Le projet d’université Paris-Saclay, élaboré par un groupe de travail auquel l’ENSAE avait participé au cours de premier semestre de l’année 2017, n’a pas permis d’aboutir à un consensus parmi les membres de la Communauté d’universités et d’établissements de Paris-Saclay. Au nombre des objections relevées par les membres figuraient notamment la perte de la personnalité morale et juridique des écoles, la gouvernance jugée trop lourde et universitaire, la gestion des ressources humaines vue comme trop rigide et insuffisamment réactive. La « diplomation » pouvait être jugée également comme organisée de façon trop peu flexible.
A l’été, les pouvoirs publics ont fait savoir qu’ils acceptaient que les établissements rassemblés sur le campus de l’Ecole polytechnique réfléchissent à un nouveau projet selon lequel les établissements du plateau de Saclay seraient organisés en deux pôles, l’un situé à l’ouest du plateau, autour de l’université Paris Sud, de Centrale-Supelec et de l’ENS Paris-Saclay, l’autre, à l’est du plateau, autour de l’Ecole polytechnique et comprenant en outre Télécom ParisTech, Télécom Sud Paris, l’ENSTA et l’ENSAE Paris Tech. Les conseils d’administration de ces cinq établissements ont confirmé le choix de l’Alliance NewUni. Agro ParisTech a finalement choisi le pôle autour de Paris Sud et HEC n’a pas encore fait connaître sa décision, mais pourrait s’orienter vers une association souple avec nous.
Le 25 octobre dernier, à l’occasion de sa venue sur le plateau, le Président de la République a confirmé « vouloir graver dans le marbre » que « l’ensemble universitaire Paris-Saclay se compose aujourd’hui de deux pôles complémentaires et d’éléments de transversalité profondément structurés ». Le premier sera une université de recherche intensive avec l’université Paris Sud comme pierre d’angle. L’autre pôle sera « une alliance de grandes écoles comprenant Polytechnique, l’ENSTA ParisTech, l’ENSAE ParisTech, Télécom ParisTech et Télécom Sud Paris, délivrant tous les diplômes, intégrant profondément ces cursus, mutualisant ses forces et ses équipements et qui devrait trouver des voies originales pour évoluer vers un MIT ou une EPFL à la française. […] Les organismes de recherche seront en quelque sorte le ciment en termes de recherche de ces deux pôles. »
Et le Président d’ajouter : « la marche arrière n’est désormais plus possible ».
L’objectif de l’alliance – désignée pour l’instant de manière tout à fait provisoire « NewUni » – est de nature universitaire puisqu’elle pourra délivrer les diplômes nationaux de master et de doctorat et attribuer le grade de licence à ses diplômes d’établissement. Elle a la volonté de capitaliser sur la culture commune de ses membres et de ses partenaires, une gouvernance flexible, une capacité à développer des formations sélectives très professionnalisantes, internationales, appuyées sur la recherche et en lien très fort avec les entreprises :
- Les écoles qui seront rassemblées autour de l’Ecole polytechnique partagent une même culture de l’excellence, de la formation appuyée sur la frontière de la recherche et adaptable aux besoins exprimés par les entreprises et les administrations. Leur regroupement leur permettra de mutualiser leur capacité d’écoute et de réaction aux demandes des entreprises. C’est notamment l’objectif de la « commission aval » qui sera mise en place rapidement. Les écoles du quartier de Polytechnique ont une longue tradition de sélection de leurs étudiants, ce qui leur garantit une capacité à délivrer des enseignements à la frontière de la science. Cette tradition sera étendue au recrutement d’élèves issus des quartiers en difficulté selon des modalités spécifiques qui seront rapidement expérimentées.
- La gouvernance envisagée pour NewUni est aussi légère que possible, un établissement public chapeau des établissements n’étant rendu nécessaire que par la capacité à délivrer des diplômes nationaux communs. Pour toute autre finalité, un ou plusieurs établissements seront chargés de mettre en œuvre le programme décidé en commun sous la supervision des autres établissements. Les structures de cet établissement public comprendront un conseil d’administration faisant une large place aux tutelles des établissements et aux acteurs de l’économie selon un modèle plus dans la culture des grandes écoles que de l’université française. L’alliance sera ouverte : des « joint ventures » avec d’autres établissements (HEC, école des ponts et chaussées, etc.) seront activement recherchées et encouragées.
