La défiance est au goût du jour : défiance vis-à-vis des élus, dont nous constatons les manifestations chaque samedi depuis plusieurs mois maintenant ; défiance vis-à-vis de nos élites politiques, économiques et intellectuelles, accusées de tous les travers et incompétences ; défiance aussi vis-à-vis des entreprises et de leurs dirigeants, trop portés à la dépense somptuaire ou aux retraites chapeaux exorbitantes. Presse et instituts de sondage se font régulièrement le baromètre et l’écho du désengagement consécutif à cette défiance. Dans les études comparatives internationales, la France se classe régulièrement en dernière position, avec une part de salariés désengagés supérieure à 50% [1].  L’engagement ne serait l’apanage que d’une infime minorité de collaborateurs, moins de 5% d’entre eux.

A ce titre, on scrute les nouvelles générations, les Y et les Z, on disserte sur leur quête de sens, leurs désillusions une fois confrontés à la réalité de l’entreprise traditionnelle, on s’inquiète du brown out, cette lassitude des cadres qui ne trouvent plus de sens à leur emploi, on fustige les bullshit jobs, leur opposant  le retour en force des métiers manuels auprès des jeunes diplômés ou la ruée vers les start-up sans hiérarchie. Plus rarement, certains dépassent la lecture générationnelle pour noter que la quête de sens et le désengagement ne sont pas moins grands chez les séniors, qui après avoir fait carrière, de plus en plus souvent après avoir connu le chômage et ses angoisses, s’interrogent sur le sens de cet investissement, qui ne leur semble pas payé de retour par leur employeur.

Mon père, Jean-Luc Petithuguenin, a fondé Paprec en 1994 sur une double conviction, un double sentiment d’urgence : d’une part, le besoin d’agir vite et fort pour préserver notre environnement et les ressources naturelles et d’autre part, la volonté de prouver que la performance en entreprise pouvait être fondée sur la diversité des individus et de leurs parcours mobilisée au service d’un projet ambitieux.

Aujourd’hui, près de 25 ans plus tard, Paprec est devenu le leader incontesté du recyclage en France, leader pour les papiers-cartons ou les déchets du BTP mais également pour les plastiques, objet de toutes les attentions et dont le recyclage est l’un des enjeux industriels et environnementaux majeurs de la décennie, sinon du siècle.

Dès le départ, la vision stratégique et l’énergie de mon père étaient là. Mais pour passer de 40 à 8500 personnes, la clé de la réussite réside dans l’engagement exemplaire et la détermination de nos équipes.

Je suis convaincu que l’engagement de nos salariés, ce moteur de la réussite de Paprec, est le strict miroir de l’engagement de l’entreprise, de l’engagement personnel de son fondateur. Quel que soit son âge, son genre, son milieu social, son origine, ses convictions politiques ou religieuses, un collaborateur comme un client est une personne. L’équation de l’engagement ne tient pas tant aux Y et Z des générations mais, j’en suis convaincu, à deux facteurs, deux besoins communs à la plupart des individus : d’une part, le besoin de donner un sens au travail qui dépasse le seul intérêt individuel, le besoin d’inscrire ses actions quotidiennes dans un projet éthique plus large ; d’autre part, le besoin de réciprocité, cette pierre angulaire des relations humaines. L’engagement de Paprec, le contrat moral que nous renouvelons chaque jour avec nos salariés et nos clients répond à ces deux besoins. Il tient en peu de mots, ceux de notre mot d’ordre corporate : pour une planète plus verte et une société plus fraternelle.

