Introduction

Le contexte de long terme d’avant-crise dans les pays développés était celui d’une augmentation de l’endettement privé et public, d’une baisse de l’investissement, d’une baisse de la croissance de la productivité, et d’une divergence de productivité entre entreprises. Les réponses menées avant la crise ont pour partie échoué à résoudre ces problèmes. Avec la crise du coronavirus, il y a eu un accord rapide sur la nécessité d’une intervention étatique de court terme afin d’assurer le financement et la survie des entreprises. Cependant, la détérioration de la situation économique oblige à réfléchir aux solutions de long terme. Comment passer des assurances tous-risques récemment déployées à une solution durable ?

1- L’impact de la crise sur le financement des entreprises en Europe

L’endettement des entreprises européennes a fortement augmenté entre 2008 et 2019. En France, un indicateur composite d’accès des PME à la finance créé par les chercheurs du Fonds européen d’investissement (Torfs, 2020) plaçait la France au second rang européen en matière d’accès des PME à la finance par dette et par capital. Le ratio d’endettement sur fonds propres était dans la moyenne européenne. Cependant, les entreprises avaient des difficultés à croître, à s’internationaliser, et à investir en cohérence avec les engagements environnementaux du pays.

1.1 – Le financement des entreprises en Europe avant la crise

Concernant l’endettement bancaire, le ratio d’endettement des entreprises françaises, notamment des PME, restait avant crise nettement supérieur à la moyenne européenne et américaine. Or, l’investissement des petites entreprises diminue au-delà d’un certain seuil d’endettement (Gebauer, 2015). 10 % des entreprises européennes étaient considérées en 2019 comme vulnérables (AFME, 2021). Le financement en capital manquant représentait en France 9 % du PIB, contre seulement 5 % en moyenne dans l’Union européenne (Torfs, 2020). Les fonds d’investissement sondés par le FEI se disaient cependant récemment optimistes sur la situation économique (Botsari et al, 2020). De nombreuses PME françaises se plaignaient d’un manque d’accès au capital, au-dessus de la moyenne européenne (Sondage SAFE). Ce sont essentiellement les entreprises cotées qui ont augmenté leurs marges ces dernières années (Diez et al, 2019). Or, l’Europe est en retard en matière d’approfondissement des marchés de capitaux.

La situation européenne actuelle n’oriente pas suffisamment le financement vers l’investissement en capital. En effet, un biais fiscal taxe les intérêts du capital, alors que les intérêts sur dette sont exemptés d’impôts. De plus, les marchés de capitaux européens sont peu profonds et peu intégrés. En conséquence, les banques privilégient les prêts. Seuls les investisseurs disposant d’un capital propre important, capables de supporter des coûts, et ayant un appétit pour le risque, tendent à investir en capital. Ces investisseurs tendent aussi à appartenir à la partie la plus riche de la population.

1.2 – L’impact de la crise

Le PIB français a chuté de 9 % en 2020, l’investissement privé de 10 %, le taux de chômage devrait monter à 11 % en 2021, et la dette publique à 120 % du PIB (Banque de France, 2020). Une récente étude du Fonds européen d’investissement menée avant la deuxième vague montre que le capital-investissement et le capital-risque européens se dirigent aujourd’hui vers une stagnation ou une forte chute des investissements comparable à celle observée en 2008 suite à la crise financière (Botsari et al, 2020).

Les pays européens les plus touchés risquent également une forte hausse des faillites, avec de sensibles divergences entre pays. Dans un premier temps, le nombre de faillites a baissé. Cependant, cette baisse transitoire et technique devrait se transformer à terme en une hausse de 14 % en Europe de l’Ouest et de 25 % en France (Allianz, 2020). La part des PME de la zone euro en mauvaise posture financière va aussi augmenter. Un stock de 324 milliards d’euros de dettes d’entreprises serait aujourd’hui à risque, dont plus de la moitié sont des dettes de PME. Il est encore trop tôt pour mesurer précisément la part des prêts garantis dans ces dettes à risque, mais elle est probablement élevée. Le capital global des entreprises européennes diminuerait d’entre 0,7 et 1,2 billion d’euros (AFME, 2021).

