Cet article a été initialement publié sur le site Bloc-notes Eco de la Banque de France, le 8 octobre 2024.


Ce billet explore l’évolution du taux de chômage en France depuis vingt ans, en se concentrant sur le rôle des transitions entre l’emploi et le chômage. La baisse significative du chômage depuis 2015 reflète en grande partie une amélioration de la réintégration des chômeurs sur le marché du travail. Il met en évidence l’impact des facteurs structurels et des politiques publiques sur ces dynamiques.

Graphique 1 – Tendances des flux de chômage en France (%)

Source : France Travail, Insee ; calcul des auteurs.

Note : Taux de retour à l’emploi depuis le chômage et taux de sortie de l’emploi vers le chômage. Ces taux sont construit grâce à la méthode de Shimer (2012) qui s’appuie sur l’évolution du ratio entre le chômage total et le chômage de court terme. Données trimestrielles de 2003-T1 à 2024-T2.

 

Culminant entre 2012 et 2016 au-dessus de 10 %, le taux de chômage français a, depuis 2016, engagé une baisse quasi-continue pour atteindre le point historiquement bas de 7,1 % fin 2022, et se situe à 7,3 % au deuxième trimestre de 2024 Si cette baisse est en partie due à des facteurs conjoncturels — la Banque de France prévoit ainsi une légère remontée temporaire du chômage à 7,6 % en 2025 elle répond d’abord à des facteurs structurels qui peuvent être appréhendés grâce à l’étude des mouvements de travailleurs transitant entre l’emploi et le chômage. En faisant abstraction de l’augmentation du taux d’activité (mesuré par le rapport (emploi + chômage)/population en âge de travailler) qui n’a pas directement contribué à faire évoluer le taux de chômage depuis 2015, l’évolution du chômage dépend en effet de deux facteurs : le nombre de chômeurs trouvant un emploi d’une part, et le nombre de « nouveaux chômeurs » suite à une perte d’emploi d’autre part. En pratique on exprime ces flux grâce au taux de retour à l’emploi des chômeurs et au taux de sortie de l’emploi vers le chômage. Ces taux sont calculés grâce à la méthode de Shimer (2012) qui utilise la relation d’équilibre qui existe entre les niveaux de chômage total et de chômage de court terme. Le taux de retour à l’emploi mesure la proportion des chômeurs qui trouvent un emploi. Le taux de sortie de l’emploi évalue la part des travailleurs qui deviennent chômeurs. À chaque instant, le taux de chômage est la résultante de ces deux flux de sens opposés. Ce billet se propose d’abord d’analyser l’influence des fluctuations de ces taux sur le taux de chômage effectif, puis d’explorer les forces sous-jacentes qui en dictent les variations.

Les variations du taux de retour à l’emploi expliquent l’essentiel de la baisse récente du chômage

Le Graphique 1 montre l’évolution des flux chômage-emploi et emploi-chômage entre 2003 et 2023. Ces flux sont construits grâce à la méthode de Shimer (2012), qui mesure l’évolution du taux de retour à l’emploi grâce à l’évolution de la part du chômage de courte durée tout en faisant l’hypothèse d’un taux de participation constant. On observe que, malgré les fluctuations, le taux de retour à l’emploi a suivi une tendance générale à la hausse depuis 2015, ce qui indique une amélioration graduelle des chances des chômeurs de retrouver du travail. En parallèle, le taux de sortie de l’emploi a augmenté de manière importante après la crise économique à partir de 2009, atteignant un pic en 2015 avant de se stabiliser. Après une forte chute pendant la pandémie de Covid-19, il semble aujourd’hui revenir progressivement à son niveau d’avant crise.

Comme le montre le Graphique 2, dans son panneau de gauche, le taux de chômage impliqué par les flux entrants et sortants du marché du travail reproduit de manière fidèle la dynamique effectivement constatée du taux de chômage, tout en présentant une volatilité légèrement plus élevée. Ceci confirme la pertinence des flux d’entrée et de sortie du chômage pour comprendre le niveau effectif du chômage malgré l’hypothèse forte sur le taux de participation. Ce dernier a en effet a augmenté d’environ 3 points sur la période considérée, en raison de la participation accrue des femmes et des travailleurs âgés de 50 à 64 ans (en raison du recul progressif de l’âge de départ à la retraite). Toutefois, cette augmentation est très progressive et portée par des personnes transitant directement entre l’inactivité et l’emploi, ce qui fait que les flux entre le chômage et l’emploi expliquent l’essentiel des variations du taux de chômage au cours du cycle. L’année 2020 est exclue de notre analyse en raison des choix de politiques publiques effectués lors de la pandémie de Covid-19, qui ont temporairement gelé le marché du travail, entraînant une baisse artificielle des taux de sortie et de retour à l’emploi, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis par exemple.

