L’Union européenne (UE) et les États-Unis émettent plus de gaz à effet de serre (GES) par habitant que la moyenne mondiale. Cependant, rapportées à leur PIB, leurs émissions sont inférieures à cette moyenne.
Dans l’UE et aux États‑Unis, les émissions de GES induites par la demande finale – l’empreinte carbone – sont plus élevées que les émissions issues de la production. En 2018, l’empreinte carbone par habitant de l’UE est de 11 tonnes d’équivalent CO2, contre 21 aux États‑Unis et 8 en Chine. Un tiers environ de l’empreinte de l’UE correspond à des processus de production localisés en dehors de son territoire.
Entre 2000 et 2018, les émissions mondiales de GES ont augmenté de moitié, deux fois plus vite que la population mondiale. Au cours de cette période, la production est devenue plus économe en GES dans les économies développées. À cet égard, les engagements de la France en termes de réduction de ses émissions nécessitent une baisse annuelle de plus de 5 % jusqu’en 2050. La marche est haute : la baisse a été de moins de 1 % par an depuis 1990.
Cet article présente les principales conclusions de l’Insee Analyses 74 (juillet 2022) où les aspects méthodologiques sont détaillés.
Les pays développés ont une part dans les émissions mondiales de GES supérieure à leur part dans la population, mais inférieure à leur part dans le PIB
Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) s’élèvent en 2018 à 46,8 milliards de tonnes d’équivalent CO2 (GtéqCO2). Ces émissions proviennent principalement de l’utilisation de combustibles fossiles (charbon, gaz naturel et pétrole). Elles résultent des activités économiques et des activités domestiques (transport et logement) des ménages.
La répartition géographique des émissions mondiales peut s’établir selon deux approches : la première répertorie les émissions qui ont physiquement lieu sur les territoires nationaux. Cette méthode, dite des inventaires nationaux, est retenue dans les engagements internationaux des pays. La seconde approche, dite de l’empreinte carbone, mesure les émissions associées à la consommation de produits par les résidents d’un pays, indépendamment du lieu de fabrication de ces produits (encadré).
Encadré : inventaire et empreinte
L’inventaire national calcule les quantités de gaz à effet de serre physiquement émises à l’intérieur du pays (approche territoriale) par les ménages (véhicules et logements) et les activités économiques (consommation d’énergie fossile, procédés industriels et émissions de l’agriculture).
L’empreinte carbone représente la quantité de gaz à effet de serre (GES) induite par la demande finale intérieure d’un pays (consommation des ménages, des administrations publiques et des organismes à but non lucratif et investissements), que les biens ou services consommés soient produits sur le territoire national ou importés.
L’empreinte carbone est donc constituée :
- des GES émis directement par les ménages (principalement liés à la combustion des carburants des véhicules particuliers et la combustion d’énergies fossiles pour le chauffage des logements) ;
- des émissions de GES issues de la production intérieure de biens et de services destinée à la demande intérieure (c’est-à-dire hors exportations) ;
- des émissions de GES associées aux biens et services importés, pour les consommations intermédiaires des entreprises ou pour l’usage final des mé
Ces deux derniers items constituent les émissions indirectes de GES. Par rapport à l’inventaire, l’empreinte carbone est obtenue en ajoutant les émissions de GES issues de la production de biens importés et en ôtant les émissions de GES issues de la production en France de biens exportés (Figure 1).
Figure 1 – Émissions de gaz à effets de serre, deux approches : l’inventaire national et l’empreinte carbone
L’exemple des émissions de GES associées aux carburants permet d’illustrer ces notions. Les GES émis durant l’extraction, le transport, le raffinage sont comptabilisés en tant qu’émissions indirectes dans l’inventaire des pays qui réalisent ces différentes activités. Ils seront également comptabilisés en tant qu’émissions indirectes dans l’empreinte carbone du pays qui consomme ces carburants. Les GES émis durant l’utilisation par les ménages de ce carburant (par exemple pour se déplacer ou se chauffer), sont comptés dans les émissions directes de l’inventaire et de l’empreinte carbone du pays qui les utilise.