La première vague a eu un impact très négatif sur l’accès au capital des PME. Les institutions ont probablement sous-évalué les risques d’amplification de la crise liés aux inégalités entre entreprises et aux inégalités entre individus qui leur sont intimement liées. Les pays qui ont le plus eu recours aux garanties de crédit tendent aussi à être ceux qui ont les plus hauts ratios d’endettement des entreprises par rapport à leur PIB. Les jeunes entreprises technologiques sont dans une position particulièrement vulnérable.      

2 – Les options à court et long terme

Parmi les solutions financières, la première question est celle des garanties de crédit et de leur impact.

2.1 – Le problème des garanties de crédit

Afin de lisser le coût de la crise dans le temps, de maintenir le lien employeur-employé, et ainsi de limiter le chômage à long terme, d’importants programmes de garanties de crédit ont été engagés aux Etats-Unis et en Europe, notamment en Italie et en France, conduisant à une nouvelle augmentation de l’endettement. A l’objectif de soutien d’urgence succèdent trois objectifs principaux : le maintien du secours en financement, la réallocation sectorielle, et la réallocation des types de financement. Une solution d’urgence est le renouvellement des prêts garantis, éventuellement en élargissant la part garantie par l’Etat. Les contre-garanties proposées par l’Union européenne pourraient également permettre une certaine redistribution des risques entre Etats européens inégalement touchés.

Les risques sont grands à long terme. Moody’s projetait avant la deuxième vague des pertes sur garanties de crédit significatives en France et en Italie. Nous pouvons y ajouter le poids pour les finances publiques, et les limites des capacités de gestion des institutions financières chargées de ces politiques. Dans ce cadre, les instruments européens de garantie permettent de compléter et d’amplifier l’impact des garanties nationales là où leurs volumes sont contraints par les budgets nationaux. Il est enfin difficile pour l’Etat d’avoir à faire des choix discrétionnaires en termes de réallocation sectorielle, d’où de nombreuses hésitations sur les conditionnalités, pour l’instant assez libérales. Le risque à étendre cette politique à l’infini serait finalement de maintenir artificiellement en vie des entreprises zombies en Europe. Cela s’opposerait à une situation américaine de réallocation sectorielle et géographique qui apparaît brutale, mais efficace.

2.2 – Les options pour les entreprises en difficulté

L’Etat ne va pas devenir actionnaire de toutes les PME. Néanmoins, pour les entreprises les plus grandes, les plus productives, ou qui correspondent à la stratégie de long terme de l’Etat, notamment les entreprises jeunes et innovantes, il serait possible de transformer une partie de ces garanties en investissement en capital à travers une recapitalisation publique ou en quasi-fonds propres. Des instruments hybrides d’investissement en quasi-capital pourraient être mis en place au niveau européen et soutenus par les institutions européennes en exemption des restrictions aux aides publiques (AFME, 2021). Les banques publiques de développement comme la BEI ou la BPI seraient des candidats privilégiés pour la mise en place de tels programmes. Une récente étude du Fonds européen d’investissement a notamment montré que le soutien public en capital-risque permet aux entreprises d’allonger leurs stratégies de rentabilité sur le long terme (Pavlova et Signore, 2019). Le choix des entreprises pourrait être fondé sur les priorités publiques en termes de réallocation sectorielle et de politique industrielle, notamment en matière de transition numérique et énergétique. A long terme, la sortie de l’Etat du capital pourrait être associée à une politique de développement des marchés boursiers pour PME. Un récent rapport de l’AFME (Association for Financial Markets in Europe) soutient cette possibilité, qui reste encore à préciser.

Deuxièmement, pour les petites entreprises au niveau de productivité intermédiaire, une solution proche de la stratégie américaine consisterait à convertir les prêts garantis en subventions, par exemple lorsque le maintien d’un nombre suffisant d’emplois est avéré. C’est une forme d’investissement public, dont l’augmentation est largement prônée aujourd’hui.

