La classe d’actifs infrastructures connaît en France un formidable essor depuis le début des années 2000, marqué notamment par les grandes privatisations des sociétés d’autoroutes. C’est aussi à cette époque qu’a été lancé le PPP (Partenariat-Public-Privé) à la française qui a permis le financement de plusieurs dizaines de projets de construction d’infrastructures publiques, d’hôpitaux, de prisons et autres bâtiments publics.

Rappelons les principales caractéristiques de ces actifs :

  • Des actifs essentiels pour la collectivité,
  • Des actifs de taille importante (sur un plan physique et financier),
  • Un cadre régulatoire généralement public, souvent avec un contrat de concession ou de PPP d’une durée très longue, de 20 à 70 ans,
  • Une forte visibilité à long terme sur les revenus.

Cette classe d’actifs est aujourd’hui incontournable chez les grands investisseurs institutionnels qui y consacrent entre 1 et 5% de leur allocation d’actifs.

Un remarquable dynamisme en France avec la création d’une dizaine de fonds infrastructures ces quinze dernières années

Sans compter les institutionnels comme la CDC ou le Crédit Agricole, un certain nombre d’équipes d’investissements en infrastructures se sont structurées en sociétés de gestion depuis le début des années 2000 : OFi infravia, Ardian Infrastructure, Antin Infrastructure, Marguerite, Inframed, DIF (équipe française d’un fonds hollandais), SEEIF, Mirova, Quaero, etc. Ces équipes gèrent des encours pour compte de tiers compris entre 200 millions d’euros et plusieurs milliards par entité.

Les plus anciennes et aujourd’hui les plus importantes sont :

  • Ardian infrastructure, au sein du groupe Ardian (ex Axa private equity), qui a au départ investi à la fois sur des projets greenfield (projets de construction) comme la concession de la LGV Tours-Bordeaux (lisea) en 2011 ou le PPP du GSM-R, mais aussi sur des projets brownfield (actifs déjà en service et matures) comme la société d’autoroutes Sanef. Initialement très présent en France, ce fonds investit aujourd’hui dans le monde entier.
  • Antin infrastructure, au départ dans le giron de BNP Paribas, et aujourd’hui totalement indépendant. C’est une véritable success story française avec des paris audacieux comme l’opération sur les pylônes de Bouygues Telecom en 2012 acquis à environ 200 M€ et revendus en 2016 pour un montant au moins 4 fois plus élevé. Ils s’intéressent à des projets dans des secteurs en consolidation (comme les télécoms ou les réseaux de chaleur) en prenant des risques de développement et également potentiellement des risques technologiques.
  • Meridiam infrastructures se positionne sur des projets principalement greenfield, il s’agit de leur marque de fabrique. Ils ont une démarche quasi-industrielle : ancien d’Egis, le fondateur Thierry Deau a réuni en France une équipe composée de nombreux ingénieurs du corps des Ponts avec une démarche chronophage qui est d’être « mandataire » des groupements sur les appels d’offre de PPP ou de concessions. Alors que les investisseurs financiers se reposent généralement sur un industriel comme Vinci ou Bouygues qui va prendre notamment en charge toute la conception du projet, Meridiam pilote l’ensemble de cette phase d’offre.

Plusieurs vagues sectorielles de grands investissements Infrastructure en France depuis l’an 2000

Il y a eu plusieurs vagues de grands projets depuis une quinzaine d’années :

  • dans le transport routier, la vague de privatisation des sociétés d’autoroutes en 2006 (SANEF, APRR, ASF) est concomitante avec l’arrivée de fonds internationaux comme Macquarie (Australie) qui est entré dans APRR et la création d’équipes « infra » françaises au sein d’Axa, Caisse des dépôts et Natixis (Mirova).
  • dans l’énergie avec la montée en puissance à partir de 2011 des fonds infrastructure dans les parcs éoliens et les fermes photovoltaïques. C’est le cas d’Antin, Axa/Ardian, Caisse des dépôts, Meridiam. Là encore, la Caisse des dépôts était précurseur avec des premiers investissements en 2008 dans le secteur. Dans les réseaux de transport de gaz et d’électricité, le capital a également été ouvert à des financiers. TIGF, le réseau de transport de gaz du Sud-Ouest de la France a été cédé à un consortium comprenant notamment EDF Invest (fonds de démantèlement des centrales nucléaires). GRT-Gaz et RTE (réseau de transport d’électricité) ont fait entrer la CDC à leur capital.
  • dans les télécoms, avec d’abord le secteur des tours télécoms, infrastructure territoriale essentielle au fonctionnement d’un réseau mobile, quelle que soit la technologie (GSM, 2G, 3G, 4G, 5G, etc). Antin a constitué France Pylônes Services, le premier concurrent de TDF dans les télécoms avec le rachat de 2000 pylônes à Bouygues telecom en 2012. La CDC avait déclenché le mouvement au début des années 2000 avec le rachat de TDF à France Telecom, alors en pleine déconfiture financière, en partenariat avec Charterhouse.
  • enfin dans les aéroports, avec une vague de privatisation lancée en 2015 avec celle d’Aéroport de Toulouse, suivie par Aéroport de Lyon et Aéroport de Nice en 2016.

