La classe d’actif « infrastructure » est depuis quelques années particulièrement à la mode chez les investisseurs institutionnels européens. On ne compte plus les séminaires, conférences et articles de presse sur le sujet et, objectivement, les expositions affichées par les assureurs notamment sur cette catégorie d’actif sont à la hausse. Dans le cas de CNP Assurances par exemple, si en pourcentage des portefeuilles l’infrastructure reste limitée (de l’ordre de 1%), en montant les investissements ont plus que triplé en 5 ans pour atteindre près de 3 Md€ fin 2017 et les ambitions dans ce domaine sont encore élevées.

A quoi peut-on attribuer ce développement ?

Les raisons sont multiples et se trouvent à la fois du côté de l’offre et de la demande.

Du côté de la demande de financement (ou, vu autrement, de l’offre d’actifs)

Avec les contraintes du Pacte de Stabilité Européen sur le budget des Etats puis les conséquences de la crise financière de 2008 et celle des dettes souveraines de 2011, les pouvoirs publics, historiquement maîtres d’ouvrages et financeurs des infrastructures, sont devenus de plus en plus impécunieux.

Dans le même temps, ces crises ont créé des besoins de politique de relance économique et quoi de mieux pour cela que des programmes de « grands travaux » (comme on le disait autrefois) ?

Les gouvernements et collectivités locales ont donc naturellement cherché à attirer de manière croissante les financements privés. Soit via des concessions à des investisseurs / opérateurs d’infrastructures existantes (autoroutes, aéroports, etc.), soit par la délégation à de tels opérateurs de la construction puis de la gestion de nouvelles infrastructures, par exemple via des Partenariats Public/Privé (PPP).

Au niveau européen, cela s’est traduit par la mise en place du « plan Juncker ». Rappelons qu’il ambitionne de catalyser plus de 300 Md€ de projets d’infrastructure en dépensant moins de 30 Md€ de fonds européens, le reste étant apporté par le privé.

Ajoutons enfin à cela que la transition énergétique (production d’énergie renouvelable, …) mais aussi la transition numérique (réseaux de fibre, …) ajoutent encore aux besoins de nouveaux équipements collectifs.

Que la demande de financements ait été importante n’a rien étonnant. Ce qui l’est davantage est qu’elle ait rencontré une offre de plus en plus significative, notamment de la part des investisseurs institutionnels que sont les assureurs.

Du côté de l’offre de financement

Les actifs d’infrastructure ont des qualités qui répondent très bien à certains passifs tels que les régimes de retraites. En effet, ces actifs nécessitent souvent un engagement à très long terme (15 à 30 ans), sont illiquides, ont des revenus réguliers, dans une certaine mesure prévisibles et parfois liés à l’inflation. Cela les qualifie parfaitement pour les passifs de retraite, par nature stables et très longs. Les grands fonds de pension étrangers, notamment canadiens et australiens, ont d’ailleurs de longue date orienté leur allocation d’actifs vers les infrastructures et développé des capacités de gestion propres.

Si la retraite par capitalisation est très limitée en France, les compagnies d’assurance et les caisses de retraite ont cependant des passifs compatibles avec les propriétés financières des infrastructures. Par ailleurs, la taille des fonds d’assurance-vie en euro permet à certaines compagnies d’y affecter une part d’actifs longs et illiquides.

Mais, au-delà de cette adéquation naturelle, deux autres facteurs augmentent l’intérêt des assureurs pour les infrastructures : la baisse des taux d’intérêt et Solvabilité 2.

Bien que la tendance à la baisse des taux d’intérêt remonte aux années 80, les niveaux atteints avec la mise en place des politiques d’assouplissement quantitatif des banques centrales sont extrêmes. Les passifs de retraite, avec leur duration très longue sont particulièrement exposés à cette baisse des taux et les rendements atteints sur les emprunts d’Etat peuvent conduire pour les assureurs à des placements à perte. Les rendements offerts par les infrastructures restent suffisamment élevés pour apporter une solution partielle.

Simultanément, la mise en place de la réglementation prudentielle Solvabilité 2 a introduit un coût en capital élevé pour la détention d’actions et pour un éventuel désadossement actif/passif (mismatch de duration).

Or, les actifs d’infrastructure peuvent bénéficier sur ce plan d’un traitement favorable. Lorsqu’il s’agit d’actions détenues dans des sociétés avec un taux de participation significatif et des droits de gouvernance, Solvabilité 2 permet une exigence en fonds propres de 22% du montant de l’investissement au lieu de 59% pour les actions non cotées quelconques. De même, les instruments de taux de financement d’infrastructure bénéficient sous certaines conditions d’un allègement du coût du capital de l’ordre de 30% par rapport aux exigences en fonds propres des produits de taux.

Un intérêt non exempt de difficultés

L’intérêt des assureurs pour les actifs d’infrastructure est donc naturel et croissant. Il ne va toutefois pas sans un certain nombre de difficultés.

Tout d’abord, contrairement à l’impression que peut donner la stabilité et la prévisibilité des cashflows issus d’actifs d’infrastructure, l’investissement est loin d’être sans risque, même lorsqu’il s’agit d’actifs existants et opérationnels (brownfield). Outre les risques techniques et commerciaux (conditions de vent pour les éoliennes, trafic pour les autoroutes à péage, etc), il existe des risques particuliers comme ceux liés aux changements de régulations qui sont difficiles, voire impossibles à quantifier.

Ensuite, l’investissement direct dans une société d’infrastructure nécessite des compétences spécifiques (structuration financière, due diligences techniques, etc) qui ne sont que rarement présentes dans les équipes d’investissement de sociétés d’assurance. En tout état de cause, cela requiert des moyens et la réalisation et le suivi des investissements sont longs et consommateurs de ressources.

L’alternative est l’investissement dans des fonds gérés mais, outre le fait que les sociétés de gestion spécialisées ne sont pas très nombreuses, du moins en France, la question du traitement règlementaire sous Solvabilité 2 se pose. Par ailleurs, les fonds d’infrastructure ont en général un objectif de cession des actifs après une certaine durée, qui peut ne pas correspondre au souhait de l’investisseur.

Enfin, l’infrastructure est une classe d’actif très large et hétérogène. Il ne semble pas d’ailleurs en exister de définition unanimement reconnue. Si un réseau électrique ou une ligne de chemin de fer correspond bien à l’idée que l’on s’en fait généralement, que dire d’un parking ou d’une école par exemple ? A cette variété correspondent de plus des risques de natures et d’ampleurs très différentes.

Quoiqu’il en soit, l’investissement en infrastructure chez les assureurs est certainement promis à des développements importants, et cela même si les taux d’intérêt venaient à remonter. En particulier, le sujet de la transition énergétique devrait en être un moteur. De plus, cette dynamique ne pourrait qu’être amplifiée en France si des fonds de pension venaient à s’y développer.

Mikael Cohen
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