La voie de spécialisation « Actuariat » de l’ENSAE est une voie d’excellence pour la formation des actuaires, qui est reconnue par l’Institut des actuaires. Les actuaires sont des professionnels de l’évaluation, de la modélisation et de la gestion des risques dans leurs dimensions économique, assurantielle, financière et sociale. La formation de l’ENSAE permet à ses de présenter leur candidature devant l’Institut des actuaires pour y devenir membre associé, après soutenance de leur mémoire d’actuariat devant le jury de l’Institut.

La préparation, la rédaction et la soutenance du mémoire d’actuariat sont des éléments clés dans le processus de formation du futur actuaire. C’est un travail exigeant mais très formateur, qui matérialise la capacité des étudiant.e.s à mobiliser leurs connaissances scientifiques et académiques pour apporter une réponse pertinente et étayée à une problématique professionnelle concrète rencontrée au sein d’une entreprise.

Le prix du meilleur mémoire d’actuariat de l’ENSAE est destiné à promouvoir l’excellence des travaux réalisés en science actuarielle par les étudiants de l’ENSAE dans le cadre de ces mémoires.

Le Jury de ce prix, constitué de membres de la commission scientifique de l’Institut des actuaires et du réseau ENSAE Alumni, ainsi que d’enseignants académiques et professionnels de l’ENSAE, félicitent les 5 nominés pour leurs travaux originaux alliant à la fois une grande rigueur scientifique et un fort potentiel d’applications futures pour l’ensemble de la communauté actuarielle et des entreprises du secteur de l’assurance.

Les 5 mémoires nominés pour le meilleur mémoire d’actuariat – Promotion 2023 – présentent pour Variances leur mémoire:

  • Céline FRANCONY : Intégration du risque climatique dans les scénarios risque neutre des trajectoires actions
  • Marie GANON : Prise en compte du risque climatique dans le provisionnement agricole
  • Maxime LENOIR : Mesure et prise en compte du risque inflation dans le provisionnement en assurance construction.
  • Daniel NKAMENI : Étude de la stabilité d’un modèle de segmentation en assurance crédit
  • Florian SALAUN : Modélisation par apprentissage statistique du lien température-mortalité en open data prédictive

Cette présentation fait l’objet de deux articles.

Introduction rédigée par Caroline Hillairet


La cérémonie de remise du prix s’est déroulée mardi 26 novembre en présence de Pierre BISCOURP (Directeur de l’ENSAE Paris), Isabelle TOURNASSOUD (Présidente de l’association ENSAE Alumni), Philippe TALLEUX (Président de la Commission scientifique de l’Institut des actuaires).

La lauréate est Marie GANON.

Nous présenterons dans ce premier article les mémoires de Céline FRACONY et de Marie GANON.


CELINE FRANCONY

« Intégration du risque climatique dans les scénarios risque-neutre des trajectoires actions »

 

Pourriez-vous décrire les principaux objectifs de votre mémoire ainsi que les résultats que vous souhaitez souligner ?

Le changement climatique est une préoccupation de plus en plus importante, avec de nombreux scientifiques soulignant la nécessité d’une action rapide pour protéger notre planète. Cette préoccupation est également partagée par le secteur de l’assurance, où le risque climatique est devenu une priorité. En 2023, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a lancé un nouvel exercice de stress tests climatiques, succédant à celui de 2020, dans le but de sensibiliser les acteurs de l’assurance et de les inciter à adopter une vision à long terme dans leurs décisions stratégiques. L’intégration de ce risque climatique influencera les pratiques des assureurs, la gestion des risques et les modèles utilisés. Ainsi, mon mémoire vise à intégrer ce risque climatique dans les modélisations des actions utilisées notamment en univers risque-neutre.

Dans la première partie, différents niveaux d’intégration du risque climatique dans les trajectoires d’actions en univers risque-neutre sont proposés, en utilisant les méthodes et les modélisations actuellement employées par les assureurs. Les impacts ALM ont ensuite été calculés pour ces différentes méthodes afin d’évaluer l’effet de la granularité sur le BE.

Dans la deuxième partie, une nouvelle dynamique intégrant le risque climatique pour modéliser les actions en univers risque-neutre est introduite. Cette dynamique repose sur deux facteurs : un risque systémique lié au carbone, commun à toutes les actions, et un risque spécifique à chaque action. Par la suite, ce modèle peut être utilisé sous différentes hypothèses d’évolution des structures de volatilités considérées à différents horizons temporels. Une méthode pour générer des scénarios de volatilité en se basant sur les scénarios du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) est également proposée.

