Le système de retraite français est actuellement satisfaisant. Public, financé par répartition, il assure aux salariés à la retraite un niveau de vie équivalent à celui des actifs. Jusqu’à présent, ces caractéristiques ont été maintenues malgré le vieillissement de la population, la crise économique et les changements politiques. Le taux de pauvreté des retraités (7,3% en 2015) est nettement plus faible que celui de l’ensemble de la population (14,2%). En 2017, malgré un taux de chômage élevé, le système est financièrement équilibré.

Les nombreuses réformes survenues depuis 1993 ont réduit la croissance des dépenses de retraites ; chaque retraité a souffert de pertes de pouvoir d’achat, mais, globalement, compte tenu de la montée en puissance des réformes des années 70 et de l’amélioration des retraites des femmes, qui ont eu, de plus en plus, une carrière complète, la parité de niveau de vie des retraités et des actifs a été maintenue.

L’âge minimal de départ à la retraite a été porté à 62 ans ; la durée de cotisations requise pour une retraite à taux plein a augmenté à 41,5 années et doit progressivement passer à 43 ans (en 2035). Malgré la crise, le taux d’activité des 55-64 ans a augmenté de 39,3% début 2008 à 56 % début 2018, soit une hausse de 16,7 points, qui s’est partagée entre une hausse de 14,5 points du taux d’emploi et de 2,2 points de la part des chômeurs (de 1,5% à 3,7%).

Selon les projections du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de juin 2018[1], à législation inchangée, à taux de cotisation fixes, le système de retraite connaîtrait un léger déficit[2] en 2040 (0,5 % du PIB si la croissance de la productivité du travail est de 1,3% l’an). Ces projections comportent un net report de l’âge moyen de départ à la retraite (qui passerait de 61,8 à 64 ans) et surtout une baisse sensible du niveau des retraites par rapport aux salaires (de l’ordre de 15% à horizon 2040), sous l’hypothèse que les pensions et les salaires pris en compte restent indexés sur les prix (et non sur le salaire moyen).

Cependant, le système avec ses multiples régimes et leurs règles disparates est compliqué ; les disparités, réelles ou ressenties, entre le secteur public et le secteur privé suscitent toujours un sentiment d’injustice, de sorte qu’une grande réforme unificatrice peut sembler nécessaire. Le Président de la République a proposé d’unifier les régimes de retraite dans un système unique Un Haut-Commissaire pour la Réforme des Retraites y travaille depuis septembre 2017. Une concertation publique a été ouverte, mais, à la mi-2018, aucun projet n’a encore été publié. Quel pourrait être le contour de cette réforme ? 

Quelle réforme structurelle ?

La grande réforme structurelle unifierait tous les régimes de retraites actuels dans un système unique, simple et transparent, fonctionnant en comptes notionnels ou en points[3]. Ce système favoriserait la mobilité des actifs entre les statuts (salarié du public ou du privé, non-salarié). Il pourrait être automatiquement équilibré à taux de cotisation inchangé.

Toutefois, l’équilibrage automatique se ferait au détriment de la garantie du niveau des retraites. Il est normal que le système des retraites soit en déficit lors de chocs conjoncturels dépressifs ; cela contribue à la stabilisation automatique de l’économie. Il est légitime que l’évolution structurelle du régime donne lieu à un débat public. La société doit pouvoir arbitrer entre taux de cotisation/ âge de départ/niveau des pensions.

Actuellement, le régime général, les régimes spéciaux, le régime de la fonction publique fonctionnent en annuités. Ce système serait abandonné. Il a cependant trois avantages : il comporte un objectif en terme de taux de remplacement (50% des 25 meilleures années au régime général, 75% du dernier salaire dans les régimes publics) ; il gomme les accidents de carrière ; il récompense les carrières ascendantes.

Le risque est grand que, partant du système actuel relativement généreux et redistributif (en particulier grâce aux mécanismes de minimum contributif, de validation des périodes de maladie et de chômage, d’avantages familiaux, de cotisation de 2,3% au régime général au-dessus du plafond n’ouvrant pas de droit), la réforme réduise nettement le niveau relatif des retraites et dégrade leur caractère redistributif. On pourrait aboutir, comme pour l’assurance-maladie, à un système public de bas niveau qui serait complété, selon les entreprises, par des régimes supplémentaires en capitalisation, inégalitaires et sans mécanismes redistributifs.

