Le risque est omniprésent : volens nolens, nous lui sommes toujours et partout exposés.

Le mot risque remonte Ă©tymologiquement au latin resecum signifiant « ce qui coupe », qui a donnĂ© l’espagnol risco, « rocher escarpĂ©, falaise » et, par extension, « risque encouru par une marchandise transportĂ©e par bateau » ainsi que l’italien ris(i)care, puis rischiare (risquer, prendre un risque). Le terme se rapporte donc Ă  l’action humaine, relĂšve du registre de l’incertain et se dĂ©cline du futurible Ă  l’improbable, en passant par le possible.

Mais, au juste, qu’est-ce le risque ? Est-il mesurable ? (Bruna, 2019).

Afin de bien cerner le problĂšme, il est essentiel de faire le distinguo entre le danger et le risque, car souvent les deux vocables de ce binĂŽme infernal – bien que profondĂ©ment diffĂ©rents par nature – sont considĂ©rĂ©s comme synonymes, au dĂ©triment de la clartĂ©. Et ce, dans les discussions de salon et dans les dĂ©bats mĂ©diatiques aussi bien que dans les avis formulĂ©s par certains experts.

Le danger (la propriĂ©tĂ© d’ĂȘtre dangereux) est une qualitĂ© objective – sans doute dommageable – intrinsĂšque Ă  un objet, Ă  un ouvrage, Ă  une situation. Ainsi un engin explosif, une route de montagne, un virus, un conflit sont-ils dangereux car ils peuvent mettre en pĂ©ril la personne (les personnes) qui le manipule(nt), qui l’emprunte(nt), en est (sont) affectĂ©e(s), ou s’y trouve(nt) mĂȘlĂ©e(s). Le danger est-il le terme abstrait qui identifie et caractĂ©rise l’origine et la source de la dangerositĂ©.

Toutefois – en passant en quelque sorte de la puissance Ă  l’acte – le danger ne se matĂ©rialise pas forcĂ©ment, ni toujours, entrainant de fĂącheuses consĂ©quences. Si l’on n’utilise pas l’engin, l’on n’emprunte pas la route de montagne, l’on se protĂšge du virus avec les gestes barriĂšres, l’on n’encourt aucun risque, car ce dernier n’a de sens qu’en relation avec l’acteur qui l’engendre. Sous une « cloche de verre », pas de risque
 ou presque, car toute situation connait et porte en soi un potentiel de risque, qu’il soit avĂ©rĂ©, identifiĂ© ou latent. En souhaitant se protĂ©ger de tout risque, on pourrait s’exposer au danger de l’inaction, en tombant en quelque sorte de Charybde en Scylla. L’histoire – encore dans des temps rĂ©cents – est riche d’enseignements quant aux consĂ©quences fĂącheuses de l’aversion aux risques de certains gouvernants
 Car l’inaction est dĂ©jĂ  une action – en puissance dangereuse -, comme le non-choix est dĂ©jĂ  une forme – passive – d’arbitrage.

Notion pluridimensionnelle, le risque diffĂšre en fonction de la nature et de l’origine des faits, gestes ou phĂ©nomĂšnes qui le produisent.

Il existe, en effet, trois principaux types de risques :

