Souvenez-vous. En 2020, il ressortait des diverses allocutions présidentielles d’Emmanuel Macron un leitmotiv : celui du monde d’après. Pour le préparer, le gouvernement a annoncé un plan de relance sans précédent, estimé aux alentours de 100 milliards d’euros, censé aider la France à répondre aux défis de 2030. Cette obsession pour la cible de 2030 n’est pourtant pas une spécificité française. L’Inflation Reduction Act des États-Unis, les objectifs climatiques pour 2030 de l’Union européenne ou encore l’Agenda 2030 de l’ONU sont autant d’éléments qui illustrent à quel point cet horizon s’avère capital pour l’économie mondiale.
Cet ouvrage a été rédigé par une vingtaine d’économistes du cercle de réflexion non partisan BSI Economics, issus de structures variées (académiques, institutionnelles et privées, nationales comme internationales). Il a pour ambition de présenter au lecteur des faits stylisés, des ordres de grandeur et des pistes de réflexion autour de 12 sujets économiques majeurs, dont sont tirés ici un bref aperçu des défis relatifs à trois d’entre eux : la politique monétaire, la décarbonation de la finance et les cryptomonnaies.
1. Les banques centrales face à de nouveaux défis (Maëlle Vaille)
Les rôles et objectifs des banques centrales ont toujours évolué au gré des mutations de leur environnement. Les autorités monétaires sont aujourd’hui confrontées à de nombreux défis, certains nécessitant des remaniements de leur politique monétaire, et d’autres la mise en place de nouveaux outils et objectifs.
Une dépendance accrue du système financier à la liquidité banque centrale
Parmi ces défis, nous pouvons citer le retrait progressif de la politique monétaire ultra-accommodante, en place depuis la crise financière de 2007-2008 et renforcée suite à la pandémie de Covid-19. L’utilisation massive et prolongée de politiques de bilan, incluant le refinancement des banques et les programmes d’achats d’actifs, est à l’origine d’une dépendance accrue du système financier à la liquidité banque centrale. Dès lors, leur retrait pourrait, à terme, déstabiliser le bon fonctionnement du système financier. Trois principaux risques en découlent. Premièrement, la normalisation du bilan des banques centrales, en réduisant les réserves des banques commerciales, peut exercer des pressions à la hausse sur les taux du marché monétaire. Celle-ci peut également être responsable de frictions sur le marché de la dette souveraine, les banques centrales réduisant la demande de titres gouvernementaux. Enfin, en affaiblissant cette demande, les autorités monétaires exercent une pression à la hausse sur les rendements de ces obligations et donc de facto une baisse de leur valorisation. Les banques commerciales peuvent ainsi être confrontées à d’importantes pertes sur les positions de titres qu’elles détiennent dans leur bilan.
Un risque de persistance d’un régime d’inflation élevée
La perte d’influence de la politique monétaire sur l’inflation, en raison de la présence de facteurs structurels alimentant cette dernière, représente égalent un défi majeur. Parmi ces facteurs, nous pouvons citer le vieillissement de la population et la pénurie de main-d’œuvre qui en résulte, ainsi que la décélération du mouvement de mondialisation pouvant limiter le pouvoir de négociation des salariés et accroître les coûts de production. Les banques centrales ne peuvent lutter efficacement contre ces forces inflationnistes. Ainsi, le niveau cible d’inflation pourrait être réévalué légèrement à la hausse, en intégrant ces différentes forces inflationnistes. Un niveau de cible d’inflation adapté permet de conserver un ancrage des anticipations d’inflation des agents économiques proche de la cible.
Cet argument est renforcé par les possibles conflits d’intérêts entre les différents objectifs des banques centrales. En effet, un retour, à tout prix, à une inflation à 2%, via l’adoption d’une politique monétaire restrictive pourrait perturber la bonne stabilité du système financier. Cela est d’autant plus vrai dans la période actuelle, le système financier étant devenu plus sensible à d’éventuels chocs de liquidité, comme indiqué dans le paragraphe précédent.
