L’endettement public de la France ne restera soutenable que si les dĂ©penses et le dĂ©ficit publics sont stabilisĂ©s en pourcentage du PIB Ă  l’issue de la crise actuelle (cf. note sur ce sujet). Or les dĂ©penses de santĂ© augmenteront certainement beaucoup dans les prochaines annĂ©es sous l’effet d’abord des dĂ©cisions prises dans le cadre du « SĂ©gur de la santé » (revalorisations salariales, recrutements et investissements) puis de celles qui seront probablement prises pour rĂ©pondre aux nombreux appels Ă  de nouvelles augmentations des moyens du systĂšme de santĂ©. Si des Ă©conomies restent possibles et souhaitables, le prĂ©sent billet montre qu’il est Ă©galement possible et souhaitable d’accroĂźtre la participation financiĂšre des mĂ©nages aux dĂ©penses de santĂ© tout en protĂ©geant les plus modestes et en simplifiant les modalitĂ©s de remboursement de ces dĂ©penses.

La part des dĂ©penses de santĂ© qui est payĂ©e directement par les mĂ©nages est en France la plus faible de l’Union europĂ©enne et il faudrait l’augmenter, mais le reste Ă  charge des mĂ©nages modestes serait excessif. Les dispositifs actuels visant Ă  l’attĂ©nuer sont en effet insuffisants et trop complexes.

Presque tous les mĂ©nages sont certes couverts par les assurances maladie complĂ©mentaires et la part de celles-ci dans le financement de la santĂ© est particuliĂšrement Ă©levĂ©e en France au regard des autres pays europĂ©ens. Les assurances maladie complĂ©mentaires existent cependant seulement parce que la sĂ©curitĂ© sociale ne permet pas Ă  chacun d’ĂȘtre soignĂ© en fonction de ses besoins. Leurs coĂ»ts de gestion sont trĂšs Ă©levĂ©s pour une valeur ajoutĂ©e trĂšs faible. Leurs primes sont d’autant plus importantes en pourcentage du revenu des mĂ©nages que ce revenu est faible. Au total, les restes Ă  charge aprĂšs remboursement des assurances obligatoire et complĂ©mentaires sont beaucoup plus importants pour les mĂ©nages pauvres, en pourcentage de leur revenu, ce qui est un facteur d’inĂ©galitĂ© et de renoncement aux soins.

Il faut mettre en place un « bouclier sanitaire » garantissant Ă  chaque mĂ©nage que son reste Ă  charge de l’annĂ©e ne dĂ©passera pas un pourcentage raisonnable de son revenu annuel, ce qui ne pose pas de problĂšmes techniques majeurs. Une fois les mĂ©nages ainsi protĂ©gĂ©s, il sera possible d’augmenter les tickets modĂ©rateurs et franchises pour rĂ©duire la part de la sĂ©curitĂ© sociale dans le financement de la santĂ©. Le pourcentage du revenu qui dĂ©clenche le bouclier sanitaire pourrait Ă©galement ĂȘtre augmentĂ© dans le mĂȘme but. Le Parlement dĂ©terminerait ainsi le montant maximal que chaque Français affecterait Ă  ses dĂ©penses de santĂ© en fonction de ses moyens. Ce bouclier rendrait bien moins utile la souscription d’une assurance complĂ©mentaire et des mesures transitoires devraient ĂȘtre mises en place pour faciliter la restructuration des assureurs complĂ©mentaires.

Au total, la part de la sécurité sociale dans le financement de la santé pourrait diminuer, celle des assurances complémentaires baisserait fortement et celle des ménages augmenterait en contrepartie, mais ils seraient protégés par le bouclier contre des restes à charge excessifs.