L’urgence environnementale, aujourd’hui évidente pour le plus grand nombre, était loin de l’être à la fondation de Paprec. Nombreux sont ceux à avoir traité mon père de doux rêveur ou de fou. En 1994, les grands opérateurs historiques de gestion des déchets ne croient pas en la rentabilité du recyclage : celui-ci est marginal dans leurs comptes, portés par l’enfouissement et l’incinération (c’est toujours le cas aujourd’hui). Pire, c’est potentiellement un concurrent pour ces deux piliers de leur rentabilité. Replaçons-nous dans le contexte de 1994. Le Sommet de la Terre à Rio, qui marque le début de la prise de conscience internationale du danger que représente le changement climatique, n’a eu lieu que deux ans auparavant. Un scientifique éminent, Claude Allègre, alors cadre du PS et futur ministre, peut écrire dans Le Point sans que cela fasse polémique que le changement climatique n’est qu’un danger imaginaire, inventé par les lobbies. Le torrent de réactions outrées que suscitera une déclaration similaire onze ans plus tard illustre le chemin parcouru. Mais en 1994, non, l’urgence environnementale ne l’est pas tant que cela.

Pour les déchets, il en va de même. La hiérarchie des modes de traitement, qui priorise la réduction à la source et le recyclage des déchets, n’en est encore qu’à ses balbutiements. Il en va de même pour le principe de responsabilité élargie du producteur et du pollueur-payeur. Ce n’est qu’en 1993 que pour la première fois, les metteurs en marché européens deviennent financièrement responsables de la fin de vie des emballages qu’ils génèrent. Investir personnellement dans le recyclage, en 1994, c’est presque la quintessence de l’engagement : c’est risquer son avenir personnel et celui de ses proches sur une conviction et une vision du bien commun.

Ce choix précurseur de Jean-Luc Petithuguenin et de Paprec, nos clients le connaissent.  Il est central dans la relation qui nous lie et assoie notre crédibilité commerciale. C’est aussi une source de motivation majeure pour nos salariés. Du trieur et du ripeur derrière son camion-poubelle, jusqu’au directeur général, chacun a conscience d’appartenir et de participer à un projet foncièrement positif et bénéfique pour la collectivité, pour les générations présentes et futures. A ce titre, on postule rarement chez Paprec par hasard. Lorsque les images profondément perturbantes d’oiseaux de mer ou de mammifères marins étouffés par des bouteilles ou des sacs en plastique envahissent l’espace public et les écrans, nos collaborateurs ont la chance de pouvoir penser et dire qu’ils font partie de la solution.

En 2019 Paprec collecte et trie les poubelles de collecte sélective, les fameux bacs jaunes, de près d’un Français métropolitain sur quatre.  Grâce au milliard d’euros d’investissement consenti pour développer des chaines de tri automatisées, toujours plus performantes, Paprec capte jusqu’à 98% des matières recyclables contenues dans les bacs jaunes. Je tiens à répéter ici que ceux qui pensent encore que trier ne sert à rien et que les déchets, quels qu’ils soient, partent en décharge, sont victimes d’une légende urbaine tenace. Aujourd’hui, une bouteille d’eau correctement triée par le consommateur sera recyclée soit en fibre textile, soit en nouvelle bouteille plastique. Cette boucle de recyclage fermée, le bottle-to-bottle, est particulièrement satisfaisante et nous sommes fiers d’en avoir fait une activité rentable et pérenne en dépit d’un cours du pétrole peu favorable aux matières premières issues du recyclage.

 

Pour autant, mettre le bien collectif au cœur du business model est-il suffisant pour susciter et conserver l’engagement ? L’histoire du XXème siècle nous a suffisamment appris qu’un projet collectif ne peut conserver sa légitimité et son pouvoir de mobilisation sans être fondé sur un respect au moins équivalent pour les individus. C’est le sens de la deuxième partie de notre devise, « pour une société plus fraternelle ». Pour que la fraternité, parent pauvre de notre triptyque national, prenne chair, Paprec a fait de la lutte contre  toutes les discriminations et pour la diversité le cœur de sa culture d’entreprise. Ainsi  l’engagement que nous attendons de nos salariés, nous le vivons, dirigeants de Paprec, comme une relation réciproque : notre engagement vis-à-vis de tous et de chacun de nos salariés, c’est de les apprécier et de les traiter selon leurs mérites individuels, sans préjugés aucun.