  • Le risque inhĂ©rent, manifestation d’un danger engendrĂ© par les faiblesses ou les dĂ©fauts de conception des systĂšmes techniques et/ou humains, des procĂ©dures, des organisations
 Ce danger est de nature purement dĂ©terministe Ă©tant la consĂ©quence de choix, d’options ou de phĂ©nomĂšnes dont les consĂ©quences sont inĂ©luctables. Sa matĂ©rialisation en risque, en revanche, est probabiliste car dĂ©pendante des sollicitations qui – selon le hasard et les contingences – en sont le catalyseur et peuvent (ou non) la dĂ©clencher. L’actualisation de ce danger en risque dĂ©pend donc d’un ensemble de conditions, de facteurs qui peuvent ou non se rĂ©aliser. Par consĂ©quent, afin de rĂ©duire le risque inhĂ©rent, l’on peut agir sur son origine (la dangerositĂ© de l’ouvrage, de la situation
) en y apportant des corrections, des amĂ©nagements de conception, en posant les gestes opportuns (c’est ce que l’on appelle couramment l’approche « risk informed» : on identifie la source du risque, en gĂ©nĂ©ral, par une approche probabiliste, et on agit en consĂ©quence sur la conception de l’ouvrage ou sur l’organisation pour Ă©carter – ou rĂ©duire – le danger). L’on peut Ă©galement cibler sa cause efficiente (le dĂ©clencheur) en prĂ©voyant, par anticipation, les barriĂšres et les protections Ă  dĂ©ployer pour se prĂ©munir contre les sollicitations ;
  • Le risque interne, consĂ©quence d’un phĂ©nomĂšne initiateur comme le mal-fonctionnement d’un systĂšme ou d’une institution, une panne, une erreur humaine. Un tel risque est, de par sa nature, probabiliste ;
  • Le risque induit ou importĂ©, provoquĂ© par des Ă©vĂ©nements externes Ă  un systĂšme, une institution, une organisation, une communautĂ©. C’est le cas des alĂ©as naturels, des pandĂ©mies, des famines, des invasions des sauterelles
 Dans ce cadre, il y a pluralisme (et enchevĂȘtrement) de facteurs exogĂšnes Ă  l’action humaine. Et si certains de ces risques sont maĂźtrisables en soi (isolĂ©ment), ils le sont bien moins lorsqu’ils se cumulent, s’entraĂźnent rĂ©ciproquement ou se superposent. C’est d’ailleurs le problĂšme des crises induites (dĂ©clenchĂ©es) par d’autres crises de nature diffĂ©rente
 sans que les premiĂšres n’aient pris fin
. Partiellement maitrisĂ© ou maitrisable, le risque induit ou importĂ© n’est que partiellement probabiliste, car il dĂ©pend de paramĂštres exogĂšnes non (ou pas assez) connus, peu ou pas prĂ©visibles et, en tout cas, non totalement maitrisables.

Si les risques exogĂšnes aux acteurs (qu’il s’agisse d’individus, d’institutions ou d’organisations) sont subis, car ils Ă©chappent – complĂštement ou pour part – Ă  leur contrĂŽle, les risques endogĂšnes sont plus ou moins consciemment acceptĂ©s. Et ce, car chacun de nous peut avoir l’impression – oh combien fausse ! – d’en ĂȘtre immunisĂ© ou, au moins, d’ĂȘtre Ă  mĂȘme de les maĂźtriser. IntrinsĂšques au systĂšme, ces risques sont aussi couverts par un voile d’ignorance (l’on est tellement acculturĂ© / accommodĂ© Ă  ces risques, que l’on ne les perçoit pas ou plus vraiment comme tels
 ; ce qui empĂȘche la distanciation et/ou l’esprit critique). Il n’est d’ailleurs pas rare que la dissonance cognitive frappe les personnes coutumiĂšres du danger (ou du haut risque, plus prĂ©cisĂ©ment
).

Pour rester connectĂ©s avec l’actualitĂ©, est Ă  cet Ă©gard Ă©claircissant et paradigmatique le cas de la pandĂ©mie que nous venons de subir (et qui frappe encore violemment de par le monde) : combien de personnes sont tombĂ©es malades et ont contaminĂ© leurs proches car, en se croyant en dehors et au-dessus du risque, elles ont nĂ©gligĂ© les gestes essentiels et Ă©lĂ©mentaires de protection !

En rĂ©alitĂ©, le risque – qui exprime la capacitĂ© qu’une situation donnĂ©e (identifiĂ©e par un certain nombre de paramĂštres, dont certains sont majoritaires et dominants) puisse Ă©voluer de façon dĂ©plaisante et/ou dangereuse – demeure Ă  l’état potentiel en l’absence de conditions particuliĂšres et d’évĂ©nements initiateurs qui enclenchent et catalysent sa matĂ©rialisation.

Le risque n’est donc pas une ontologie (puisqu’il ne saurait ĂȘtre dĂ©cryptĂ© rationnellement ou observable scientifiquement), mais bien une phĂ©nomĂ©nologie, une dynamique possible, que l’éthique de responsabilitĂ© requiert de cerner et de maĂźtriser afin d’en prĂ©venir (ou tout au moins d’en prĂ©voir) la matĂ©rialisation, sans pour autant – et c’est lĂ  l’essentiel – renoncer Ă  agir.

Dans une conception  humaniste et écosystémique, est risqué tout évÚnement qui peut engendrer une dégradation possible des conditions humaines, sociales et/ou environnementales.