Ainsi, les émissions liées à la production d’un bien exporté sont attribuées au pays d’origine selon l’inventaire, au pays consommateur dans la méthode de l’empreinte. Il est possible de passer de l’inventaire à l’empreinte en retranchant de l’inventaire les GES émis sur le territoire pour des produits qui sont exportés et en ajoutant les GES émis à l’étranger pour des produits importés. Si les différences entre ces deux indicateurs sont riches d’enseignements, leurs points communs fournissent des premiers éléments intéressants.
En 2018, les pays de l’Union européenne (UE) représentent 8,7 % des émissions mondiales selon l’approche de l’inventaire, 10,5 % selon l’empreinte (Figure 2). La France compte pour 1,0 % de l’inventaire et 1,3 % de l’empreinte. L’Italie est très proche de la France tandis que l’Allemagne représente une part plus importante de l’inventaire mondial (2,1 %) et de l’empreinte mondiale (2,6 %).
Figure 2 – Répartition du PIB, de la population, de l’inventaire et de l’empreinte carbone entre différents pays, en 2018
Le poids de l’Union européenne dans les émissions apparaît supérieur à son poids démographique, l’UE abritant près de 6 % de la population mondiale. Dit autrement, les pays européens émettent davantage par habitant que la moyenne mondiale. Pour autant, la part de l’UE dans les émissions est inférieure à son poids économique, mesuré par son PIB (produit intérieur brut) en parité de pouvoir d’achat, de l’ordre de 16 %.
Les États‑Unis sont dans une situation qualitativement similaire à l’Union européenne : leur part dans les émissions (12 % selon l’inventaire, 15 % selon l’empreinte) est nettement supérieure à leur poids démographique (un peu plus de 4 %) mais un peu inférieure à leur poids économique (16 %). Cependant, les États‑Unis ont des niveaux d’inventaire comme d’empreinte sensiblement supérieurs à ceux de l’UE. La Chine, enfin, représente à elle seule plus du quart des émissions mondiales, que l’on raisonne en termes d’inventaire ou d’empreinte. Cette proportion excède son poids démographique (19 %) mais également son poids économique (17 %).
Pour tenir ses engagements climatiques, la France doit changer de braquet
Entre 2000 et 2018, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de moitié, deux fois plus vite que la population mondiale. Au cours de cette période, une certaine convergence a eu lieu au niveau mondial, la production devenant plus économe en GES dans les économies développées qui en émettaient beaucoup. À l’inverse, les émissions ont augmenté de manière spectaculaire en Chine, malgré un ralentissement à partir de 2014. En 2018, l’empreinte carbone d’un Chinois représente 39 % de celle d’un Américain, contre 12 % en 2000. L’écart entre l’Union européenne et les États‑Unis s’est aussi resserré, mais dans une moindre mesure : l’empreinte carbone d’un habitant de l’UE est passée de 48 % de celle d’un Américain en 2000 à 52 % en 2018.
De nombreuses économies, comme l’UE et en son sein la France, se sont engagées à réduire fortement leurs émissions de gaz à effet de serre pour parvenir en 2050 à la neutralité carbone, c’est-à-dire à ne pas émettre davantage que ce que leur territoire absorbe, au moyen de différents puits de carbone (forêts, sols…). Comme leur potentiel de capture du CO2 atmosphérique est limité, les émissions doivent baisser de plus de 80 % par rapport à l’inventaire national de 2021, provisoirement estimé à 418 MtéqCO2, pour atteindre un niveau d’émissions annuelles autour de 80 MtéqCO2 en 2050. Ces engagements requièrent donc une baisse des émissions bien plus forte sur les trois prochaines décennies (− 80 % entre 2021 et 2050) que sur les trois dernières (− 23 % entre 1990 et 2021). L’engagement de la France de réduire ses émissions de GES de 55 % en 2030 par rapport au niveau de 1990 représente une baisse de ses émissions de 5,8 % chaque année de 2022 à 2030 ; atteindre des émissions nettes de 0 en 2050 en supposant l’objectif en 2030 atteint est cohérent avec une baisse de ses émissions de 5,5 % chaque année de 2031 à 2050. La marche est haute : le rythme de baisse a été de 0,8 % par an sur 1990-2021 et de 1,7 % sur 2005-2021.