A)   La part des dĂ©penses de santĂ© financĂ©e directement par les mĂ©nages devrait ĂȘtre augmentĂ©e mais la protection actuelle des plus modestes est insuffisante et trop complexe

Les dĂ©penses de santĂ©, au sens de la « consommation de biens et services mĂ©dicaux » (soit 208 Md€ en 2019), sont financĂ©es par l’assurance maladie obligatoire (AMO) et l’Etat[1] Ă  hauteur de 79,6 %, par les assurances maladie complĂ©mentaires (AMC) Ă  hauteur de 13,4 % et directement par les mĂ©nages eux-mĂȘmes Ă  hauteur de 6,9 %. L’AMO est elle-mĂȘme financĂ©e en 2019 par la CSG pour 33 %, par des cotisations sociales pour 34 % et par la TVA et les taxes sur les tabacs pour 25 %. Les AMC sont financĂ©es par les primes de leurs clients, Ă©ventuellement complĂ©tĂ©es par un abondement de leur employeur.

1)    La part financĂ©e par l’AMO devrait plutĂŽt ĂȘtre rĂ©duite

La France est au premier rang de l’OCDE pour le taux de ses prĂ©lĂšvements obligatoires, ce qui contribue Ă  rĂ©duire la compĂ©titivitĂ© de ses entreprises et l’attractivitĂ© de son territoire. En outre, le consentement Ă  l’impĂŽt y est fragile. Enfin, et surtout, la reprise de la consommation et de l’investissement Ă  la sortie de la crise sanitaire pourrait ĂȘtre fortement freinĂ©e par la perspective d’une nouvelle hausse des prĂ©lĂšvements obligatoires. Il est donc prĂ©fĂ©rable de diminuer la part des dĂ©penses de santĂ© qui est financĂ©e par l’AMO.

2)    La part financĂ©e par les mĂ©nages est trĂšs faible et devrait ĂȘtre augmentĂ©e

La France est le pays de l’Union europĂ©enne oĂč la part des dĂ©penses de santĂ© financĂ©e directement par les mĂ©nages est la plus faible (9,2 % en 2018 selon Eurostat dont la dĂ©finition des dĂ©penses de santĂ© diffĂšre de celle des comptes français de la santĂ©).

Source : Eurostat ; FIPECO

L’AMO a toujours laissĂ© une partie des dĂ©penses de santĂ© Ă  la charge des mĂ©nages pour les dissuader de recourir Ă  des soins inutiles et pour rĂ©duire le montant de ses remboursements. Aux « tickets modĂ©rateurs », instaurĂ©s dĂšs 1930 et exprimĂ©s en pourcentage du montant de la dĂ©pense, se sont notamment ajoutĂ©s un « forfait » hospitalier en euros par jour en 1983 et des « franchises » en euros par consultation ou par boĂźte de mĂ©dicaments en 2008. Ces tickets modĂ©rateurs, forfaits et franchises pourraient ĂȘtre relevĂ©s.

3)    Le reste Ă  charge des plus modestes pourrait cependant ĂȘtre trop Ă©levĂ© et les dispositifs visant Ă  le rĂ©duire sont trĂšs complexes

Cependant, le « reste Ă  charge » des mĂ©nages, qui comprend les tickets modĂ©rateurs, forfaits et franchises ainsi que les dĂ©passements des tarifs fixĂ©s par la sĂ©curitĂ© sociale, peut ĂȘtre trĂšs Ă©levĂ©, en euros ou en pourcentage de leur revenu. Il peut donc conduire les plus modestes Ă  renoncer Ă  des soins essentiels.

