L’Ă©lection prĂ©sidentielle de 2017 en France sera sans doute une des Ă©lections prĂ©sidentielles françaises les plus suivies par les Allemands. En effet, la grande majoritĂ© de ces derniers craint une troisiĂšme surprise politique – aprĂšs le rĂ©fĂ©rendum pour le Brexit et la victoire de Donald Trump Ă  l’Ă©lection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine. Or dans ce scĂ©nario, la surprise n’aurait pas lieu de l’autre cĂŽtĂ© de l’Atlantique, mais dans le plus grand pays voisin, de l’autre cĂŽtĂ© du Rhin. MĂȘme si cela semble rester peu probable selon les derniers sondages, qui peut encore faire confiance aux rĂ©sultats des sondages, alors que ces derniers avaient donnĂ© un avantage considĂ©rable au « remain » lors du vote sur le Brexit en Angleterre?

Les Allemands ont d’autant plus de mal Ă  comprendre comment plus de 20 %, peut-ĂȘtre plus de 25 %, des Français peuvent voter pour Marine Le Pen, comme semblent l’indiquer les sondages pour le premier tour, qu’ils sont dĂ©jĂ  choquĂ©s par les rĂ©sultats Ă©levĂ©s (plus de 10 %) que l’AfD, le parti populiste d’extrĂȘme droite, pourrait remporter en septembre 2017, aux Ă©lections nationales du Bundestag.

Si le Front National venait Ă  l’emporter en France, la communautĂ© d’Etats pourrait dĂ©finitivement tourner le dos au libre-Ă©change et lancer une nouvelle Ăšre de rĂšgne du nationalisme. Bien sĂ»r, ce scĂ©nario ne plaĂźt pas aux allemands, champions du monde de l’exportation, d’autant plus que les exportations allemandes vont essentiellement vers les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. Le nouveau prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump a attaquĂ© sans diplomatie le dĂ©sĂ©quilibre qu’il perçoit dans l’Ă©change de biens entre les deux pays: Il y aurait beaucoup de Mercedes Ă  New-York, mais trĂšs peu de Chevrolet dans les rues allemandes, a-t-il dit dans une interview accordĂ©e au tabloĂŻd allemand « Bild » et au journal anglais « Times » quelques jours avant son investiture. MĂȘme si cette observation est probablement Ă  visĂ©e purement populiste (en rĂ©alité General Motors, l’entreprise mĂšre derriĂšre la marque Chevrolet, avait dĂ©cidĂ© en 2013 de ne plus vendre de Chevrolet en Europe afin de ne pas concurrencer ses autres filiales prĂ©sentes en Europe, notamment Opel et Vauxhall), elle indique la direction que souhaite prendre le nouveau gouvernement amĂ©ricain. Dans le mĂȘme temps, Theresa May, PremiĂšre ministre britannique, a rĂ©cemment indiquĂ© que le Brexit serait accompagnĂ© d’une sortie du marchĂ© unique europĂ©en. Une plĂ©iade de mauvaises nouvelles donc pour l’économie allemande. Et l’élection de Marine Le Pen en serait une de trop.

Les Allemands auraient beaucoup moins de mal Ă  vivre avec François Fillon (si celui-ci maintient sa candidature malgrĂ© les rĂ©vĂ©lations sur les emplois des membres de sa famille) ou Emmanuel Macron. Leur programme Ă©lectoral Ă©conomique libĂ©ral correspond en partie aux attentes des Allemands, qui s’étonnent depuis longtemps de la politique des 35 heures ou de l’ñge de retraite moindre en France. L’Ăąge de retraite en Allemagne devrait progressivement passer de 65 ans Ă  67 ans Ă  horizon 2029. Ces diffĂ©rences sur l’ñge de dĂ©part Ă  la retraite et la durĂ©e lĂ©gale du travail hebdomadaire sont souvent utilisĂ©es pour expliquer le succĂšs de l’Ă©conomie allemande d’une part et les problĂšmes de l’Ă©conomie française d’autre part: le taux de chĂŽmage est d’un peu plus de 4 % en Allemagne et reste proche des 10 % en France.

Mais les Allemands se demandent aussi comment leur politique europĂ©enne a pu faciliter l’ascension de Marine Le Pen. Sigmar Gabriel, le nouveau ministre des Affaires Ă©trangĂšres en Allemagne, a critiquĂ© la politique d’austĂ©ritĂ© menĂ©e par Angela Merkel. D’aprĂšs lui, elle n’a pas facilitĂ© la tĂąche Ă  François Hollande en s’opposant Ă  tout allĂ©gement des rĂšgles relatives au dĂ©ficit budgĂ©taire[1], alors qu’on aurait pu concevoir d’en exclure les dĂ©penses relatives aux opĂ©rations extĂ©rieures des forces françaises au Mali. « J’ai demandĂ© Ă  la chanceliĂšre: qu’est-ce qui nous coĂ»tera plus cher, un demi-point de plus de dĂ©ficit budgĂ©taire en France ou Marine Le Pen comme prĂ©sidente ? », a-t-il dit au magazine allemand « Der Spiegel ». Madame Merkel ne lui aurait pas rĂ©pondu.

Du point de vue allemand les risques politiques liĂ©s aux Ă©lections françaises ne se limitent toutefois pas Ă  des pertes en volume d’exportations. Les enjeux sont bien plus grands car c’est  toute la cohĂ©sion de l’Union europĂ©enne qui est mise en danger. Avec la dĂ©mission de Matteo Renzi en tant que chef du gouvernement italien et avec les difficultĂ©s en GrĂšce qui ne sont que provisoirement palliĂ©es par les allĂ©gements de dettes – pour en donner juste deux exemples – le soutien aux politiques d’austĂ©ritĂ© diminue. Une nouvelle vague populiste pourrait transformer l’Union europĂ©enne une fois pour toutes en une union de transfert, avec quelques pays Ă©conomiquement forts qui devraient financer les dettes des autres. Dans un scĂ©nario un peu plus optimiste le dĂ©bat dĂ©clenchĂ© par Donald Trump pourrait inciter les Allemands Ă  se pencher davantage sur la consommation intĂ©rieure, ce qui pourrait se traduire par une plus forte augmentation des salaires et du pouvoir d’achat. Ainsi l’Allemagne rĂ©duirait quasi-automatiquement sa compĂ©titivitĂ©.

La capacitĂ© Ă  prendre davantage en compte l’évolution politique et Ă©conomique dans les autres pays europĂ©ens serait toutefois sĂ»rement plus grande avec un axe franco-allemand fort. Gageons que le prochain prĂ©sident français pourra favoriser un tel dĂ©veloppement.

 

 

[1] D’aprĂšs le Pacte de StabilitĂ© et de Croissance, ce dernier doit ĂȘtre infĂ©rieur Ă  3% du PIB

Niklas Hoyer
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