La majeure partie des investissements sont des actifs brownfield

Au sein des actifs brownfield, on distingue les actifs core infra, comme les aéroports ou les parcs éoliens, pour lesquels les espérances de TRI sont comprises entre 5 et 8% et les actifs dits non core comme les réseaux de chaleurs, les télécoms pour lesquels l’actif doit être travaillé avec, par exemple, des opérations de croissance externe, du développement de nouveaux marchés par des appels d’offres, et sur lesquels l’espérance de TRI est nettement plus élevée (supérieure à 10%).

Sur les premiers, les TRI sont trop faibles pour que les fonds infrastructures gérant pour compte de tiers (Ardian, Ofi Infravia, Antin) soient compétitifs : ils promettent à leurs LPs (limited partners, en français souscripteurs) des TRI nets de frais supérieurs à 10% avec des commissions de gestion annuelles d’un niveau relativement élevé (entre 80 et 150 points de base). Ce sont finalement les institutionnels (qui sont aussi LPs des fonds précités !) qui réussissent à investir dans ce type d’actifs (compagnies d’assurance notamment). Elles ont en effet des coûts de gestion très inférieurs (des équipes de quelques personnes instruisent ces dossiers) et un coût de la ressource suffisamment bas pour que ces actifs à grande visibilité soient pour eux d’excellentes opportunités d’investissement.

Antin et Ofi Infravia, partant du principe qu’un actif « infra » est avant tout un actif procurant une grande visibilité à long terme sur les revenus, se sont particulièrement démarqués en allant investir hors des sentiers battus dans des actifs non core, notamment dans les pylônes, les datacenters et même, pour Antin, la biologie médicale.

Les difficultés de financement des projets greenfield ?

Le greenfield consiste à financer des nouveaux projets de construction. Régulièrement les observateurs, médias, hommes politiques, se plaignent du manque de présence des investisseurs privés dans le capital des grands projets. Mais la réalité est que lorsqu’il y a des projets viables économiquement avec un montage juridique associant le privé, les investisseurs répondent généralement présent.

Or premièrement les grands projets d’infrastructure, souvent dans le Transport, sont des projets d’initiative publique. Et ils sont le plus souvent réalisés en Maîtrise d’Ouvrage Publique ce qui écarte généralement toute possibilité d’avoir un tour de table d’investisseurs privés. Pour bénéficier de fonds propres privés, la Maîtrise d’Ouvrage d’un projet doit en effet être déléguée par la puissance publique au privé dans une société de projet détenue par des investisseurs privés (aux côtés éventuellement du client public) comme c’est le cas dans le cadre de délégations de service public (DSP), de contrats de concessions ou de Marchés de Partenariat (nouveau nom donné au PPP par l’ordonnance du 23 Juillet 2015 relative aux marchés publics).

Deuxièmement, ces projets, pour être viables économiquement, nécessitent souvent des contributions publiques significatives comme par exemple dans le transport ferroviaire avec plusieurs milliards d’euros de subventions pour les Lignes à Grande Vitesse attribuées en PPP en 2011 (Tours-Bordeaux notamment), mais également dans les Délégations de Service Public de Très Haut Débit en fibre optique.

PPP ou Concession, deux profils de risque très différents

Au départ réticents, les fonds infrastructure et les institutionnels, en quête de rendement, ont progressivement renforcé leur présence dans ce domaine.