Enfin, dans la dernière section, la modélisation définie dans la deuxième partie est appliquée à l’univers monde réel. Deux applications sont présentées : le calcul des niveaux de chocs et l’application de la théorie du portefeuille de Markowitz.

Quels sont les aspects de vos mémoires que vous auriez souhaité développer plus en détail et quels conseils donneriez-vous à un étudiant envisageant de rédiger un mémoire sur un sujet similaire ?

Dans mon mémoire, j’aurais aimé développer davantage l’utilisation de modèles plus sophistiqués à volatilité stochastique. Ces modèles, déjà utilisés par certains assureurs, permettent de mieux capturer les dynamiques complexes des marchés financiers en tenant compte des variations imprévisibles de la volatilité.

De plus, j’aurais souhaité tester des modèles d’allocation d’actifs plus avancés, tels que le HRP (Hierarchy Risk Parity). Ce modèle utilise la théorie des graphes et des algorithmes de clustering pour allouer les poids de manière plus optimale entre les différents actifs. En identifiant les relations hiérarchiques entre les actifs, le HRP permet de construire des portefeuilles plus résilients et diversifiés, ce qui aurait été particulièrement pertinent pour réaliser de l’allocation d’actif sous contraintes climatiques.

Pour un étudiant envisageant de rédiger un mémoire, il est conseillé de garder un esprit ouvert et d’explorer diverses directions. Il est important de prendre le temps de tester différentes idées et d’examiner plusieurs axes, même si les résultats ne sont pas toujours concluants, car chaque tentative apporte des informations précieuses. Le cadre de mon mémoire m’a précisément offert cette opportunité d’exploration et d’approfondissement.

Pouvez-vous identifier d’autres secteurs de l’assurance ou de la finance où vos travaux pourraient être appliqués ?

L’incorporation du risque climatique dans la prévision des cours ou des volatilités d’actions tels que cela fut traité dans mon mémoire peut se transposer, en théorie, à d’autres classes d’actifs financiers, en particulier sur les marchés des matières premières qui sont hautement tributaires du risque climatique. Ce dernier peut également être pris en compte dans les outils d’analyse prospective de solvabilité ou dans le cadre d’ajustement de la tarification de contrat.

De plus, la gestion de portefeuille sous contrainte climatique prend de l’essor, et il n’est pas à exclure que, dans un avenir proche, les gestionnaires de portefeuilles en assurance se voient attribuer des crédits carbones avec lesquels ils devront composer pour gérer leurs portefeuilles. Dans ce cas, la modélisation des risques climatiques devient incontournable pour ce secteur.

En quoi pensez-vous que vos travaux  peuvent contribuer à répondre aux enjeux clés d’un paysage des risques en pleine recomposition ?

Les rapports alarmants du GIEC continuent de souligner l’urgence climatique, et les récents événements, tels que les inondations en Espagne, en sont une preuve tangible. Ainsi, le risque climatique devient de plus en plus crucial pour les assureurs, mais il n’est pas encore pleinement intégré dans les modèles actuariels actuels. Avec l’évolution des régulations et la mise en place d’exercices de stress tests climatiques, ce risque devient central pour les compagnies d’assurance. Mon mémoire s’inscrit dans cette dynamique en cherchant à intégrer le risque climatique dans les scénarios risque-neutre des trajectoires actions des assureurs.


 

MARIE GANON

« Prise en compte du risque climatique dans le provisionnement agricole »

 

Pourriez-vous décrire les principaux objectifs de votre mémoire ainsi que les résultats que vous souhaitez souligner ?

Mon mémoire s’articule autour de méthodes de prise en compte du risque climatique pour le provisionnement, en s’appuyant sur des données d’assurance agricole.

Plusieurs approches ont été développées, notamment une adaptation de la méthode de séparation de Verbeek[1], initialement prévue pour capter les effets inflationnistes dans les triangles de paiements. Cette adaptation permet d’estimer une tendance en fonction de l’année de survenance, qui peut s’expliquer par la réalisation d’aléas climatiques. Il est alors possible de modéliser la tendance extraite à partir de variables climatiques, pour ensuite la projeter via des scénarios climatiques.

