InventĂ© au lendemain de la crise financiĂšre, le Bitcoin est la premiĂšre application de la technologie sous-jacente : la blockchain. On peut ĂȘtre contre le Bitcoin sans ĂȘtre forcĂ©ment contre le principe d’une crypto-monnaie ni contre la technologie, ce qui sera la position dĂ©fendue dans ce texte. Une monnaie pour s’institutionnaliser a besoin de confiance : il faut que ceux qui l’utilisent croient qu’elle sera acceptĂ©e comme moyen de paiement et que sa valeur soit garantie d’une façon ou d’une autre. On donne en gĂ©nĂ©ral trois sources Ă  la confiance dans la monnaie : une confiance mĂ©thodique, liĂ©e Ă  l’usage rationnel du symbole (je sais que les autres l’utilisent, donc je l’utilise), la confiance hiĂ©rarchique liĂ©e Ă  l’existence d’un tiers de confiance (le systĂšme de paiement est garanti par la banque centrale et le rĂ©seau des banques privĂ©es) et la confiance Ă©thique (l’émission monĂ©taire se fait selon des rĂšgles lĂ©gitimĂ©es)[i]. Le Bitcoin tente de se passer des intermĂ©diaires de confiance centralisĂ©s en mettant en place un systĂšme qui se veut trustless et sĂ©curisĂ©. Il doit donc se comprendre comme un projet anarcho-capitaliste, de libĂ©ration de la monnaie  de l’influence des banques centrales et privĂ©s, rendues responsables de l’inflation et des crises du fait de crĂ©ation monĂ©taire excessive Ă  crĂ©dit. L’école autrichienne d’économie dĂ©fend tantĂŽt le free banking, la concurrence des monnaies, le retour Ă  l’étalon-or ou l’interdiction du systĂšme de rĂ©serves fractionnaires (faire un crĂ©dit au-delĂ  des dĂ©pĂŽts). Depuis l’invention de Bitcoin, bien d’autres crypto-monnaies et blockchains ont Ă©tĂ© inventĂ©es (comme Ethereum, Ripple etc.), se font concurrence entre elles ainsi qu’aux monnaies souveraines, ce qui ravit les Ă©conomistes autrichiens.

Un rĂȘve autrichien ?

Les crypto-monnaies s’appuient pour cela sur une technique de cryptage et des vĂ©rifications automatisĂ©es mobilisant la puissance de calcul de tous les ordinateurs participant au rĂ©seau : la blockchain. Elle peut ĂȘtre assimilĂ©e Ă  une sorte de systĂšme dĂ©centralisĂ© d’organisation et de contrĂŽle du transfert de propriĂ©tĂ©, d’un rĂ©pertoire distribuĂ© entre tous les ordinateurs du rĂ©seau, « immutable », transparent (les transactions sont connues, mais les personnes qui Ă©changent sont « pseudonymisĂ©es »). Chaque ordinateur rĂ©alise pour chaque bloc de transactions des vĂ©rifications coĂ»teuses en calcul et en Ă©nergie garantissant la validitĂ© des transactions, Les personnes qui mettent Ă  disposition leur ordinateur pour effectuer la vĂ©rification (« les mineurs ») sont rĂ©munĂ©rĂ©s par la crĂ©ation d’un ou d’une fraction de Bitcoin quand leur ordinateur est parvenu le premier Ă  vĂ©rifier le bloc de transactions. Le nombre de Bitcoins en circulation est limitĂ© Ă  21 millions d’unitĂ©s seulement, sa valeur par rapport aux monnaies souveraines doit donc avoir tendance Ă  augmenter, incitant de plus en plus de mineurs Ă  miner et assurant ainsi la diffusion de la crypto-monnaie. Celle-ci peut ensuite ĂȘtre convertie sur des plateformes en monnaie souveraine ou dans une autre crypto-monnaie. Le transfert des Bitcoins ou son Ă©change dans une devise est assez aisĂ©, ce qui rend possible des paiements sur n’importe quel point de la planĂšte en un temps record, Ă  condition bien entendu que le Bitcoin soit acceptĂ©. Par ailleurs, si le rĂ©gime Ă©tait entiĂšrement « bitcoinisé », la possibilitĂ© de faire des crĂ©dits au-delĂ  des rĂ©serves serait certainement plus compliquĂ©e, ce qui est le rĂȘve des Ă©conomistes autrichiens. Ainsi, le Bitcoin peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une sorte d’or numĂ©rique, et le rĂ©gime monĂ©taire qu’il instituerait s’il venait Ă  se gĂ©nĂ©raliser ressemblerait Ă  un rĂ©gime d’étalon-or (le terme de minage utilisĂ© pour l’activitĂ© de vĂ©rification des blocs de transactions par les ordinateurs et se traduisant par la crĂ©ation d’une unitĂ© Bitcoin pour celui qui a effectuĂ© la transaction Ă©tant utilisĂ© Ă  dessein).