Pour rĂ©soudre ce problĂšme existent depuis trĂšs longtemps des dispositifs d’exonĂ©ration ou de plafonnement des tickets modĂ©rateurs, forfaits et franchises. Le plus important est le rĂ©gime dit des « affections de longue durĂ©e » (ALD) qui, crĂ©Ă© en 1945, permet un remboursement de 100 % du coĂ»t des soins nĂ©cessitĂ©s par une trentaine de « maladies longues et coĂ»teuses ». Il bĂ©nĂ©ficie Ă  16 % de la population et coĂ»te 13 Md€ par an selon la Cour des comptes[2]. D’autres dispositifs exonĂšrent de tickets modĂ©rateurs ou de forfaits certaines catĂ©gories de personnes : invalides, femmes enceintes, nouveau-nĂ©s


Ces dispositifs sont incohĂ©rents, des personnes dans des situations Ă©quivalentes pouvant ĂȘtre remboursĂ©es diffĂ©remment, selon que leur pathologie est ou non sur la liste des ALD. Ils sont trĂšs complexes, les forfaits et franchises faisant, par exemple, l’objet de plafonds variables. Surtout, le remboursement Ă  100 % dans le cadre d’une ALD s’applique seulement aux soins liĂ©s Ă  cette affection, ce qui oblige les mĂ©decins Ă  distinguer le traitement des autres pathologies dont souffre une personne ayant une ALD. Les mĂ©decins de la sĂ©curitĂ© sociale doivent vĂ©rifier que cette distinction est correctement faite. Ces vĂ©rifications occupent une grande partie des moyens des services de contrĂŽle mĂ©dical des caisses avec pour rĂ©sultat une dĂ©gradation de leurs relations avec les mĂ©decins, la frontiĂšre entre l’ALD et les autres affections Ă©tant souvent artificielle et contestable. Les affections connexes Ă  une ALD sont souvent nombreuses et importantes, si bien que le reste Ă  charge est parfois trĂšs Ă©levĂ© malgrĂ© le remboursement Ă  100 % du traitement de l’affection principale (Cf. Ă©tude de la direction gĂ©nĂ©rale du trĂ©sor sur les ALD).

B)   Le financement des dĂ©penses de santĂ© par les assurances complĂ©mentaires n’est pas une bonne solution

1)    L’intervention des AMC est inutile, coĂ»teuse et atypique en Europe

Les assurances maladie complĂ©mentaires (AMC) complĂštent presque systĂ©matiquement les remboursements de l’assurance maladie obligatoire (AMO) et ne font souvent que les complĂ©ter sans aucune valeur ajoutĂ©e (hors prise en charge des dĂ©passements tarifaires). Si elles avaient une politique autonome vis-Ă -vis des professionnels de santĂ©, celle-ci pourrait d’ailleurs ĂȘtre contradictoire avec celle de l’AMO. Leur intervention est un facteur de complexitĂ© puisque les mĂ©nages et les professionnels doivent avoir des relations avec deux assureurs pour chaque soin. La gĂ©nĂ©ralisation du tiers payant pose d’ailleurs des difficultĂ©s pour les professionnels de santĂ© surtout en raison de la nĂ©cessitĂ© de se faire payer par des dizaines d’AMC diffĂ©rentes.

L’existence des AMC n’est justifiĂ©e que par le risque pour les mĂ©nages de supporter un reste Ă  charge laissĂ© par l’AMO trĂšs Ă©levĂ© et Ă©ventuellement incompatible avec leurs ressources. Elles n’existent que parce que la sĂ©curitĂ© sociale ne permet pas Ă  chacun d’ĂȘtre soignĂ© en fonction de ses besoins, contrairement aux objectifs affichĂ©s depuis sa crĂ©ation.

Or l’intervention des AMC est particuliĂšrement coĂ»teuse pour les mĂ©nages, ou leurs employeurs, qui les financent par leurs primes car elle se traduit par une duplication inutile des frais de gestion de l’assurance maladie. Les coĂ»ts de gestion des AMC (7,5 Md€ en 2018) sont quasiment les mĂȘmes que ceux de l’AMO (7,3 Md€) et sont constituĂ©s pour 40 % de « frais d’acquisition » (publicitĂ©, dĂ©marchage, ouverture des dossiers
).