Les rĂ©glementations en charge de la prĂ©vention des risques naturels et industriels s’appuient sur cette dĂ©finition. Telles qu’elles sont Ă©ditĂ©es par les rĂ©gulateurs, ces normes sont des conventions technico-scientifiques Ă  caractĂšre gĂ©nĂ©ral qui traduisent l’objectif de garantir la protection de l’environnement, des hommes et de leurs biens. Elles sont des constructions sociales, issues du mariage vertueux de principes gĂ©nĂ©raux, de donnĂ©es historiques, de considĂ©rations socio-politiques ayant trait Ă  l’acceptabilitĂ© sociale et d’objectifs quantifiĂ©s de protection auxquels sont intĂ©grĂ©s les enseignements tirĂ©s du vĂ©cu. Et ce, grĂące Ă  l’apport trĂšs riche du retour d’expĂ©rience et des approches prĂ©normatives issues des programmes de R&D.

De par leur nature et leur construction, les normes sont vivantes et Ă©volutives. Elles sont perfectibles dans le temps en fonction du progrĂšs des connaissances, de l’intĂ©gration de nouvelles donnĂ©es historiques, ainsi que de l’entrĂ©e en jeu de nouveaux acteurs (socio-Ă©conomiques, institutionnels, technologiques). Elles sont situĂ©es et encastrĂ©es. Fruit d’un compromis toujours local et prĂ©caire, elles varient – pour un mĂȘme type d’installation, d’ouvrage ou d’organisation – de pays en pays et d’une pĂ©riode Ă  l’autre. Elles se traduisent, en pratique, par des valeurs limites (critĂšres) imposĂ©es aux grandeurs accessibles et/ou mesurables, qu’il convient de respecter dans toute situation (en ce qui concerne le nuclĂ©aire, on renvoie au Task Group on Safety Margins Action Plan, 2007).

A titre d’exemple, considĂ©rons les crues des riviĂšres et les vagues de submersions : afin d’établir le niveau de protection maximal des ouvrages, on remonte dans le temps pour considĂ©rer l’évĂšnement centennal / millĂ©nial
 On atteint parfois mĂȘme les limites temporelles des traçages.

Cependant, cela ne suffit pas à obtenir un niveau de protection absolu, car :

  • on ignore ce qui se situe en dehors du contexte historique (tout simplement par manque d’information), par exemple, des Ă©vĂ©nements rares dans les queues de distribution statistiques, thĂ©orie du cygne noir (Taleb, 2010 ; Lannoy, 2016)[1];
  • on est incapable d’intĂ©grer ou de prĂ©voir d’éventuels nouveaux facteurs pouvant amplifier les phĂ©nomĂšnes ou en modifier le dĂ©roulement (comme, par exemple, le rĂ©chauffement climatique),
  • les modĂšles sont tous perfectibles et les humains qui les conçoivent sont faillibles.

Or, l’apprĂ©ciation du risque constitue, en soi, un moyen de le mitiger, de le rĂ©duire, dans la mesure oĂč – le connaissant – l’on peut dĂ©finir des stratĂ©gies adĂ©quates de prĂ©vention et de gestion des Ă©vĂ©nements qui en accroissent la maĂźtrise (et donc en rĂ©duisent la probabilitĂ© d’occurrence et/ou l’intensité des effets ; les gestes barriĂšres en cas de pandĂ©mie en sont un bon exemple).

Malheureusement, en pratique, toute mesure conventionnelle du risque qui prĂ©tend Ă  l’absolu est de facto impossible, car le risque ne peut ĂȘtre mesurĂ© en utilisant un instrument ou un appareil aussi sophistiquĂ© et prĂ©cis soit-il, comme c’est le cas pour une tempĂ©rature, une vitesse, une altitude, qui se mesurent avec un thermomĂštre, un tachymĂštre, un mĂštre.

En revanche, il peut faire l’objet d’une apprĂ©ciation (de façon approximative) ou d’une Ă©valuation (plus prĂ©cisĂ©ment) au travers d’un processus qui s’appuie sur des connaissances scientifiques et des pratiques professionnelles reconnues. Pratiques qui comportent l’application de normes, dĂ©finies et agréées par les autoritĂ©s compĂ©tentes, la rĂ©alisation de mesures de grandeurs physiques accessibles qui, quant Ă  elles, sont de vrais observables – et ce, par le truchement d’instruments plus ou moins prĂ©cis et fiables, et le dĂ©ploiement de calculs de nature diverse (dĂ©terministes et/ou probabilistes) qui, en gĂ©nĂ©ral, s’avĂšrent assez – voire trĂšs – complexes (Bruna, 2018).

