Même si le ministère de l’intérieur définit le cadre juridique de l’établissement des listes électorales, l’Insee a toujours joué un rôle central dans la fiabilisation de ces listes. Cette mission régalienne lui a été confiée en 1946 : après la guerre, l’ampleur des mouvements de population (réfugiés, prisonniers, déportés), l’élargissement du corps électoral (femmes, militaires, Algériens domiciliés en France) et les évolutions en matière d’incapacité juridique (annulations, révisions de jugement, réhabilitation, amnisties) ont justifié de mettre en place un système organisé de révision des listes électorales.
Afin de renforcer la participation démocratique, l’Insee va jouer un rôle plus important dans la constitution et mise à disposition des listes électorales pour permettre de s’inscrire au plus près des échéances électorales.
Cet article décrit la situation actuelle puis celle qui va prévaloir pour les élections à venir dès les européennes de 2019.
Jusqu’en 2019, l’Insee reste la plaque tournante de l’information permettant la mise à jour des listes électorales
Jusquà présent, l’Insee a la responsabilité de « tenir un fichier général des électeurs et électrices en vue du contrôle des inscriptions sur les listes électorales » (article L 37 du code électoral). En pratique, l’Insee joue essentiellement un rôle de « plaque tournante » de l’information nécessaire à la tenue des listes en indiquant, à partir de l’information qu’il détient ou reçoit, aux mairies et (par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères) aux consulats :
– les radiations à opérer pour cause d’inscription dans une autre commune ;
– les radiations à opérer pour décès et incapacité ;
– les inscriptions d’office des jeunes.
Mais in fine, ce sont les listes électorales arrêtées par les communes et les consulats qui font foi.
En effet, l’établissement des listes électorales est de la responsabilité de commissions administratives communales ou consulaires qui arrêtent les listes en fonction des demandes d’inscription qu’elles ont reçues et instruites, de l’appréciation qu’elles portent sur l’effectivité de l’attache locale de leurs électeurs et des avis de radiation d’office reçus de l’Insee.
La gestion du fichier général des électeurs tenu par l’Insee (FGE) permet d’organiser ces échanges d’information. Les plus importants en nombre sont les avis d’inscription suite aux démarches volontaires des électeurs : l’Insee reçoit des communes les avis d’inscription actés par les commissions administratives, recherche au sein du FGE les électeurs concernés pour leur attribuer le nouveau rattachement, repérer le cas échéant la précédente commune d’inscription et renvoyer l’information à cette dernière commune pour que la commission électorale correspondante sache qu’il convient de radier ces électeurs qui se sont inscrits ailleurs.
La loi prévoyant l’inscription d’office sur les listes électorales des jeunes atteignant leur majorité, l’Insee reçoit du ministère des armées la liste de tous les jeunes ayant été recensés en vue des journées « Défense et citoyenneté » ou ayant participé à ces journées, avec leur adresse. L’Insee envoie alors cette information aux communes ainsi désignées pour qu’elles vérifient le maintien de l’attache communale de ces jeunes et que les commissions compétentes les inscrivent sur les listes électorales.
L’Insee est également avisé par les communes des radiations opérées pour perte d’attache communale et les enregistre dans le FGE. Il enregistre aussi dans le FGE les décès des électeurs et les pertes de droit civique pour cause de tutelle ou de condamnation (informations reçues des tribunaux et du ministère de la justice) ou perte de nationalité (informations reçues du ministère de l’intérieur et de la justice) et en avise les communes concernées pour mise à jour des listes.
Enfin, l’Insee enregistre au FGE et échange avec le ministère en charge des affaires étrangères tous les flux d’information nécessaires à la tenue des listes électorales consulaires.
Ce travail de gestion de flux d’information a plusieurs caractéristiques. La première est liée à l’annualité de la « révision des listes électorales » qui concentre en fin d’année les travaux d’établissement des listes. On rappelle que jusqu’à présent, on ne peut s’inscrire sur des listes électorales pour l’année suivante que jusqu’au 31 décembre de l’année en cours. Les commissions administratives se réunissent entre septembre et début janvier pour examiner les demandes d’inscription et prononcer les radiations pour perte d’attache. L’Insee doit ensuite renvoyer les avis de radiation pour nouvelle inscription à temps pour que les commissions puissent arrêter leurs listes fin février.