Les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont pourtant progressivement Ă©tendu le champ d’intervention des AMC au cours du temps. L’accord national interprofessionnel de 2013 a ainsi rendu obligatoire l’affiliation Ă  une AMC pour tous les salariĂ©s du secteur privĂ©. La loi de financement de la sĂ©curitĂ© sociale pour 2019 a crĂ©Ă© un « panier 100 % santé » d’équipements et de soins en optique, aides auditives et prothĂšses dentaires dont les tarifs sont rĂ©glementĂ©s et pour lesquels le cumul des remboursements de l’AMO et des AMC doit atteindre 100 % de ces tarifs, le coĂ»t de ce dispositif Ă©tant partagĂ© entre AMO et AMC.

Dans deux pays europĂ©ens, les Pays-Bas et la Suisse, le financement public des dĂ©penses de santĂ© est trĂšs faible et les assurances privĂ©es ont un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant mais elles sont trĂšs fortement rĂ©glementĂ©es. Dans les autres pays, Ă  l’exception de l’Irlande et de la SlovĂ©nie, la part des assurances privĂ©es est bien plus faible qu’en France (13,5 % en 2017 selon Eurostat) : 10,3 % en Allemagne ; 5,2 % au Royaume-Uni ; 2,6 % en Italie ; 5,8 % en Espagne ; 5,2 % en Belgique ; 1,3 % en SuĂšde.

2)    Un systÚme injuste

Les restes Ă  charge (RAC) aprĂšs AMO, et avant AMC, peuvent ĂȘtre trĂšs Ă©levĂ©s. Selon le rapport annuel de 2013 du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), ils s’élevaient en 2012 (derniĂšre annĂ©e disponible) Ă  507 € en moyenne pour l’ensemble de la population et atteignaient 2 146 € en moyenne pour les 10 % de la population dont le RAC Ă©tait le plus Ă©levĂ© et 5 095 € pour le 1 % de la population dont le RAC Ă©tait le plus Ă©levĂ©. Les RAC les plus importants rĂ©sultent plus des soins de ville que des soins hospitaliers et Ă  peu prĂšs autant des soins facturĂ©s au tarif de la sĂ©curitĂ© sociale que des dĂ©passements de ce tarif.

Des personnes trĂšs riches ayant une ALD peuvent avoir un RAC trĂšs faible et le « taux d’effort brut » des mĂ©nages, Ă©gal au rapport entre leur reste Ă  charge et leur revenu disponible brut[3], est dĂ©croissant avec le revenu, ce qui accentue les inĂ©galitĂ©s.

Certes, 95 % de la population est couverte par une assurance maladie complĂ©mentaire en 2018[4] mais, au prix d’une complexitĂ© accrue et d’un coĂ»t Ă©levĂ©, cette couverture complĂ©mentaire ne rĂ©duit pas ces inĂ©galitĂ©s et n’évite pas de frĂ©quents renoncements aux soins pour des raisons financiĂšres.

En effet, la couverture maladie complĂ©mentaire, comme toute assurance, est facturĂ©e Ă  un prix qui dĂ©pend des risques prĂ©sentĂ©s par les assurĂ©s. S’agissant de la santĂ©, les primes sont ainsi gĂ©nĂ©ralement liĂ©es Ă  leur Ăąge : en moyenne 830 € par an pour les 25-45 ans et 1 475 € pour les plus de 75 ans selon  une note de janvier 2021 du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM). Elles ne tiennent gĂ©nĂ©ralement pas compte de leur capacitĂ© financiĂšre[5]. Elles s’élĂšvent en moyenne Ă  950 € par an pour les mĂ©nages du premier dĂ©cile et 1 095 € pour ceux du dernier dĂ©cile. Elles sont donc dĂ©gressives en pourcentage du revenu. Les ressources de l’AMO sont, au contraire, progressives du fait des exonĂ©rations et taux rĂ©duits de CSG ainsi que des allĂ©gements de cotisations patronales sur les bas salaires.