Qui plus est, en faisant abstraction des capacitĂ©s calculatoires qui ne sont pas infinies, et des pratiques de mesure, qui sont largement affectĂ©es d’imprĂ©cisions, chaque Ă©tape du processus d’évaluation des risques comporte des incertitudes inhĂ©rentes Ă  la complexitĂ© des phĂ©nomĂšnes en jeu et Ă  la nature des donnĂ©es. On peut bien sĂ»r, et il le faut, s’attacher Ă  rĂ©duire ces incertitudes – de nature Ă©pistĂ©mique, mĂ©thodologique et statistique – en multipliant les mesures indĂ©pendantes (afin de s’affranchir des modes communs), en diversifiant les mĂ©thodes et en translatant les donnĂ©es. Cependant, on ne pourra, en aucun cas, les rĂ©duire Ă  nĂ©ant. Ainsi, toute approche empirique qui aurait la prĂ©tention de tout prĂ©voir et de tout contrĂŽler en termes de risque se configurerait, Ă  la fois, comme un acte d’hybris et comme un frein Ă  l’action des plus rĂ©dhibitoires.

De plus, les approximations sont les consĂ©quences inĂ©luctables de la complexité : plus un systĂšme est composite, hĂ©tĂ©rogĂšne, multiparamĂ©trique, plus son comportement est influencĂ© par des facteurs environnementaux et temporels, plus les processus nĂ©cessaires Ă  l’évaluation des risques se traduiront en modĂšles dont le traitement va nĂ©cessairement comporter l’adoption d’hypothĂšses et de simplifications qui pourraient elles-mĂȘmes s’avĂ©rer porteuses et parfois mĂȘme amplificatrices du risque.

A titre d’exemple, comment peut-on prĂ©tendre prendre en compte correctement les effets du mĂ©tabolisme de certaines substances alors qu’on leur attribue un comportement postulé ? Comment peut-on Ă©valuer l’efficacitĂ© d’un mĂ©dicament ou d’une pratique clinique si les cohortes retenues pour les tests sont trop rĂ©duites, insuffisantes et/ou non reprĂ©sentatives ?

Enfin, dans tout processus d’évaluation des risques, on se heurte Ă  un problĂšme auquel sont confrontĂ©s non seulement les exploitants, les institutions, mais aussi les citoyens : en cas d’émergence (indĂ©pendamment de sa nature et de son origine, y compris les pandĂ©mies), l’état initial des installations, des systĂšmes humains ou des ouvrages (qu’ils soient industriels, civils ou autres) n’est pas connu avec prĂ©cision[2]. Et ce, car de nombreuses micro-variations, dont les consĂ©quences pratiques sur le fonctionnement et la stabilitĂ© au quotidien sont nĂ©gligeables, les Ă©cartent de la conformitĂ© avec la conception et/ou les objectifs initiaux[3].

Dans des conditions particuliĂšres, ces micro-difformitĂ©s ou dĂ©viations[4] peuvent ĂȘtre Ă  l’origine de phĂ©nomĂšnes de battement engendrant un effet falaise. Elles peuvent sembler acceptables (et, en gĂ©nĂ©ral, elles le sont) si elles sont considĂ©rĂ©es sĂ©parĂ©ment, mais souvent la vulnĂ©rabilitĂ© du systĂšme dĂ©pend de leur cumul et de leur synchronisation Ă  un instant et dans des conditions donnĂ©es.

Malheureusement, en dĂ©pit du sĂ©rieux de tout programme de contrĂŽle et des vĂ©rifications multiples qui s’imposent, il est pratiquement impossible d’écarter l’éventualitĂ© d’évĂ©nements extrĂȘmement rares – imprĂ©visibles et imprĂ©vus – aux consĂ©quences catastrophiques (Bruna & Bruna, 2017). De plus, mĂȘme si un certain nombre de ces Ă©vĂ©nements s’annoncent par des signaux prĂ©curseurs (signaux faibles, dysfonctionnements, incidents), trop souvent, ils ne sont pas reconnus Ă  temps ou, alors, les actions correctives diligentĂ©es s’avĂšrent insuffisantes et/ou tardives (Dien, Dechy, 2016 et Dechy, Mortureux, Planchette, Blatter, Raffoux, 2016).

