Bernard Luce (1986) vient de publier son troisième roman. À cette occasion, il répond aux questions de variances.eu et nous dit ce qu’est l’écriture pour lui.

Q1 : Bernard, tu viens de publier ton troisième roman, « Une carrière américaine, ou l’Empire apocryphe ». Peux-tu nous décrire le parcours qui t’a mené de l’ENSAE à la publication de ce roman ?

A la Société Générale, j’ai travaillé dans la gestion d’actifs, la direction financière au niveau Groupe et Banque d’investissement et dans divers corps de contrôles. J’ai exercé comme actuaire, chef de projet, fondé de pouvoir, financial officer, contrôleur des risques et je suis actuellement superviseur en conformité.

J’ai toujours eu la plume qui démange depuis le collège. Au début de ma carrière, je publiais des articles professionnels dans la Revue Banque et dans Analyse Financière. Je m’efforçais toujours de dépasser le sujet technique pour adopter un style éditorial. Une de mes satisfactions fut quand le rédacteur en chef de la Revue Banque me dit à propos de mes tournures de phrase : « ça vaut de l’or » !

J’ai une imagination fertile et la rêverie aide à trouver des sujets. Quand je lis, je regarde comment l’auteur s’y prend pour créer une ambiance. En combinant toutes ces idées, l’écriture vient assez facilement, mais c’est une course de fond. Il a fallu compter sur un peu plus de temps libre pour concrétiser des ébauches déjà solides.

Mes romans, bien que sans rapport avec mon métier, font parfois un clin d’œil à mon environnement professionnel. Il arrive qu’un banquier pointe le bout du nez dans l’intrigue. Par exemple, dans « Une carrière américaine », je me suis amusé à représenter Napoléon piquer une colère noire contre les banquiers américains.

Q2 : À quel(s) type(s) de littérature appartiennent tes romans ? Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Mes romans appartiennent à la fiction historique ou au genre fantastique.

Le plus original est « Une carrière américaine, ou l’Empire apocryphe », publié en 2022 chez Amazon.  C’est une uchronie qui modifie le cours de l’Histoire pour parvenir à une autre fin plausible. En l’occurrence, j’imagine la fuite de Napoléon après Waterloo aux Etats-Unis où il se lance dans une nouvelle carrière. J’ai pris soin d’inventer avec un grand souci de réalisme. Le style à la fois romancé et documentaire, la présence de personnages historiques même s’ils n’ont jamais vu Napoléon, permettent de dérouter le lecteur et de rendre vraisemblables les évènements que je raconte. De plus, le dénouement rejoint l’histoire officielle. Les réactions de mes premiers lecteurs montrent que j’ai atteint mon but, c’est-à-dire laisser planer le doute entre le vrai et le faux, ce qui m’a vraiment fait plaisir.

J’ai voulu aussi donner une tonalité moderne à ce roman. Même si les protagonistes sont du 18ème siècle, j’indique que l’empire de Napoléon qui s’éteint laisse la place à un impérialisme guidé par les affairistes qui menacent la démocratie américaine et l’indépendance des nations. Ces griefs bien actuels contre l’impérialisme américain prennent déjà corps sous les yeux de Napoléon.

L’idée m’est venue quand je visitais la maison de Napoléon à l’île d’Aix, son dernier séjour en France. En regardant par la fenêtre, je pensai « quel dommage d’en rester là ! ». J’ai donc pris symboliquement sa place pour le ressusciter dans le Nouveau Monde où il avait eu l’idée d’aller. Je lui ai désigné un nouveau destin et l’ai laissé agir selon son caractère et ses principes. Une association d’identité en somme !

Le recueil des « Contes extraordinaires » (Amazon, 2022) rassemble des nouvelles fantastiques, que j’ai dédiées à mes filles, qui réclamaient souvent des « histoires qui font peur » quand elles étaient petites. Dans ma jeunesse, je dévorais les écrits d’Edgar Poe, de Stevenson, Jean Ray et d’autres. J’étais épaté de la manière dont ils amenaient leurs histoires épouvantables. Mes récits font monter graduellement le suspense et l’inquiétude pour déboucher sur des situations insolites ou surnaturelles où se mélangent la manipulation, l’aliénation, la possession ou la hantise. Je puise mon inspiration dans toutes sortes de sujets, par exemple un très vieux fait divers à Courbevoie où je vis m’a donné l’idée de la nouvelle « Les fantômes de Courbevoie ».

Mon premier roman « Les Croisés » (Amazon, 2022), se situe au XIIIème siècle et se présente comme une autobiographie où le narrateur parle la langue de l’époque, ce qui est une gageure littéraire quand on veut être lu par des lecteurs en 2023. L’histoire est également mouvementée entre champs de batailles, grands voyages et aventures amoureuses.

