours l’usage de l’IA.

Il ne s’agit plus ici de réparer ni d’augmenter à proprement parler mais d’apporter une aide complémentaire, un palliatif, un compagnon numérique le plus souvent. Il s’agit d’un domaine où les startups foisonnent et s’engouffrent pour y proposer des services précurseurs.

Exemple de la télésurveillance médicale

Elle se développe depuis quelques années à la faveur d’expérimentations et devrait prochainement se généraliser en trouvant un modèle économique qui va être porté par l’assurance maladie [8]. Elle permet le suivi à distance en continu d’un patient par un professionnel de santé pour des cas de pathologies chroniques notamment. On peut à cet égard citer le cas de la startup grenobloise Grapheal [9] en lien avec un patch intelligent permettant de surveiller l’état d’une plaie. La télésurveillance requiert l’usage combiné de plusieurs éléments : un ou plusieurs capteurs au domicile ou portés par le patient, des algorithmes sophistiqués pour générer des alertes sensées et un centre d’appel et de régulation médicalisé qui traite les alertes.

 Exemple du télésuivi dans le domaine de la santé mentale

Il s’agit d’un cas particulier de télésuivi qui pourrait connaître un fort développement dans les années à venir au vu des progrès permis par la technologie. Quelques exemples non exhaustifs d’applications potentielles : faciliter le suivi en permanence de personnes âgées à domicile pour l’évolution de leur état mental ; prédire l’évolution de l’état mental de personnes anorexiques pour prévenir des suicides ; aider les personnes autistes et notamment les enfants à communiquer, se repérer dans le temps, effectuer des tâches en autonomie, etc. (Ex. : Auticiel [10]) ; anticiper les crises d’épilepsie pour sécuriser les personnes qui souffrent de cette pathologie (Ex. : La Teppe [11]), etc. On peut citer à ce propos les études menées par le Dr Sofian Berrouiguet du CHU de Brest (étude SIAM) concernant la prévention du suicide, ayant permis de montrer qu’un simple SMS peut suffire à dissuader une personne à tendance suicidaire de réitérer son geste.

Conditions du succès

Littéracie numérique et acceptabilité des nouvelles technologies vs craintes. Ce problème ne s’applique pas vraiment aux technologies intimement liées au corps humain, car leur fonctionnement est transparent le plus souvent pour le patient. Par contre, il est majeur pour les compagnons technologiques de l’humain. En effet, la littéracie numérique constitue un véritable problème concernant d’une part les patients mais aussi le corps soignant. La question se pose en particulier de la mise en place de solutions de soins ne pouvant s’appliquer qu’à une fraction de la population : quid alors des autres ? La question est notamment posée vis-à-vis de populations comme les personnes âgées par exemple. Bien sûr il convient d’accompagner et de former mais cela prend du temps et ne peut solutionner l’ensemble du problème.

Réglementation et éthique. Il s’agit bien sûr de respecter la réglementation en vigueur, et notamment en termes de RGPD. Au-delà, des questions éthiques se posent souvent, comme par exemple la réticence possible d’associations de patients à accepter que des données soient collectées pour des algorithmes d’IA, quand bien même cela serait au bénéfice des patients eux-mêmes in fine. Cela conduit la plupart des startups et projets innovants à mettre en place des comités d’éthique, comme c’est le cas pour l’usage des entrepôts de données de santé.

Fiabilité, maturité, interopérabilité, pérennité et multiplicité des solutions. La question de la fiabilité est centrale dès lors que l’on se place sur le champ de dispositifs en lien intime avec le corps humain selon l’importance plus ou moins vitale de leur bon fonctionnement. La question de l’interopérabilité se pose par ailleurs et les pouvoirs publics avancent dans ce domaine avec un cadre de plus en plus construit. La maturité des solutions n’est pas toujours de mise, avec une ergonomie parfois encore perfectible. Par ailleurs, il y a bien souvent multiplicité d’applications nécessitant tant pour les patients que pour les professionnels de se plonger dans des environnements différents à chaque fois, ce qui peut rapidement devenir rédhibitoire. Enfin, l’innovation provient de startups dont la pérennité n’est pas assurée, or investir dans l’usage d’un service peut devenir problématique quand celui-ci s’arrête.

Modèles économiques. L’usage des nouvelles technologies doit trouver son modèle économique dans le contexte du système de santé et parfois en dehors. Le bénéfice est parfois évident, quand un usage amène une économie directe sur un processus de soins. Mais tel n’est pas toujours le cas de manière aussi évidente et la considération du bénéfice qualitatif induit sur la qualité de vie et sur le coût de l’ensemble du parcours du patient doit alors entrer en ligne de compte pour justifier des prises en charge. Il faut alors passer par des preuves de concept sur le terrain, en lien avec des études cliniques, comme pour « l’article 51[12]», qui permettent de mettre en regard des coûts additionnels engendrés les économies réalisées par le système de santé tout au long de la vie du point de vue de la collectivité, pour que des prises en charge nouvelles puissent se constituer.

Conclusion et Prospective

Nous espérons avoir pu traiter d’une manière claire le sujet de l’humain réparé et augmenté en lien avec l’usage des nouvelles technologies numériques et associées en mettant en avant quelques exemples probants ainsi que les conditions de leur développement.

Attention, les technologies ne sont pas tout. C’est ainsi que des chiens renifleurs sont actuellement déjà utilisés et s’avèrent plus efficaces qu’un médecin ou un algorithme pour détecter précocement le cancer du sein par exemple[13].

De plus, en tout état de cause, nous ne sommes qu’au début d’une révolution qui ouvrira très certainement de nombreuses perspectives encore insoupçonnées aujourd’hui.

 

Mots-clés :  humain réparé – humain augmenté – intelligence artificielle – numérique – robotique – santé


[1] https://www.telecom-paris-alumni.fr/fr/revue/numeros/l-humain-repare-et-augmente-l-internet-du-futur/3568

[2] https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/autres-produits-de-sante/article/les-dispositifs-medicaux-implants-protheses

[3] https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/intelligence-artificielle-chine-developpe-uterus-artificiels-humains-autonomes-surveilles-ia-96784/

[4] https://www.telecom-paris-alumni.fr/fr/revue/numeros/l-humain-repare-et-augmente-l-internet-du-futur/3568

[5] https://www.carmatsa.com

[6] https://followknee.com

[7] https://www.wandercraft.eu

[8] https://www.caducee.net/actualite-medicale/15969/les-solutions-de-telesurveillance-medicale-desormais-eligibles-au-remboursement-par-l-assurance-maladie.html

[9] https://fr.grapheal.com

[10] https://auticiel.com

[11] http://www.teppe.org

[12] https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/article-51

[13] https://www.santevet.com/articles/octobre-rose-des-chiens-depisteurs-du-cancer-du-sein

Michel Barth & Daniel Legendre
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