2019 : la Cité de l’économie, CITECO, ouvre : ce musée interactif et ludique d’éducation économique est une première en Europe. Il occupe à Paris l’Hôtel Gaillard, un petit palais néo-renaissance, construit au 19e siècle. Ancienne succursale de la Banque de France (BDF), ce joyau architectural inclut environ 250 éléments d’exposition, dont une cinquantaine de vidéos et la moitié de jeux, le tout financé par la BDF.

Flashback :

2005 : Christian Noyer, Gouverneur de la BDF, visite avec moi un ancien couvent de Mexico, restauré pendant 17 ans par la banque centrale du Mexique et destiné à devenir le premier musée interactif de l’économie (MIDE, Museo Interactivo de la Economia). Ce musée, dit de 3ème génération, est plus ambitieux que ceux de 1ère génération, focalisés sur la monnaie, et même que les suivants offrant quelques vidéos et jeux pédagogiques sur les missions de la banque centrale. Or la BDF n’a pas de musée, au contraire de ses grandes consœurs. Mais elle dispose de collections de pièces et billets et, surtout, elle a l’ambition citoyenne de contribuer à une meilleure éducation économique et financière des publics… L’idée de la Cité de l’économie est née !

2011 : après qu’ont été écartés divers sites, un concours international lance les études pour restaurer l’Hôtel particulier du banquier Emile Gaillard, acquis par la BDF en 1919 (17ème arrondissement de Paris). Pour en faire une succursale, la cour intérieure de ce petit château avait servi à creuser une salle des coffres, entourée de douves et surmontée d’un grand hall pour accueillir les clients, le tout en style Art Déco. Les travaux doivent aussi adapter le bâtiment, fermé en 2006, aux normes accrues de sécurité et d’accessibilité à tout public, afin de permettre d’admirer par exemple son escalier d’honneur (gratuitement) comme ses grandes salles et ses dédales (avec un ticket payant).

CITECO : pourquoi ?

Chez les Français, les sujets d’argent et, plus généralement, les débats économiques et financiers suscitent des réactions apparemment contradictoires : d’un côté, ces sujets sont souvent jugés complexes voire abstraits et peuvent susciter méfiance et rejet ; d’un autre, les sondages réguliers, notamment financés par la BDF, révèlent à la fois un désir d’en savoir plus et la perception d’un niveau moyen insuffisant de connaissances en la matière (selon 70 % des sondés). Les Français obtiennent des scores inférieurs à ceux de nos voisins européens sur des questions standards liées aux taux d’intérêt ou à l’inflation ; et les tests (PISA) de l’OCDE les placent en dessous de la moyenne pour les connaissances financières des jeunes de 15 ans.

Or la BDF a une longue expérience des besoins d’information et d’éducation économique : ainsi, elle publie nombre de statistiques et études en diversifiant sur son site internet (banque-france.fr) les formats, comme les ABC de l’économie (pour tous, en une page) ou son blog en 3 pages pour public averti (https://blocnotesdeleco.banque-France.fr/) ; aidant aussi à traiter chaque année les dossiers d’encore environ 150 000 ménages surendettés, elle forme des travailleurs sociaux pour prévenir plutôt que guérir le surendettement et noue des partenariats avec diverses écoles et universités.

La BDF a d’ailleurs été désignée en 2017 comme opérateur de la stratégie nationale d’éducation financière, du fait de son indépendance et de son réseau territorial. A ce titre, elle gère le portail internet dédié à l’éducation budgétaire et financière mesquestionsdargent.fr.

Servir le public en améliorant ses connaissances économiques est d’ailleurs dans l’intérêt de la BDF. Pour expliquer ses objectifs et ses moyens d’actions, celle-ci a besoin que tous comprennent bien le fonctionnement de l’économie et ses mécanismes. Elle gagne donc non seulement à informer (fournir des données) et à communiquer (passer un message) mais aussi à contribuer à éduquer en économie, c’est-à-dire à donner aux citoyens la capacité de faire des choix éclairés en la matière.

