Le nombre de créations d’entreprises en France a battu de nouveaux records en 2019, avec 815000 nouvelles entreprises (+18 % par rapport à 2018). Cet engouement concerne bien sûr les micro-entreprises (les auto-entrepreneurs), pour environ la moitié, mais bénéficie également de l’intérêt croissant des nouvelles générations pour le lancement de startups.

Les raisons de l’engouement 

Les raisons en sont multiples. En tout premier lieu, les développements extraordinaires de la technologie et du digital ont créé un terreau particulièrement propice à la création de nouvelles applications et la fourniture de services innovants, s’inscrivant souvent en disruption par rapport aux activités traditionnelles. On pense bien sûr au succès des GAFA américaines et au développement des plates-formes internet comme AirBnB ou Uber avec leur impact et effet d’entraînement sur de multiples autres activités. Ces innovations ont ainsi modifié profondément et durablement certaines activités (par exemple, la presse, le cinéma ou la musique). Pour autant le phénomène est aussi de nature générationnelle et culturelle, avec, dans notre pays, des Français de plus en plus ouverts à l’entreprise et à l’entrepreneuriat, considérant que l’entrepreneuriat est un meilleur moyen de s’épanouir que le salariat. De plus le risque d’échec, réel, n’apparaît plus rédhibitoire car, désormais, les employeurs valorisent dans leur évaluation des parcours professionnels une expérience d’entrepreneuriat même si celle-ci n’a pas été couronnée de succès. Ils apprécient en effet que la personne ait été capable de se confronter au réel, au marché et qu’elle puisse être créative et autonome. Dans le même temps, les pouvoirs publics ont bien compris cette évolution à la fois technologique et sociétale et s’efforcent d’accompagner et d’encourager ces nouvelles activités, créatrices d’emploi et de richesse à moyen terme sans oublier les enjeux sous-jacents de souveraineté qui y sont attachés. En France, la création d’entreprise a été ainsi largement facilitée au plan administratif et juridique, des subventions sont accordées par l’État ou les collectivités régionales et plus généralement un écosystème favorable a été mis en place à travers des mesures politiques, comme la création du Secrétariat d’État au numérique, mais aussi fiscales et financières, c’est le sens de la référence d’Emmanuel Macron à la « startup nation ». De plus, au plan financier, les politiques accommodantes des banques centrales et de taux bas depuis plus de dix ans se sont traduites par un afflux de liquidités et le développement très important du private  equity. Ces investisseurs private equity, plus proches philosophiquement d’une stratégie « high risk / high reward » que les investisseurs institutionnels, ont largement contribué à accompagner la création de startups.

Les conditions du succès 

La majorité des startups en France est fondée par des anciens élèves des grandes écoles (46 %) ou provenant de filières universitaires (32 %), selon une enquête récente du cabinet Roland Berger portant sur 375 startups. Si, en 2011, 0,5 % des diplômés des grandes écoles créaient leur entreprise à la fin de leurs études, ce pourcentage a été aujourd’hui multiplié par dix (5,3 %), selon la dernière étude de la Conférence des Grandes Écoles. Le pourcentage de femmes qui se lancent dans l’aventure reste cependant modeste, de l’ordre de 10 à 15 % du total des fondateur (rice)s. Ainsi, des exceptions étant évidemment et heureusement possibles, une solide formation supérieure constitue une bonne base. Les autres facteurs de succès sont sans surprise, au plan des compétences, la qualité et la complémentarité des équipes, autrement dit les talents, et au plan des comportements, la persévérance et le sens de l’effort ainsi que la capacité à mobiliser et à favoriser l’engagement par la responsabilisation de chacun. Au niveau des méthodes, l’agilité est de rigueur avec les approches de type « test and learn » (apprentissage à partir de ses essais …et de ses échecs).

Au-delà des qualités intrinsèques du projet et des équipes, il faudra également être capable de persuader les investisseurs de l’intérêt de les financer, ce qui nécessite de bonnes compétences relationnelles et une communication pertinente. Le startupper est amené à faire de nombreux pitches pour présenter son projet ! Sans oublier bien sûr que l’innovation proposée doit apporter un véritable service et répondre à un vrai besoin des clients et de la société en général si elle veut être durable. Son modèle économique doit également convaincre les investisseurs qui, s’ils sont prêts à soutenir des projets, exigent naturellement à un certain terme un retour sur leur mise, c’est la difficile équation à laquelle doivent notamment répondre Uber ou WeWork aujourd’hui. En France, on estime qu’en 2020 les startups vont créer 25 000 postes, soit 10 % des nouveaux emplois générés par l’économie française. Des postes à forte valeur ajoutée, avec des risques certes mais aussi des perspectives d’évolution et de rémunération attrayantes dans le cadre d’un package incluant le plus souvent un dispositif d’actionnariat qui permet de partager la valeur du travail collectif. En définitive, il est clair que tous les paris proposés par les startups ne seront pas gagnants mais il est tout aussi clair que certaines, qui pèsent d’ores et déjà dans leur secteur, sont là pour durer, comme Yuka dans la consommation ou Shadow dans l’informatique, étant rappelé que toutes les entreprises, petites ou grosses, sont mortelles.