Se prémunir contre les préjugés, c’est ainsi combattre pour l’égalité homme – femme : dans un secteur historiquement masculin, marqué par une image assez négative (saleté, bruit, métiers physiques) et à rebours des valeurs traditionnellement associées au féminin, Paprec emploie aujourd’hui près de 20% de femmes. Encore sous-représentées aux postes d’employés et ouvriers, elles y sont de plus en plus légitimes : leur grand professionnalisme a valu à deux collaboratrices d’être désignées comme « meilleur conducteur » de bennes à ordures ménagères (les fameux camions-poubelles du quotidien) du Groupe Paprec en 2017 et « meilleur conducteur » de chariot élévateur du Groupe Paprec en 2018.  En middle-management, chez les agents de maîtrise, les femmes représentent près de 30% de l’effectif. Avant le rachat de COVED, ex-filiale du groupe Bouygues, par Paprec en 2017, elles représentaient près de 40% de cette catégorie. Chez les cadres, elles comptent pour près de 25% des effectifs – plus de 30% avant l’intégration de COVED.

La lutte pour la diversité en entreprise, c’est aussi la lutte pour dépasser les préjugés générationnels, savoir valoriser les talents quel que soit leur âge. Chez Paprec, nous donnons aux plus jeunes l’opportunité de déployer leurs savoir-faire et leurs ambitions, en les plaçant volontiers en position de responsabilité. Par exemple, à son arrivée, notre directeur financier et brillant chef d’orchestre des levées de fonds du groupe sur le marché des Greens Bonds, n’était que trentenaire et plus jeune que tous les directeurs placés sous ses ordres. Mais nous savons aussi la richesse de l’expérience. C’est pourquoi nous embauchons régulièrement des collaborateurs de plus de 50 ans, entre 50 et 100 chaque année. Le COMEX de Paprec est à l’image du brassage générationnel que nous recherchons : la benjamine, directrice juridique assurance et QSE du groupe, âgée de 36 ans, y côtoie l’associé historique de mon père, qui a fondé sa première entreprise de recyclage en 1960. L’élégance m’interdit d’en dire davantage sur son âge.

La lutte pour la diversité, c’est aussi ne pas fermer les yeux sur la discrimination aux diplômes, qui bien souvent, sous couvert de méritocratie, pousse les managers à la facilité en ne confiant les postes d’encadrement qu’à des diplômés de l’enseignement supérieur, lorsqu’elle ne les pousse pas tout simplement vers les diplômés de Grandes Ecoles. Chez Paprec, nous croyons que le destin d’un individu n’est pas déterminé par celui ou celle qu’il était à 20 ans, à un âge où le poids de l’héritage familial pèse encore lourdement dans la balance. Nous croyons fermement en la capacité de chacun à continuer de grandir, de se construire et de se révéler tout au long de sa vie. A cet égard, le cas de notre directeur général en charge des ventes de matières premières est emblématique : ancien chauffeur poids lourds, celui-ci a gravi un à un tous les échelons, grandi en compétences avec l’entreprise, jusqu’à occuper aujourd’hui ce poste stratégique. Au-delà de ce symbole, nous offrons aux collaborateurs qui font preuve des aptitudes, de l’envie et de l’énergie nécessaires de réelles opportunités de promotion interne : de trieur, on peut chez Paprec, devenir conducteur poids lourds, conducteur d’engin, chef d’équipe. Cette politique nous distingue fondamentalement de nos concurrents et c’est avec une satisfaction certaine que nous leur chipons régulièrement des talents qu’ils ont formés mais pas su reconnaitre et valoriser. L’un de nos directeurs commerciaux les plus talentueux, ancien footballeur professionnel, compétiteur né, fait partie de ceux-là.

