Le pays de Louis Pasteur et de l’excellence en médecine offre un triste bilan en terme de succès de mise sur le marché de médicaments nouveaux. Pourtant la France compte près de 1400 medtechs et plus de 800 biotechs dont moins de 40 sont cotées sur Euronext et 10 en double cotation sur le Nasdaq.
Diversité des parcours boursiers
Sans se comparer aux Etats-Unis, berceau des biotechs et de Genentech racheté par Roche en 2009 pour 43 milliards de dollars, fin 2024 aucune biotech française ne dépasse 500 millions d’euros de valorisation boursière en cette fin 2024.
Pourtant la première biotech française Transgène fut créée en 1979 par deux biologistes et Robert Lattès alors directeur de la prospective technologique de la banque Paribas au retour d’un voyage en Californie dont je salue la mémoire et qui fut mon parrain de promotion.
Aujourd’hui filiale à 60% de l’institut Mérieux et massivement soutenu et financé par cette dernière, la société est valorisée moins de 100 M€.
Valneva, entreprise de vaccins franco-autrichienne, a vu son cours passer de 2,50€ à 30 € après l’approbation d’un vaccin contre le Covid 19 avant de retomber à moins de 2€ reflétant ainsi ses trois appels au marché et la vente par son actionnaire principal français (le groupe familial Grimaud) de plus de la moitié de sa participation. La valorisation boursière de Valneva , d’un pic à 3 Mds€ est retombé à 300 M€, malgré l’approbation récente d’un vaccin très efficace contre le chikungunya par la FDA, la Federal Drug Administration. Autre exemple, DBV technologies a perdu 98 % de sa valeur en dix ans et pèse 60 M€ aujourd’hui alors qu’elle a valu près de 1,2 Md€ grâce à ses projets de patch contre les allergies notamment à l’arachide.
En Europe, nombreuses sont les biotechs qui capitalisent 10-30 Mds€, des valorisations qui reflètent leurs succès scientifiques et commerciaux. Quelques exemples : les Belges avec Argenx, UCB Pharma (respectivement 30 et 35 Mds€), les Danois avec Zealand Pharma (10 Mds $) dont le cours de bourse a été multiplié par 4 en un an … Plus symbolique, une biotech espagnole, Pharma Mar dont les molécules proviennent de la mer et qui capitalise 1,4 Md€, ce qui en ferait de loin un champion en France.
Sur les 25 dernières années neuf biotechs françaises ont été rachetées pour en tout moins de 500 M€ : une misère si on exclut le rachat tout récent par Astra-Zeneca de la société non cotée Amolyt Pharma pour 1 Md€. Mais cette dernière avait été soutenue par des VC (Venture Capitalist) spécialisés comme Sofinnova qui visiblement sélectionnent mieux leurs dossiers ou leur apportent une meilleure gouvernance managériale.
Atouts et obstacles
Alors comment expliquer qu’aussi peu de biotechs ou de medtechs arrivent à mettre sur le marché le produit de leur recherche ou que très peu se fassent racheter par des grandes entreprises pharmaceutiques (big pharmas) à la recherche de molécules prometteuses ?
Rappelons tout d’abord les forces et les atouts de ce secteur économique qui représente 60 000 emplois en France en comptant les entreprises du numérique de la santé (source association France Biotech).
- Un système éducatif et une infrastructure de santé de grande qualité avec des organismes comme l’INSERM, l’institut Pasteur, le CNRS ou les CHU comme Gustave Roussy.
- Des chercheurs entrepreneurs qui n’hésitent pas à quitter leur labo et à lancer leur start-up en partenariat avec leur ancien laboratoire après avoir breveté leurs découvertes.
- Des financements de la puissance publique en croissance significative via notamment la Banque Publique d’Investissement (BPI) qui a injecté 1,2 Md€ en 2023 et grâce au crédit d’impôt-recherche, outil indispensable pour financer la recherche et les différentes phases de développement d’un médicament sur l’
Mais le secteur reste pénalisé par
- L’absence de financement par des partenaires privés capables de remettre au pot pour des projets qui durent plus de 10 ans. La phase 3 qui teste le médicament en devenir sur une population importante, une cohorte dans le jargon, est particulièrement dispendieuse. La plupart du temps, les appels au marché se font à des cours avec décote et dilution pour les actionnaires historiques car les candidats à la remise au pot sont peu nombreux, qu’ils soient institutionnels ou personnes privées. La forte baisse de l’indice biotech français, calculé par Biotech Trade et son fondateur Sacha Pouget est une parfaite illustration: en 2021, 2022, 2023 cet indice a baissé respectivement de 10%, 45%, 26%, et d’environ 30% en 2024. Une telle déroute ne peut que faire fuir le gérant le plus téméraire dont la performance annuelle est scrutée par les investisseurs. En France ces derniers sont des kamikazes. Que reste t- il des 10 Mds€ investis depuis 2015 en bourse dans les biotechs françaises cotées ?
