Depuis 2015 se succĂšdent des Ă©pisodes dramatiques lors de migrations de personnes venues du MoyenâOrient et dâAfrique, traversant la MĂ©diterranĂ©e et cheminant en Europe centrale. Cette crise, notamment liĂ©e aux guerres civiles en Syrie ou contre les avatars de lâĂtat Islamique, met Ă mal le systĂšme dâasile de lâUnion europĂ©enne. Les pays europĂ©ens ont accueilli avec rĂ©ticence ces migrants. LâAllemagne sâest distinguĂ©e, fin 2015 et en 2016, par une politique de large ouverture. Ce pays a accueilli prĂšs dâun million de migrants dans cet intervalle. Toutefois, le caractĂšre dâimpĂ©ratif humanitaire a Ă©mergĂ© Ă©galement en France. Le dĂ©bat semble maintenant se structurer autour dâune distinction entre rĂ©fugiĂ©s et migrants Ă©conomiques. Selon une vision malthusienne, les premiers seraient acceptables, au contraire des seconds car les pays de lâUE nâauraient pas les moyens Ă©conomiques dâaccueillir une immigration importante. A lâopposĂ© lâemporte une conviction que la distinction nâa pas de sens, que tous les migrants entreprennent un parcours vers lâEurope en rĂ©ponse Ă des situations dâurgence vitale. En consĂ©quence, lâUE devrait ouvrir largement ses frontiĂšres.
On discute ici des concepts de rĂ©fugiĂ© et de migrant Ă©conomique. Il y a bien des diffĂ©rences de dĂ©finitions juridiques. Ces derniĂšres ne correspondent quâassez mal aux rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques et dĂ©mographiques. Lâopinion publique semble davantage prĂȘte Ă accepter des migrants sâils sâintĂšgrent, ce qui conduit Ă prĂ©senter quelques faits relatifs Ă ce processus. LâĂ©clairage proposĂ© autour de ces dĂ©bats est complĂ©tĂ© par des faits stylisĂ©s sur les consĂ©quences macro-Ă©conomiques dâune immigration massive.
Dans les pays de lâOCDE comme en France, les migrations sont dâabord libres ou familiales
LâOrganisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomique (OCDE) rassemble des donnĂ©es concernant les migrations vers ses pays membres. En sâappuyant sur les lĂ©gislations des Ătats se distinguent trois types de migrations : migrations familiales, Ă©conomiques et humanitaires. En effet, le droit Ă lâentrĂ©e et au sĂ©jour dâun Ă©tranger reste une prĂ©rogative rĂ©galienne de chaque Ătat. Il y a une exception, aussi unique quâimportante : lâUnion europĂ©enne consacre le principe de libre circulation de tous ses ressortissants sur tout son territoire. Majoritairement, les migrations les plus nombreuses sont familiales. Dans lâUE, elles sont toutefois moins nombreuses que les migrations libres. En France, et selon les donnĂ©es annuelles les plus rĂ©centes, on a, par ordre dâimportance :
- Les migrations au titre de la libre circulation (supérieure à 100 000 personnes par an) ;
- Les migrations familiales (de lâordre de 90 000)Â ;
- Sâintercalent les migrations (temporaires) « étudiantes », environ 70 000 Ă©tudiants Ă©trangers (hors UE) viennent faire des Ă©tudes supĂ©rieures ;
- Les migrations humanitaires, essentiellement les rĂ©fugiĂ©s (30 000), et Ă©conomiques (20 000) viennent bien aprĂšs, mĂȘme si les migrations humanitaires sont en forte hausse depuis 2014.
La plupart des immigrĂ©s en France ont ainsi obtenu leur droit au sĂ©jour au titre dâun motif ni Ă©conomique ni humanitaire.
Les différences réglementaires des migrations
Les migrations familiales sont notamment rĂ©gies par la Convention europĂ©enne des droits de lâHomme. Ces migrants sont majoritairement des conjoints de citoyens français. Une petite moitiĂ© de ces migrants se rĂ©partit entre des migrants venus rejoindre un membre de leur famille qui est de nationalitĂ© française, et des migrants venus rejoindre un Ă©tranger vivant en France (le regroupement familial proprement dit).
Les migrations Ă©tudiantes ne devraient pas ĂȘtre comptĂ©es dans les migrations en raison du caractĂšre temporaire du sĂ©jour dans le pays dâaccueil. Mais si la majoritĂ© des Ă©tudiants quitte la France aprĂšs leurs Ă©tudes, environ un tiers sâinstallera.
La migration humanitaire est rĂ©gulĂ©e par la convention dite de GenĂšve. Les migrants humanitaires sont des personnes que la France protĂšge, car elles redoutent Ă raison dâĂȘtre persĂ©cutĂ©es (du fait de motifs raciaux, religieux, politique, âŠ). La France a introduit une protection supplĂ©mentaire, dite subsidiaire. Elle est accordĂ©e Ă une personne qui ne peut bĂ©nĂ©ficier du statut de rĂ©fugiĂ©, mais qui est gravement menacĂ©e (peine de mort, tortures, traitements inhumains, risque vital en raison de guerres, …).