CITECO : pour qui ?

CITECO vise tous les publics. Sur son site internet (citeco.fr) comme à l’Hôtel Gaillard, elle offre des ressources pédagogiques et des parcours adaptables à chacun, débutants ou experts, seul ou en famille. Pour autant, les jeunes constituent son public privilégié. Les enfants sont fascinés par le château et amusés par certains jeux très simples (par exemple un Memory sur l’innovation) tandis que les mieux informés s’instruisent sur des sujets aussi pointus que la distinction entre solvabilité et liquidité ou l’architecture du lieu.

Cibler les jeunes, c’est semer pour l’avenir et favoriser les discussions entre amis et à la maison. C’est aussi s’obliger à les attirer et les former via des media modernes, digitalisés et ludiques. Chaque texte (en français, en anglais et en espagnol) essaie de ne pas dépasser 500 caractères ; aucune vidéo ne fait plus de 5 minutes ; et la plupart des jeux se pratique dans le même temps. C’est enfin s’adresser aux enseignants, du secondaire au 3è cycle, en rendant concrètes les grandes questions économiques. Les enseignants jouent ici le rôle de ‘‘prescripteur’’. S’ils sont loin de Paris, ils peuvent exploiter le site internet (vidéos, jeux, articles, etc.) ou voyager sur Paris, comme projet de l’année.

La visite-type dure environ 2 heures et ne prétend pas enseigner l’économie mais donner envie d’en apprendre plus. Or CITECO offre douze heures de visites et de jeux potentiels si l’on veut tout faire et tout lire. On peut donc aller à la découverte ou planifier un parcours thématique. Et les économistes ne sont pas seuls concernés. L’histoire, l’architecture, les arts se croisent à CITECO dont le contenu emprunte aussi à la sociologie.

CITECO : quoi, comment et combien ?

L’Hôtel Gaillard, au 1 place du Général Catroux, 75017, près du parc Monceau, propose :

  • Une exposition permanente de 2400 m² sur trois niveaux avec un entresol, environ 250 éléments pédagogiques : des jeux interactifs (dits ‘manipulations’), des vidéos, des extraits de films, des panneaux (dits ‘totems’) sur l’économie ou l’architecture du bâtiment lors de sa 1ère époque (banquier Gaillard) ou de la 2ème (succursale BDF) ainsi que des collections de pièces et billets, d’authentiques presses à monnaie ou à assignat, un lingot d’or à toucher, etc.,
  • 6 secteurs : 1/ les Echanges (avec troc ou monnaie), 2/ les Acteurs (Ménage, Entreprise, Etat, Association, etc.), 3/ les Marchés (où ces acteurs échangent de façon organisée), 4/ les Turbulences (jusqu’aux crises), 5/ les Régulations (pour essayer de prévenir ou guérir ces dernières), avec pour finir (ou commencer) 6/ les Trésors ; ceux-ci se cachent dans la salle des coffres souterraine, protégée par ses douves étroites mais profondes de plusieurs mètres, franchissables par un pont roulant unique en Europe, et fermée par une énorme porte blindée en acier ;
  • Un 3ème étage réservé aux expositions temporaires ou privatisations (500 m²) avec vue sur les terrasses ajoutées lors de la restauration des superbes toitures Renaissance, en tuiles noires ; l’auditorium pour conférences, la cafétéria, la boutique, et l’escalier d’honneur avec projection de lumières, le reste du parcours permanent étant payant car la première leçon d’économie est que les ressources sont rares et que la gratuité est en réalité financée par l’impôt ou la publicité.

Le site internet, en français et anglais, cumule en 8 ans plus d’un million de visiteurs, et CITECO est présente hors les murs : ainsi aux Rendez-vous de l’Histoire à Blois ou aux JECO de Lyon où le Citeco Vidéo Challenge récompense les productions de vidéos originales d’amateurs de moins de 30 ans.