Selon Emmanuel Macron, le système doit assurer que : « un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Cet objectif n’est ni évident, ni facile à atteindre ; il est contradictoire avec le caractère redistributif des assurances sociales. Aujourd’hui, le taux de remplacement est une fonction décroissante du niveau des salaires. Selon le COR, le taux de remplacement net pour la génération 1956 partant à la retraite à 62 ans est de 53,5% pour un cadre, de 72,6% pour un non-cadre. Un même montant de cotisation donne plus de droit à un ouvrier qu’à un cadre, à une femme qu’à un homme : le taux de rentabilité du système de retraite est  de 1,34% pour les hommes (soit de 1,53% pour les moins diplômés à 0,98% pour les plus diplômés), de 2,24% pour les femmes (soit de 2,67% à 1,98%)[4].

Les projections actuelles comportent à terme une nette baisse du niveau relatif des retraites, cela par des mécanismes opaques et jouant progressivement : non-indexation sur les salaires des salaires pris en compte, des pensions déjà liquidées et de la valeur du point. Une réforme, qui voudrait mettre en place un système transparent et financièrement soutenable devra choisir entre annoncer cette baisse relative des retraites ou prévoir une certaine hausse des cotisations.

 La question de l’indexation

Le passage depuis 1993 à une indexation des pensions et des salaires pris en compte sur les prix et non plus sur les salaires conduit à une situation absurde : si les gains de productivité du travail sont élevés, les actifs bénéficient d’une hausse plus rapide des revenus et d’une réduction du poids des pensions. Si les gains sont faibles, ils supportent une double peine avec une hausse des salaires plus faible et une charge des pensions plus forte. Ainsi, le COR évalue le rapport des dépenses de retraite au PIB entre 12,1% et 14,1 % et la baisse du niveau relatif des retraites entre 21% et 12,5%, à l’horizon 2040 selon que la croissance tendancielle des salaires réels est de 1,8 % ou de 1,0 % par an, Le choix de désindexer les pensions a permis de réduire le niveau relatif de la retraite moyenne sans l’afficher ouvertement. Pour rendre la gestion financière du nouveau régime plus maîtrisable et transparente, il conviendrait de revenir à une indexation des pensions sur les salaires. Le choix entre la baisse des pensions et la hausse des cotisations serait alors apparent. Ainsi pour maintenir à 14% la part des dépenses de retraites dans le PIB à l’horizon de 2040, il faut accepter une baisse de 12,5% du niveau des retraites. Pour maintenir le niveau de vie relatif des retraités, il faut faire passer la part des retraites dans le PIB à 15,5% et accepter une hausse de 3 points des prélèvements sur les revenus d’activité.

Un système par compte notionnel ?

Le Président de la République envisageait de mettre en place un système unique fonctionnant en comptes notionnels. Dans ce système, les cotisations, fictivement accumulées en euros dans un compte individuel, sont revalorisées au taux de croissance du salaire moyen. Au moment de la retraite, elles donnent droit à une pension dont la valeur actualisée (en utilisant l’espérance de vie de la cohorte à l’âge du départ à la retraite) est égale aux cotisations accumulées. Les retraites liquidées évoluent ensuite comme le salaire moyen. La rentabilité actuarielle du l’opération est donc égale au taux de croissance du salaire moyen. Le système est purement contributif. Théoriquement, il est plus rigide (et donc plus sûr pour les retraités) qu’un système par points puisque le niveau de la retraite découle d’un calcul actuariel et non de considération d’équilibre financier. Toutefois, un système d’équilibrage peut être introduit (comme en Suède) pour réduire les retraites en cas de choc économique, qui fait perdre cette rigidité (et donc toute garantie pour les retraités).

Au fil du temps, l’allongement de l’espérance de vie fait que chaque salarié devra retarder le moment de son départ à la retraite pour conserver le même niveau de retraite. La possibilité d’une augmentation des taux de cotisation est écartée. Le taux de remplacement n’est plus socialement garanti. Chacun est ainsi censé arbitrer librement entre le niveau de sa retraite et le moment de son départ : celui-ci n’est plus une norme sociale.  Cela mettra en difficulté des salariés qui seront, dans quelques années, obligés de travailler jusqu’à 65 ans pour avoir un taux de remplacement correct, si rien n’est fait pour obliger les entreprises à aménager les conditions de travail et de formation pour que tous puissent travailler jusqu’à cet âge.

