L’Insee propose (lien 1) une analyse « descriptive » de la surmortalité observée en mars-avril 2020 par comparaison avec la période mars-avril 2019, en mettant l’accent sur un excès de surmortalité pour les personnes nées à l’étranger. Il ne s’agit pas de déterminer des causalités ni même de proposer un ou plusieurs modèles « explicatifs ». Les données, les statistiques d’état civil en premier lieu, recensement de population pour la contextualisation, ne le permettent pas. Néanmoins, certaines corrélations observées relient bien l’excès de surmortalité à des facteurs sociodémographiques : conditions d’habitat et de travail, en résumé.

Une surmortalité est observée en mars-avril 2020 par comparaison avec la période mars-avril 2019, soit 26 200 décès en excès, ce qui correspond à une hausse de 22 %. L’étude ne peut et ne prétend pas dénombrer les décès dus à la Covid 19, les causes précises de décès n’étant pas exhaustivement encore connues. Pour mémoire, les données de 2018 sont disponibles pour la même période et la mortalité avait été plus forte qu’en 2019.

L’angle d’analyse consiste à distinguer les décès suivant que la personne est née à l’étranger ou non. Il y a un fort excès de surmortalité : 19 420 personnes nées à l’étranger sont décédées en mars-avril 2020, ce qui représente un excès (relatif à 2019) de 6 300, soit une hausse de 48 % (à comparer aux 22 % relevés pour les personnes nées en France). L’analyse distingue les personnes par grandes zones de naissance, notamment, le Maghreb, l’Afrique hors Maghreb, et l’Asie.

L’Insee ne répond donc pas à une demande de statistiques « ethniques », telle que la portent par exemple deux chercheurs de l’Ined (lien 2). Ceux-ci, sur la base d’analyses de mortalité constatée en Seine-Saint-Denis, posent la question de « l ’exposition [à la Covid 19] des personnes racialisées comme non-blanches en France », déclarent faire « le point sur l’état actuel des connaissances » et plaide[nt] pour une mise à disposition de données plus complètes, qui permettraient de saisir avec davantage de finesse les effets des discriminations ethno-raciales sur l’exposition au virus en France ». Deux hypothèses fortes sont donc exprimées. D’abord la pertinence de grilles « ethno-raciales », qui renvoie au débat sur les statistiques ethniques (voir par exemple, l’interview d’H. Le Bras, https://variances.eu/?p=3325). Ensuite, un schéma explicatif a priori posant comme cause d’inégalités de situation constatées des discriminations. Mises ensembles, cela signifierait que « le racisme explique les inégalités » (parmi d’autres facteurs, notamment sociaux). Fort sagement, l’Insee en reste aux statistiques par pays de naissance et se garde d’attribuer des causes hypothétiques à des inégalités de situation.

La surmortalité des personnes nées à l’étranger (+ 48 %) est donc beaucoup plus forte que celle des personnes nées en France (+ 22 %). Elle atteint + 114 % pour les natifs d’Afrique hors Maghreb, + 91 % pour ceux d’Asie et + 54 % pour ceux du Maghreb.

L’Insee examine des facteurs potentiellement liés : la région de résidence (Île de France et Grand-Est), la densité de la commune de résidence, les conditions de logement et de transports, les professions (notion de « travailleurs clés »), enfin l’âge et le sexe.

En effet, si diverses études internationales montrent que les personnes nées à l’étranger ont probablement été davantage touchées par la Covid 19, le facteur d’origine est une « explication » peu probable. Du moins,   elle ne serait pas cohérente avec les taux de létalité observés en Europe et aux Amériques, bien plus élevés que ceux constatés en Afrique. Il n’y a aucun moyen, avec les données utilisées, d’établir des causalités avec des facteurs « ethniques » (que l’on observe pour certaines maladies, la drépanocytose étant un exemple connu) ou de santé (comorbidités) voire de comportement de recours aux soins. Il ne semble pas qu’une étude englobant tous ces facteurs ait déjà été publiée.

