La crise sanitaire a remis au premier plan la question de la pauvreté des jeunes adultes (les 18-24 ans), qu’ils soient étudiants, en emploi précaire, à la recherche d’un premier emploi, s’ils ne bénéficient pas de l’aide de leur famille. Jusqu’à présent, un jeune adulte (de moins de 25 ans) n’a pas droit individuel au RSA (sauf dans des cas très particulier), cela étant justifié par deux arguments : l’obligation alimentaire stipule que les parents doivent subvenir aux besoins de leurs enfants mineurs ou poursuivant des études ; les gouvernements successifs refusent que des jeunes « s’installent dans l’assistanat ».

Les périodes de la vie ont reculé. L’âge médian du premier emploi est maintenant de 23 ans, du premier emploi stable de 28 ans, de sorte que s’est ouverte une période de 18 ans (l’âge du bac) à 23 ans, où le jeune adulte passe du soutien total de sa famille à l’autonomie financière. Cette période est aujourd’hui rendue plus difficile par la précarisation de l’emploi et la difficulté à trouver un emploi, mais la problématique subsisterait quelle que soit la conjoncture : il n’est pas acceptable de laisser un jeune sans ressources, mais qui doit fournir ces ressources entre la famille et la société ?

Il faut choisir entre deux points de vue. Selon le point de vue familialiste, le jeune adulte reste à la charge de sa famille, sauf s’il appartient à une famille pauvre. Toute aide doit donc être attribuée sous condition de ressources de la famille. Selon le point de vue autonomiste, le jeune adulte doit être autonome, donc être socialement pris en charge, mais cette solution est coûteuse et les jeunes des familles les plus riches pourront toujours cumuler la prestation sociale et l’aide de la famille.

En 2019, selon Eurostat, le taux de pauvreté des 18-24 ans est de 21,7 % (contre 13,6 % pour l’ensemble de la population). Cet écart est général : en Suède, le taux de pauvreté des jeunes est de 30,0 % (contre 17,1 %), au Danemark de 36,7 % (contre 12,3 %). Les conventions statistiques font que plus les jeunes quittent tôt le domicile familial, plus le taux de pauvreté mesuré est fort puisqu’un jeune est considéré partager les ressources de sa famille tant qu’il reste dans le domicile familial et que les aides de sa famille, quand il n’y réside plus, sont mal mesurées.

On obtient des résultats très différents si on regarde le taux de privation matériel[1]. Toujours selon Eurostat, il est en France de 10,5 % pour les 20-24 ans contre 13,1 % pour l’ensemble de la population ; au Danemark de 10 % (contre 7,1 %) ; en Suède de 6,7 % (contre 4 %).  Il apparaît que toutes les familles aident leurs jeunes adultes dans la mesure de leurs moyens, de sorte que les inégalités sont entre jeunes plutôt qu’entre générations.

Selon Eurostat, en 2019 en France, les 20-24 ans étaient pour 51 % en emploi, 11 % en chômage, 30 % en formation, 8 % ni en activité, ni en formation (mais sont comptés en emploi, les emplois précaires et les étudiants qui travaillent).

En 2021, le seuil de pauvreté (60 % du revenu médian) devrait être de 1 084 euros, tandis que le RSA est à 565 euros. Le RSA ne sort pas de la pauvreté. Cela pose problème pour définir un niveau adéquat de prestations pour les jeunes.

Les aides actuelles

L’obligation alimentaire oblige les parents à subvenir aux besoins d’un jeune, mineur ou étudiant, cela dans la mesure de leurs moyens ; en cas de conflit familial, cette aide peut être réclamée par voie de justice. Les allocations familiales prennent fin à 20 ans. Le jeune peut être rattaché fiscalement à sa famille jusqu’à 21 ans (25 ans s’il poursuit des études), mais le gain fiscal est limité à 1 570 euros par an (pour une famille d’un ou deux enfants, le double à partir du troisième). Le ménage peut déclarer fiscalement une aide de 6 000 euros par an à son jeune adulte (des pièces justificatives peuvent être demandées). Un jeune (de 18 à 23/25 ans) peut être dans six situations.