Je l’ai écrit il y a plusieurs années. J’étais comme Michelet qui, aux Archives Nationales, se sentait sommé par les personnalités du Moyen-Age de les faire revivre. J’ai eu envie de me plonger à la première personne dans cette époque lointaine. Le travail d’écriture a été plus difficile, car incarner et donner de l’épaisseur à des personnages fictifs est moins aisé que relater une chronique officielle.

Q3 : Quelle est ton intention d’auteur ? Comment tes romans résonnent-ils avec la personne que tu es ? 

En publiant, on dévoile un nouveau pan de sa personnalité : l’entourage d’un écrivain sait rarement qu’il écrit avant qu’il publie ! Pour moi c’est le désir de partager mon imagination et de promener le lecteur dans une intrigue. Je recherche le plaisir d’une longue conversation avec mes lecteurs et d’obtenir la récompense de les voir s’approprier le livre. L’auteur est symboliquement dépossédé de son œuvre, mais c’est alors qu’il existe vraiment.

Q4 : Parlons de l’édition, comment as-tu procédé pour être publié et quels enseignements tires-tu de cette expérience ?

Je n’ai pas essayé les maisons d’édition dont j’ai entendu dire qu’on doit y être coopté et où on s’épuise faute de connaître le bon contact. Je préfère de loin l’autoédition en ligne, la plus visible étant Amazon. Les avantages sont nombreux. Le livre reste en ligne indéfiniment, permettant de doser sa promotion, tandis que chez les libraires et les éditeurs, le cycle de parution est plus court. La procédure de mise en forme, de confection de la couverture et de publication est simple. Le choix de la version numérique ou papier, en format de poche ou autre, est libre. L’impression à la demande se fait sans mise de fonds, ce qui n’est pas toujours le cas dans les maisons d’édition. Les lecteurs peuvent feuilleter un extrait et déposer leurs commentaires, ce qui raccourcit le circuit de la critique.

Amazon m’a apporté beaucoup de liberté. Je ne me voyais pas aller tirer les sonnettes des libraires avec une valise de bouquins.

Q5 : Pour conclure, peux-tu nous dire quelques mots de ton prochain roman ?

Je n’exclus aucun genre. Je n’ai pas épuisé le registre historique, je ne dédaigne pas le polar et je m’essaierais bien au style sentimental. Je pourrais aussi publier sous un pseudonyme si le sujet était trop décalé par rapport à ma collection principale et aux « habitudes » de mes lecteurs. Le défi que je me donne est de trouver le ton original pour retenir l’attention du lecteur. Un bon récit doit déceler une attente que le lecteur veut comprendre. C’est ainsi que Balzac dévoile tout un drame en décrivant un intérieur tout à fait ordinaire. C’est ainsi que Shakespeare fait qu’on est pendu aux lèvres de deux amoureux qui se disent des mièvreries.

Propos recueillis par Catherine Grandcoing


Les quatrièmes de couverture des trois romans de Bernard Luce :

Une carrière américaine, ou l’Empire apocryphe (Amazon, 2022)

Voici la très véridique histoire de Napoléon, ex-empereur des Français, qui fuit un sort funeste et se lança dans une nouvelle carrière en Amérique du Nord.

Ce récit, où la vraisemblance le dispute à l’invention, raconte comment le petit souverain de l’île d’Elbe parvint à recréer, en Louisiane et au Texas, une communauté française et tint la dragée haute aux Mexicains qui arrachaient leur indépendance et aux Américains qui aiguisaient leurs appétits impérialistes.

Voici cette fable superbe qui dévoile, sous l’apparence des événements historiques, la réalité de mobiles politiques qui agitent encore notre époque.

 

Contes Extraordinaires (Amazon, 2022)

Un prêtre est contraint d’écouter une confession qu’il ne veut pas entendre. Des profanateurs de sépulture sont punis de leur imprudence. Des fantômes effrayants errent dans les rues de Courbevoie…

Ces Contes Extraordinaires renouent avec la littérature fantastique et nous rappellent qu’aucun genre n’est mineur. L’auteur cultive en quelques pages cette ambiguïté qui fait surgir l’insolite et le surnaturel, et distille parfois ce léger malaise qui est goûté par les vrais amateurs du genre.

 

 

Les Croisés (Amazon, 2022)

Au XIIIème siècle, Grégoire, fils d’une lignée de Croisés, vétérans enrichis et jaloux de leur gloire, nous conte sa vie dans une chronique naïve comme une enluminure et cruelle comme un engoulant.

Depuis le pays occitan où il est né, il fuit les démêlés familiaux, la sauvage guerre des Albigeois et les horreurs du brigandage et se réfugie à Paris où il devient financier du Temple.

Trésorier pugnace malgré une blessure de jeunesse et des amours déçues, Grégoire baille des fonds à Philippe Auguste à Bouvines, affrète une flotte pour passer de Venise à Byzance, dispute les possessions du Temple contre les argentiers grecs, les relève en Terre Sainte et paie la rançon du roi Louis.

Il aime la belle Sophie et la tendre Firousse qui le réconcilient avec un destin tortueux.