La lutte pour la diversité, c’est enfin faire le choix d’accueillir toutes les cultures, toutes les origines, et de lutter contre le racisme et l’antisémitisme : Paprec est un condensé de la diversité ethnique et culturelle de la France contemporaine. Nos collaborateurs sont originaires de plus de 70 pays et chaque mois, l’un de ces pays est mis à l’honneur dans notre magazine d’entreprise, que chacun reçoit à son domicile. Cette diversité culturelle, avec la richesse qu’elle nous apporte et les défis qu’elle nous lance au quotidien, Paprec s’en est emparé dès sa création en s’implantant en Seine-Saint-Denis. Ce territoire, département le plus divers, le plus jeune mais aussi le plus pauvre de France, est plus que jamais le réceptacle de grands projets pour Paprec. En 2019, nous y créons, à la croisée de l’A1 et de l’A86, une agence au meilleur niveau technologique, vitrine de nos savoir-faire, mais aussi démonstration vivante du fait que l’excellence n’est pas question de couleur de peau ou de religion mais, pour peu que l’on se donne les moyens, peut s’épanouir au sein d’un territoire que certains voudraient croire perdu pour la République.

 

S’engager nécessite d’assumer ses convictions et d’accepter la friction. Mon père se fait régulièrement dans la presse et lors d’événements publics le porteur de nos valeurs et de notre vision de ce que peut être, en entreprise, la défense de la laïcité et du cadre protecteur qu’elle offre aux individus. A sa publication, en 2014, notre Charte de la Laïcité et de la Diversité [2] a soulevé de nombreuses oppositions et même été taxée d’illégale. Mais en assumant ses valeurs, le Groupe Paprec a contribué au débat public et, en interne, a préservé ce climat d’acceptation réciproque grâce auquel tous peuvent sereinement travailler ensemble.  Ce n’est pas en détournant la tête et en laissant le champ libre aux prosélytes menaçants convaincus de détenir une vérité unique que l’on organise le vivre ensemble. Toutefois, force a été de constater que rares sont les entreprises qui nous ont suivis sur le terrain de la prise de parole publique et, au-delà du simple témoignage quant aux difficultés posées par la religiosité au travail, ont pris comme nous l’initiative de l’action et de l’innovation sociale. Sans doute faut-il y voir une spécificité et une force de l’entreprise familiale.

Face à des individus demandeurs de sens et de respect, quels que soient leur âge ou leur parcours de vie, dans un environnement politique et économique mouvant, les entreprises familiales ont plus que jamais une place à part et des forces à faire valoir. Quelle direction de la communication pourra mieux et de manière plus crédible exprimer des valeurs que celui qui les vit à titre personnel ? Quel PDG pourra mieux s’engager vis-à-vis des salariés que celui qui y investit ses deniers personnels et passe sa vie à construire et faire grandir l’entreprise ? Si, comme j’en suis convaincu, l’engagement est question de réciprocité, alors il faut penser la question de la personnification de cette réciprocité. Les ressorts de l’engagement sont cousins de ceux de la loyauté. Face à l’anonymat du management et des actionnaires, les entreprises familiales proposent un modèle alternatif, celui de l’incarnation, dans une personne puis dans une famille, un projet de transmission aux générations suivantes, quasiment dynastique, inscrit dans la longue durée. Mon père, mes frères et moi partageons l’expérience quotidienne de nos salariés, le combat incessant pour progresser toujours, rester au meilleur niveau et convaincre nos clients : ils savent notre implication et notre énergie, ils connaissent nos qualités tout autant que nos défauts, ils nous entendent porter et assumer nos choix stratégiques comme nos convictions. De cette communauté de travail nait la confiance, la confiance dans le fait que leur engagement n’est pas à sens unique.

Alors peut-être faut-il se rendre à l’évidence : les ressorts de l’engagement sont-ils si complexes ? Sans doute faut-il revenir aux fondamentaux, ceux que l’entreprise familiale s’efforce d’incarner et de perpétuer : le respect d’individualité des personnes et l’exemplarité des dirigeants dans l’effort.


[1] : 6% des employés français se déclarent « engagés » au travail selon l’étude réalisée par l’institut Gallup en 2017. D’autres études réalisées notamment par BVA nuancent significativement ce score. Cf « Les salariés français sont moins désengagés qu’on ne le dit ». Source : The Conversation, Nicolas Arnaud et Thibaut Bardon, 29 mai 2019.

[2] : consultable sur le site paprec.com

Sébastien Petithuguenin
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