Le budget d’investissement fut de plus de 50 millions d’euros 2018, dont plus de 40 consacrés à restaurer le bâtiment et à l’adapter à tous les publics, le reste finançant surtout la muséographie. Une association 1901, CITECO, fut créée en 2017 pour que le musée soit géré par des professionnels du métier, la BDF contribuant à financer son fonctionnement par un apport en mécénat, et CITECO a maintenu ou noué plusieurs partenariats, notamment avec le Ministère de l’Education nationale.

Un Conseil scientifique bénévole a enfin orienté les choix, évalué la qualité des produits et aidé à améliorer les scénarios des jeux et vidéos. Ces scénarios ont le plus souvent été préparés par les économistes de la BDF, adaptés par des muséographes et testés par des groupes de pédagogues et enseignants du secondaire puisque CITECO s’inspire largement de leurs programmes scolaires.

CITECO : quels choix de contenu ?

Le 1er Conseil scientifique (2011-2018), a inclus divers experts sur des durées variables selon leur disponibilité : économistes aux centres d’intérêt et avis différents, qu’ils soient professeurs (comme M. Aglietta) ou travaillant dans une entreprise (comme M. Lemoine) ; sociologues (M. Wieviorka), journalistes (Le Monde), pédagogues, muséographes, responsables en établissements muséaux, …

Plusieurs membres du Conseil avaient participé à l’élaboration en 2010-11 d’une exposition préfigurative à la Cité de la Villette (avril 2013 – janvier 2014). Cette exposition, appelée « Economie : Krach, Boom, Mue ! » sur 1 000 m², avait déjà été financée par la BDF mais avait bénéficié de l’expérience d’Universcience. Vue par plus de 150 000 visiteurs, elle avait permis de tester leurs réactions, d’intégrer des commentaires, d’améliorer des dispositifs et d’en concevoir de nouveaux.

Les discussions du Conseil ont été passionnantes, voire passionnées, pas tant par la pluralité des vues que le besoin de faire des choix (tout ne pouvant être traité) et la volonté de simplifier jeux, vidéos et textes, sans devenir simpliste. Ch. Chavagneux et E. Lechypre ont noté que le jeu microéconomique simplifié d’offre et de demande faisant varier le prix n’explique pas la faible inflation actuelle. Mais celle-ci relève d’autres facteurs, macro-sociaux, à expliciter par un médiateur ou un enseignant.

Dernier exemple symbolique : avant d’être tué à Charlie Hebdo, B. Maris, membre du Conseil général de la BDF, avait demandé de compléter la fresque résumant l’Histoire des Pensées économiques. Malgré ses 15 m², celle-ci doit se limiter aux grands économistes ayant nourri divers courants de pensées ; les utopistes français, sans descendance directe, ont été inclus en son honneur.

Et maintenant ?

Au-delà des explications visuelles et sonores, les éléments d’exposition seront commentés par des médiateurs ou par les enseignants accompagnateurs, dans l’esprit de favoriser la discussion. Chaque secteur inclut d’ailleurs un stand de débats avec des vidéos d’économistes aux vues différentes permettant aussi de faire évoluer un parcours permanent conçu pendant plusieurs années.

Des conférences, des ateliers pédagogiques, des animations, un évènementiel, etc. complèteront la panoplie pour exposer la pluralité des vues en économie … dont celles de la Banque de France, s’agissant notamment de ses objectifs de stabilité des prix et financière comme de ses instruments (politique monétaire, politique macro-prudentielle et supervision micro-prudentielle) : autant de concepts dont le simple énoncé risquerait sinon de faire fuir le néophyte !

Le but, y compris du 2ème Conseil scientifique constitué désormais de 12 membres, est au contraire de contribuer à la « 3ème vie de l’Hôtel Gaillard », en attirant plus de 100 000 visiteurs par an, dont un tiers de scolaires, dans ce mystérieux château Poudlard des Harry Potter de l’économie.

Mot-clés : économie – finance – éducation – Citeco – BanqueDeFrance – musée

Marc-Olivier Strauss-Kahn