  • Le jeune travaille et dispose d’un logement autonome. Il a droit à la prime d’activité et aux allocations logement.
  • Le jeune travaille et vit chez ses parents. Il peut choisir entre demander la prime d’activité à son nom ou, le cas échéant, s’imputer sur le RSA/prime d’activité de sa famille.
  • Le jeune est chômeur, sans ressource et vit chez ses parents. Il n’a droit à aucune allocation spécifique et est donc en quasi-totalité à la charge de sa famille. Si sa famille touche le RSA, le supplément de RSA est de 226 euros par mois. Si elle est imposable, elle peut déclarer fiscalement une aide de 3 600 euros par an, soit une réduction d’impôt de 90 euros par mois (pour la tranche marginale à 30 %). Entre les ménages précaires et les ménages imposables, l’aide est nulle.
  • Le jeune est chômeur, sans ressource, et dispose d’un logement autonome. Il n’a droit à aucune allocation spécifique, sauf cas particulier (pour le RSA, avoir déjà travaillé deux ans ou être parent). Il a droit à l’allocation logement qui peut atteindre 310 euros par mois. Les parents peuvent avoir une réduction d’impôt de 150 euros par mois pour la tranche de 30 %.

Une jeune en situation de précarité, sans aide de ses parents, peut signer un contrat d’insertion, avec une mission locale du ministère de l’emploi qui lui fournit un revenu de 500 euros par mois, pour une durée maximale de 18 mois. Le nombre de bénéficiaires est limité actuellement à 200 000.

  • Le jeune est étudiant et vit dans sa famille. Il peut être imposé avec sa famille jusqu’à 25 ans. Si sa famille touche le RSA, le supplément de RSA est de 226 euros par mois. Si elle est imposable, elle peut déclarer fiscalement une aide de 3 600 euros par an, soit une réduction d’impôt de 90 euros par mois pour la tranche à 30 %, de 123 euros pour la tranche à 41 %. Il peut recevoir une bourse d’études selon le revenu des parents ; cette bourse peut atteindre 568 euros par mois versé pendant 10 mois par année scolaire. Mais, seulement 36,8£% des étudiants sont boursiers et 2,5% touchent ces 568 euros. Là aussi, l’aide est nulle ou faible pour les ménages intermédiaires.
  • Le jeune est étudiant et dispose d’un logement autonome. Il peut être rattaché fiscalement à sa famille jusqu’à 25 ans (comme personne à charge, gain d’impôt maximal, 131 ou 261 euros par mois) ou déclaré comme recevant une pension de 500 euros par mois, soit une réduction d’impôt de 150 euros par mois. Il peut recevoir une bourse d’études selon le revenu des parents, qui peut atteindre 568 euros par mois sur 10 mois. Il a droit à l’allocation logement, qui peut atteindre 210 euros par mois. Le cumul Allocation logement/rattachement fiscal est possible. L’aide est nulle ou faible pour les ménages intermédiaires.

Que le jeune soit chômeur ou étudiant, l’aide ne couvre pas les besoins ; l’avantage fiscal est loin de couvrir pas à la charge réelle du jeune adulte. Un système plus satisfaisant sera obligatoirement plus coûteux.

Que proposer ?

Toute réforme nous semble devoir intégrer cinq éléments contradictoires : (i) Il ne faut pas trop avantager les étudiants (souvent issus de familles plus aisées) par rapport à aux jeunes qui travaillent déjà; (ii) Il est délicat d’aider les enfants de familles riches qui bénéficient déjà des aides de leur famille; (iii) par contre, les organisations d’étudiants veulent des allocations aux jeunes et pas à leurs familles, des allocations ne dépendant pas du revenu des parents; (iv) il faut aider les jeunes chômeurs en oubliant l’argument que cela les incite à rester dans l’oisiveté, au contraire cela les sécurise dans leur recherche d’emploi[2]; (v) il est normal que les jeunes adultes soient relativement instables dans leur vie professionnelle ou sentimentale.