Une critique majeure consiste Ă  dire que le Bitcoin est un pur produit spĂ©culatif. Ce n’est en effet guĂšre discutable : la plupart des personnes investissant dans ces crypto-monnaies le font pour obtenir un rendement Ă©levĂ©.

Graphique 1 : cours de Bitcoin depuis sa création

Source : https://www.coindesk.com/price/

La valeur du Bitcoin n’est donc pas stable puisqu’elle s’apprĂ©cie du fait de sa raretĂ© et est soumise Ă  la spĂ©culation. Si un rĂ©gime monĂ©taire purement « bitcoinisé » s’institutionnalisait, on observerait des mĂ©canismes dĂ©flationnistes, dont les effets seraient potentiellement dĂ©pressifs sur l’activitĂ©. En effet, la dĂ©flation rĂ©duit les profits et renchĂ©rit les dettes, ce qui a pour effet d’étrangler les dĂ©biteurs et entreprises, donc les agents ayant la plus forte propension Ă  consommer ou investir.

Ensuite, les Bitcoins ne sont pas crĂ©Ă©s en fonction des besoins en liquiditĂ© liĂ©s Ă  la circulation monĂ©taire et au crĂ©dit, mais en fonction de l’activitĂ© de minage, dont le coĂ»t rĂ©el et Ă©nergĂ©tique est croissant au cours du temps si le cours n’augmente pas (la probabilitĂ© qu’un ordinateur parvienne Ă  obtenir un Bitcoin dĂ©croĂźt). La raretĂ© du Bicoin pourrait crĂ©er des tensions sur la liquiditĂ© et les taux d’intĂ©rĂȘt.

Encore un effort pour ĂȘtre une monnaie


Le Bitcoin est-il rĂ©ellement une monnaie ou est-ce une arnaque comme l’a prĂ©tendu le directeur de JP Morgan Chase avant de se rĂ©tracter ?[ii]  Une monnaie n’est monnaie que parce qu’elle est conventionnellement considĂ©rĂ©e comme telle : qu’il s’agisse de billets, de cigarettes ou, pourquoi pas, une crypto-monnaie, toute monnaie repose sur la croyance, en ce sens qu’elle n’a de valeur et n’est utilisĂ©e que parce que l’on croit qu’elle a de la valeur et sera acceptĂ©e. Cela veut dire que si le Bitcoin suscite assez de confiance pour permettre des achats et servir d’unitĂ© de compte, il sera une monnaie. Donc on ne peut ni dire que le Bitcoin soit une arnaque ni qu’il ne sera pas un jour une monnaie (l’histoire n’est pas Ă©crite), mĂȘme si c’est improbable. Plusieurs cas rĂ©cents de piratages de plateformes de crypto-monnaies pourraient jeter la suspicion pour le grand public sur le Bitcoin pourtant rĂ©putĂ© inviolable. Ensuite, l’inviolabilitĂ© n’équivaut pas Ă  confiance, la confiance Ă©tant une croyance en partie irrationnelle. Le fait qu’il n’y ait aucune garantie des dĂ©pĂŽts en cas de faillite d’une plateforme ou qu’il faille tĂ©lĂ©charger des programmes informatiques sur l’ordinateur pour se brancher Ă  la blockchain peut en faire fuir plus d’un.

Ensuite, les opĂ©rations dites d’Initial Coin Offerings (ICO), c’est-Ă -dire des Ă©missions de token Ă  taux prĂ©fĂ©rentiel Ă  destination des financeurs par et pour le financement des start-ups de minage contre monnaie souveraine, se dĂ©veloppent pour contourner le financement classique en actions avec ses rĂšglementations. Il y a dans ces ICOs de nombreux cas d’arnaques qui pourraient fragiliser la confiance dans les crypto-monnaies. L’AMF rĂ©flĂ©chit Ă  des mesures pour les rĂ©guler[iii]. La Chine et la CorĂ©e du Sud viennent de les interdire[iv].

Par ailleurs, une monnaie est complĂšte si elle rĂ©unit les fonctions d’unitĂ© de compte, de moyen de paiement et rĂšglement, et de rĂ©serve de valeur. Le Bitcoin n’est pas une unitĂ© de compte, c’est surtout une rĂ©serve de valeur, et plus rarement un moyen de paiement pour un certain nombre de produits sur Internet, ou dans quelques magasins physiques au Japon par exemple. Mais les rĂ©centes fluctuations pourraient altĂ©rer cette confiance. Comme la valeur du Bitcoin a eu tendance Ă  fortement augmenter, il est plus rationnel de le conserver pour espĂ©rer une plus-value en euros que de l’utiliser comme moyen de paiement.

