Le vote des Britanniques pour la sortie de l’Union européenne le 23 juin a pris tout le monde de court, que ce soient les responsables politiques, les marchés financiers ou les instituts de sondage. Avec 51,9 % des suffrages en faveur du Brexit et 48,1 % pour le maintien dans l’UE (pour une participation forte de 72,2 %), le Royaume-Uni s’est réveillé, au terme d’une campagne délétère dominée par les inquiétudes liées à l’immigration, plus divisé que jamais. L’Angleterre et le Pays de Galles ont choisi de mettre fin à l’union avec le continent datant de 1973, tandis que l’Ecosse, l’Irlande du Nord, Londres et Gibraltar se sont prononcés pour la continuité. Les plus de 65 ans, les plus pauvres et les moins qualifiés ont eu tendance à voter pour la sortie, contrairement aux plus jeunes, aux plus riches et aux plus qualifiés 1.

Le Royaume-Uni est donc de moins en moins uni. Le risque sécessionniste écossais est limité dans les prochaines années puisqu’un référendum ne peut avoir lieu sans l’aval de Westminster. En outre, les indépendantistes sont actuellement affaiblis et les prochaines élections législatives ne sont qu’en 2021. Cela dit, l’Ecosse pro-européenne va constituer un terrain de discorde politique dans les années à venir, alimentant sans doute des désirs d’autonomie plus importante de la région.

En Irlande du Nord, seule région du Royaume-Uni partageant une frontière avec l’UE, Martin McGuinness, le président du parti nationaliste Sinn Fein, compte bien profiter du Brexit pour pousser à l’organisation d’un référendum sur l’unification de l’Irlande. Une perspective envisagée, pour la première fois, par le Premier ministre irlandais Enda Kenny. Nous touchons là un processus qui ne peut pas s’opérer rapidement. Mais la sortie du Royaume-Uni de l’UE pourrait être interprétée plus tard comme un accélérateur du rapprochement des deux Irlandes, un scénario qui devient désormais plus probable à très long terme.

Le Brexit est donc avant tout une crise interne identitaire et politique. Le Labour, parti de gauche, est dévasté car il n’a pas su faire montre de leadership dans le camp du Remain. Même au sein du parti conservateur, les pro-Brexit comme Boris Johnson n’avaient aucun plan pour sortir de l’UE. Il s’agissait avant tout d’un coup politique contre le clan Cameron leur permettant de s’attirer la sympathie des souverainistes de leur parti et celle du peuple pour les prochaines élections générales. L’idéal pour eux aurait été de perdre d’une faible marge.

D’un point de vue économique, la réaction des marchés financiers a été, dans un premier temps, brutale. Dans les semaines qui ont suivi le référendum, la Banque d’Angleterre a toutefois fait plusieurs annonces rassurantes, limitant le risque d’effondrement de l’offre de crédit des banques, et assoupli les conditions financières. Ainsi, malgré une livre sterling dépréciée, les conditions de marché se sont peu à peu stabilisées, les investisseurs réalisant qu’ils avaient plus affaire à un choc d’incertitude qu’à une crise systémique.

Il ne faut pas tomber dans une vision exagérément catastrophique de la situation, notamment en raison de la bonne tenue des conditions financières. Une légère récession est tout de même très probable au cours des prochains trimestres. La croissance du Royaume-Uni s’établirait désormais à 1,6 % en 2016 et à 0,3 % en 2017, soit une réduction cumulée de 1,3 point de pourcentage. Lorsque les difficultés économiques se feront sentir, avec notamment une hausse du chômage, elles nourriront encore davantage les divisions politiques.

Quant au modèle de croissance britannique fondée sur l’immigration et l’attrait pour les investissements étrangers, il en est fondamentalement remis en cause. Rien qu’une limitation de l’immigration pourrait abaisser la croissance britannique de 0,3 point de PIB par an. La perte probable du passeport européen pour le secteur financier et un accord de libre-échange de type Canada seraient également négatifs sur l’investissement. Or, le pays connaît des déficits jumeaux, c’est-à-dire un déficit public et un déficit de balance courante qui rendent la croissance très dépendante des investissements étrangers. Dans ce contexte, un ajustement de la balance courante est probable, principalement en raison d’une déprime des importations, mais aussi d’une revalorisation des revenus tirés des avoirs extérieurs grâce à la dépréciation de la livre sterling. Pour ce qui est des finances publiques, les mesures contra-cycliques vont sans doute propulser la dette publique à 100 % du PIB en 2020, contre 75 % prévue par l’OBR (Office for Budget Responsibility) au printemps. Tout cela est sans compter les mesures de baisse de la fiscalité des entreprises au cas où le Royaume-Uni s’engagerait dans une compétition fiscale.

Finalement, Theresa May, nommée Première ministre à la place de David Cameron, se retrouve à la tête d’un pays en pleine recomposition politique, baignant dans l’incertitude économique et sans plan préétabli pour l’après-Brexit. Il est quasi-impossible aujourd’hui d’inverser le cours de l’histoire. Même un cabinet d’avocat comme Mishcon de Reya, qui a entamé une action collective contre le Brexit, n’a aucune illusion sur le sujet : il peut éventuellement ralentir le processus mais la décision de sortir de l’UE paraît irrévocable.

Il semble désormais probable que l’article 50 soit activé en début d’année prochaine. Une fois que le Royaume-Uni aura notifié son intention de sortir de l’UE au Conseil européen, les deux parties négocieront un accord de retrait. C’est sans doute la partie la plus facile puisqu’elle concernera les conditions de sortie (retour des fonctionnaires britanniques de la Commission européenne, discussion autour des financements de la Banque européenne d’investissement au Royaume-Uni, etc.). Celui-ci doit être approuvé à la majorité qualifiée renforcée au niveau européen.

Le sujet le plus difficile et le plus important de la négociation à venir avec l’Union européenne portera sur le cadre des futures relations avec l’UE une fois le Royaume-Uni sorti. Il paraît impossible de négocier un large accord commercial et de le ratifier à l’unanimité dans tous les pays européens dans les deux années qui suivront l’activation de l’article 50. La solution qui tient la corde aujourd’hui est donc de prendre le statut de la Norvège (rester dans les faits dans l’Espace économique européen mais sans influence politique) avant de négocier un autre statut dans les 5 à 10 prochaines années.

Il s’agira donc d’un long chemin de croix. Il amplifie le spectre des scénarios politiques et économiques pour le Royaume-Uni. Beaucoup se sont posé la question, suite à la crise souveraine des dernières années, de ce à quoi la zone euro ressemblera dans quelques années. Avec la sortie du Royaume-Uni de l’UE, l’incertitude s’est propagée à l’Europe dans son entièreté… Une Europe soumise au déclassement de la classe moyenne, à l’augmentation de l’incertitude économique, aux flux migratoires conséquents, et donc à la montée du populisme.

Pierre-Olivier Beffy

1 Darvas, Z., 13 juillet 2016, “Brexit vote boosts case for inclusive growth”, Bruegel Blog

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