Par ailleurs, mon mémoire présente des méthodes alternatives pour calibrer des lois de sévérité pour la survenance d’événements extrêmes, ici des pertes de rendements agricoles. Si la méthode la plus communément utilisée consiste en un calibrage de maximum de vraisemblance d’une loi de Pareto généralisée, nous avons testé une méthodologie présentée par Chavez-Demoulin et al[2]., qui propose de tenir compte de covariables dans l’estimation des paramètres de la loi de Pareto généralisée. Ainsi, nous avons modélisé les pertes de rendements extrêmes à partir de l’année de survenance, du type de culture, mais encore de la région ou de données d’humidité des sols. Il s’avère que cette méthode de calibrage permet de prendre davantage en compte les spécificités de certaines cultures ainsi que les régions dans lesquelles elles sont cultivées. Du fait de la capacité à projeter les variables climatiques à partir de scénarios (type GIEC), nous sommes également en mesure d’estimer des probabilités de retour de pertes de rendements extrêmes à court terme.

Quels sont les aspects de vos mémoires que vous auriez souhaité développer plus en détail et quels conseils donneriez-vous à un étudiant envisageant de rédiger un mémoire sur un sujet similaire ?

J’aurais aimé développer davantage la méthodologie d’extraction d’un facteur de risque climatique de triangles de provisionnement, en proposant une modélisation plus fine, tenant par exemple compte de plusieurs variables climatiques, et avec des granularités spatiale et temporelle plus précises. Malheureusement, les données ne nous ont pas permis de mener à bien des analyses à ce niveau de précision, du fait d’un manque d’éléments sur les triangles. De même, il aurait été intéressant d’appliquer la méthode de simulation de Dal Moro[3], qui génère les paiements de proche en proche à partir d’hypothèses sur leur moyenne, variance et skewness jusqu’à obtention des réserves, sur bien plus de triangles. Nous avons pu conjecturer que le triangle aléas climatiques était caractérisé par une plus forte asymétrie et des queues plus épaisses que les deux triangles non-climatiques dont nous disposions. Nous aurions pu vérifier cette conjecture sur davantage de triangles climatiques (par type de culture par exemple) si nous avions eu accès aux données requises.

Ainsi, les étudiants doivent avoir conscience que la qualité des données peut être un facteur bloquant pour un mémoire d’actuariat, quand bien même il est toujours possible d’effectuer des hypothèses supplémentaires pour combler un manque d’informations.

Pouvez-vous identifier d’autres secteurs de l’assurance ou de la finance où vos travaux pourraient être appliqués ?

Bien que mon mémoire traite du provisionnement dans le cadre de l’assurance agricole, il serait intéressant d’appliquer les méthodologies présentées pour provisionner le risque sécheresse lié au phénomène de retrait-gonflement des argiles. En effet, en raison des temps d’indemnisation assez longs dus à la reconnaissance d’un événement de sécheresse, les méthodes classiques de provisionnement sont difficilement exploitables. On pourrait donc appliquer la méthode de séparation climatique sur des variables climatiques bien choisies (humidité des sols, températures…) afin d’estimer les niveaux de réserves attendus à partir de leurs projections.

En quoi pensez-vous que vos travaux peuvent contribuer à répondre aux enjeux-clés d’un paysage des risques en pleine recomposition ?

Le 1er janvier 2023, l’assurance multirisques climatiques des récoltes a été réformée dans le but de favoriser la souscription des agriculteurs à des polices d’assurance, mais également d’améliorer la résilience du secteur agricole face au changement climatique. Dans le nouveau système d’indemnisation, l’Etat prendra en charge les sinistres les plus graves au-delà d’un certain seuil de pertes de rendements, tandis que les règlements effectués par les assureurs concerneront des sinistres moins sévères. Néanmoins, pour les sinistres les plus graves, il restera à l’assureur un reliquat non pris en charge par l’Etat. Dans ce contexte, des méthodologies relatives à l’estimation de pertes de retour d’événements extrêmes, ou encore d’étude de la distribution des réserves et plus particulièrement des queues peuvent intéresser les assureurs qui devront anticiper ce changement de réglementation.


[1] H. G. Verbeek. « An approach to the analysis of claims experience in motor liability excess of loss reinsurance ». In : ASTIN Bulletin : The Journal of the IAA 6.3 (1972), p. 195-202. DOI : 10.1017/S0515036100010989.

[2] Valérie Chavez-Demoulin, Paul Embrechts et Marius Hofert. « An Extreme Value Approach for Modeling Operational Risk Losses Depending on Covariates ». In : The Journal of Risk and Insurance 83.3 (2016), p. 735-776

[3] Dal Moro, Eric, Kurtosis and Skewness Estimation for Non-Life Reserve Risk Distribution (January 9, 2013). ASTIN Colloquium 2013, Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=2281902

Céline Francony & Marie Ganon
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