Durant l’été 2022, dans un environnement financier devenu plus difficile, Contentsquare, une entreprise proposant des solutions d’analyse de l’expérience en ligne, lève haut la main 600 millions de dollars pour créer « l’expérience client du futur. »

Tout un symbole pour l’expérience client[1]!

Devenue une discipline, un métier à multiples facettes, elle semble traverser un âge d’or, grâce à des outils et des données de plus en plus sophistiqués.

Qui dit âge d’or dit aussi « mine d’or » : savoir gérer l’expérience client au point de l’excellence ouvre de nombreux potentiels de création de valeur durable.

Mine de talents aussi : l’expérience client ouvre de nouvelles opportunités, en particulier pour des profils à compétences statistiques et quantitatives comme les diplômés de l’ENSAE.

Bienvenue donc dans un monde où les données sont reines, où les analyses doivent sans cesse s’améliorer quasiment en temps réel ! 

L’expérience client règne sur un vaste royaume qui innove à toute vitesse, dans tous les secteurs soumis à une forme de concurrence.

D’aucuns nous annoncent un nouveau modèle de société, un capitalisme centré sur la valeur pour le client, par opposition à un capitalisme plus traditionnel, qui maximise d’abord le bénéfice des actionnaires.

Plus que jamais en tout cas, une grande intégrité et le respect des autres (et donc des clients) sont nécessaires pour guider l’action des entreprises, au-delà de la pure recherche de profits et de la simple conformité aux réglementations.

L’expérience client ou la « customer experience », c’est quoi ?

Le terme, très à la mode, fleurit sur les sites internet, les curriculum vitae ou les rapports annuels, parfois dans des acceptions assez différentes. Il a aussi des cousins particulièrement fréquents dans le monde anglophone comme le « Customer Success » (succès client) ou le « Customer Engagement » (engagement du client).

Petit effort donc de définitions et d’éclairage :

  • L’expérience client s’emploie pour décrire une expérience (ou la somme des expériences) qu’un client[2] d’une entreprise accumule lorsqu’il est en relation avec cette entreprise, et la perception (et le souvenir) que ledit client en a.

C’est donc à la fois une expérience qui se construit à partir d’activités concrètes, réelles (par exemple l’expérience d’un client lorsqu’il va dans un magasin faire ses courses : a-t-il trouvé facilement ce qu’il cherchait au prix qu’il attendait, a-t-il fait la queue pour payer… ?), mais aussi une somme d’émotions parfois subjectives (le client a entendu sa musique préférée pendant ses courses, il faisait beau, l’employé à la caisse lui a souri et l’a complimenté sur sa sélection avisée de produits, le client est revenu de bonne humeur et en a parlé sur les réseaux sociaux…).

L’expérience client commence dès qu’un être humain est en contact avec une marque, et ne nécessite pas forcément un achat (le client n’est alors qu’encore client potentiel ou « prospect »). Par exemple, si un enfant voit pour la première fois une publicité pour Disneyland, son expérience de Disneyland aura commencé avant même qu’il ne mette un pied dans un parc d’attraction.

  • Par extension, on utilise souvent le terme d’« Expérience Client » pour faire référence à la ou les fonctions dans une entreprise visant à améliorer ladite expérience. Par exemple, je dirige « l’Expérience Client » de Moody’s Analytics. Le périmètre de telles fonctions varie selon les entreprises.

De même, le Succès Client (Customer Success) décrit le fait que le client réussisse à atteindre l’objectif correspondant à son besoin (par exemple, acheter un vélo pour aller au travail), et est employé pour décrire une discipline ou un métier facilitant ce succès.

Comment améliore-t-on l’expérience client ?

C’est bien de vouloir améliorer l’expérience ou le succès des clients. Mais comment ?

  • L’expérience client, cela se mesure.

Un article entier pourrait être consacré à ce qu’on appelle dans le jargon « la Voix du Client » ou « Voice of the Customer ».

Nous sommes tous familiers de ces efforts de mesure, notamment cette question nous demandant, sur une échelle de 0 à 10, s’il est probable que nous recommandions notre banque ou notre opérateur téléphonique à un ami[3].

Un bon praticien de la Customer Experience va déployer une batterie de mesures et de processus de feedback tout au long du parcours client : des analyses « win/loss » pour comprendre pourquoi on gagne ou on perd un contrat, des enquêtes de satisfaction ou « d’effort client » lors d’étapes clef de l’utilisation d’un produit ou d’un service, des enquêtes de « loyauté » pour mesurer l’attachement du client à l’entreprise…

La voix du client ressemble à un tableau de bord dynamique, jonché d’indicateurs et d’analyses de tendances, et aussi (c’est préférable) de verbatim et de citations.
En effet, les clients sont incontestablement les meilleurs pour exprimer clairement ce qu’ils ressentent et ce qui pourrait être mieux !