Si les défis énoncés auparavant visent des fonctions et objectifs déjà bien connus des banques centrales et nécessitent des remaniements, certains défis sont nouveaux : le changement climatique et l’émergence de monnaies numériques.
2. Décarboner la finance, financer la décarbonation (Charlotte Gardes)
Atteindre les objectifs de transition énergétique et écologique, notamment l’atténuation rapide des émissions de gaz à effet de serre, est un exercice particulièrement complexe qui nécessite d’actionner une variété de leviers dans l’ensemble des secteurs de l’économie. Le rôle du secteur financier est central pour la nature et le rythme de la transition climatique, via la mobilisation de ressources pour l’investissement productif. Si le secteur financier ne tient pas compte du risque d’actifs échoués (actifs voués à subir des dépréciations en raison du changement climatique et de la transition énergétique) et d’autres risques financiers liés au climat, il contribue dès lors à la mauvaise répartition des ressources.
Aligner les flux de capitaux sur une trajectoire compatible avec les objectifs de transition
Les besoins d’investissement pour l’atténuation du changement climatique atteindront environ 5 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030, dont environ 40 % seront nécessaires dans les marchés émergents et les économies en développement. Or, le déficit de financement est massif. À titre d’exemple, tandis que l’investissement dans le secteur des énergies renouvelables a augmenté substantiellement ces dernières années, celui dans les énergies fossiles a atteint des records historiques : les anticipations de dépenses d’investissement des grandes entreprises énergétiques pour de nouveaux gisements de pétrole et de gaz restent notamment élevées, y compris à horizon 2030 et 2050. C’est donc un objectif d’ « alignement » qu’il faut poursuivre : réallouer les capitaux des combustibles fossiles (et d’autres types d’activités économiques dites intensives en carbone) vers des activités et technologies bas-carbone visant à réduire substantiellement les émissions de gaz à effet de serre.
« Verdir » la régulation financière
Dans ce contexte, le chapitre examine notamment le rôle des politiques publiques qui régissent le secteur financier, mettant en évidence l’importance de la transparence et de l’information. Les banques centrales, les autorités de régulation et les ministères des Finances reconnaissent tant les risques climatiques que le besoin impérieux de mobiliser le secteur financier pour financer la transition.
L’Union européenne a joué un rôle moteur, avec des initiatives politiques et réglementaires telles que la Taxonomie et une régulation fournie en matière de transparence, labellisation, et divulgation prudentielle. Cependant, la mise en œuvre de ces politiques reste un défi en raison des coûts associés, de la comparabilité des données et de l’efficacité de telles mesures de responsabilisation. Des propositions pour renforcer ces politiques incluent une meilleure coordination entre les politiques structurelles et financières (macroprudentielle, monétaire), ou encore une approche « de précaution » dans la régulation financière, qui reconnaît l’incertitude radicale des risques climatiques et leur complexité. Elles suggèrent ainsi notamment de requérir des plans de transition auprès des entreprises financières et non financières, d’intégrer les risques climatiques dans les exigences en capital des banques et de développer des dispositifs de contrôle de crédit alignés sur les risques climatiques.
La finance climat, et le rôle associé de la régulation et de la supervision financières, se retrouvent ainsi désormais au cœur de l’agenda politique global, européen, et national.
3. Les cryptomonnaies : bulle spéculative ou révolution financière ? (Jérôme Mathis)
Le débat autour de la cryptomonnaie divise ses détracteurs, qui la considèrent comme une simple bulle spéculative appelée à disparaitre, et ses partisans qui prédisent une révolution technologique capable à terme de supprimer tout intermédiaire financier (banques, assurances, sociétés de gestion d’actifs, sociétés de courtage…). La réalité se situe plutôt entre ces deux visions extrêmes.