Tout système basé uniquement sur l’espérance de vie moyenne de la cohorte est favorable aux cadres (à forte espérance de vie et à plus grande facilité à se maintenir en emploi) au détriment des ouvriers (à plus faible durée de vie et en difficulté à travailler après un certain âge). Il est profondément injuste car il ne tient pas compte des différences d’espérance de vie selon la carrière effectuée.  A 35 ans, un ouvrier a une espérance de vie de 42,6 ans ; un cadre de 49 ans. Contrairement à ce que prétendent les partisans de ce système, il est impossible d’en tenir compte : comment définir la CSP d’une personne qui a changé d’emplois et de statut, comment tenir compte finement de l’emploi occupé ? Faut-il verser une retraite plus faible aux femmes (dont l’espérance de vie est plus longue) ? Enfin, ce système est difficilement compatible avec le maintien des pensions de réversion (sauf à tenir compte de façon compliquée de l’âge du conjoint pour le calcul des droits à retraite, ce qui ferait baisser le niveau de retraite des salariés mariés). Dans les régimes français actuels, qui fonctionnent par annuités, le taux de remplacement dépend à la fois de la durée de cotisation et de l’âge atteint. Par exemple, dans le régime général, le taux plein est atteint à 60 ans pour quelqu’un qui a commencé à travailler à 18 ans, mais à 65 ans pour quelqu’un qui a débuté à 23 ans. Cette double condition complique le système, mais le rend plus équitable. Elle disparaît dans un système à compte notionnel.

Dans le système actuel, en supposant la stabilité des taux de rendement, le taux de remplacement brut est de l’ordre de 44,15% au régime général, 16,6 % à l’Arrco sous le plafond pour une carrière au salaire moyen, soit 60,8 % au total ; de 44 % à l’Agirc au-dessus du plafond. Ainsi, le système assure un taux de remplacement plus élevé en dessous qu’au-dessus du plafond.

Dans un système en compte notionnel, le taux de remplacement est obligatoirement le même, quel que soit le niveau de salaire. À terme, pour un taux de cotisation de 28%, une durée de carrière de 42 ans, une durée de retraite moyenne de 26 ans, le taux de remplacement brut à la liquidation d’une carrière au salaire moyen baisserait à 45,2% (soit, en net, 54% en 2017, 52% en 2019).

La dégradation par rapport à la situation actuelle a deux explications, d’une part le système actuel est financé pour 20% par des impôts ou taxes affectés, qui disparaîtraient dans un vrai système notionnel, d’autre part, il n’est pas en équilibre durable.

Par rapport à la situation actuelle, tous les mécanismes redistributifs devraient être repensés. Il faudra choisir entre des dispositifs qui assurent fictivement la neutralité actuarielle (sous l’hypothèse fausse d’égalité des espérances de vie indépendamment de la carrière) et des dispositifs redistributifs correcteurs qui s’écarteraient des principes du système (meilleure valorisation des périodes de travaux pénibles et des cotisations sur les bas salaires, dévalorisation des cotisations sur salaires élevés, indicateurs d’une longue espérance de vie).  Dans ce deuxième cas, la logique des comptes notionnels serait fortement affaiblie.

Il semble aujourd’hui que le projet d’introduire des comptes notionnels a été abandonné au profit de celui d’un système à points, plus flexible.

Un système à points 

Dans un système à points, les cotisations permettent d’acheter des points. En principe, le prix d’achat des points évolue comme le salaire moyen. Puis, les points accumulés sont convertis en droit à pension par l’intermédiaire de la valeur du point (qui, lui aussi, évolue en principe comme le salaire moyen). Le niveau des retraites dépend alors du taux de rendement : le rapport entre la valeur du point et son prix d’achat.

Lors d’une dépression économique, la tentation est forte d’équilibrer le système en faisant baisser la valeur du point. À long terme, l’équilibre peut se faire, à taux de cotisation, inchangé par la baisse du taux de rendement, en particulier si la valeur du point n’augmente plus que comme les prix tandis que son prix d’achat augmente comme les salaires, voire plus : l’équilibre financier du régime dépend alors du taux de croissance du salaire réel. C’est ainsi que l’Agirc-Arrco est aujourd’hui géré. Les salariés n’ont alors aucune garantie sur le niveau et l’évolution de leur retraite.

Un système par point satisfaisant supposerait que soient fixées des règles précises en manière de gouvernance et de garantie du taux de remplacement. Sous un certain plafond, l’objectif pourrait être de fournir un taux de remplacement de l’ordre de 60 % en brut pour une carrière type. Les cotisations au taux de 28% pourraient être exprimées en euros et revalorisées comme le salaire moyen. Au bout de 42 ans, un salarié dont le salaire aura augmenté comme le salaire moyen aura accumulé 42*28% =11,76. La valeur du point, le taux de rendement, doit donc être de 5,1% (60/11,76).  Les retraites liquidées devront ensuite être indexées sur le salaire net moyen. Le taux de remplacement sera alors garanti, mais l’ajustement devra se faire par les ressources. Le caractère redistributif du système pourrait être assuré de deux façons, soit au niveau des salaires (toute cotisation sur un salaire au-dessus d’un certain plafond subit un abattement de 30%), soit au niveau des pensions (la valeur du point est réduite de 30 % au-delà d’un certain plafond).