En 2018, les pays développés ont une empreinte carbone plus élevée que leur inventaire
En 2018, les émissions mondiales s’élèvent à 6,1 téqCO2 par habitant (Figure 3). Les émissions directes des ménages en représentent 10 %.
Figure 3 – De l’inventaire à l’empreinte, émissions de GES par habitant, en 2018
Dans l’ensemble de l’UE à 27, en 2018, l’inventaire (9,2 téqCO2 par habitant) est inférieur à l’empreinte carbone (11,0 téqCO2 par habitant) car les GES exportés (3,3 téqCO2 par habitant) sont moindres que les GES importés (5,1 téqCO2 par habitant). L’inventaire par habitant des États‑Unis est de loin le plus élevé : 17,5 téqCO2. Hormis la Chine, toutes les économies étudiées ont une empreinte supérieure à leur inventaire, les écarts allant de 1,8 téqCO2 par habitant pour l’UE à 3,8 téqCO2 pour les États‑Unis : elles sont importatrices nettes de GES. En Chine, l’empreinte est légèrement inférieure à l’inventaire, 8,3 téqCO2 par habitant contre 8,5 téqCO2. En outre, les émissions directes chinoises représentent une part de l’empreinte plus faible qu’ailleurs (4 %).
La France se distingue par une production non exportée particulièrement peu émettrice en gaz à effet de serre du fait de la place du nucléaire dans la production d’électricité. La moitié des GES émis par la production française est exportée : cette proportion est la plus élevée parmi toutes les économies étudiées. En miroir, la part des GES importés dans l’empreinte carbone (hors émissions directes des ménages) est plus élevée qu’ailleurs, autour des deux tiers.
L’analyse des écarts entre inventaire et empreinte indique que deux facteurs sont déterminants : l’intensité des émissions (qui va déterminer la quantité de GES émises lors de la production) et les flux d’échanges entre zones géographiques (qui expliquent le passage de l’inventaire à l’empreinte).
Une production moins carbonée dans les pays développés
Au niveau mondial, produire un million d’euros de valeur ajoutée conduit à l’émission de 600 téqCO2 en moyenne en 2018. Ce contenu ou intensité en GES de la production varie fortement d’un pays à l’autre. Ainsi, la Chine a une intensité en GES très élevée, de 1 000 téqCO2, qui dépasse de deux tiers la moyenne mondiale (Figure 4). Les États‑Unis et l’UE ont des intensités nettement plus faibles, proches de 45 % de la moyenne mondiale. La production de l’Allemagne a l’intensité la plus élevée des trois premières économies de l’UE, suivie de l’Italie et la France.
Figure 4 – Intensité en émissions de GES de la production, des exportations, des importations, et de la demande finale, en 2018
Les différences entre pays de l’intensité carbone de leur production peuvent s’expliquer par deux raisons : une structure de production plus ou moins centrée sur des branches ayant de fortes émissions de GES (effet de structure) et, à structure de production comparable, une intensité en GES de la production plus ou moins élevée (efficacité énergétique et intensité en GES de l’énergie consommée).
Trois constats peuvent être établis. Premièrement, dans tous les pays, le contenu en GES de la production est élevé dans la production d’énergie, intermédiaire dans l’industrie/agriculture, plus faible dans les services (Figure 5). Une faible part dans la valeur ajoutée de la production d’énergie et de l’industrie/agriculture contribue donc par effet de structure à réduire l’intensité en GES de la production. C’est notamment la situation de la France. À l’inverse, ces branches très carbonées ont un poids plus élevé qu’ailleurs en Chine, ce qui contribue à une production plus intensive en GES.