L’écosystème 

Dans ce contexte, les initiatives se sont multipliées pour créer un environnement favorable à la création de ces entreprises, au niveau des pouvoirs publics comme précédemment indiqué, et des grands groupes qui ont, eux, souhaité être associés à ce mouvement de façon à saisir les opportunités d’innovation sans oublier leur crainte de se voir dépassés ou uberisés. La plupart ont ainsi mis en place leurs propres incubateurs ou accélérateurs de startups afin de ne pas laisser la place aux seuls acteurs spécialisés, souvent d’origine américaine, comme Techstars. Pour autant les rapports entre grands groupes et startups restent ambigus car ces dernières sont généralement dans une logique de co-construction alors que les premiers raisonnent plus en logique d’intégration et d’acquisition et selon leurs process internes, souvent loin du « test and learn« . Les investisseurs constituent bien sûr un élément clé du dispositif, le système étant structuré autour du besoin de financement et du stade de développement de la startup. Après le « love money » (famille et entourage) nécessaire au lancement, interviennent les business angels et les fonds d’amorçage pour les premiers pas (quelques centaines de milliers d’euros), puis pour les levées de fonds ultérieures (appelées, en fonction de leur montant, séries A, B, C), les V.C’s (venture capitalists), acteurs du private equity (comme Insight Venture Partners, Séquoia Capital ou Goldman Sachs). Une éventuelle cotation en bourse (IPO, Initial Public Offering), constitue la consécration, Graal que peu de sociétés atteignent (seulement quelques dizaines de sociétés en Europe depuis 2015). Les grands groupes interviennent eux-mêmes directement sur le marché avec des stratégies d’acquisition parfois agressives, parmi lesquelles on peut citer l’acquisition de WhatsApp par Facebook ou l’investissement récent d’Amazon dans Deliveroo. Selon une étude publiée fin 2019 par Tech.eu, les Américains restent les principaux acteurs avec 132 Md€ investis dans les entreprises Tech outre-Atlantique contre 25 Md€ en Europe (dont plus de cinq en France). Dans la French Tech, les levées de fonds ont sensiblement progressé en 2019, avec 12 tours de table dépassant chacun 50 M€ au premier semestre 2019, dans de multiples secteurs d’activités, à titre d’exemple Meero (250M€, services photographiques), Ynsect (110M€, élevage d’insectes pour alimentation animale et végétale), HR Path (100M€, prestataire de conseils en RH) ou Wynd (70M€, fournisseur de systèmes d’information pour la distribution). Mais les licornes françaises (sociétés valorisées à plus d’un milliard d’euros), comme Doctolib ou Blablacar, sont encore peu nombreuses.

Retour d’expérience 

A titre personnel, j’ai fait connaissance avec le monde des startups il y a quatre ans. Mon entreprise (Groupama) était l’un des partenaires, aux côtés d’Accor, Air Liquide, FDJ et Total, de l’accélérateur d’origine américaine, Techstars, chaque groupe s’engageant à apporter à la fois un soutien financier et, à travers ses cadres supérieurs et dirigeants, une expertise aux startups sélectionnées par Techstars. Ainsi, dans le cadre de ce programme, chaque année, dix startups sur quatre cents, opérant dans tous les secteurs d’activité, étaient retenues après un processus de screening très sélectif et bénéficiaient par la suite d’un dispositif d’accompagnement mis en place par l’accélérateur (locaux, organisation, administration) et de conseils apportés par les cadres des sociétés partenaires. Cette démarche de mentoring s’appuyait sur le volontariat bénévole des cadres intéressés et s’effectuait après une phase de présentation des différentes startups et un speed dating individuel (sept minutes chrono sous le contrôle de Techstars) entre les fondateurs des startups et les cadres des groupes partenaires. Ensuite, les responsables des startups faisaient le choix de mentors, un ou plusieurs, pour les accompagner dans leur projet.

C’est ainsi que je suis devenu le mentor d’une startup, Lovys, positionnée dans le domaine du courtage d’assurance, c’est-à-dire la mise en relation d’un client et d’un assureur, avec l’ambition d’améliorer l’expérience client (le fameux user’s experience ou UX dans le jargon), dans un secteur souvent considéré comme administratif et ennuyeux, à travers une offre totalement digitale, flexible et personnalisable. Convaincu par la qualité du projet, j’ai participé au premier tour de table (« love money ») et des investisseurs institutionnels ont financé la deuxième phase, le fonds d’amorçage, à hauteur de plus de trois millions d’euros. La structure, opérationnelle depuis plus d’un an, emploie désormais une vingtaine de collaborateurs, enthousiastes et talentueux, la plupart jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs, la partie Tech étant essentielle, ou de commerce, pour le volet marketing.

La prochaine étape, objectif fin 2020, est de lever des fonds supplémentaires, dans le cadre d’une série A, afin d’accélérer le développement de la société, en séduisant les consommateurs français grâce à une expérience d’achat et d’utilisation supérieure, dans le cadre d’une approche B2C, ou auprès de plateformes numériques et de bancassureurs, dans le cadre d’une approche B2B2C. La stratégie est en effet de se positionner auprès des investisseurs comme un acteur incontournable sur ce segment de marché, conformément, à une dimension beaucoup plus modeste bien sûr, à la stratégie des acteurs de la Silicon Valley : « The winner takes it all ».

Finalement, un magnifique défi pour les fondateurs ambitieux et salariés de la startup que j’ai grand plaisir à accompagner. Et demain, pourquoi, vous aussi, ne pas vous lancer dans l’aventure ? Vous avez certainement de bonnes idées. Alors, osez !

 

Mots-clés : Innovation – start-up – private equity

René Cado
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