Décentralisation en demi-teinte
L’automatisation de certaines tâches actuellement réalisées par des intermédiaires financiers va donner plus de poids à d’autres intermédiaires, dont les informaticiens. Les contrats intelligents (« smart contracts ») sont régis par des algorithmes qu’il convient de paramétrer et dont il faut garantir la probité.
De plus, la décentralisation vantée par les cryptomonnaies s’érode graduellement. Aujourd’hui, on estime par exemple que 90 % du volume quotidien des transactions en Bitcoin se produit par le biais de plateformes d’échange centralisées (Binance, Coinbase, Crypto.com, Kraken…).
Absence d’assurance
L’immuabilité des transactions inscrites sur une chaine de bloc constitue un avantage, car il est alors plus difficile de falsifier des comptes, mais aussi un inconvénient, car la réversion d’opérations erronées ou frauduleuses est impossible. Les plateformes d’échange, les portefeuilles numériques et les transactions en ligne associées aux cryptomonnaies sont en perpétuelle proie aux attaques informatiques. Dans la plupart des cas, les victimes perdent leurs fonds de manière définitive. Cela contrairement à une banque qui, par le biais de ses assurances, rembourse souvent ses clients dont le compte bancaire aurait été piraté.
Décloisonnement du marché des fonds prêtables
Le marché des fonds prêtables est mondialisé, mais il existe d’importants cloisonnements entre les régions. Chaque pays dispose de ses propres exigences réglementaires.
Les cryptomonnaies offrent l’opportunité de décloisonner ces marchés. Un Français peut aisément prêter des Bitcoins à un habitant de l’autre bout du monde sans passer par un intermédiaire financier. En revanche, il ne dispose pas de tout l’arsenal institutionnel (banques, tribunaux, huissiers, assurances…) pour recouvrir son argent en cas de défaut de remboursement de l’emprunteur. Pour cette raison, le prêt décentralisé (« DeFi lending » en anglais) se limite aujourd’hui aux transactions pour lesquelles l’emprunteur dépose en garantie un montant supérieur à ce qu’il emprunte. Les utilisations ne s’étendent donc guère au-delà de la sphère des détenteurs de cryptomonnaies qui spéculent sur les variations de leurs cours.
Finance traditionnelle et finance décentralisée : une intégration en devenir
Le futur se situera vraisemblablement entre les deux visions extrêmes présentées en préambule. Les cryptomonnaies connaitront des bouleversements, mais ne disparaitront probablement pas. Elles ne supprimeront pas non plus les intermédiaires financiers, mais modifieront leur fonctionnement, réduisant potentiellement leur pouvoir de marché. Il est fort à parier que ces deux écosystèmes, finance traditionnelle d’un côté et finance décentralisée de l’autre, vont progressivement s’intégrer mutuellement.
Une offre de produits d’assurance permettrait de conférer un environnement plus serein aux cryptomonnaies. Cette évolution viendra probablement des banques qui accepteront d’ouvrir des comptes en cryptomonnaies. En ce qui concerne l’activité de prêt, la finance traditionnelle est connectée aux institutions locales et pourrait de ce fait ajouter la couche de sécurité manquante à la finance décentralisée.
4. Pour aller plus loin
Pour plus de détails (chiffres, graphiques et analyses), retrouvez ces thèmes dans les chapitres qui leur sont dédiés dans l’ouvrage, ainsi que d’autres chapitres relatifs à : l’endettement des États européens ; l’inflation (son contrôle et son lien avec le vieillissement démographique) ; l’économie de guerre au XXIe siècle ; le futur de la Chine ; la décarbonation de l’économie européenne ; l’économie circulaire ; l’énergie ; et le télétravail.
Mots-clés : Changement climatique – Finance climat – Régulation financière – Risques climatiques – Politique monétaire – Inflation – Banques centrales – Finance décentralisée – Blockchain –
Cryptomonnaies – Crypto-actifs – 2030
* BSI Economics, « 12 clés économiques pour aborder 2030 – Maîtriser les enjeux qui feront le monde de demain », éd. Dunod, février 2024, 256 p
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