Les inégalités entre les femmes et les hommes sont bien étudiées et documentées quand il s’agit d’inégalités salariales. On songe même à mettre en place des dispositifs pour les réduire. Mais ne se condamne-t-on pas à échouer faute d’une compréhension globale de ces inégalités ? Il serait plus facile de citer les domaines où règne l’égalité que les autres. On ne parlera ici, au-delà du salaire, que de l’éducation, des trajectoires professionnelles, de leur pendant dans la vie publique, des retraites, des tâches ménagères et des violences subies.

Ces derniers mois, les écarts de salaires entre hommes et femmes ont été particulièrement commentés dans les médias, du fait des premiers résultats de l’ « index de l’égalité femmes-hommes » dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés. Cet index est calculé selon cinq grands critères : la rémunération, les augmentations, les promotions, les augmentations suite à un congé maternité et la part des femmes parmi les dix plus hauts salaires. Résultat : en 2019, 17 % des entreprises concernées n’atteindraient pas l’objectif de 75 % selon le Ministère du Travail. Ces entreprises ont trois ans pour se mettre en conformité, avant de subir des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.

Si les inégalités de salaires entre hommes et femmes sont une réalité et ont un impact de long terme dans la vie des femmes (notamment au moment de la retraite), elles ne sont pas déconnectées de la sphère privée. De fait, les femmes passent plus de temps que les hommes à exécuter des tâches ménagères ou à s’occuper des enfants, chiffres de la statistique publique à l’appui.

L’écart de salaires s’élève à 28 % dans le privé, 17 % dans le public

En 2014, dans l’ensemble du secteur privé et de la fonction publique, les femmes ont un salaire inférieur de 24 % à celui des hommes. Plus précisément, cet écart est de 28 % dans le privé et 17 % dans le public. Le moindre écart du public tient principalement au fait que les salaires et les augmentations ne sont pas (ou très peu) négociés, ils dépendent largement des grilles indiciaires des agents fonctionnaires.

Plusieurs éléments expliquent en partie ces différences de salaires. Parmi eux, des caractéristiques individuelles et des caractéristiques de l’emploi : les femmes sont plus souvent à temps partiel et font moins souvent d’heures supplémentaires que les hommes ; les femmes et les hommes ne travaillent pas (ou pas tout à fait) dans les mêmes secteurs d’activité et n’ont pas les mêmes métiers ou même catégories socioprofessionnelles ; les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes diplômes, voire les mêmes spécialités de diplôme. Parmi les jeunes générations, les femmes sont plus et mieux diplômées que les hommes. Ce n’est pas encore globalement le cas, a fortiori pour les quinquagénaires et au-delà, ceux-là qui sont également les plus susceptibles d’occuper les emplois les mieux rémunérés. Les spécialités de diplôme diffèrent encore et toujours : on peut citer le cas emblématique des études scientifiques. Par exemple, à la rentrée 2017, les filles sont sous-représentées en terminale S : elles y représentent 47 % des élèves, contre 54 % de l’ensemble des terminales générales et technologiques. Mais même en prenant en compte toutes ces différences de caractéristiques, il reste une part inexpliquée de l’écart de salaires hommes-femmes, de l’ordre de 10 % dans le secteur privé.

Le plafond de verre ou le plancher collant

L’écart de salaires hommes-femmes est également lié à la moindre présence des femmes dans les postes à responsabilité, qui renvoie aux critères sur les promotions et les plus hauts salaires de l’index. En 2015, secteurs public et privé confondus, 42 % des cadres sont des femmes. Si on considère les cadres dirigeants du secteur privé, cette part est plus faible. En effet, en 2014, 23 % des cadres dirigeants des entreprises de moins de 1 000 salariés sont des femmes, contre 24 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. Du côté du secteur public, au 31 décembre 2016, les femmes représentent 64 % des agents de catégorie A et 41 % des A+. Ainsi, dans le secteur privé comme dans le secteur public, les femmes sont sous-représentées parmi les cadres dirigeants. On retrouve cette idée du plafond de verre (qui empêche d’accéder aux fonctions les plus élevées) et du plancher collant (qui empêche de quitter un certain niveau de poste) chez les élus, quand bien même certaines élections doivent respecter la parité. C’est notamment le cas des élections municipales, ou tout au moins des listes électorales pour les communes de plus de 1 000 habitants. En 2019, les femmes représentent 40 % des conseillers municipaux et 17 % des maires. Cette dernière part est plus faible quand on considère les plus grosses communes (14 % de femmes maires dans les communes de 1 000 habitants et plus).

Un impact conséquent sur les retraites

Les moindres rémunérations des femmes, mais aussi les périodes d’inactivité, pèsent sur l’écart de retraites. En France, en 2014, les pensions de retraite de droit direct (i.e. liées aux cotisations retraites des personnes en activité) des femmes de 65 ans ou plus sont inférieures de 42 % à celles des hommes du même âge. Si on tient également compte des droits familiaux tels que la pension de réversion (partie de la pension de retraite versée au conjoint survivant en cas de veuvage), cet écart est de l’ordre de 25 %. Sachant qu’en moyenne, les femmes vivent plus longtemps et sont plus souvent veuves, leurs plus petites pensions de retraite se révèlent parfois insuffisantes au moment du grand âge et de la dépendance.

