L’investissement à impact social et environnemental (impact investing) est un ensemble de stratégies d’investissement cherchant à générer une double performance : financière et sociétale (sociale et/ou environnementale).

Si la terminologie « impact investing » semble assez nouvelle pour nombre d’investisseurs, les pratiques consistant à investir dans les entreprises qui visent à résoudre les défis sociaux et environnementaux existent depuis fort longtemps. Il y a plus de trois siècles, les Quakers ont les premiers utilisé les exclusions sectorielles. Dans les années 1960, les campagnes de désinvestissement anti-apartheid constituèrent un mouvement global qui contribua à mettre fin aux politiques d’apartheid en Afrique du Sud. Les années 70 ont vu la naissance des premiers investissements à thématique écologique aux Etats-Unis. Et, depuis les années 90, la microfinance a trouvé sa place comme une solution institutionnalisée pour lutter contre la pauvreté dans le tiers-monde.

C’est au lendemain de la crise financière de 2007/2008, avec la remise en cause des modèles purement quantitatifs de gestion financière, que ces solutions financières plus inclusives sont ramenées au-devant de la scène. La fondation Rockefeller utilise alors le terme d’Impact Investing pour regrouper l’ensemble des stratégies et des thématiques d’investissement permettant aux investisseurs d’agir concrètement sur les grands défis sociaux et environnementaux de leur quotidien ; cela pour donner du sens à leurs investissements. Bien plus que de chercher à sélectionner des entreprises selon leurs pratiques internes ESG[1] afin d’éviter des risques potentiels, l’investisseur impact va rechercher des entreprises tournées vers l’extérieur, proposant des produits ou services qui contribuent à solutionner des problématiques sociales ou écologiques.

Au fil des années, ces stratégies à impact ont attiré plus de 500 milliards USD à fin 2018, et les analystes prédisent une accélération de ce mouvement au fur à mesure du transfert du pouvoir décisionnel et du capital vers la génération des millennials, née après 1980 et réputée comme plus attentive aux grands défis sociétaux.

Sous la bannière « d’impact investing », une gestion financière autrefois de niche se développe et attire de plus en plus d’acteurs et un véritable écosystème se formalise.

Des acteurs économiques qui cherchent à s’engager positivement

Ce succès tient sans doute au repositionnement des investisseurs comme partenaires de « projets qui font sens » pour contribuer positivement à nos communautés : loger des personnes défavorisées, insérer professionnellement les sans-emplois, accompagner les personnes en situation de handicap, préserver notre environnement ou encore renforcer la solidarité internationale. Les « family offices » des ultra-riches sont très actifs dans le « social venture capital » ; l’aventure entrepreneuriale positive et la proximité avec les équipes managériales sont des leviers forts de satisfaction. Les Fondations voient dans l’impact investing un relais pour pérenniser leurs activités philanthropiques, l’impact investing étant circulaire par opposition au don altruiste plus éphémère. En effet, les ressources investies peuvent être réutilisées ultérieurement par les Fondations pour soutenir de nouveaux projets. Les fonds de pension, banques et assureurs, soumis à la pression de la société civile, peuvent justifier de leur soutien au développement durable avec des financements à forte résonance médiatique positive. Les Agences de Développement et organismes supranationaux coopèrent de plus en plus avec les acteurs privés pour mener à bien leur feuille de route des Objectifs de Développement Durable de l’ONU.

S’agissant des cibles d’investissement, de nouveaux modèles émergent. Les labels et statuts se multiplient : le B-corp du modèle anglo-saxon, les entreprises ESUS en France liées à l’économie Sociale et Solidaire et, maintenant, les Entreprises à Mission issues de la loi Pacte de 2019. Ces concepts interrogent l’obligation du seul retour aux actionnaires et incitent les acteurs économiques à renforcer leur rôle inclusif et positif pour l’intérêt général.