Pour aider les mĂ©nages les plus modestes Ă  obtenir une couverture complĂ©mentaire, il a fallu crĂ©er la « couverture maladie universelle complĂ©mentaire » (CMU-C) et une « aide au paiement de garanties contractuelles privĂ©es d’assurance » (ACS), avec des aides publiques. La complexitĂ© de ces dispositifs Ă©tait telle que les bĂ©nĂ©ficiaires potentiels de ces aides n’y recouraient pas Ă  hauteur de 28 Ă  40 % d’entre eux pour la CMU-C et de 59 Ă  72 % pour l’ACS selon un rapport de la Cour des comptes de 2015. La CMU-C et l’ACS ont Ă©tĂ© remplacĂ©s fin 2019 par une « complĂ©mentaire santĂ© solidaire » supposĂ©e ĂȘtre plus simple.

Malgré ces aides publiques, le taux de couverture du premier quintile par une AMC est de seulement 88 % et la moitié des personnes non couvertes sont en situation de pauvreté (note précitée du HCAAM).

En outre, selon le rapport prĂ©citĂ© de la Cour des comptes, les 5 % des assurĂ©s ayant le RAC le plus Ă©levĂ© aprĂšs remboursement par les AMC doivent rĂ©gler plus de 1 300 € en moyenne sur leurs propres deniers. Il en rĂ©sulte, selon les enquĂȘtes prĂ©citĂ©es du HCAAM, que 33 % des personnes sans couverture complĂ©mentaire, 14 % de celles ayant une complĂ©mentaire privĂ©e et 20 % de celles bĂ©nĂ©ficiant de la CMU-C ont renoncĂ© Ă  des soins pour des raisons financiĂšres au cours des douze derniers mois. Ces taux de renoncement aux soins sont plus Ă©levĂ©s en France que dans la plupart des autres pays.

Le graphique suivant prĂ©sente, en pourcentage du revenu, le reste Ă  charge aprĂšs AMO et ce mĂȘme reste Ă  charge aprĂšs dĂ©duction des remboursements des AMC et ajout des primes versĂ©es par les mĂ©nages aux AMC (le RAC aprĂšs AMO et AMC). Ce RAC est dĂ©croissant avec le revenu, encore plus fortement aprĂšs primes et remboursements des AMC.

Le RAC aprÚs AMO et AMC est, sauf pour le premier décile du fait des aides publiques, toujours supérieur au RAC aprÚs AMO. En effet, les remboursements des AMC sont inférieurs aux primes, du fait de leurs coûts de gestion et de leurs marges.

Source : DREES ; FIPECO.

Dans une note du conseil d’analyse Ă©conomique de 2014, B. Dormont, P.Y Geoffard et J. Tirole considĂ©raient qu’il Ă©tait « impĂ©ratif de mettre fin Ă  ce systĂšme mixte d’assurance ».

C)    Il faut mettre en place un bouclier sanitaire

1)    Les caractéristiques, trÚs simples, du bouclier sanitaire

Les principes de construction d’un bouclier sanitaire seraient les suivants :

  • les tickets modĂ©rateurs, forfaits et franchises actuels seraient remplacĂ©s par un ticket modĂ©rateur Ă  taux unique en mĂ©decine de ville et une franchise journaliĂšre Ă  l’hĂŽpital ;
  • les dispositifs destinĂ©s Ă  en attĂ©nuer les effets (ALD, panier « 100 % santĂ© » ) seraient tous supprimĂ©s et remplacĂ©s par une seule disposition lĂ©gislative selon laquelle le RAC laissĂ© par l’AMO sur une annĂ©e (hors dĂ©passements tarifaires) ne peut pas ĂȘtre supĂ©rieur Ă  un certain pourcentage du revenu annuel du mĂ©nage de l’assurĂ© ;
  • si ce pourcentage du revenu Ă©tait atteint Ă  un moment de l’annĂ©e, les dĂ©penses de santĂ© ultĂ©rieures seraient remboursĂ©es Ă  100 % du tarif de la sĂ©curitĂ© sociale jusqu’au 31 dĂ©cembre, Ă©ventuellement sans avance de frais ;
  • ce revenu serait transmis par les services fiscaux aux caisses d’assurance maladie, comme ils le font dĂ©jĂ  pour les caisses d’allocations familiales[6].