Plusieurs projets sont sur la table, avec de nombreuses variantes. Nous en donnons ici une interprétation personnelle.

L’allocation d’autonomie serait versée pendant 5 ans à tous les jeunes entre 18 et 25 ans. Elle serait d’un montant du RSA, 565 euros par mois, soit 33 900 euros sur 5 ans, soit d’un coût brut de l’ordre de 27 milliards. Pour la financer, il faudrait, par exemple, augmenter la CSG de 1,7 point ou multiplier les droits de succession par 1,8. Cette allocation éviterait de distinguer entre les jeunes. En contrepartie, seraient supprimés les avantages fiscaux et sociaux (sauf l’allocation logement), mais cela ne permettrait pas de financer la mesure (le quotient familial rapporte au mieux généralement 131 euros par mois, l’avantage fiscal 150 euros par mois, le RSA 226 euros par mois). Les jeunes chômeurs utiliseraient la prestation pour vivre ; les étudiants pour étudier ; ceux qui travaillent déjà pourraient la capitaliser pour financer une formation.

Il ne serait pas acceptable de ne verser l’allocation d’autonomie qu’aux étudiants car ils sont, en moyenne, de familles plus riches que les chômeurs ou les jeunes qui travaillent.

Notons que ces 565 euros par mois, malgré leur coût global, ne sortiraient pas les jeunes de la pauvreté au sens statistique. Les familles riches pourront compléter. On n’échappe pas à la question : faut-il aider plus les jeunes issus de familles à faibles ressources ?

Le point délicat est de convaincre les contribuables que la hausse de l’imposition est compensée sur le plan individuel par le fait de ne plus avoir à charge leurs enfants dès 18 ans, et sur le plan global d’avoir heureusement complété notre système social, de façon à éviter le sentiment d’injustice de certaines générations, en particulier après la crise sanitaire.

L’allocation d’entrée dans la vie active : la mesure est identique, mais elle serait réservée aux jeunes dont la famille est en dessous d’un certain niveau de revenu (par exemple : dont la famille est non-imposable). Les familles plus riches seraient censées pouvoir verser ces 565 euros ; elles auraient toujours droit à l’avantage fiscal. Le principe de l’obligation alimentaire serait renforcé pour les plus riches (un jeune pourrait plus facilement la réclamer par l’intermédiaire de la CAF, par exemple). Cela diviserait le coût de la prestation par deux ou permettrait de verser une prestation plus importante (840 euros, ce qui sortirait les jeunes de la pauvreté, compte tenu des allocations logement). Toutefois, reste la question des effets de seuil, du passage en biseau entre ceux qui n’ont pas droit et ceux qui ont droit à l’allocation.

Le crédit d’autonomie serait une allocation identique (565 euros par mois pendant 5 ans), mais elle serait remboursable par le jeune adulte dès qu’il aurait atteint un certain niveau de revenu, par exemple 282,5 euros par mois pendant 10 ans dès que le salarié atteint le revenu médian (de l’ordre de 1 780 euros). Cette proposition nous semble malvenue. Elle frapperait des jeunes adultes au moment où ils ont besoin de ressources pour s’installer, élever des enfants, acquérir un logement. Pendant une longue période de temps, leurs hausses de revenus seraient absorbées par la hausse des remboursements à effectuer. Il nous semble préférable que l’allocation aux jeunes soit financée par des impôts progressifs comme l’impôt sur le revenu ou les droits de successions.