Des instruments financiers pour déployer du capital vers les solutions à impact

Le capital investissement (private equity et private debt) est l’outil le plus utilisé car il crée un lien de partenariat actif entre l’investisseur et l’entrepreneur et répond aux vocations premières de l’impact investing, l’additionalité et l’intentionnalité. L’additionalité, car l’investisseur à impact est souvent le premier apporteur de capitaux, ce qui permet de déclencher un projet social novateur qui pourra être ensuite soutenu par d’autres financeurs. L’intentionnalité, car l’investisseur à impact et l’entrepreneur social souhaitent agir de concert pour améliorer le quotidien de nos sociétés.

L’investissement d’impact a prouvé son utilité, mais les législations actuelles détournent encore beaucoup d’investisseurs institutionnels de ces solutions de financement à long terme, car illiquides. Il a donc été primordial d’innover pour offrir de la liquidité aux instruments financiers d’impact. Pour cela, des plateformes d’échange de participation à impact ont émergé. Ces Social Exchanges (Social Stock Exchange à Londres, Impact Exchange à Singapour, Social Venture Connexion (SVX) au Canada) permettent à des entreprises sociales de faire un appel public à l’épargne et aux fonds de capital investissement de pouvoir s’échanger leurs participations.

Sur les marchés obligataires, les Green Bonds s’imposent comme des instruments faciles et lisibles. Ces titres de dettes émis par des entreprises, villes ou autres organisations sont destinés à financer de façon ciblée des projets écologiques ou de transition énergétique. Le marché des obligations vertes est en forte croissance avec plus de 600 milliards USD d’émissions en cumulé à l’été 2019. Emboitant le pas aux green bonds, on trouve aujourd’hui les Social Impact Bonds. Ces contrats sont destinés à financer des programmes sociaux portés par des associations ou des structures de l’entreprenariat social. Les parties prenantes s’entendent sur un objectif de résultat, qui peut être social ou financier. Si l’objectif est atteint, l’investisseur percevra un retour financier et, s’il est dépassé, la rémunération sera augmentée. S’il n’est pas atteint, l’investisseur ne touchera rien et son investissement sera considéré comme un simple don caritatif. Ces contrats à impact social ont été mis en place au Royaume-Uni en 2010, puis aux États-Unis, en Belgique, en Allemagne, et en France en 2016.

Cette innovation constante de la communauté de l’impact investing est tirée par la volonté des acteurs de résoudre des problèmes concrets et de structurer de façon innovante leur approche pour combler le manque de solution de financement. Dans l’impact investing, il ne s’agit pas seulement de mesurer et communiquer sur l’impact social ou environnemental d’un investissement, mais de financer un projet, d’accompagner une entreprise dont l’objet social est de répondre à un défi social ou écologique.

Une analyse approfondie pour apporter des solutions efficaces et fédérer

Avec l’impact investing, l’analyse financière traditionnelle est complétée par une analyse d’impact. Cette double analyse permet de sélectionner les meilleurs entrepreneurs sociaux, de suivre l’impact réel des investissements et leur pérennité, et enfin de répondre aux exigences de reporting des investisseurs pour mieux les convaincre et atteindre une taille critique qui assure la viabilité des dispositifs.

Pour un investisseur, c’est un moyen d’identifier les différents acteurs qui répondent à un certain besoin sociétal : une aide à la décision dans le choix des entreprises à intégrer à un portefeuille, un outil de suivi régulier des réalisations, et un outil de reporting auprès des investisseurs finaux et autres parties prenantes.

Pour un entrepreneur social, la mesure d’impact est un moyen de se positionner comme acteur de l’Economie Sociale et Solidaire, et ainsi prétendre à certains financements, notamment lorsque son action permet aux collectivités d’éviter des coûts importants. C’est également une opportunité de communiquer sur son entreprise auprès des différentes parties prenantes, et un véritable outil de pilotage pour essayer d’améliorer en continu son action.

La mesure d’impact peut intervenir à toutes les étapes d’un projet d’impact social : avant le projet, afin d’étudier la faisabilité du projet dans une phase de négociation entre parties prenantes, et pendant la période d’investissement, afin de s’assurer du bon déroulement du projet en lien avec les objectifs d’impact définis initialement.