Par ailleurs le comportement des électeurs fait que le volume des inscriptions varie très fortement selon l’importance des scrutins à venir : plus de 5 millions d’avis ont été échangés lors de la révision qui a précédé les élections présidentielles et législatives de 2017, soit deux fois plus que l’année précédente.
La troisième caractéristique est l’hétérogénéité des modes d’échange entre l’Insee et ses partenaires. En volume d’avis, un quart des échanges avec les communes se fait encore par l’intermédiaire de bulletins papier, le reste par dépôt de fichier ou saisie individuelle à travers une application dédiée. Les modes d’échanges avec les administrations partenaires sont chaque fois spécifiques, en termes de support et de calendrier.
En complément de la prise en charge des échanges de données sous leurs différentes formes, l’Insee doit assurer, à partir de l’état civil des électeurs tel qu’il est transmis et qui peut être incomplet ou erroné, l’identification de l’individu à qui affecter l’événement électoral, en s’appuyant sur le répertoire des personnes physiques (Numéro de SS) dont il a aussi la gestion.
D’une façon générale, l’Insee n’a pas accès aux listes électorales elles-mêmes telles qu’établies par les commissions administratives en vue des scrutins. Le « contrôle des listes électorales » exercé par l’Insee s’arrête donc par la transmission des informations nécessaires à la mise à jour des listes mais aussi par le contrôle des volumes de mouvements : la qualité de la mise à jour des listes électorales est en effet directement liée à l’exhaustivité des flux d’information transitant par l’Insee qui lui repose principalement sur les envois des communes. Cette qualité n’est aujourd’hui pas sans défaut puisque, pour un corps électoral de l’ordre de 45 millions d’électeurs, le FGE en compte moins que le total des listes électorales communales. Il ne s’agit pas de faux électeurs mais essentiellement d’insuffisantes mises à jour des listes sans qu’un électeur inscrit à tort ne se présente de fait lors du vote.
Pour aller plus loin, l’Insee a pu être amené, sur demande d’une commune ou d’une préfecture, à réaliser une comparaison ponctuelle entre une liste communale et le FGE : dans ces opérations dites de « mise en concordance », l’Insee opère un rapprochement automatique et signale tous les écarts relevés, charge à la commission administrative de prendre en compte ces informations pour corriger sa liste pour autant qu’elle l’estimera nécessaire.
La création du répertoire électoral unique va faire évoluer profondément de rôle de l’Insee dans le processus électoral
Les lois datées du 1er août 2016 modifient le processus d’inscription sur les listes électorales et visent une mise à jour en continu des listes électorales de façon à autoriser des inscriptions au plus près des scrutins. Pour atteindre ce résultat, il faut notamment substituer aux listes électorales communales et consulaires, tenues indépendamment pour et par chaque commune et consulat et arrêtées une fois par an, un « Répertoire électoral unique » (REU), dont la gestion est confiée à l’Insee et dont seront extraites les listes communales et consulaires.
Le premier avantage du nouveau dispositif est que les listes électorales qui feront foi seront les listes extraites du REU : elles seront donc cohérentes entre elles par construction et il n’y aura plus d’électeurs inscrits par erreur sur plusieurs listes électorales.
Dans le nouveau processus, la responsabilité de la prise en compte dans le REU, donc sur les listes électorales, des inscriptions et des radiations des électeurs sera partagée :
– les communes et consulats seront responsables du contrôle des documents d’identité fournis et de l’effectivité de l’attache communale ou consulaire (lors de l’inscription mais aussi ultérieurement);
– l’Insee sera responsable de la vérification de la capacité électorale et des inscriptions et radiations d’office, pour autant qu’il en aura été informé par les administrations compétentes ;
– l’Insee garantira l’unicité de l’inscription d’un électeur ;
– l’Insee assurera, à travers les spécifications du système de gestion, la conformité des listes électorales avec les règles du code électoral.
Il restera indispensable d’assurer la qualité de l’identification des individus concernés par les informations échangées. Cette identification sera toutefois facilitée dans le nouveau dispositif si l’électeur est déjà enregistré dans le REU : les communes en particulier pourront en effet sélectionner de façon interactive l’individu référencé qu’elles souhaitent inscrire ou radier.