Figure 5a – Intensité en gaz à effet de serre et part dans la valeur ajoutée dans l’industrie et l’agriculture en 2018
Figure 5b – Intensité en gaz à effet de serre et part dans la valeur ajoutée dans l’énergie en 2018
Figure 5c – Intensité en gaz à effet de serre et part dans la valeur ajoutée dans les services en 2018
Deuxièmement, les intensités de production par branche diffèrent nettement d’un pays à l’autre. Dans toutes les branches, la Chine émet plus de GES pour produire un euro de valeur ajoutée. Ainsi, dans ce pays, les deux composantes, l’effet de structure et l’intensité en GES de la production par branche, contribuent au contenu en GES beaucoup plus élevé qu’ailleurs de la production. De son côté, dans la production d’énergie, la France est la moins émettrice des pays étudiés avec une intensité en GES trois fois inférieure à celles de l’Allemagne et des États‑Unis : son mix énergétique est moins carboné du fait de la part plus élevée de l’énergie d’origine nucléaire.
Enfin, les échanges internationaux portent sur des produits dont le contenu en GES est relativement élevé. En effet, les échanges internationaux portent plus souvent sur des biens industriels, agricoles ou énergétiques et moins souvent sur des services (Figure 4). En outre, pour les pays développés, les produits importés sont pour partie fabriqués dans des zones où la production est plus intensive en GES, comme la Chine. De fait, les émissions incorporées dans les importations correspondent à celles générées tout au long de la chaîne de valeur de ces produits, y compris par la production de leurs consommations intermédiaires. Cela concourt à ce que, hormis en Chine (et dans d’autres pays qui ne sont pas isolés ici), un euro de demande finale contient plus d’émissions de gaz à effet de serre qu’un euro de valeur ajoutée.
Un tiers de l’empreinte carbone de l’UE est dû à ses importations, contre un quart pour les États‑Unis
Alors que l’inventaire d’une économie reflète uniquement l’intensité en GES de ses productions intérieures, l’empreinte carbone dépend de l’intensité en GES de tous les pays du monde, à travers les émissions incorporées aux importations. L’analyse des chaînes de production internationales permet de décrire finement l’origine géographique des émissions incorporées aux biens et services importés.
L’UE à 27, les États‑Unis et la Chine sont trois zones économiques relativement fermées, au sens où leur demande finale est satisfaite par des biens et services produits à 85 % à l’intérieur de chacune de ces zones (pour l’UE, ce chiffre ne représente pas la moyenne des 27 pays, mais bien celui de l’Union, prise comme un tout) (Figure 6). Il n’est donc pas surprenant que la majorité des émissions associées à leur demande finale soit émise en leur sein. Ceci dit, l’UE, et dans une moindre mesure les États‑Unis, ont une production moins carbonée que beaucoup de leurs partenaires commerciaux. Cela explique que 40 % de l’empreinte carbone de l’UE, hors émissions directes des ménages, provient de ses importations. Cette part est de 31 % pour les États‑Unis, contre seulement 14 % pour la Chine, en ligne avec la part importée de la demande finale. En y ajoutant les émissions directes des ménages (qui sont émises sur le territoire), la part des émissions importées dans l’empreinte carbone est de 33 % dans l’UE (dont 5,5 % provient de Chine et 1,8 % des États‑Unis), de 26 % aux États‑Unis et de 14 % en Chine.
Figure 6 – Décomposition de l’empreinte carbone et de la demande finale selon leur provenance, en 2018
Pour les États‑Unis et l’UE, la part dans l’empreinte des flux de GES en provenance de Chine est à peu près similaire (de l’ordre de 7 % hors émissions directes des ménages), et nettement supérieure à la part de la Chine dans la demande finale (de 2 % environ). Dans le sens inverse, les flux sont faibles (moins de 1 %). Enfin, les échanges de GES entre l’UE et les États‑Unis sont relativement faibles, de 2 % dans les deux cas.
Mots-clés : gaz à effet de serre – inventaire national – empreinte carbone
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