- Les entrepreneurs-chercheurs manquent souvent d’expérience et de moyens financiers pour faire venir des professionnels dont les salaires à l’étranger sont beaucoup plus élevé
- De plus, les fonctions réglementaires, le contrôle-qualité du processus de production et le manque de connaissances intimes des organismes internationaux d’agrément comme la FDA aux Etats-Unis provoquent régulièrement des retards massifs dans l’avancement des projets et les conséquences financières sont trop souvent douloureuses.
Des injonctions gouvernementales contradictoires
La réglementation française en matière de santé est fondée sur deux grands principes essentiels : l’accès aux soins pour tous quel que soit son coût et un principe de précaution poussé à l’extrême après les scandales du Mediator du laboratoire Servier et autres médicaments dangereux ou inefficaces.
Après avoir obtenu une « Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), une entreprise peut librement fixer le prix de son médicament. Mais pour qu’il soit remboursable elle doit déposer une demande à la haute autorité de santé (HAS). L’avis rendu par la Commission de la transparence de la HAS est ensuite transmis au Comité économique des produits de santé (CEPS) et à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). La décision finale de remboursement relève de la compétence des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale et est publié au Journal Officiel. En moyenne cela prend 110 jours pour que l’assurance-maladie rembourse après parution au JO, et finalement environ 600 jours entre l’AMM et la commercialisation avec remboursement du médicament. Un record de lenteur en comparaison avec nos grands voisins européens.
Le prix du remboursement est souvent fixé le plus bas possible en raison des contraintes financières de l’assurance maladie et pour respecter le principe d’accessibilité à tous.
De ce fait, les biotechs et medtechs françaises visent en priorité le marché américain où les prix de vente sont souvent 10 fois supérieurs car obéissant à un principe de coût -avantage comparatif avec les médicaments déjà existants. Mais la course à l’eldorado américain demande des moyens humains et financiers hors de portée pour nos fragiles start-ups car les mécanismes de remboursement y sont très complexes et multiples.
Un constat très douloureux
45 ans après la création de la pionnière Transgène, 820 biotechs tentent de se développer avec des succès probants, notamment dans les maladies rares et avec 200 médicaments en cours de développement. Mais que c’est faible comparé à nos partenaires européens! Pas un champion n’a émergé, pas une licorne. D’ailleurs Sanofi dont la gouvernance est très critiquée n’a pratiquement jamais soutenu ces pionnières françaises. Résultat ou reflet de son incompétence managériale, son cours de bourse ne progresse que de 25% en 10 ans.
L’industrie pharmaceutique française est passée en 10 ans de la 3e place dans le monde à la 9e en 2023.
Dans ce secteur à cycle très long et à réussite aléatoire, les défauts culturels français sont rédhibitoires : faible culture du risque, faible compréhension des mécanismes de l’innovation et de l’industrialisation, bureaucratie tentaculaire à tous les stades du processus de développement d’une molécule puis d’un médicament, faibles moyens financiers des acteurs du privé, faible prix des médicaments remboursés…
Un rapport Draghi sur la compétitivité de l’Union européenne qui fait peur
Qui sera capable de favoriser le financement de l’innovation, d’alléger drastiquement les procédures et les contrôles ? Qui sera capable d’assumer le mot dérégulation au moment où le rapport Draghi pointe le décrochage économique de l’Europe vis à vis des Etats-Unis et de la Chine?
Le concept de néo-libéralisme, devenu une insulte en France, est en train de tuer le libéralisme économique qui favorise l’innovation et le progrès technologique. Comment financer l’avenir et nos retraites sans nouveaux champions de l’économie numérique et de santé ?
Nous mesurons très mal en France l’accélération phénoménale du progrès scientifique et technologique. Intelligence artificielle, informatique quantique, fusion nucléaire et autres percées technologique sont en train de voir émerger les grandes entreprises de demain comme le sont déjà Nvidia ou Novo Nordisk.
Dans le monde médical ou les progrès scientifiques sont aussi fulgurants, le rôle des investisseurs privés est essentiel pour assurer l’accompagnement de ces projets risqués jusqu’à l’arrivée de médicaments révolutionnaires capables de rémunérer les « risk takers » et d’en faire des entreprises de taille mondiale.
Déroute, défaite mais pas si étrange finalement.
Mots-clés : Biotech – Medtech – Innovation
- Les biotechs françaises : Une étrange déroute ? - 16 janvier 2025
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