La nature de la responsabilité de l’Insee en matière électorale sera profondément modifiée dans le nouveau processus. En tant que propriétaire des données du répertoire et de son système de gestion, l’Institut devra garantir leur qualité (notamment leur conformité avec le code électoral) et leur sécurité (disponibilité, intégrité, confidentialité, traçabilité).
Les autres avantages du nouveau dispositif résultent de la mise en place d’échanges entièrement dématérialisés et automatisés avec tous les partenaires. Ils permettront tout d’abord une mise à jour du répertoire en continu, ce qui supprimera la date butoir du 31 décembre pour l’inscription sur les listes électorales : il subsistera une limite fixée à 6 semaines avant un scrutin, période destinée à couvrir les délais de recours en cas de contestation.
Par ailleurs, l’automatisation allégera et simplifiera grandement le traitement courant des échanges d’information. La gestion du REU consistera donc pour l’essentiel à suivre le bon fonctionnement du système (suivi des indicateurs, contacts avec les partenaires, détection et correction des anomalies de fonctionnement, spécification des évolutions) et à gérer les référentiels (géographie, calendrier électoral, etc.) et les habilitations d’accès. Il faudra également assurer l’assistance aux nombreux utilisateurs du système.
Le projet ELIRE de mise en place du répertoire électoral unique : la brique centrale d’un projet interministériel
Le REU doit être mis en place début 2019 de telle sorte que les dispositions des lois de 2016 soient opérationnelles avant les prochaines élections européennes : l’Insee doit donc conduire en moins de 3 ans la mise en place du répertoire et de son système de gestion. Le coût de ce projet, dénommé « ELIRE », a été évalué à 5 millions d’euros. L’équipe dédiée compte aujourd’hui 14 personnes, mais le projet mobilise également les équipes en charge du processus actuel de gestion électorale, notamment pour certaines phases de constitution de la version initiale du répertoire.
Le projet ELIRE s’inscrit dans un projet interministériel, piloté par le ministère de l’intérieur, qui couvre également la modification du processus de décision et de contrôle des inscriptions, la modernisation des démarches des électeurs ainsi que les chantiers transverses d’élaboration des textes réglementaires, de formation, d’accompagnement et de communication. ELIRE comprend deux sous-projets : la construction du système de gestion et la constitution de la version initiale du REU.
Le système de gestion couvrira quatre ensembles de fonctionnalités :
– le traitement des inscriptions et des radiations à l’initiative des électeurs, des mairies et des consulats, y compris la phase d’instruction de la demande ;
– le traitement des inscriptions et des radiations d’office à partir des informations sur les décès et sur la capacité électorale des individus transmises par les administrations qui les détiennent ;
– la constitution et la mise à disposition des listes électorales et des listes d’émargement ;
– les extractions nécessaires aux échanges avec certains partenaires et la construction d’indicateurs de suivi et de gestion.
Pour signifier leurs décisions d’inscription ou de radiation, les communes auront accès au REU par un portail dédié ou à travers un logiciel de gestion communale. Le dispositif d’inscription en ligne proposé par le site service-public.fr sera directement raccordé au système de gestion du REU : les communes récupéreront les éléments de la demande qu’elles instruiront comme si elles les avaient saisis dans le système. Des interfaces spécifiques avec les systèmes d’information des administrations partenaires assureront la transmission automatique des informations sur la capacité électorale des électeurs.
Le répertoire électoral unique sera initialisé par les listes électorales communales ou consulaires sauf s’il y a une impossibilité logique (doublons, électeurs décédés ou en incapacité, etc.) : ces impossibilités induiront des corrections signifiées à la commune (ou au consulat) qui devra apporter des éléments factuels pour les contester. Ce mode d’initialisation maîtrise les évolutions par rapport aux listes électorales qui font référence aujourd’hui, ce qui devrait limiter les contestations tant de la part des communes que des électeurs en assurant une meilleure continuité avec l’existant.
- Le nouveau rôle de l’Insee dans l’établissement des listes électorales - 31 janvier 2018
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