En consĂ©quence, en dĂ©pit de toutes les prĂ©cautions envisageables, pertinentes et rĂ©alisables, on ne peut Ă©liminer tout risque inhĂ©rent aux activitĂ©s industrielles et humaines. AcceptĂ©e ou subie, une part de risque demeure toujours latente, sournoise, imprĂ©visible, sous la forme du risque rĂ©siduel (Couturier, Bruna, Tarallo, Chanton, Dechy, Chojnacki, 2016). Ce risque rĂ©siduel dont le traitement dĂ©passe largement le cadre industriel pour envahir le champ socio-politique, devient un enjeu sociĂ©tal majeur des sociĂ©tĂ©s post-modernes, car il touche Ă  l’acceptation -scientifiquement motivĂ©e ou pas – de toute nouveautĂ© et/ou innovation[5]  par l’opinion publique.

Compte-tenu de la difficultĂ© de la tĂąche et du caractĂšre alĂ©atoire de certaines variables (dans le cas de la radioprotection, celles inhĂ©rentes Ă  la mĂ©tĂ©orologie  – pluie, direction du vent
 -, en sus des incertitudes qui affectent l’estimation de l’intensitĂ© de la source radioactive et de ses composantes, et, dans le domaine mĂ©dical, le taux de contamination, les phĂ©nomĂšnes d’immunitĂ©, les comportements humains) il est logique que, dans l’optique de protection visĂ©e, tous les paramĂštres utilisĂ©s dans l’évaluation soient pĂ©nalisĂ©s dans le sens le plus dĂ©favorable (en amplitude, frĂ©quence, Ă©volution temporelle, 
). Et ce, afin de dĂ©terminer avec une marge suffisante l’étendue de l’enveloppe de la rĂ©gion dans laquelle les mesures de protection se doivent d’ĂȘtre appliquĂ©es.

Une fois l’urgence passĂ©e, la vie ayant repris son cours normal, on constatera sans doute que les valeurs rĂ©elles de radioactivitĂ© au sol sont bien plus faibles (dans ce genre de situations, un Ă©cart d’un facteur dix n’est pas du tout surprenant) par rapport aux estimations / prĂ©visions effectuĂ©es en temps de crise. Ce fait, dont nous avons Ă©tĂ© tĂ©moins Ă  l’occasion des Ă©vĂ©nements de Fukushima, a suscitĂ© les interrogations du public quant Ă  la rĂ©elle capacitĂ© de prĂ©diction des Ă©valuateurs, d’autant plus que ce qui vient d’ĂȘtre exposĂ© n’est pas aisĂ©ment intelligible et, en gĂ©nĂ©ral, est insuffisamment partagĂ©.

Il en est de mĂȘme pour la pandĂ©mie que nous venons de vivre. Deux visions tout Ă  fait opposĂ©es, l’une laxiste, l’autre prudente se sont confrontĂ©es (et se font toujours face) : la prudence – qui a dictĂ© le confinement et sa durĂ©e – sera (et est dĂ©jĂ ) critiquĂ©e en raison des consĂ©quences socio-Ă©conomiques bien fĂącheuses de celui-ci. Il en est, notamment, ainsi des prĂ©visions livrĂ©es par l’épidĂ©miologiste britannique Neil Ferguson qui font l’objet de critiques car elles auraient surestimĂ© l’impact du Covid-19 en termes de mortalitĂ©.

Il est Ă©vident qu’il aurait Ă©tĂ© possible d’ĂȘtre moins contraignants et – surtout – de l’ĂȘtre  moins longtemps, et de maniĂšre plus sĂ©lective, mais Ă  quel prix en termes de vies humaines, et, peut-ĂȘtre mĂȘme, de consĂ©quences Ă©conomiques indirectes ? Qui est capable de dĂ©crire ce qui se serait passĂ© si d’autres options avaient Ă©tĂ© retenues en lieu et place du confinement tel qu’il a Ă©tĂ© imposĂ© ? En dehors de toute considĂ©ration Ă©thique sur la valeur de la vie humaine, comment pourrait-on prĂ©tendre Ă©valuer l’évolution d’une pandĂ©mie en l’absence de toute Ă©vidence expĂ©rimentale ?

La capacitĂ© Ă  Ă©valuer les risques afin de les prĂ©venir et d’en mitiger les consĂ©quences fait partie des conditions nĂ©cessaires de rĂ©ussite de toute entreprise humaine et industrielle. Cela se dĂ©cline en plusieurs actions distinctes et convergentes, qui ont un dĂ©nominateur commun : l’anticipation.

 

Mots-clefs : Danger – Risque – Évaluation – Incertitude – Crise – Coronavirus


Références

Bruna G.B. & Bruna M. G. (2017), « La sûreté nucléaire, une affaire de tous. Gestion du risque et responsabilisation collective dans un secteur stratégique », Question(s) de management, n°16, 142, 2017.

