Introduction
Quoi de plus durable en théorie que l’immobilier ? En France comme dans les autres pays développés à faible dynamique démographique, les surfaces nouvellement construites de logements représentent 1 % environ de la surface du parc existant : une durée de renouvellement de 100 ans ! Bien au-delà de l’échelle de temps caractéristique des échéances électorales, qui pourtant sont déterminantes pour expliquer les cycles conjoncturels de construction, et bien au-delà des horizons d’investissement des fonds de pension, voire des fonds souverains. Pour les bureaux, la durée de renouvellement est plus courte, de l’ordre de 50 ans. A l’échelle de l’urbanisme, les durées sont très longues : les métropoles européennes obéissent à des schémas directeurs qui ont été dessinés il y a des siècles. A Paris l’enceinte des Fermiers Généraux de 1785 délimite encore largement les limites de la ville, la création de la Métropole du Grand Paris va maintenant changer les choses.
Avec de telles constantes de temps, comment faire en sorte que l’immobilier puisse jouer le rôle qui lui est dévolu dans la transition vers une économie décarbonée et acquérir sa qualité « durable » au sens de « développement durable » ? Près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre sont en effet liées à l’énergie consommée par les bâtiments, et si l’on ajoute les émissions induites par les déplacements de personnes, il faut multiplier cette contribution par deux. Comment atteindre la neutralité carbone en 2050, dans 30 ans à peine ? Evidemment toutes les constructions nouvelles disposent des meilleurs standards d’efficacité énergétique et l’urbanisme tente de réduire l’empreinte carbone des déplacements par la planification de transports en commun, il faut donc avant tout s’intéresser au parc existant. La solution passe par la réduction des consommations énergétiques grâce à une gestion technique pilotée par les outils numériques et une politique ambitieuse de financement de travaux de rénovation énergétique. Dans le domaine du logement, les deux remèdes se heurtent au problème de la détention privée privilégiée en France par rapport à la détention institutionnelle qui rend leur application difficile.
L’immobilier est donc appelé à jouer un rôle important dans la transition climatique mais il est soumis par ailleurs à un risque physique important. Les inondations, la submersion par montée du niveau de la mer, le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux à la suite d’évènements météorologiques extrêmes sont autant de menaces et potentiellement de destruction importante de valeurs. MSCI estime que 10% de la valeur de l’immobilier tertiaire au Royaume-Uni est ainsi soumise à un risque physique majeur lié au réchauffement climatique.
La réglementation sur la finance durable qui est en train de se mettre en place en France et en Europe (taxonomie verte, labels verts, indices verts, obligations vertes, etc.) ne prend malheureusement en compte que les actifs immobiliers neufs dans une démarche « best in class » et ne considère pas le cœur du problème : les actifs immobiliers existants dans une démarche « best in progress ».
Smart Building et Smart City
L’urbanisation est le trait dominant de l’évolution centenaire récente de nos sociétés humaines. La très grande majorité des bâtiments tertiaires et des logements est située en ville. C’est une bonne chose du point de vue de l’empreinte carbone liée aux déplacements, c’est également une bonne chose pour la gestion de l’énergie. La ville est du domaine du réel, l’aménagement, la construction et l’exploitation de la ville sont des activités industrielles.
Aujourd’hui l’industrialisation se propage bien au-delà de la production des objets pour s’étendre à l’économie des services. La société qui émerge articule étroitement industries et services, engagée dans la mutation numérique et écologique. La convergence entre industries et services s’exprime à la fois par l’industrialisation des services, leur place croissante dans la compétitivité manufacturière et la généralisation d’une orientation servicielle. On ne considère plus un bien, y compris immobilier, qu’au travers des usages qu’il peut satisfaire.
La transformation industrielle majeure dans l’immobilier résulte de l’automatisation des capteurs et de l’augmentation de la connectivité, créant des masses considérables de données qui couvrent de vastes champs, de l’exploitation des immeubles aux données d’usage de ces immeubles. Si la première étape de l’interconnexion est celle de la mise en réseau des capteurs au sein des bâtiments et la deuxième la mise en réseau des bâtiments avec les opérateurs de gestion et de maintenance, la troisième étape consiste à placer l’usager du bâtiment directement au cœur de la transformation. Les technologies du numérique – Internet des objets, double digital des immeubles -, mais également les technologies du traitement de la donnée massive – intelligence artificielle, algorithmes d’apprentissage -, constituent les composants facilitateurs de cette évolution sur l’ensemble de la chaîne de valeur du bâtiment, mais aussi dans son écosystème, qu’il s’agisse du territoire ou de la ville. L’objectif visé est bien évidemment de minimiser les coûts de gestion et de maintenance des immeubles, d’économiser les consommations d’énergie, d’améliorer les services offerts aux usagers des immeubles. Les Proptech sont au cœur de cette nouvelle dynamique d’utilisation des technologies couplée aux évolutions sociétales, elles avancent de nouvelles propositions de valeur aux propriétaires d’immeubles et développent de nouveaux modèles économiques souvent construits sur une logique d’offre de licence de service digital ou, pour les plus ambitieux, de garantie de performance énergétique avec partage des surperformances.