  • Le parcours client, cela s’optimise à chaque étape, que cela soit dans un environnement physique ou en ligne sur internet.

C’est bien de comprendre le client par des enquêtes, mais c’est encore mieux de réagir à ses besoins et ses décisions sans le déranger, de manière « quasi invisible » pour lui.

D’où le succès d’entreprises comme Contentsquare, qui aide les entreprises à mesurer « le comportement client » en ligne : sur quoi clique-t-il, après combien de « clicks » trouve-t-il ce qu’il cherche, a-t-il acheté autre chose au passage… ? En fonction des réponses, on changera la configuration du site, le format d’un interface utilisateur, l’offre elle-même ou la manière dont elle est présentée.

Une discipline comme celle de « l’expérience utilisateur » pratique ainsi constamment des optimisations empiriques, testées sur des milliers voire des millions d’utilisateurs. Deux (ou de multiples) versions d’une présentation d’un produit ou d’une approche sont mises en ligne, et des indicateurs de taux de succès (ou d’échec, comme le taux d’abandon) sont utilisés comme critères de sélection.

  • Les compétences et les outils des personnes s’occupant des clients sont aussi un vaste champ de transformation des entreprises.

Pour bien traiter ses clients, il faut avoir la bonne information sur eux, que ce soit leurs besoins, l’historique de la relation, leurs préférences, ce qu’ils ont acheté par le passé, le commentaire qu’ils ont mis sur tel site internet au sujet de produits similaires, etc. Dans le métier, ce sera couramment appelé « la vision 360 » du client.

Une myriade d’outils s’est développée pour gérer toutes ces informations concernant le client, et y réagir – plan d’actions avec priorités, campagne de communication, etc.

L’expérience client finalement, ça change quoi ?

  • L’expérience client reflète-elle un nouveau modèle de société ?

L’âge d’or de l’expérience client pourrait marquer un nouveau chapitre du capitalisme, qualifié par certains de « Capitalisme du Client » ou « Customer Capitalism ».

Loin d’être régi uniquement par l’intérêt de ses actionnaires, ce capitalisme moderne trouverait sa raison d’être dans la valeur pour le client, celle-ci passant avant celle créée pour les employés, eux-mêmes « prioritaires » par rapport aux actionnaires, même si, à long terme, ces derniers seraient en fait gagnants.

Ainsi, Fred Reichhneld[4] dans son dernier livre, « Winning on Purpose » (Harvard Business Review Press, 2021), fournit-il des exemples d’entreprises qui mettent la priorité sur l’expérience client, ce qu’il mesure via un indicateur de loyauté, le fameux « Net Promoter Score ou NPS » [5].

Une sélection d’entreprises présentées comme « leaders » en termes de NPS d’après Bain[6], auraient offert sur 10 ans un rendement financier à leurs actionnaires 5,1 fois supérieur à la médiane des entreprises américaines cotées.

  • En quoi l’expérience client est-elle un moteur de croissance durable ?

De facto, ce qui est bon pour le client, est en général excellent pour le business à plus ou moins long terme. Un client satisfait est un client fidèle qui va probablement consommer plus, et recommander l’entreprise ou la marque à d’autres clients, et ce parfois suffisamment vite pour impacter les résultats financiers d’une année en cours. Si les nouveaux clients sont à leur tour satisfaits, le cercle vertueux de croissance durable est enclenché.

C’est également difficile de bien traiter ses clients sans bien traiter ses employés. Aussi les indicateurs de satisfaction clients et de satisfaction des employés tendent-ils à être corrélés.

Des clients contents et des employés satisfaits constituent ainsi les deux piliers fondateurs d’une croissance durable pour les actionnaires.

Fred Reichheld montre également qu’à choisir entre deux sociétés à rentabilité et taux de croissance égaux, mieux vaut investir dans celle qui a une plus grande satisfaction et rétention client, que dans celle dont la croissance est dopée par l’acquisition coûteuse de nouveaux clients, dont les effets risquent de s’essouffler sur la durée si la satisfaction durable des clients n’est pas au rendez-vous.

  • L’expérience client pose-t-elle des problèmes éthiques ?

Est-il éthique de collecter toujours plus d’informations sur ses clients, parfois à leur insu ?

Bien évidemment, les réglementations sur la protection des données, qui varient selon les régions et les pays, définissent des limites importantes qu’il convient a minima de respecter quand on gère l’expérience des clients.

Et l’histoire a fourni des contre-exemples permettant de comprendre de telles réglementations.

L’ouvrage de Cathy O’Neil, Weapons of Math Destruction (Editions Penguin Books Limited, 2016) est très illustratif. Elle relate par exemple le cas aux Etats-Unis d’instituts de formation peu scrupuleux. Ceux-ci achetaient des données de comportement sur le net leur permettant de cibler des populations potentiellement plus vulnérables (parent récemment divorcé élevant son enfant seul(e), personne isolée au chômage depuis longtemps…), pour leur vendre des formations de faible qualité à un prix relativement élevé, le tout profitant de subventions fédérales.