Finalement, pour les entreprises les moins productives sans réel avenir, la création d’une structure de défaisance pour traiter les défauts en limitant les coûts, associée à une aide à la reconversion pour les employés, pourrait limiter le coût des faillites pour l’économie. La BCE a récemment appelé à la création d’une telle structure. Pour ces entreprises en faillite, l’aide à la reconversion pour les employés pourrait jouer le premier rôle, notamment à travers la formation dans le numérique. Une structure de défaisance bien gérée pourrait aussi promouvoir une réallocation sectorielle plus efficace et le développement des marchés de capitaux en Europe.

Les solutions de la recapitalisation et de la structure de défaisance seraient avantageusement accompagnées par l’accélération de l’Union des marchés de capitaux, qui apparaît plus que jamais comme une priorité. Cette Union permettrait de redonner au marché, un marché continental, son rôle en matière de réallocation sectorielle.

3 – Quel impact de l’aide européenne ?

 L’objectif de la réponse européenne, c’est la complémentarité avec les réponses nationales. Le plan de relance européen vient d’être approuvé par les Etats membres.

3.1 – La réponse de l’Union européenne

Il s’agit d’un budget européen renforcé à 1,1 billion d’euros, et du plan de relance lui-même, NextGenerationEU, à 750 milliards, composé pour l’essentiel du programme intitulé « Facilité pour la reprise et la résilience », moitié d’allocations et moitié de crédits soutenant réformes et investissements nécessaires pour répondre à la crise, essentiellement centrés sur l’environnement et la numérisation. Le programme InvestEU, né de la crise de 2008, est également renouvelé avec 23 milliards de garanties de crédit ciblées. L’Union européenne cherche notamment à répondre à un manque de financement en capital estimé entre 450 et 600 milliards d’euros (AFME, 2021) pour l’ensemble de l’UE.

La Banque européenne d’investissement espère jouer un rôle contra-cyclique et de convergence continentale, central dans ce dispositif, en déployant le Fonds pan-européen de garantie, un fonds de 25 milliards qui espère soutenir 200 milliards de financements. Elle propose notamment 10 milliards pour soutenir les fonds de roulement des PME, et 10 milliards pour soutenir la titrisation des prêts aux PME. En parallèle, elle s’était déjà engagée avant la crise à faire monter à 50 % la part de ses investissements dans le climat et l’environnement.

Au sein du Groupe Banque européenne d’investissement, le Fonds européen d’investissement[1] devrait augmenter ses dotations pour garanties d’un milliard, soutenant 8 milliards d’investissements. Sa spécificité est le ciblage de ses programmes. Le programme COSME vise les PME en forte croissance et à fort risque, le programme InnovFin les PME innovantes, le programme EaSi les entreprises sociales, et le programme CCS la culture. Tous ces programmes bénéficient déjà d’un réseau européen d’intermédiaires financiers avec leurs clients, et d’un suivi intégré. Les taux de garanties ont été augmentés, et l’accent mis sur les régions les plus vulnérables.

3.2 – Evaluer l’efficacité des politiques d’aide au financement des entreprises

Il s’agit de comparer les entreprises qui bénéficient de ces programmes aux entreprises similaires qui n’en bénéficient pas. Les études d’avant la crise de la Covid-19 montrent un résultat positif des garanties de crédit sur la survie des entreprises et leur croissance en termes de capital, de chiffre d’affaires, d’emploi et de capital immatériel, tout particulièrement pour les jeunes et petites entreprises, et dans les services, l’impact croissant avec la taille du prêt garanti (Brault et Signore, 2019). Une récente étude de BPI trouve aussi un impact positif en termes d’investissement et d’emploi (Gazaniol et Le, 2020). Tous ces éléments, bien que venant d’un contexte historique antérieur à la crise actuelle, sont de bonnes nouvelles pour les programmes massifs actuellement mis en place.

Cependant, il ne semble pas y avoir d’impact significatif sur la rentabilité ou les entreprises à forte teneur technologique. L’impact sur la productivité n’est pas toujours significatif, et il n’agit dans tous les cas qu’à long terme. L’impact varie fortement entre pays, même si ces divergences peuvent être limitées par les politiques européennes de contre-garanties. En d’autres termes, les garanties protègent les PME, compensent leurs désavantages en termes de financement bancaire, mais ont probablement un impact de court terme modeste en termes de réallocations sectorielles.