La crĂ©ation d’un bouclier sanitaire a Ă©tĂ© proposĂ©e par Martin Hirsch, alors Haut-Commissaire aux solidaritĂ©s actives contre la pauvretĂ©, en juin 2007 aprĂšs l’annonce de nouveaux forfaits et franchises. Le gouvernement a alors demandĂ© un rapport sur cette proposition, notamment sur son impact et ses conditions techniques de mise en Ɠuvre, Ă  R. Briet et B. Fragonard. Leur rapport a validĂ© sa faisabilitĂ© technique, moyennant des ajustements des systĂšmes informatiques des caisses d’assurance maladie qui prendraient quelques mois. Les progrĂšs rĂ©alisĂ©s depuis lors dans la transmission des informations des services fiscaux aux caisses de sĂ©curitĂ© sociale devraient rendre ces ajustements plus faciles. Les caisses d’assurance maladie devraient ainsi pouvoir connaĂźtre trĂšs vite les revenus d’une grande partie de leurs affiliĂ©s.

Un dispositif analogue au bouclier sanitaire existe dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, en Belgique et en Suisse. Le plafonnement des RAC est soit en pourcentage du revenu (Allemagne et Belgique), soit en euros mais variable selon les tranches de revenu (Suisse).

2)    Un dispositif plus juste

Le pourcentage des revenus au-delĂ  duquel les soins seraient remboursĂ©s Ă  100 % pourrait ĂȘtre fixĂ©, dans un premier temps, pour que le total des remboursements de l’AMO ne change pas. Les simulations, comme celles de la direction gĂ©nĂ©rale du trĂ©sor, montrent qu’il serait alors compris entre 3 et 5 % du revenu.

Dans ces conditions, la plupart des mĂ©nages les plus modestes n’auraient plus Ă  renoncer aux soins pour des raisons financiĂšres puisque leur RAC aprĂšs remboursement de l’AMO ne dĂ©passerait pas 3 Ă  5 % de leur revenu, alors qu’il est aujourd’hui en moyenne supĂ©rieur Ă  5 % pour les cinq premiers dĂ©ciles.

Sa mise en place Ă  dĂ©penses constantes pour l’assurance maladie ferait des gagnants et des perdants, dans le sens d’une redistribution verticale des revenus au profit des plus modestes.

Il ne s’agit pas pour autant de mettre les remboursements de l’assurance maladie sous condition de ressources. Tous les mĂ©nages continueraient Ă  ĂȘtre remboursĂ©s, quels que soient leurs revenus. Les plus riches seraient seulement moins rapidement protĂ©gĂ©s par le bouclier.

Le problĂšme posĂ© par le dĂ©veloppement excessif des dĂ©passements tarifaires peut et doit ĂȘtre rĂ©solu par d’autres voies, notamment en rĂ©gulant mieux les autorisations de dĂ©passement et la rĂ©partition spatiale des professionnels de santĂ© qui en bĂ©nĂ©ficient.

3)    Une maĂźtrise plus facile des dĂ©penses de l’assurance maladie obligatoire

Une fois le bouclier sanitaire mis en place, le taux des tickets modĂ©rateurs et les franchises pourraient ĂȘtre majorĂ©s pour rĂ©duire les dĂ©penses remboursĂ©es par l’AMO et le dĂ©ficit de la sĂ©curitĂ© sociale sans effets dĂ©favorables sur les mĂ©nages les plus modestes, ceux-ci Ă©tant dĂ©sormais protĂ©gĂ©s contre les restes Ă  charge excessifs.