Au-delà des aspects réglementaires, il est judicieux de se laisser guider par quelques principes simples, notamment celui de se mettre à la place du client et de ce qui est bon pour lui.

Pourquoi serait-on à l’âge d’or de l’expérience client ?

Nous pouvons relever plusieurs facteurs qui ont favorisé l’épanouissement de disciplines telles que l’expérience ou le succès client :

  • Le développement des services en ligne, du e-commerce, et du Cloud.

Pour les consommateurs, il est devenu facile d’acheter rapidement un produit fabriqué à l’autre bout du monde – même si aujourd’hui l’éthique environnementale ou les évolutions géopolitiques peuvent bousculer cette facilité -.

En parallèle, des options se sont ouvertes permettant aux clients de changer de fournisseurs. L’expérience client s’est donc vite développée dans les secteurs B to C (Business to Consumers) soumis à la concurrence, tout simplement pour fidéliser des clients devenus potentiellement plus « nomades ».

La révolution s’est également opérée dans le domaine du B to B (Business to Business). Des abonnements à des services spécialisés et concurrentiels (logiciels, plateformes…) ont évolué très rapidement avec le développement du Cloud (ou des Clouds), cette gigantesque mutualisation des infrastructures informatiques.

Dans le B to B donc, même équation : il est devenu plus facile de conquérir de nouveaux clients dans de multiples géographies, mais aussi de les perdre, d’où l’importance de bien gérer l’expérience client.

La gestion de l’expérience client est ainsi devenue un facteur de compétitivité nécessaire, et non optionnel, pour la plupart des entreprises.

  • Le développement des données et des outils permettant de gérer l’expérience client.

Capacités des ordinateurs, Cloud, l’intelligence artificielle – ou en d’autres termes, l’analyse des données qu’on apprend à l’ENSAE depuis des décennies, dopée par les moyens informatiques d’aujourd’hui -, tout cela permet de gérer de manière de plus en plus sophistiquée l’expérience client.

Toutes ces activités créent elles-mêmes de nouveaux businesses et de nouveaux métiers.

  • La voix du client qui se propage sur les réseaux sociaux.

Les consommateurs, et tout autant les clients B to B, sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de leurs achats et de leurs fournisseurs. La réputation compte dans tous les domaines. Les bonnes expériences, comme les mauvaises, se partagent très vite sur les réseaux sociaux.

  • Un alignement de l’expérience client avec les exigences « ESG » Environnement, Sociétal et de Gouvernance, et de Soutenabilité des entreprises.

Le client, tout comme l’entreprise qui le sert, font partie d’un même écosystème, fondé sur une chaîne de confiance et de gestion de risques.

Et le fait de bien gérer la satisfaction de ses clients se retrouve dans des critères d’évaluation de la « soutenabilité des entreprises » (corporate sustainability).

  • La voix du client, un formidable moteur d’innovation.

Une citation de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, en dit long : « Clients are always wonderfully, deliciously, dissatisfied »[7]. Ecouter ses clients à l’échelle de l’entreprise, c’est doper le moteur de son innovation.

Conclusion

L’expérience client est donc bien un domaine passionnant, qui mobilise des données, des talents et des outils de plus en plus sophistiqués, et ce pour mieux satisfaire les clients et contribuer à une croissance durable.
Le champ d’innovation et d’opportunités devrait continuer à s’étendre dans tous les secteurs, avec des milliers d’emplois à la clef.

 


[1] En français, il conviendrait de parler d’expérience des clients (on en a rarement un seul). Mais le terme anglosaxon s’est traduit au singulier dans le langage professionnel. Et puis, on tend quand même à se mettre à la place d’un client à la fois, quand on analyse le parcours d’un client typique.

[2] Ou une cliente, le masculin sera utilisé tout au long par défaut par simplicité.

[3] Ce type de question est employé dans les enquêtes dites de « Net Promoter Score », qui visent à mesurer la différence entre le pourcentage de loyaux promoteurs de la marque, et le pourcentage de « détracteurs » (clients insatisfaits).

[4] Fred Reichheld est senior partner du cabinet de consultants Bain.

[5] Le Net Promoter Score, indicateur inventé par Fred Reichheld il y a une vingtaine d’années, est maintenant adopté par la majorité des entreprises du Fortune 500.

[6] Amazon, American Express, Apple, Chick-fil-A, Costco, Facebook, Google, JetBlue, Kaiser Permanente, MetroPCS (now T-Mobile), Southwest, State Farm (Life Ins.), Symantec (now Norton), Trader Joe’s, USAA (P&C Insurance), Vanguard, Verizon (Internet)

[7] « Les clients sont toujours merveilleusement, délicieusement, insatisfaits ».

Dominique Gribot-Carroz
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