Deux types de profil de risque existent sur ces projets :

Les PPP sont des contrats avec un risque très limité pour les investisseurs et les prêteurs. En effet,

  • il n’y a généralement pas de risque volume puisque les loyers sont versés par la puissance publique en contrepartie de la mise à disposition d’un actif. Et
  • pas de risque construction ni d’exploitation/entretien/maintenance car la société de projet négocie des clauses de transparence dans les sous-contrats de construction et d’entretien/maintenance, la laissant indemne de tout retard, malfaçon, mauvaise exécution contractuelle vis-à-vis du client public, qui généralement applique des pénalités pouvant atteindre un montant relativement élevé (jusqu’à 20% du montant du contrat). Ces risques sont ainsi transférés aux industriels qui portent ces sous-contrats.

Les risques résiduels pour les actionnaires de ces sociétés de projet sont principalement un risque de refinancement, de défaillance des contractants industriels et parfois de déchéance du contrat dans le cas d’un dépassement du plafond de pénalités.

Les grands PPP sont ceux du ministère de la défense à Balard, du zoo de Vincennes, de la construction du TGI de Paris, des lignes à grande vitesse Nîmes-Montpellier et Bretagne Pays de Loire. Les banques ont beaucoup d’appétit pour ce type de projet qui se financent généralement avec environ 10% de fonds propres et 90% de dette bancaire.

Le modèle du PPP est aujourd’hui critiqué  pour son coût jugé très élevé. Il s’agit pourtant de l’outil de la commande publique le plus efficace aujourd’hui pour réaliser un projet respectant les coûts et les délais, en faisant porter l’entière responsabilité du projet sur un partenaire privé (transférée en grande partie aux sous-contractants comme indiqué supra). Nous ne comptons plus les grands projets réalisés en Maîtrise d’Ouvrage Publique dont les délais et les coûts ont été multipliés par 3 ou 4 (par exemple le Grand Paris Express dont le coût est passé de 25 à plus de 38 milliards d’euros en quelques années).

Les projets à risque volume sont généralement des concessions. Les projets de concessions greenfield sont d’autant plus risqués qu’ils n’ont généralement pas l’historique de trafic des sociétés autoroutières en service depuis des dizaines d’années comme Sanef ou APRR. Un certain nombre de projets concessifs ont été lancés ces dernières années, en particulier dans le transport et les télécoms :

  • dans le transport, notamment dans le ferroviaire avec le projet de Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux gagné en 2011 par un consortium réunissant Vinci et les fonds Ardian, Meridiam, CDC Infrastructure. Il s’agit d’un projet de 7 Md€ largement subventionné par l’Etat (plus de la moitié de subvention).
  • dans les télécoms, les RIP (réseaux d’initiative publique) lancés par les collectivités locales dans le cadre du plan France Très Haut Débit pour déployer des réseaux de fibre jusqu’à l’abonné (FTTH) sur les zones les moins denses des territoires. Des concessions de taille importante ont été attribuées ces deux dernières années par les Régions : près d’un milliard d’euros pour la Région Grand Est et presque autant pour la Région Nord – Pas de Calais. Malgré les aléas sur la montée en puissance de la commercialisation de ces réseaux, ces projets ont pu attirer à la fois des fonds propres avec des fonds infrastructure comme Quaero (une ex-équipe de Rothschild), Marguerite mais également des financements bancaires importants.

Conclusion 

Quelles seront les futures grandes vagues de projets pour la classe d’actifs ? Dans quelques années, le niveau d’équipement en infrastructures sera satisfaisant, à la fois dans le transport, dans les télécoms, dans les infrastructures énergétiques, les ENR.

Dans les transports, les orientations actuelles du gouvernement sont de mettre l’accent sur la problématique du transport du quotidien, en soutenant le développement de nouveaux services de mobilité (covoiturage, autopartage), dispositif de suivi de trafic, smart parking, navettes autonomes plutôt que de développer de nouvelles infrastructures.

Pour autant, des opportunités importantes pourraient apparaître dans le brownfield :

  • cession des concessions de réseaux de Très Haut Débit pour la plupart encore en cours de construction,
  • mise en place d’opérations de cessions du matériel roulant ferroviaire sur le modèle anglo-saxon (Rosco) par les Régions (qui ont aujourd’hui la propriété des trains régionaux).
  • sur le réseau ferroviaire :
    • cession des concessions/PPP existants attribués en 2011/2012 (LGV Tours-Bordeaux, Nîmes-Montpellier, Bretagne-Pays de Loire) et aujourd’hui en service ;
    • mise en concession de certaines lignes ferroviaires à grande vitesse par SNCF Réseau à l’image de la mise en concession de High Speed 1 par le Royaume-Uni en 2012.