Le pourcentage du revenu qui dĂ©clenche le bouclier sanitaire, avec remboursement Ă  100 %, pourrait Ă©galement ĂȘtre augmentĂ© dans le mĂȘme but. Le Parlement dĂ©terminerait ainsi le montant maximal que chacun, en fonction de ses moyens, affecterait Ă  ses dĂ©penses de santĂ©.

Le plafonnement du RAC en pourcentage du revenu pourrait ainsi ĂȘtre un outil de rĂ©Ă©quilibrage automatique des comptes de l’assurance maladie obligatoire.

Le bouclier sanitaire laisserait entiĂšre la question de l’efficience, ou de l’inefficience, des dĂ©penses de santĂ© remboursĂ©es par l’assurance maladie car ce n’est pas son objet. Les rĂ©formes nĂ©cessaires pour maĂźtriser ces dĂ©penses le resteraient.

On pourrait craindre que le remboursement Ă  100 % au-delĂ  du plafond de RAC favorise la consommation de soins inutiles. Toutefois, d’une part, les tickets modĂ©rateurs continueraient Ă  avoir leur effet responsabilisant sur les mĂ©nages jusqu’au plafond et ces effets seraient d’ailleurs renforcĂ©s par la disparition des remboursements des AMC devenus inutiles (cf. plus loin) ; d’autre part, les remboursements Ă  100 % existent dĂ©jĂ  et le bouclier sanitaire ne ferait que changer ses bĂ©nĂ©ficiaires. Au total, l’impact sur la consommation de biens et services de santĂ© serait probablement limitĂ©.

4)    Une restructuration des assurances complémentaires et un profond changement du financement des dépenses de santé

Chaque mĂ©nage Ă©tant assurĂ© de ne pas avoir Ă  payer plus de 3 Ă  5 % de son revenu pour sa santĂ©, la souscription d’une assurance complĂ©mentaire deviendrait inutile, sauf pour couvrir le coĂ»t des soins non remboursĂ©s par l’assurance maladie obligatoire et les dĂ©passements de tarifs des professionnels, voire le reste Ă  charge pour les mĂ©nages les plus riches. Des Ă©conomies substantielles pourraient en rĂ©sulter (les frais de gestion des AMC s’élĂšvent Ă  7 Md€), au prix d’une restructuration du secteur de l’assurance complĂ©mentaire.

C’est la raison de sa trĂšs forte opposition Ă  la mise en place d’un bouclier sanitaire et cette restructuration devra ĂȘtre prĂ©vue et accompagnĂ©e. Dans un premier temps, un partage du « marché » pourrait ĂȘtre envisagĂ© entre l’AMO et les AMC, la premiĂšre laissant entiĂšrement aux seconds la couverture de certaines dĂ©penses comme celles qui relĂšvent de l’optique ou des soins dentaires.

Au total, la mise en place d’un bouclier sanitaire conduirait Ă  une profonde modification du financement des dĂ©penses de santĂ©. La part de l’AMO pourrait diminuer, celle des AMC baisserait fortement (sauf si une partie du marchĂ© lui Ă©tait entiĂšrement laissĂ©e par l’AMO) et celle des mĂ©nages augmenterait en contrepartie, mais ils seraient protĂ©gĂ©s par le bouclier contre des restes Ă  charge excessifs.

 

Cet article reproduit celui publié par François Ecalle sur son site FIPECO, le 24 février dernier.


 

[1] Financement d’une complĂ©mentaire santĂ© pour les mĂ©nages modestes.

[2] Surcoût par rapport aux remboursements de droit commun.

[3] Les ménages sont classés par niveau de vie (revenu disponible divisé par un indicateur de la taille du ménage).

[4] Y compris la « couverture maladie universelle complémentaire » (CMU-C).

[5] Les primes dépendent du salaire dans seulement 20 % des contrats individuels et 43 % des contrats collectifs.

[6] La notion d’ayant-droit aux prestations d’assurance maladie devrait ĂȘtre harmonisĂ©e avec celle de membre d’un foyer fiscal.