- L’ENSAE présente des taux d’accès à l’emploi tout à fait importants puisque deux mois seulement après la « diplomation », quasiment tous les élèves ont un emploi, très majoritairement en CDI avec un salaire médian de 49 000 euros, ce qui la place au premier rang des écoles d’ingénieurs. Un des tous premiers objectifs de l’alliance des écoles du quartier de l’Ecole polytechnique est de faire progresser encore davantage cette culture professionnalisante en l’inscrivant dans une dimension internationale résolue. Le recrutement et la visibilité internationale seront grandement facilités par une mise en commun des moyens de chacun des établissements et par l’homogénéité de leur formation et de leur recherche. Il est nécessaire de souligner qu’aujourd’hui, l’ENSAE ne dispose absolument pas des moyens nécessaires à un recrutement international (élèves et même enseignants-chercheurs) au niveau de la formation dispensée et de la recherche effectuée.
- L’enseignement de l’ENSAE est à la frontière de la recherche, c’est notamment le cas grâce à une intégration profonde avec le CNRS, mais aussi avec le département d’économie de l’Ecole polytechnique qui est depuis juillet hébergé au 4ème étage du bâtiment de l’ENSAE à Palaiseau. L’Unité mixte de recherche CREST qui rassemble l’Ecole polytechnique et le CNRS est un puissant vecteur du modèle fondateur de l’ENSAE : l’aller-retour permanent entre la théorie et les données. Depuis sa création, l’ENSAE a en effet su développer un modèle original fait d’une force conjointe en théorie économique, en sociologie, en finance et en marketing et en mathématiques appliquées – statistique. Ce modèle donnera tous ses fruits dans un environnement structuré par les mathématiques appliquées et, –encore une fois, la reconnaissance du caractère indispensable d’une familiarité approfondie avec le domaine métier permettant sa modélisation à partir des théories les plus pointues.
- Aujourd’hui, l’ENSAE bénéficie à plein du développement de la datascience, elle s’ouvre au machine learning, tant il est vrai que cette approche est complémentaire de la tradition modélisatrice chère à l’ENSAE. Les partenaires de « NewUni » sont autant d’atouts dans ce domaine en pleine expansion.
- Les liens en commun avec les entreprises sont forts avec les écoles de l’alliance. Ils pourraient être largement développés pour ce qui concerne l’ENSAE, notamment puisqu’un regroupement pourrait permettre de résoudre la double appartenance de beaucoup d’alumni, à la fois polytechniciens et ENSAE. Cette dernière a beaucoup à gagner dans ce cadre, en jouant tout son rôle.
A ce stade, il est utile de souligner que l’adhésion de l’ENSAE à l’alliance des écoles du quartier de Polytechnique s’avère en complète cohérence avec la décision prise il y a 10 ans de son installation sur le plateau de Saclay à 100 m de l’Ecole polytechnique. A cette date avait été envisagée comme alternative une implantation sur le campus Jourdan, à proximité de PSE. Aujourd’hui, rien ne paraît justifier de remettre en question cette décision. Des liens extrêmement nombreux en matière de recherche ont été bâtis avec l’Ecole polytechnique (UMR CREST), dont le département d’économie est hébergé par l’ENSAE. En matière de formation, force est de constater que les enseignants des deux écoles participent aux enseignements de l’autre. Cette situation est saine, réfléchie et a été activement mise en œuvre, elle va être encore développée. Elle est en gestation avec tous les partenaires de NewUni, l’ENSTA et l’IMT (qui donne à la Datascience une coloration plus informatique très complémentaire à celle que l’ENSAE donne avec la statistique), mais aussi avec HEC avec laquelle l’ENSAE est également très complémentaire en lui apportant une dimension quantitative dans les domaines de la finance et du management. Tout cela ne sera pas exclusif de l’approfondissement des relations avec des établissements extérieurs à l’alliance, au premier rang desquels l’ENS Paris-Saclay, avec laquelle l’ENSAE entretient de nombreux liens de formation et de recherche.