Comme dans beaucoup d’autres domaines, la crise économique provoquée par la pandémie de la Covid-19 a fortement disrupté le secteur immobilier et accéléré sa digitalisation. Les tendances qui apparaissaient et qui devaient se matérialiser dans les prochaines années, voire décennies, sont devenues des réalités en quelques mois. Les changements brutaux et rapides engendrés par le confinement, et le déclenchement des plans de continuité, démontrent l’intégration nécessaire de plus de technologies dans la maintenance et la gestion des immeubles. La nécessaire distanciation sociale bouleverse également l’organisation du travail et révèle que le logement peut être un lieu de travail aussi efficace que le bureau dans certaines professions, notamment hautement qualifiées.
La rénovation énergétique
Environ 7 millions de logements sont considérés comme des passoires thermiques sur les 36 millions de logements que compte la France. Les coûts liés à l’isolation sont de l’ordre de 13 000 euros par logement soit 5 % environ du prix moyen d’un logement. En ne considérant que les passoires thermiques l’addition totale est de l’ordre de 100 milliards d’euros. Pour rappel le plan de relance français prévoit 30 milliards d’euros pour la rénovation énergétique tous azimuts en 2021 et 2022.
Pour réduire la facture, il serait nécessaire d’améliorer la productivité des activités de rénovation et de construction des bâtiments en France. Ce sont des activités à faibles gains de productivité : d’après l’INSEE la valeur ajoutée par heure de travail a crû de 1,6 % par an des années 1970 à 2000, pour décroître ensuite de 2 % par an jusqu’en 2010 et stagner ensuite. Ces chiffres sont loin de ceux de l’industrie. Les dépenses en recherche et développement de la branche n’atteignent pas 1 % du chiffre d’affaires, là aussi loin de la moyenne dans l’industrie.
La productivité pourrait être améliorée également par le recours au digital. La conversion à la préfabrication est rendue possible par la digitalisation qui permet de construire des pièces au millimètre, quand c’était au centimètre précédemment. La maquette numérique des bâtiments permet de travailler en amont du chantier pour mettre en œuvre cette préfabrication. Les éléments de l’immeuble sont préfabriqués par des machines-outils directement connectées à la maquette numérique qui leur transmet ses instructions. La construction hors site, c’est moins de déchets, moins de nuisances sur le site, moins d’impacts dans une ville congestionnée et une réduction drastique des volumes transportés vers les chantiers, avec à la clef des économies de 20 à 50 % sur le coût des chantiers. Les possibilités de rénovation et de construction avec un recyclage intégral des matériaux de construction, technique dite « cradle to cradle », sont décuplées. Qui plus est, le bois, qui capture le carbone, est particulièrement bien adapté comme matériau de préfabrication.
Dans ce domaine les évolutions sont en marche. La tour Hyperion, à Bordeaux, sera la plus haute tour d’habitation construite en bois avec un important recours à la préfabrication en France. Sa livraison est prévue mi-2021. Elle s’élèvera à plus de 50 mètres de hauteur, et comptera 16 niveaux.
Il existe des techniques encore plus révolutionnaires comme l’impression 3D d’immeubles ou de composants d’immeubles.
Le rôle des investisseurs institutionnels
L’immobilier en France est essentiellement détenu par les ménages de par le poids du résidentiel. Selon les comptes du patrimoine de l’INSEE de 2019, les ménages détenaient 59 % de l’ensemble du patrimoine immobilier, essentiellement sous forme d’immobilier résidentiel, suivis des sociétés non financières avec 23 % et des administrations publiques avec 15 %, essentiellement sous forme d’immobilier tertiaire. Les 3 % restants sont détenus par les banques et les investisseurs institutionnels. Cet état de fait ne se retrouve pas dans les pays anglo-saxons disposant de fonds de pension où les institutionnels sont nettement plus détenteurs d’immobilier, résidentiel comme tertiaire. L’immobilier est en effet un actif particulièrement attractif pour la retraite : son rendement courant est stable et élevé, ses revenus sont indexés sur l’inflation et en partie sur la croissance économique et ils sont relativement sécurisés à long terme par les baux.
Les ménages français se constituent de fait leur propre retraite privée avec l’immobilier alors que l’immobilier est largement détenu par les systèmes mutualisés de retraites dans les pays anglo-saxons. Au-delà des problématiques de concentration de risque que pose la détention par les ménages français d’un seul bien immobilier, les solutions préconisées plus haut pour rendre l’immobilier durable sont beaucoup plus aisées à déployer si les bâtiments sont entre des mains institutionnelles. Il suffit de mentionner la grande difficulté des copropriétés à maintenir tout simplement en état les biens immobiliers, sans même songer à en améliorer les performances énergétiques.
Il est symptomatique de constater que depuis que les taux des emprunts d’Etat sont nuls ou négatifs, c’est-à-dire depuis la mise en place de la politique monétaire ultra-accommodante de la Banque centrale européenne en 2015, les investisseurs institutionnels sont revenus sur l’immobilier, notamment résidentiel. L’immobilier résidentiel, moins volatil et plus générateur de rendement en capital que l’immobilier tertiaire, permet d’être exposé à des facteurs démographiques et économiques locaux qui ne sont captés par aucun autre actif, ce qui permet une diversification efficace des portefeuilles et une stabilisation des performances. Les logements constituent également une valeur refuge par temps de pandémie : pour les ménages il s’agit d’un bien essentiel.
Cet intérêt renouvelé des investisseurs institutionnels est une bonne nouvelle pour accélérer la transition de l’immobilier en mode durable.
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