Les populations ayant des niveaux de vie différents vivent‐elles les unes auprès des autres ou de façon séparée ? Les différences sociales se traduisent‐elles par des différences spatiales de localisation ? Voilà des questions auxquelles Jean-Michel Floch tente d’apporter une réponse en analysant et en comparant la ségrégation dans douze des plus importantes métropoles françaises, à partir des données localisées sur les revenus fiscaux et sociaux de l’INSEE (dispositif Filosofi). Pour ce faire, l’ensemble de l’aire urbaine, incluant ville‐centre, banlieue mais aussi couronne périurbaine, est pris en compte. La périurbanisation contribuant en effet aux processus ségrégatifs et au tri social des populations.

Niveaux de revenu, inégalités de revenu et ségrégation

Les métropoles urbaines rassemblent les emplois les plus qualifiés qui bénéficient généralement de hauts salaires. Mais elles réunissent aussi la majorité des populations relevant de la politique de la ville, d’où une surreprésentation à la fois des plus hauts et des plus bas niveaux de vie, avec des différences locales notables dans le partage entre ville‐centre, banlieue et couronne périurbaine. Les politiques publiques urbaines doivent alors arbitrer entre agglomérations, et entre quartiers au sein des agglomérations et concilier des mesures ciblées, et des mesures plus globales favorisant la mixité.

Souvent associée à tort à la notion de pauvreté, la ségrégation représente ici l’inégale répartition de groupes sociaux, appréhendée à travers des caractéristiques économiques, démographiques ou sociales, entre les quartiers d’une ville. La ségrégation traduit alors la propension qu’ont les individus présentant des caractéristiques semblables à se rassembler spatialement. Elle peut alors aussi provenir des choix résidentiels des ménages à fort niveau de vie.

Pour la mesurer , une approche comparative de douze des principales aires urbaines françaises –  Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Nice, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Rennes, Grenoble, Montpellier – est mise en place, en utilisant l’indice de ségrégation hiérarchisé, issu des travaux de Readon et Bischoff. L’indicateur est calculé pour chaque carreau d’un maillage fin des différentes aires urbaines (500 m de côté), dont une agrégation donne ensuite des indicateurs par composante de l’aire urbaine (ville-centre, banlieue, couronne) et finalement un indicateur global pour la métropole. Mais ces indicateurs, dont le calcul est détaillé dans l’article original, n’ont pas d’interprétation simple. La comparaison des différentes agglomérations et de leurs composantes s’effectue alors davantage en terme de rang de ségrégation que de niveau.

Il apparaît alors que les trois aires urbaines les plus ségrégées sont Lille, Paris et Marseille.  Elles sont suivies par Lyon, Strasbourg, Grenoble et Montpellier. Quant aux autres métropoles, elles présentent un indice de ségrégation plus faible. En ce qui concerne les composantes territoriales, les valeurs les plus élevées de ségrégation se retrouvent pour les banlieues lilloise, lyonnaise, parisienne, et grenobloise, la valeur extrême étant pour le département des Yvelines. Pour les autres aires urbaines, c’est pour la ville-centre, et notamment pour Marseille, Rennes, Nantes et Toulouse, où l’on  retrouve l’habitat social, que l’indicateur est le plus élevé. La ségrégation est beaucoup moins prononcée dans les couronnes, où l’on retrouve les indices les plus faibles. (Les indices synthétiques de ségrégation pour chacune des 12 aires urbaines étudiées sont disponibles dans le tableau 1 de l’article original).