Le demandeur dâasile, un rĂ©fugiĂ© ou un immigrĂ© en devenir
Il faut distinguer le demandeur dâasile du rĂ©fugiĂ© statutaire. LâOffice français de protection des rĂ©fugiĂ©s et apatrides (OFPRA) examine la demande dâasile et rend une dĂ©cision (administrative, lâappel a lieu devant la Cour nationale de la demande dâasile, CNDA). LâOFPRA ou la CNDA doivent instruire la demande au regard du droit national et international, ce qui prend du temps et sâavĂšre souvent dĂ©licat. Par exemple, les conditions Ă©conomiques dĂ©sastreuses de lâErythrĂ©e, combinĂ©es Ă un rĂ©gime dictatorial, justifient le plus souvent lâoctroi dâune protection, bien que ce pays ne soit pas en guerre.
En 2016, un peu plus de 80 000 personnes ont demandĂ© lâasile Ă la France. Cette mĂȘme annĂ©e, un peu moins de 30 000 personnes ont obtenu un titre de sĂ©jour humanitaire. Le demandeur dâasile dĂ©boutĂ© devrait quitter le territoire français. Cette dĂ©cision est difficile Ă mettre en Ćuvre, car les droits fondamentaux (respect des procĂ©dures, droit au recours, examen des conditions de retour dans le pays dâorigine) des dĂ©boutĂ©s ne peuvent ĂȘtre ignorĂ©s. AprĂšs une dizaine dâannĂ©es, nombre dâentre eux finissent par ĂȘtre rĂ©gularisĂ©s au motif familial ou Ă©conomique.
La migration économique est une rareté juridique
En effet, les « migrants Ă©conomiques » dĂ©nombrĂ©s par le ministĂšre de lâintĂ©rieur sont en grande partie des personnes rĂ©gularisĂ©es. Leur parcours est heurtĂ©, alternant des phases de sĂ©jours lĂ©gaux ou irrĂ©guliers. AprĂšs quelques annĂ©es, elles disposent dâun contrat de travail qui leur vaudra leur rĂ©gularisation. Du point de vue de la France, le migrant Ă©conomique est une personne rare (et souvent recherchĂ©e).
Les projets migratoires relÚvent de considérations économiques, culturelles et humanitaires
Essentiellement, les migrants se dĂ©cident en fonction de facteurs attractifs dâun pays dâaccueil, de facteurs rĂ©pulsifs du pays dâorigine, ces Ă©lĂ©ments se combinant avec des « coĂ»ts de transaction ». Un bon niveau de vie, le respect des libertĂ©s fondamentales, sont les principaux facteurs attractifs, ou en miroir, rĂ©pulsifs. Le coĂ»t de transaction inclut le prix de la migration, ou encore le partage dâune langue commune ou la prĂ©sence dâune diaspora. Les analyses font largement ressortir des motivations Ă©conomiques dominantes. Mais les successions dâĂ©pisodes dramatiques (« boat people des annĂ©es 1980 », guerres dans lâex Yougoslavie dans les annĂ©es 1990, instabilitĂ© gĂ©opolitique largement rĂ©pandue en Afrique, guerre civile en Syrie) montrent quâil y a bien des migrations spĂ©cifiques relevant de lâhumanitaire. Actuellement, les donnĂ©es de lâagence de lâONU en charge des rĂ©fugiĂ©s (UNHCR) montrent quâenviron un migrant sur cinq est dâabord motivĂ© par des considĂ©rations humanitaires.
Le projet migratoire combine diffĂ©rentes motivations, les contraintes Ă©conomiques sâavĂšrent dĂ©terminantes
Le projet migratoire rĂ©sulte souvent dâune intrication de considĂ©rations Ă©conomiques et politiques. De plus, les projets migratoires sont largement plus familiaux voire collectifs quâindividuels. Une fois arrivĂ©s dans un pays dâaccueil, lâessentiel est dâassurer le quotidien, donc la prĂ©occupation est surtout Ă©conomique. Les migrants gardent souvent des liens familiaux et Ă©conomiques avec leurs proches restĂ©s au pays dâorigine. Le plus souvent, les conflits ayant engendrĂ© des flux de rĂ©fugiĂ©s ont durĂ© assez longtemps pour que ces personnes sâintĂšgrent Ă©conomiquement et socialement, fondent des familles, et nâenvisagent pas de retour au pays dâorigine mĂȘme aprĂšs la fin des causes de lâexil.