Le panneau de droite du Graphique 2 reproduit l’exercice contrefactuel de Shimer (2012), qui consiste à simuler ce qu’aurait été le taux de chômage observé si l’un ou l’autre des deux flux avait été fixé à sa moyenne sur l’ensemble de la période considérée. L’idée est de distinguer l’importance des fluctuations du taux de retour à l’emploi et du taux de sortie de l’emploi pour les fluctuations du chômage. Ainsi, la courbe bleue représente les taux de chômage impliqués lorsque l’on considère uniquement les fluctuations du taux de retour à l’emploi, tandis que la courbe rouge représente les taux de chômage impliqués lorsque l’on considère uniquement les mouvements du taux de sortie de l’emploi. On constate que la courbe bleue est celle qui reflète le mieux la dynamique globale du chômage sur la période considérée. Plus précisément, cet exercice montre que la majeure partie de la variation du taux de chômage (82 %) est due aux fluctuations du taux de retour à l’emploi, tandis que le reste s’explique par celles du taux de sortie de l’emploi. Ce résultat pour la France concorde avec les conclusions de Shimer pour les États-Unis. On constate par ailleurs que la baisse du chômage amorcée en 2015 est entièrement attribuable à l’augmentation du taux de retour à l’emploi sur la période.

Graphique 2 – Taux de chômage effectif, impliqué et exercices contrefactuels (%)

Source : Insee, France Travail ; calcul des auteurs.

Note : Gauche : comparaison du taux de chômage effectif et celui impliqué par les flux de chômage (Shimer, 2012). Droite : deux exercices contrefactuels sur le taux de chômage impliqué. Rupture en 2020 en raison du gel des flux entre emploi et chômage pendant la période Covid.

Le rôle de la demande et des CDD très courts

Comment comprendre les évolutions des flux d’emploi sur la période ? Le Graphique 3 tente de mettre en évidence les forces sous-jacentes qui influencent les taux de retour à l’emploi et de sortie de l’emploi. Le panneau de gauche montre la relation importante entre le taux de retour à l’emploi (échelle de gauche) et le taux d’emplois vacants (échelle de droite). Ce dernier taux est obtenu en exprimant le nombre de postes vacants en pourcentage de la somme du nombre d’emplois occupés et du nombre de postes vacants. Il permet de mesurer l’intensité de la demande de travail de la part des entreprises. La corrélation entre ces deux indicateurs est forte, ce qui indique que la demande agrégée de travail est un facteur déterminant dans la réintégration des chômeurs dans l’emploi.

Afin de comprendre l’évolution du taux de sortie de l’emploi qui augmente de manière marquée jusqu’en 2015 nous étudions l’impact qu’à pu avoir le recours croissant à des contrats à durée déterminée (CDD) de très courte durée (moins d’un mois). Le panneau de droite du Graphique 3 montre que le nombre de CDD de moins d’un mois arrivés à terme rapporté à l’emploi total en CDD augmente de manière substantielle sur la période. La modification de la structure de l’emploi en faveur de contrats de très courte durée est le principal facteur explicatif de l’augmentation du taux de sortie de l’emploi jusqu’en 2015.  A noter que depuis lors la tendance à la hausse des CDD courts s’est interrompue, dans un contexte d’augmentation de la part des embauches en CDI.

Graphique 3 –  Facteurs explicatifs de l’évolution des taux de retour et de sortie de l’emploi (%)

Source : Insee, France Travail, Dares; calcul des auteurs.

Note : Gauche : comparaison du taux de retour à l’emploi et du taux d’emplois vacants. Droite : comparaison du taux de sortie de l’emploi et du taux de séparation de CDD de moins d’un mois (couverture temporelle différente selon la disponibilité des données MMO – Dares). Rupture de série en 2020 en raison de la période Covid.

Le rôle des politiques publiques

L’augmentation du taux de retour à l’emploi depuis le milieu des années 2010 est en partie attribuable aux réformes du marché du travail qui ont simultanément influencé l’offre (assurance chômage) et la demande (coûts des licenciements, réduction des cotisations patronales). Bien que les effets de certaines réformes soient par nature difficiles à quantifier (par exemple, l’effet de la réduction de l’incertitude sur les coûts de licenciement), d’autres ont eu un effet non négligeable sur la création nette d’emplois. Aldama, Cochard et Ouvrard (2020) estiment que les politiques de baisse du coût du travail auraient contribué à la création de 240 000 emplois salariés marchands de 2016 à 2019, soit 25 % de la création totale d’emplois au cours de la période.

Si une partie de l’amélioration du taux de retour à l’emploi depuis 2015 est certainement liée à un climat économique plus positif d’un point de vue conjoncturel, les politiques publiques (allègements du coût du travail, aides à l’apprentissage, réduction de l’incertitude liée au processus de licenciement) ont joué un rôle en générant un surcroît de demande de main-d’œuvre qui s’est traduit par davantage de créations nettes d’emplois. En l’absence d’une augmentation concomitante du taux de licenciement ou d’une réduction de la durée des contrats, qui ne ressortent pas de la tendance du taux de sortie de l’emploi depuis 2015, ce surcroît de la demande et du taux de retour à l’emploi a participé à la baisse durable du taux de chômage français.

 

Marco G. Palladino & Thomas Zuber
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