Le principal facteur qui peut ralentir l’usage de ces crypto-monnaies vient des Etats et banques centrales qui dĂ©cident souverainement de l’unitĂ© de compte sur leur territoire et obligent Ă  payer les impĂŽts en monnaie souveraine, assurant l’utilisation de  la monnaie nationale comme moyen de paiement. D’ailleurs, des Etats peuvent trĂšs bien dĂ©cider d’interdire l’usage du Bitcoin et autres crypto-monnaies pour crĂ©er leur propre crypto-monnaie souveraine, sur des rĂšgles d’émissions diffĂ©rentes. La Banque centrale du Royaume-Uni rĂ©flĂ©chit ainsi Ă  la possibilitĂ© de mettre en place une monnaie Ă©lectronique assise sur la banque centrale[v]. DiffĂ©rentes rĂšgles d’émission peuvent ĂȘtre inventĂ©es, plus souples que celle du Bitcoin et permettant un maintien du contrĂŽle de la politique monĂ©taire. Les Ă©conomistes de la Banque centrale du Royaume-Uni montrent, via leur modĂšle, dans le cas de l’usage d’une telle monnaie Ă©mise contre achats de bons du TrĂ©sor, le niveau du PIB de long terme pourrait ĂȘtre augmentĂ© de 3% grĂące Ă  la baisse des taux d’intĂ©rĂȘt rĂ©els et Ă  la rĂ©duction d’un certain nombre de coĂ»ts de transactions et de distorsions fiscales[vi].

Certains des avantages du Bitcoin sont en train de disparaĂźtre : le nombre de transactions augmentant, les temps de validation des transactions augmentent et changer les Bitcoins en euros gĂ©nĂšre de plus en plus de coĂ»ts de transactions (cf. graphique 3) rendant l’usage quotidien du Bitcoin pour les petites sommes dans les commerces et les achats quotidiens peu pratique. En revanche, cela reste avantageux pour des sommes importantes. Ensuite, sur le plan des performances, le rĂ©seau Bitcoin est limitĂ© Ă  7 transactions par seconde, alors que le rĂ©seau de paiement Visa peut accepter jusqu’à 56 000 transactions par seconde[vii].

Graphique 2 : valeur totale des frais de transactions payés aux mineurs hors valeur de récompense coinbase (en USD)

Sources : https://blockchain.info/fr

 

Graphique 3 : Coût par transaction (revenus des mineurs par transaction en USD)

Sources : https://blockchain.info/fr

Ensuite le Bitcoin mobilise Ă©normĂ©ment d’énergie et de puissance de calcul, et cela va croissant avec le nombre de transactions, cette seule blockchain ayant une consommation annuelle d’électricitĂ© supĂ©rieure Ă  celle de pays comme l’Irlande[viii].

Enfin, il reste Ă  voir la rĂ©action des banques. Le scĂ©nario le plus probable est celui d’une cohabitation entre les monnaies souveraines, Ă©ventuellement digitales, et les crypto-monnaies privĂ©es. Ces derniĂšres seraient utilisĂ©es dans certaines transactions et acceptĂ©es par quelques entreprises et pour spĂ©culer, tandis que les monnaies souveraines conserveraient leur rĂŽle pivot du fait de leur cours lĂ©gal et de leur rĂŽle dans le paiement de l’impĂŽt. Il est mĂȘme possible que ce ne soit pas Bitcoin qui devienne la crypto-monnaie la plus utilisĂ©e. Il ne faut pas jeter pour autant le bĂ©bĂ© de la blockchain avec l’eau du bain Bitcoin, celle-ci ayant des applications intĂ©ressantes trĂšs larges.


[i] Alary et al. (2016), Théories françaises de la monnaie, PUF, Paris.

[ii] http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/jamie-dimon-regrette-d-avoir-qualifie-le-bitcoin-d-escroquerie-1345698.html

[iii] http://www.amf-france.org/Actualites/Communiques-de-presse/AMF/annee-2017?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F5097c770-e3f7-40bb-81ce-db2c95e7bdae

[iv] https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-09-04/china-central-bank-says-initial-coin-offerings-are-illegal

https://www.numerama.com/tech/293908-apres-la-chine-la-coree-du-sud-interdit-a-son-tour-les-levee-de-fonds-en-crypto-monnaie.html

[v] https://www.bankofengland.co.uk/research/digital-currencies

[vi] https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/working-paper/2016/the-macroeconomics-of-central-bank-issued-digital-currencies.pdf?la=en&hash=341B602838707E5D6FC26884588C912A721B1DC1

[vii] https://www.oii.ox.ac.uk/blog/the-blockchain-paradox-why-distributed-ledger-technologies-may-do-little-to-transform-the-economy/

https://usa.visa.com/dam/VCOM/download/corporate/media/visa-fact-sheet-Jun2015.pdf

[viii] https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/la-crypto-monnaie-bictoin-consomme-plus-d-electricite-que-159-etats-dans-le-monde_118729

https://bitcoin.fr/la-depense-electrique-des-crypto-monnaies/

Matthieu Montalban
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