En revanche, l’Insee aurait pu creuser la corrélation entre âge et surmortalité. L’âge apparaît, et de loin, comme le facteur discriminant le plus fort dans la mortalité due à la Covid 19 (voir https://dc-covid.site.ined.fr/ ). Pour autant, les différences par sexe alertent sur une mesure d’âge qui pourrait être (aussi cruel que ce soit) plutôt « le reste à vivre » que l’âge lui-même. Ce « reste-à vivre » pourrait être défini comme la différence entre l’âge réel et l’espérance de vie (il peut donc être négatif !), avec l’avantage que l’espérance de vie peut être affinée par sexe, voire catégorie sociale, comme sait le faire l’Insee. Techniquement, cette notion reste à construire…

Les personnes nées à l’étranger sont bien surreprésentées dans les régions où la Covid 19 a plus particulièrement sévi, l’Île de France en premier lieu. C’est aussi le cas dans les communes densément peuplées (voir aussi : lien 3). Les personnes nées à l’étranger, notamment en Afrique, vivent plus souvent dans des logements exigus et utilisent davantage les transports en commun que les personnes nées France. L’Insee résume encore une étude établissant une corrélation entre surmortalité et profession. Les immigrés sont surreprésentés dans des professions où l’on est en contact avec des malades ou du public, pour des activités maintenues pendant la crise sanitaire et jugées essentielles (voir aussi « travailleurs clés », lien 4 où la notion de travailleur clé est définie). Plus précisément, ces travailleurs clés, qui sont souvent des travailleuses, sont répartis en deux catégories, d’abord les personnes directement exposées à des malades, soit exerçant un métier hospitalier, médecins, infirmières, …, ensuite différents métiers (commerce alimentaire, nettoyage, livreurs, …) où les contacts sont fréquents. Sont donc incluses les caissières, par exemple. Autre profession fortement féminisée dont les activités se sont maintenues durant le confinement, mais non prises en compte, les personnes exerçant au service d’autres personnes, notamment âgées.

Un faisceau d’indices apparaît finalement quant à une exposition accrue à la maladie du fait de possibilités réduites de distanciation.

Restent les analyses par âge

La structure par âge des personnes nées à l’étranger, particulièrement en Afrique, aurait dû jouer favorablement sur la mortalité. La Covid 19 a été fatale, pour l’essentiel, à des personnes âgées voire très âgées. Pour les moins de 65 ans, l’excès de mortalité est faible : + 1 130 décès, soit + 3 %. Pour les personnes nées à l’étranger et de moins de 65 ans, l’excès, 750 décès, représente une hausse de + 35 %. Quelle que soit la zone de naissance, l’excès de mortalité est toujours plus important pour les hommes que pour les femmes.

Références :

1 : L’article résumé : Sylvain Papon, Isabelle Robert-Bobée , « Une hausse des décès deux fois plus forte pour les personnes nées à l’étranger que pour celles nées en France en mars-avril 2020 », collection de l’Insee « Insee Focus », numéro 198 du 07/07/2020 ; URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4627049

2 : Solène Brun et Patrick Simon, « L’invisibilité des minorités dans les chiffres du Coronavirus : le détour par la Seine-Saint-Denis », in : Solène Brun et Patrick Simon (dir.), Dossier « Inégalités ethno-raciales et pandémie de coronavirus », De facto [En ligne], 19 | Mai 2020, mis en ligne le 15 mai 2020. URL : http://icmigrations.fr/2020/05/15/defacto-019-05/

3 : Noël Gascard, Bertrand Kauffmann, Aline Labosse , « 26 % de décès supplémentaires entre début mars et mi-avril 2020 : les communes denses sont les plus touchées », collection de l’Insee « Insee Focus », numéro 191 du 11/05/2020 ; URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4488433

4 : Catherine Mangeney, Nathalie Bouscaren, Maylis Telle-Lamberton, Adrien Saunal, Valérie Féron, « La surmortalité durant l’épidémie de Covid-19 dans les départements franciliens », co-publication de ll’Institut Paris-région et de l’ORS d’Ile de France, 07/05/2020 ; URL : https://www.ors-idf.org/nos-travaux/publications/la-surmortalite-durant-lepidemie-de-covid-19-dans-les-departements-franciliens.html