Cet écart de 25 % est calculé sur des générations nées avant 1950. Il devrait se réduire dans les années à venir, avec l’arrivée de retraitées qui ont eu moins de périodes d’inactivité que les retraitées de générations précédentes. Cependant, l’écart persistera, notamment du fait des droits familiaux et plus particulièrement des pensions de réversion. Car les générations nées après la seconde guerre mondiale ont plus souvent divorcé que les précédentes. En corollaire, les femmes qui viennent de prendre leur retraite ou qui vont la prendre dans les années à venir auront certes de plus fortes pensions de droit direct mais moins de pensions de réversion. Ce qui laisse présager une augmentation du nombre de retraitées ne vivant pas en couple et avec un faible niveau de vie.

L’inéquitable répartition des tâches ménagères et des soins aux enfants et aux personnes âgées

Tous ces constats liés à la sphère professionnelle ne doivent pas être déconnectés de la sphère privée. En effet, l’organisation autour des enfants et des aînés a un impact sur le temps consacré au travail. De fait, si les femmes sont plus souvent à temps partiel que les hommes, c’est notamment pour s’occuper de leurs enfants, voire de leurs ascendants. En moyenne sur la période 2013-2016, parmi les femmes qui déclarent avoir choisi d’être à temps partiel, la moitié l’est pour pouvoir s’occuper des enfants ou d’un autre membre de la famille. Alors que parmi les hommes dans la même situation, cette part est d’environ 15 %. Plus généralement, en 2010, les femmes de 15 à 60 ans consacrent en moyenne 4h01 par jour au temps domestique, dont 45 mn pour les soins aux enfants ; ces chiffres sont de 2h13 et 19 mn pour les hommes. Quand on se restreint aux personnes en couple avec des enfants, le temps moyen consacré aux soins aux enfants varie de 0h35 à 3h29 pour les femmes et de 0h16 à 1h22 pour les hommes, en fonction du nombre et de l’âge des d’enfants.

Les violences, un problème criant

La sphère privée est le lieu d’autres inégalités entre femmes et hommes. Il faut ici évoquer les violences conjugales et sexuelles, qui impactent très fortement la vie des victimes. En 2016, 10 % des femmes et 5 % des hommes de 14 ans ou plus déclarent se sentir en insécurité à leur domicile. En outre, en moyenne sur 2014 et 2015, 13 % des femmes et 11 % des hommes déclarent avoir subi des atteintes psychologiques ou des agressions verbales de la part de leur (ex-)conjoint cohabitant ; 2,1 % des femmes et 0,9 % des hommes déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles conjugales. Ces violences conjugales font rarement l’objet de plaintes, surtout lorsqu’il s’agit de violences sexuelles. En outre, deux victimes de viol, tentative de viol ou attouchements sexuels sur trois connaissent bien leur agresseur. Et on estime à 149 le nombre de morts violentes au sein du couple en 2018. Principalement des femmes.

Finalement, si l’on désire réduire les inégalités entre femmes et hommes – et quand bien même on voudrait se limiter aux inégalités professionnelles – il ne faut pas limiter le champ des politiques publiques aux salaires ou à l’accès aux plus hautes fonctions. Il faut aussi engranger des retombées sur ce qui se passe dans la sphère privée. Par exemple, inciter les pères à passer plus de temps avec leurs enfants grâce à un congé paternité plus long et mieux rémunéré. Ou augmenter le budget de la justice afin que les plaintes pour violences conjugales et sexuelles soient plus rapidement traitées, par des agents spécialisés. Mais cela demande bien plus de moyens que la création d’un index.

 

Mots-clés : Inégalités – genre – salaires – retraites – violences


Bibliographie

« Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur », Depp, édition 2019.

« Les violences conjugales en 2018 », V. Bernardi et S. Hama, Interstats n° 12, novembre 2019.

« Ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes : quels liens avec le temps partiel ? », K. Briard, Document d’études n° 234, Dares, juillet 2019.

 « La part des femmes dans les conseils municipaux en 2019 », X. Niel, Bulletin d’information statistique n° 131, DGCL, mars 2019.

« Viols, tentatives de viol et attouchements sexuels – Deux victimes sur trois connaissent bien leur agresseur » ,H. Guedj, Interstats n° 18, décembre 2017.

« Scolarité, vie familiale, vie professionnelle, retraite : parcours et inégalités entre femmes et hommes aux différents âges de la vie », M. Collet et L. Rioux in « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee Références, édition 2017.

« Les écarts de pension entre les femmes et les hommes : un état des lieux en Europe », M. Geraci et A. Lavigne in « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee Références, édition 2017.

« Atteintes psychologiques et agressions verbales entre conjoints – Des atteintes plus fréquentes et plus graves à l’encontre des femmes », C. Burricand et L. Jamet, Insee Première n° 1607, juillet 2016.

« Inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France », C. Bonnet et J.-M. Hourriez in « Femmes et hommes, regards sur la parité », Insee Références, édition 2012.

« En 25 ans, moins de tâches domestiques pour les femmes, l’écart de situation avec les hommes se réduit », L. Ricroch in « Femmes et hommes, regards sur la parité », Insee Références, édition 2012.

« Enfants, interruptions d’activité des femmes et écart de salaire entre les sexes », D. Meurs, A. Pailhé et S. Ponthieux, Revue de l’OFCE n° 114, 2010.

Alice Mainguené
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