Aujourd’hui 6 groupes de travail fonctionnent à l’intérieur de NewUni. Ils concernent les cursus de Master, l’organisation des écoles doctorales, la recherche, la vie du site, l’international et l’entrepreneuriat. Un groupe de coordination se réunit également avec des représentants de la future université de Paris Saclay pour redéfinir au mieux les relations entre les deux pôles. Il est prioritaire en effet de réfléchir à d’éventuels redéploiements dans l’organisation de la recherche ou des diplômes nationaux délivrés. L’objectif est de conserver au maximum ce qui marche dans le cadre de la COMUe actuelle, mais aussi de redéfinir ce qui pourrait créer plus de valeur en se recentrant sur les forces propres de l’alliance.
A cet égard, les relations avec les grands organismes de recherche doivent aussi être rapidement précisées, faisant suite à l’appel du Président de la République à constituer des passerelles entre les deux pôles du plateau. Enfin un statut juridique propre à porter les diplômes nationaux de l’alliance sera défini, tout en laissant le plus de place possible à la subsidiarité, et une nouvelle marque sera choisie.
Pour garantir une mise en place rapide de l’alliance, un chef de projet devrait être prochainement nommé.
L’ENSAE est la plus petite école de l’alliance par la taille, mais sa réputation et la qualité de la formation qu’elle dispense et de la recherche qu’elle développe en font un partenaire courtisé. De très grandes opportunités s’ouvrent à elle pour le plus grand bénéfice de ses élèves, actuels et anciens, de ses enseignants-chercheurs et de ses personnels administratifs.
Un dernier mot à propos de l’ENSAI, prise elle aussi dans un grand mouvement de réorganisation à l’ouest de la France : elle a su profiter à fond de la déferlante datascience et nul doute qu’elle saura elle aussi nouer des alliances porteuses d’avenir.
- Vers un MIT à la française ? - 26 janvier 2018
Cher Philippe,
En tant qu’ENSAE 88 (quasi un dinosaure donc), je constate avec plaisir que l’école s’est émancipée de l’ombre protectrice, castratrice (?), de la tour INSEE de Malakoff (à cette époque le périph n’était même pas couvert à cet endroit!).
Veillons effectivement à ne pas la remettre dans l’ombre de l’X ou dans celles des écoles prestigieuses qui composent NewUni, ni que NewUni ne soit qu’une structure trop lâche qui ne pemet pas de « remonter » dans les différents classements bibliométriques (même si je ne les considère pas comme l’alpha et l’oméga de la valeur scientifique d’une institution).
Enfin, j’avais apprécié à l’ENSAE de mon époque, la coexistence de Théorie des proba II par Marc Christine (voire processus stochastiques) et de Sociologie par Christian Baudelot. Ne perdons pas cela, c’est aussi un élément de différenciation pour les ENSAE d’aujourd’hui.
Bien sûr cette alliance est prometteuse.
Cher Philippe,
autre réaction d’un autre dinosaure de la promo 88. Merci de ce point de situation détaillé sur l’alliance NewUni. Etant par ailleurs vice-président du Conseil de l’IHES, membre fondateur de Paris Saclay, j’ai regretté que l’X ne s’y soit finalement pas associée, tout en comprenant certaines de ses raisons. Une fois ce ‘second best’ accepté et entériné par le président Macron, la décision de l’ENSAE de rejoindre le groupe des 5 est tout à fait logique et, comme tu l’expliques si bien, ne peut que renforcer le rayonnement de l’école.
Une remarque cependant sur le titre de l’article: ‘un MIT à la française’. Si c’est l’objectif, souvenons-nous que le MIT est avant tout une école doctorale (graduate school), la meilleure des Etats-Unis, dit-on souvent, dans le domaine de l’économie, un tout petit département, d’ailleurs, au sein du MIT. Or la logique française des écoles d’ingénieurs n’est pas celle des écoles doctorales, tout simplement parce qu’en France, le grade de docteur n’est pas particulièrement reconnu. Envisageons-nous un futur où les diplômés de l’ENSAE afficheraient dans leur CV « a obtenu son doctorat à l’ENSAE »? Si c’était le cas (j’en doute), il faudrait accepter que les études comportent une partie recherche importante, et soient donc plus longues.
Sur ces réflexions, amitiés à tous,
Eric
Cher Eric,
marier la richesse (professionnalisation) du cycle ingénieur à la française avec une insertion dans les standards internationaux n’est pas le moindre des défis auxquels nous sommes confrontés !
Philippe