Dans un système par points pur, la pension dépend de la valeur du point et pas de l’âge au moment de la liquidation. Le Président s’est engagé à ne pas reculer l’âge ouvrant le droit à la retraite. Celui-ci devrait rester à 62 ans. Ce serait alors peu incitatif à la poursuite d’activité puisqu’une année de travail supplémentaire ne rapporterait que 2,5% de retraite supplémentaire, alors qu’elle rapporte 7,5% actuellement dans le régime général et que, en conservant le système actuel, l’allongement prévu à 43 ans de la durée d’activité requise pour une retraite à taux plein obligera beaucoup de salariés à prendre leur retraite à 66 ans. Deux solutions sont envisageables : fixer l’âge normal à 65 ans avec 5% de surcote (ou de décote) par année supplémentaire (ou manquante), ce qui serait favorable pour les cadres et injuste pour les ouvriers ; fixer le moment normal de départ à 62 ans et 42 années de cotisations avec 5% de surcote ou de décote, soit le système actuel, de sorte qu’un ouvrier qui à 60 ans a travaillé 42 ans soit dans la même situation qu’un cadre qui à 65 ans a lui-aussi travaillé 42 ans., mais cela oblige à maintenir le concept d’année cotisée (et nuit aux femmes à carrière courte). Il n’y a pas de solution idéale.

Quelle transition ?

La question de la transition est délicate. Une réforme qui ne s’applique qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail met 65 ans à donner tous ses effets ; pendant 42 ans, ses conséquences sur le niveau des retraites ne sont pas visibles, de sorte qu’une forte baisse pourrait être programmée au détriment des générations futures (comme en Italie) sans que les salariés n’en aient conscience.

Une réforme rapide s’appliquant, par exemple, à tous les salariés de moins de 50 ans, suppose un délicat re-calcul des droits acquis dans les systèmes précédents disparates (régime général et assimilés, régimes complémentaires, régimes spéciaux et régimes des fonctions publiques). Un actif de 45 ans a déjà cotisé en moyenne 22 ans, comment en tenir compte ? Ces droits dépendront-ils des cotisations versées (mais comment les mesurer dans le secteur public ?) ou des salaires passés (mais ceux-ci n’ont pas été enregistrés) ? La notion d’euro cotisé est ambiguë ; en 2018, le taux de cotisation était de 27,5% pour les salariés non-cadres du privé (16,3% employeurs : 11,2% salariés) ; de 25,05 %, de 1 à 8 plafonds pour les cadres du privé (15,95 % employeurs ; 9,1% salariés) ; de 84,84% du traitement dans la fonction publique d’État (74,28% employeurs ; 10,56% salariés) plus 10% sur les primes plafonnées (5% employeurs ; 5% salariés).  Comment en tenir compte ?

Certains régimes ont accumulé des réserves (Arrco-Agirc, RAFP, RCI, …) pour un total de 160 milliards d’euros. Elles devront être mises au pot commun, au grand dam des cotisants de ces régimes. Pour la fonction publique, la distinction salaire indiciaire/primes devra être oubliée. Les taux de cotisations des non-salariés devront être augmentés au niveau de ceux des salariés. Les employeurs publics ne contribuant pas à des régimes de retraites supplémentaires, l’équité suppose que les régimes de retraites supplémentaires du privé ne bénéficient d’aucun avantage fiscal autre que ceux des Perp/Préfon. On le voit, la réforme heurtera beaucoup de situations.

Trois points nous semblent essentiels : le système doit rester redistributif ; les différences d’espérance de vie et de capacité à rester en emploi entre les CSP doivent être prises en compte ; un objectif de taux de remplacement doit être affiché.


[1] COR (2018) : Évolutions et perspectives des retraites en France, juin.

[2] Ce déficit provient de l’hypothèse de la forte baisse de la part de la masse salariale de la fonction publique dans les revenus d’activité (de 11% en 2017 à 9% en 2040), ce qui induit une baisse des cotisations employeurs versées par l’État.

[3] Voir Henri Sterdyniak (2009), « Retraites, à la recherche de solutions miracles », Revue de l’OFCE, Avril et COR (2010), Retraites :  annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques, 7ème rapport.

[4]Selon Yves Dubois et Anthony Marino (2016) : « Le taux de rendement interne du système de retraite français : quelle redistribution au sein d’une génération et quelle évolution entre générations ? », Economie et Statistique, n°481-482.

Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak
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