Les rĂ©fugiĂ©s sont moins familiers de la langue française, mais sâintĂšgrent comme les autres migrants
Les rĂ©fugiĂ©s ont quelques caractĂ©ristiques individuelles qui les distinguent des autres migrants. Celles-ci expliquent bien une diffĂ©rence de rythme dâintĂ©gration. A moyen ou long terme, les rĂ©fugiĂ©s et autres migrants sâintĂšgrent de façon trĂšs similaire. Les autres migrants bĂ©nĂ©ficient dâun capital humain plus Ă©levĂ©, parce quâils ont frĂ©quemment une connaissance de la langue française, au moins Ă©lĂ©mentaire. Les rĂ©fugiĂ©s, davantage contraints par le contexte politique de leur pays dâorigine, nâont pas forcĂ©ment « choisi » leur pays dâaccueil et en maĂźtrisent moins frĂ©quemment la langue. DeuxiĂšme Ă©lĂ©ment important, le sas temporel entre lâarrivĂ©e en France et lâobtention du statut, de lâordre de trois ans en moyenne. Entre temps, le demandeur dâasile nâaccĂšde pas tout de suite au marchĂ© du travail et il est souvent logĂ© en hĂ©bergement collectif provisoire. Ce temps de latence retarde le dĂ©but du processus dâintĂ©gration. Cependant, au bout dâune dizaine dâannĂ©es, aucun effet spĂ©cifique « rĂ©fugié » ne se dĂ©cĂšle dans les comportements gĂ©nĂ©raux sur le marchĂ© du travail. Cependant, si le taux dâactivitĂ© (part des personnes en emploi ou au chĂŽmage) des immigrĂ©s est Ă©levĂ©, le taux de chĂŽmage est nettement supĂ©rieur Ă celui des non immigrĂ©s. Cela sâexplique trĂšs largement par des qualifications en moyenne infĂ©rieures.
La migration nâa que peu dâeffets macro-Ă©conomiques, mĂȘme en cas de choc
Lâanalyse Ă©conomique sâest attachĂ©e Ă observer et modĂ©liser les effets de la migration sur le marchĂ© du travail. Plus rĂ©cemment, des analyses portaient sur lâimpact des migrations sur le « systĂšme socialo-fiscal ». Il sâagit notamment de voir si les migrations reprĂ©sentent une solution au problĂšme du vieillissement des populations dans les pays trĂšs dĂ©veloppĂ©s. Les migrations ont des effets de court terme, dâampleur modĂ©rĂ©e. A moyen ou long terme, ces effets sont faibles voire non mesurables. Sur le marchĂ© du travail, les immigrĂ©s sont plus complĂ©mentaires que substituables. Ils nâont pour la plupart « rien coĂ»té » en formation, ce qui compense Ă peu prĂšs exactement un recours plus grand aux prestations sociales, en lien avec leurs difficultĂ©s dâintĂ©gration Ă©conomique.
Pour obtenir ces rĂ©sultats, les Ă©conomistes ont beaucoup exploitĂ© de rares « expĂ©riences naturelles ». LâarrivĂ©e massive des rapatriĂ©s français dâAlgĂ©rie en 1962 et lâĂ©pisode des « Marielitos », personnes expulsĂ©s de Cuba vers la Floride en 1980, sont des faits de rĂ©fĂ©rence. Ils se caractĂ©risent par une arrivĂ©e soudaine, massive et assez concentrĂ©e dans une partie du pays dâaccueil, de migrants (sud de la France, rĂ©gion de Miami).
Le choc de 2015, original, est en cours dâĂ©tude
Ces Ă©tudes ne peuvent se transposer facilement au cas actuel en Allemagne. Le choc migratoire est massif, mais il faut tenir compte du fait que si les migrants actuels sont plutĂŽt parmi les personnes disposant dâun meilleur capital humain que leurs compatriotes restĂ©s au pays dâorigine ou sâĂ©tant arrĂȘtĂ©s dans les camps de rĂ©fugiĂ©s proches (Turquie, Liban, Jordanie), celui-ci est sensiblement infĂ©rieur au capital humain moyen des Allemands. Les connaissances actuelles sont encore plus prospectives quâempiriques. Une premiĂšre phase peut se dĂ©crire comme une relance keynĂ©sienne automatique : dĂ©penses surtout publiques pour assurer le premier accueil (logement, cours de langue, âŠ) des nouveaux venus. La suite est moins favorable : tant que les immigrĂ©s ne sont pas suffisamment intĂ©grĂ©s Ă©conomiquement, leur contribution Ă lâĂ©conomie sera plutĂŽt nĂ©gative. A moyen ou long terme, lâapport devrait sâĂ©quilibrer.
Une distinction non Ă©conomique qui ne fera pas lâĂ©conomie dâune politique migratoire assumĂ©e
La distinction faite entre rĂ©fugiĂ©s et migrants Ă©conomiques apparaĂźt clairement plus politique que scientifique. Pour les pouvoirs publics, plusieurs dĂ©fis se prĂ©sentent. Dâabord, la ligne de sĂ©paration entre migrants humanitaires et autres migrants est souvent difficile Ă dĂ©finir et son application concrĂšte prend du temps. La reconduite hors du territoire des personnes nâayant pu obtenir un droit au sĂ©jour doit respecter les droits fondamentaux des personnes. La volontĂ© dĂ©clarĂ©e par les pouvoirs publics : ĂȘtre capable de rapidement distinguer entre les deux catĂ©gories, puis de renvoyer hors de France les demandeurs dâasile dĂ©boutĂ©s, est donc loin dâĂȘtre facile Ă mettre en Ćuvre. Ces objectifs, partagĂ©s par les derniers gouvernements, nâont jamais pu ĂȘtre atteints.
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