L’extension du RSA : Les jeunes non étudiants qui disposent d’un logement autonome auraient droit au RSA, sans tenir compte du revenu de leurs parents, mais en tenant compte de l’aide de leur famille. L’avantage est clair : ce serait la voiture-balai de tous les dispositifs, en particulier des dispositifs d’insertion. Chaque jeune est assuré d’avoir un revenu minimum garanti, quels que soient les aléas de sa vie professionnelle. Cependant, il est difficile de mesurer l’aide des parents. Ceux-ci auraient intérêt à ne pas aider leurs enfants si l’aide vient en soustraction du RSA. Soit une famille qui verse 650 euros par mois à sa fille ; elle n’a pas droit au RSA ; si la famille ne verse que 300, la jeune femme a droit à 250 euros de RSA ; si la famille ne verse rien, elle a droit à 550 euros. La tentation est donc de déclarer ne rien verser, mais de continuer à verser 100 euros. Si l’aide des parents n’est pas prise en compte, le RSA sera versé à tous les jeunes non étudiants non en activité, mais le principe de l’obligation alimentaire devrait être oublié (ce qui pose problème pour les autres allocations). Les dispositifs d’insertion pour les jeunes ne seraient pas différents de ceux des autres titulaires du RSA, ce qui ne correspondrait pas à leur situation. L’instabilité des cohabitations poserait problème.

Les étudiants n’auraient pas droit à l’allocation : il parait difficile de leur verser le RSA (qui n’est pas fait pour cela) ; cela encombrerait les services sociaux, poserait la même question (en pire) de la prise en compte de l’aide parentale.

Une allocation d’insertion : Elle serait destinée aux jeunes à la recherche d’un emploi (et de façon générale aux personnes reprenant un emploi sans droit aux prestations chômage). Ce serait une prestation individuelle, ne tenant pas compte du revenu des parents, ni de la situation familiale, soumise à cotisation retraite, versée par l’Unédic (qui serait remboursée par l’État), accompagnée d’offres de formations et de stages ; ceux-ci ne seraient pas une condition à l’allocation, mais le refus persistant pourrait être un motif de suspension (avec des possibilités de recours). L’allocation serait toujours de 560 euros dans un premier temps, donc équivalente au RSA. Ainsi, l’individualisation éviterait les questions d’aide des parents et d’instabilité des cohabitations. Le lien avec l’Unedic et donc Pôle emploi s’accompagnerait de dispositifs spécifiques d’insertion.

Augmenter les bourses des étudiants. On accepterait que les jeunes de familles aisées restent à la charge de leurs parents pour ne pas donner un avantage exorbitant aux étudiants par rapport aux jeunes actifs. L’aide serait concentrée sur les étudiants issus de familles pauvres et moyennes en augmentant massivement les plafonds de ressources et le niveau des bourses (565 euros par mois + 200 euros d’allocation logement pour la masse des étudiants).  Les familles aisées seraient censées débourser ces 564 euros (en bénéficiant du quotient familial) ; en cas de problème, l’étudiant pourrait réclamer cette aide à ses parents par la CAF.

Pour conclure. Aucune solution n’est parfaite. Deux solutions me semblent acceptables : soit l’allocation d’autonomie (qui est coûteuse), soit la combinaison allocation d’insertion pour les jeunes à la recherche d’emploi plus augmentation des bourses pour les étudiants.

* Voir aussi la note du HCF « Les termes des débats sur les aides publiques aux jeunes majeurs », qui est malheureusement timorée, en raison de la contrainte acceptée de ne pas augmenter les dépenses sociales.

Mots-clés : RSA jeunes – situation des étudiants


[1] Indicateur statistique mesurant le pourcentage de personnes dans l’incapacité de se procurer certains biens et services, socialement jugés nécessaires.

[2] Voir l’article d’Esther Duflo ou l’étude de  d’Olivier Bargain et  Augustin Vicard : « Le RMI et son successeur le RSA découragent‑ils certains jeunes de travailler ? Une analyse sur les jeunes autour de 25 ans »,

Henri Sterdyniak