Ségrégation des pauvres, ségrégation des riches

Pour analyser la ségrégation suivant les niveaux de revenus, Jean-Michel Floch introduit un nouvel indicateur : la courbe de ségrégation socio-spatiale. Elle traduit la façon dont évoluent les indices lorsqu’on s’élève sur l’échelle des niveaux de vie. Elle indique ce qui domine dans la ségrégation, celle des plus pauvres ou celle des plus aisés. Alors que trois profils d’évolution de la ségrégation avec le revenu peuvent être identifiées (Figure 3 de l’article original), tous présentent un niveau de ségrégation plus élevé pour les populations à haut revenu. Ce phénomène s’oppose à la croyance générale d’une ségrégation majoritaire des plus pauvres. Un autre phénomène, observé pour l’ensemble des villes-centres, met en lumière que l’on retrouve davantage de pauvres dans les quartiers riches que de riches dans les quartiers pauvres.

Spatialisation des inégalités

Les indicateurs de ségrégation, malgré leur construction à partir d’un maillage géographique fin, ne permettent d’appréhender la ségrégation qu’au niveau de l’aire urbaine ou de ses composantes. Ils ne permettent pas d’en comprendre la cause à un niveau géographique plus fin tel que les différents quartiers.

Pour visualiser les inégalités à cette échelle, Floch propose de cartographier les niveaux de vie suivant un maillage de 500m de côté. A chaque carreau est associé un profil-type construit à partir de la répartition des niveaux de vie suivant cinq quintiles nationaux. Cinq profils-types sont utilisés :  « non mixte pauvre », « mixte pauvre », « mixte équilibré », « mixte riche », et « non mixte riche ».

 

Profils des cinq classes suivant les quintiles nationaux de niveaux de vies

Le profil-type « mixte équilibré » représente l’état ou la répartition des effectifs suivant les quintiles est homogène. Pour le profil « mixte pauvre », les bas niveaux de vie sont surreprésentés mais les hauts niveaux de vie sont encore présents de manière substantielle. Pour le « non mixte pauvre », les bas niveaux de vie sont aussi surreprésentés, mais les haut niveaux de vie sont quasiment absents. Les quartiers « mixte riche » et « non mixte riche » sont construits de manière symétrique.

 

Une illustration de la typologie en 5 classes dans la métropole parisienne – Source : Insee-DGFIP-Cnaf-Cnav-CCMSA, fichier localisé social et fiscal (Filosofi) 2012 ; calculs de l’auteur

En comparant cette cartographie et les indices de ségrégation, un résultat surprenant se dégage. Tandis qu’une très forte prédominance des carreaux (quartiers) qualifiés de « non-mixtes » riches apparaît dans la ville-centre de Paris, l’indicateur de ségrégation y est faible. L’analyse de la répartition spatiale des hauts et des bas revenus montre alors que, malgré leur forte présence, les populations aux revenus extrêmes sont beaucoup moins concentrées spatialement à Paris que dans les autres villes‐centres. Ainsi, grâce à une répartition spatiale homogène des différents niveaux de vie, la richesse de la ville-centre parisienne ne l’empêche pas de figurer parmi les villes-centres les moins ségrégées du classement.

Globalement, cette cartographie de la mixité sociale proposée par l’auteur se trouve cohérente avec les indices théoriques de ségrégation puisqu’une relation négative apparaît entre le classement de la mixité et celui de la ségrégation.

Finalement, les indicateurs hiérarchisés de ségrégation utilisés par Floch sont des outils d’analyse précis et leurs résultats sont cohérents avec ceux précédemment annoncés par l’OCDE. La mise en évidence de la ségrégation aux deux extrémités de l’échelle des niveaux de vie ainsi que la diversité des profils inter-urbains, permettent de relativiser les a priori concernant le profil type d’une population à bas niveau de vie ségrégée dans les banlieues. Une interprétation approfondie de ces différents profils selon les agglomérations, définis avec une méthodologie rigoureuse, devrait permettre de prendre plus de recul dans l’analyse des situations réelles et permettre aussi aux politiques publiques de mieux orienter leurs choix stratégiques.


*Cet article constitue un résumé de Niveaux de vie et ségrégation dans douze métropoles françaises, paru dans la revue Economie et Statistique n°497-498, éditée par l’INSEE.