Le soutien public au capital-risque pourrait en partie prendre le relais des garanties de crédit, pour les entreprises les plus innovantes notamment, et être plus efficace, avec l’intermédiaire des banques et des fonds d’investissement. Il y aurait donc une transition à orchestrer dans ce domaine pour aider à la reprise.

Conclusion

Nous avons montré le fort impact de la crise sur le financement des entreprises en Europe. Ces problèmes de financement ne sont cependant pas tous nés de la crise, et prennent leurs racines dans de nombreuses faiblesses antérieures en matière d’endettement, de croissance et de productivité. Les programmes déployés pendant la crise, notamment les garanties de crédit, ont permis la survie de nombreuses entreprises à court terme. Néanmoins, leur expiration prochaine pose problème et pourrait conduire à une vague de faillites. Plusieurs solutions existent, notamment des subventions, des conversions en capital, et la création de structures de défaisance. Ces options nécessitent des méthodes d’évaluation appropriées. Dans ce cadre, les institutions européennes, notamment le Groupe BEI (BEI & FEI), jouent un rôle central en matière de soutien aux Etats, de convergence et d’évaluation.

 

Mots-clés : Crise de la Covid-19 – Finance d’entreprise – Garanties de crédit – Union européenne – Endettement – Financement en capital – Evaluation d’impact


Bibliographie

AFME (2021). Recapitalizing EU businesses post COVID-19. Janvier 2021.

Allianz (2020). Calm before the storm : COVID-19 and the business insolvency time bomb. 16/07/2020.

Banque de France (2020). Macroeconomic projections – France. 14/12/2020.

Bertoni, F., Brault, J., Colombo, M., Quas, A., et Signore, S. (2019). Econometric study on the impact of EU loan guarantee financial instruments on growth and jobs of SMEs. EIF Working Paper.

Botsari, A., Lang, F., Pal, K., Pavlova, E., Signore, S., et Torfs, W. (2020). The market sentiment in European Private Equity and Venture Capital : Impact of Covid-19. EIF Working Paper.

Botsari, A., Gvetadze, S., Lang, F., et Torfs, W. (2020). European small business finance outlook 2020 : the impact of COVID-19 on SME financing markets. EIF Working Paper.

Brault, J. (2019). L’impact des programmes européens de garantie de crédit. Note BSI-Economics.

Brault, J. (2020). La soutenabilité des garanties de crédit aux entreprises après la crise du coronavirus. Note BSI-Economics.

Brault, J., et Signore, S. (2019). The real effects of EU loan guarantee schemes for SMEs : a pan-European assessment. EIF Working Paper.

Brault, J., et Signore, S. (2020). Credit guarantees in the COVID-19 crisis – Relevance and economic impact. SUERF Policy Note.

Diez, Frederico, Fan, Jiayue, et Villegas-Sanchez, C. (2019). Global declining competition. IMF Working Paper.

Gazaniol, A., et Le, M. (2020). Evaluation de l’impact économique des fonds de garantie de place opérés par BPI-France. BPI-France.

Gebauer, S., Setzer, R., et Westphal, Andreas (2017). Corporate debt and investment : a firm-level analysis for stressed euro-area countries. ECB Working Paper.

INSEE (2021). Corporate bankruptcies – France. Stat-info. 13/01/2021.

Pavlova, E., et Signore, S. (2019). The European venture capital landscape: an EIF perspective. Volume V: The economic impact of VC investments supported by the EIF. EIF Working Paper.

Torfs, W. (2020). The EIF SME Access to Finance Index – September 2020 update. EIF Working Paper.


[1] Le Fonds européen d’investissement se spécialise dans le financement public des entreprises, et notamment les PME, à travers des contre-garanties de crédit et des investissements en capital-risque. Plus d’information est disponible sur son site : https://www.eif.org .

Julien Brault
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