Il existe aujourd’hui plusieurs méthodes de mesure de l’impact social. Le choix d’une méthode est déterminé par l’utilisation que l’on veut en faire ; cependant, toutes les méthodes ont en commun :

  • la définition du besoin
  • la définition des bénéficiaires et des parties prenantes
  • la définition d’une théorie de changement
  • la définition d’indicateurs
  • l’analyse des résultats et de l’écart avant et après l’action

Cela fait beaucoup de paramètres à prendre en compte, beaucoup de données à collecter et à analyser. Le pragmatisme des investisseurs à impact qui se focalisent sur la réalité qualitative est peu à peu rattrapé par les exigences quantitatives. Une analyse résolument plus « industrialisée », soutenue par les statistiques, ne remettrait pas en question la vocation humaine et concrète de l’approche, mais permettrait de renforcer les processus d’investissement en permettant une meilleure efficience et un langage commun.

Quelques piliers de limpact investing qui rapprochent le monde qualitatif et quantitatif

Guider la stratégie et la thématique d’investissement.  Chaque partie prenante a bien souvent sa propre opinion concernant les défis à prendre en compte dans les investissements à impact. Mais la multitude des défis locaux ou globaux et leurs interactions déroutent. Avec pour leitmotiv l’éradication de la pauvreté dans le monde en poussant les activités privées et publiques vers plus d’inclusion, l’ONU a développé en 2015 un plan d’actions de 15 ans, les Objectifs de Développement Durable (ODD). Ce cadre global, commun aux 193 pays signataires, est agencé en 17 grandes thématiques, et comporte 169 cibles avec 244 indicateurs de réussite chiffrés. Peu à peu, l’ensemble des acteurs de l’impact investing organise ses interventions sous l’angle des ODD. Les Instituts de Statistiques Nationaux permettent de suivre l’état d’avancement macroéconomique, ce qui donne plus de résonance aux indicateurs publiés chaque année par les investisseurs à impact. Ces cibles énoncées et quantifiables permettent une efficience améliorée pour les acteurs. C’est en adoptant cette démarche quasi-scientifique, qu’une multitude d’expériences de terrain peuvent s’illustrer sur un cadre harmonisé.

L’analyse de l’impact. Une fois le cadre d’intervention défini, l’investisseur doit sélectionner l’objet de son financement. Un cadre consensuel tel que l’Impact Management Project, rassemblant plus de 2 000 praticiens et organisations, a permis d’établir un standard de grille d’analyse autour des cinq dimensions ciblées : quoi, qui, combien, la contribution et les risques. Ces cinq étapes d’analyse qualitative sont complétées par des indicateurs quantitatifs tels qu’IRIS+ – Impact Reporting and Investment Standards -. En adoptant cette analyse structurée, les acteurs permettent une comparabilité interne aux secteurs d’intervention et une cohérence accrue des reportings d’impact. C’est important, car si chaque situation humaine est différente, les investisseurs à impact doivent pouvoir proposer à leurs financeurs un tronc commun d’indicateurs quantitatifs et synthétiques pour permettre l’adhésion de nouveaux investisseurs clients.

La sélection et le couple performance financière/impact. Une fois normalisés, les indicateurs d’impact doivent contribuer à une appréciation relative du projet. Bien souvent, l’investisseur se trouve face à un arbitrage entre la performance financière attendue et les impacts sociaux espérés ; l’analyse statistique va aider à mieux placer l’équilibre. L’Impact Efficient Frontier[2] emprunte à la théorie financière CAPM[3] l’idée d’un couple optimal entre performance financière et impact : les investisseurs associent à chacun de leurs investissements un rendement financier espéré/obtenu et un impact social ou écologique espéré/obtenu. En offrant une meilleure visibilité, cette méthode cohérente permet une décision raisonnée et une sélectivité plus efficiente. Ici, en chiffrant l’impact concret et en le reliant à la théorie statistique financière, on permet encore une fois d’améliorer les processus.

La contribution des investissements à des enjeux de société. Certains investisseurs, comme Amundi, mettent en place des jauges qui relient l’impact généré aux problématiques réelles rencontrées dans un territoire. A titre d’exemple, on dénombre environ 140 000 SDF en France ; l’investisseur va faire correspondre le nombre de places en accueil d’urgence financées par ses investissements et ce problème de société. La contribution chaque année peut aisément s’observer dans cet exemple, mais d’autres situations peuvent être plus ambiguës. Dans un pays émergent, si les travailleurs agricoles se forment tous à un poste IT, une industrie essentielle au tissu local n’est-elle pas en péril ? Lorsqu’un chômeur trouve un emploi dans une entreprise d’insertion subventionnée, une économie sur les budgets publics est-elle réalisée ? Sur ces questions bien concrètes, des méthodes d’analyses sont proposées. Citons le SROI, comme méthode d’analyse coûts-bénéfices d’un investissement à impact. Cette méthode mesure quantitativement la valeur extra-financière d’un investissement, c’est-à-dire sa valeur environnementale ou sociale -qui n’est actuellement ni reflétée ni explicitée dans la finance classique. Normalisée par la société Social Value UK, cette approche quantitative vise à éclairer les décisions stratégiques. Les parties prenantes vont tenter de chiffrer les valeurs financières «indirectes» sur tout impact identifié, positif et négatif, afin de les prendre en compte dans les décisions d’allocation de ressources. Ainsi, on pourra mieux cibler l’utilité pour nos sociétés de soutenir telle ou telle proposition de réponse à un problème social ou environnemental.

Des défis à résoudre pour mener à bien la mission dans sa globalité

Si l’impact investing démontre aujourd’hui que la finance et ses acteurs peuvent agir concrètement sur tant de défis, les problématiques sociétales sont complexes, et les réponses à apporter peuvent être multiples. Trouver un logement à un sans-abri n’est qu’un premier pas, souvent il faut également réinsérer dans l’univers professionnel, et pour cela peut-être traiter des problèmes de santé ou de mobilité. Il faut avoir une vision claire du maillage territorial des dispositifs sociaux ou écologiques déjà en place, comprendre l’utilisation qu’en fait la population locale, savoir où et quel investissement mettre en place pour arriver à éradiquer la misère sociale.

La bonne utilisation de données quantifiables et de modèles statistiques permet une meilleure visibilité pour prendre des décisions et un impact plus efficient des différents investissements.

Mais les capacités d’analyse prouvent leurs limites face à des réalités bien différentes et à des enjeux globaux plus pressants. À l’heure actuelle, les méthodes d’évaluation de l’impact sont soumises à des limitations importantes. D’une part, les méthodes de collecte d’informations sont laborieuses et génératrices de coûts. D’autre part, la qualité des données collectées peut être mise en cause en raison de leur subjectivité, de biais et de la nécessaire évaluation qualitative ou déclarative d’un problème issu du réel.

Malgré l’enthousiasme des détenteurs finaux de capitaux, les particuliers et les gestionnaires de fonds d’investissement restent réticents à assigner une grande partie de leurs allocations financières à des investissements « utiles » : 70 % des familles à très fort patrimoine[4] (UHNW) y sont favorables, alors que 43 % seulement de leurs gestionnaires financiers y sont ouverts (Shirer et Demers, 2018). Les obstacles résident essentiellement dans le manque de données robustes.

L’émergence du Big Data et celle du Deep Learning permettront sans doute de faciliter le développement de l’impact investing et d’intensifier ses effets.

Alors que l’évaluation d’impact doit chercher à comprendre les facteurs sociaux (qui ne se prêtent pas traditionnellement à une évaluation objective et quantitative), la recherche statistique du Big Data tire parti de l’ampleur et du détail des données disponibles pour cartographier avec précision les problématiques. À partir de là, il est possible d’identifier des solutions entrepreneuriales et financières qui auraient été imperceptibles avec les modes d’évaluation traditionnels. Ensuite, avec l’apport de multiples sources d’information et leur croisement des données, les acteurs économiques soucieux des impacts de leurs investissements pourront peu à peu se servir d’outils novateurs pour choisir leurs actions et surtout prouver la contribution aux défis de notre temps : changement climatique, santé humaine, éducation, logement pour tous.

Ainsi, finance, mathématique et statistiques sont réappropriés comme outils au service de nos communautés.


[1] En matière environnementale, sociale et de gouvernance.

[2] Root Capital

[3] Capital Asset Pricing Model

[4] Individus qualifiés de Ultra High Net Worth

Florian Peudevin
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