Bruna G.B. (2018), Uncertainty in design and operation. How dealing with?, plenary lecture at the “Best Estimated Plus Uncertainty (BEPU) International Conference 2018 – Multi-Physics Multi-Scale Simulations with Uncertainty”, Lucca Italy, May 13 – 19, 2018,

Bruna G.B. (2019) « Prendre la mesure du risque », in Breteché S., Harpet C., Ollitrault S., Héquet V. Eds., Le risque environnemental. Entre sciences physiques et sciences humaines, Presses des Mines, TRANSVALOR, Coll. Développement durable, Paris, 2019.

Couturier J., Bruna G.B., Tarallo F., Chanton O., Dechy N., Chojnacki E. (2016), « AprĂšs Fukushima, quelques considĂ©rations sur le risque rĂ©siduel dans l’industrie nuclĂ©aire », in. Merad M., Dechy N., Dehouck L., Lassagne M. (2016), Risques majeurs, incertitudes et dĂ©cisions – Approche pluridisciplinaire et multisectorielle, MA Edition, ESKA, Paris.

Dechy N., Mortureux Y., Planchette G., Blatter C., Raffoux J.-F. (2016), Explorer « l’imprĂ©visible » : comment et jusqu’oĂč ? Actes de la confĂ©rence λ”20, Saint-Malo, France.

Dien Y., Dechy N. (2016), « L’impensĂ© est-il impensable ? Ce que nous apprennent les accidents industriels », in Merad M., Dechy N., Dehouck L., Lassagne M. (2016). Risques majeurs, incertitudes et dĂ©cisions – Approche pluridisciplinaire et multisectorielle, MA Edition. ESKA, Paris.

Lannoy A. (2016), « Limites, insuffisances et apports des approches probabilistes actuelles : Quelles leçons tirer? », in Merad M., Dechy N., Dehouck L., Lassagne M. (2016), Risques majeurs, incertitudes et dĂ©cisions – Approche pluridisciplinaire et multisectorielle, MA Edition, ESKA, Paris.

Taleb, N. (2010), Le cygne noir : La puissance de l’imprĂ©visible, Livre de Poche, (Traduit par Rimoldy C.), [Edition originale : The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable, Random House, 2007].

Task Group on Safety Margins Action Plan (SMAP), (2007), Final Report, AEN – NEA, NEA/CSNI/R (2007)9.


[1] Dans la thĂ©orie de Taleb, on appelle cygne noir un Ă©vĂ©nement imprĂ©visible qui a une faible probabilitĂ© d’avoir lieu (appelĂ© « évĂ©nement rare » en thĂ©orie des probabilitĂ©s) et qui, si d’aventure il se rĂ©alise, a des consĂ©quences d’une portĂ©e considĂ©rable et exceptionnelle. Dans un premier temps, Taleb a appliquĂ© cette thĂ©orie Ă  la finance, mais elle est de portĂ©e tout Ă  fait gĂ©nĂ©rale.

[2] Entre autres, car, outre le manque de pertinence des indicateurs et de fiabilitĂ© des capteurs, il existe de sĂ©rieux problĂšmes de stockage et de traçage des donnĂ©es, engendrĂ©s par les insuffisances et/ou les dysfonctionnements des systĂšmes d’information.

[3] Ou l’état stationnaire / Ă©tat normal postulĂ© (par exemple, le nombre de masques dans les stocks stratĂ©giques d’Etat).

[4] Dans les installations industrielles, ces micro-difformitĂ©s ou dĂ©viations peuvent ĂȘtre engendrĂ©es par l’usure, le vieillissement, l’obsolescence technologique, l’action d’agents externes, mais aussi par de mauvaises manipulations d’entretien, de rĂ©paration ou de remplacement de composants, et, dans les organisations et les institutions, par le changement de propriĂ©tĂ©, les nouveaux modes de management, le recentrage des objectifs, la gestion du personnel


[5] Ce risque concerne les Ă©vĂ©nements trĂšs rares aux consĂ©quences potentiellement catastrophiques. Il doit ĂȘtre considĂ©rĂ© avec discernement afin d’éviter que l’on n’attache plus d’importance Ă  sa perception qu’au risque lui-mĂȘme et pour pousser le plus loin possible la frontiĂšre du scientifiquement dĂ©montrable et de l’humainement acceptable.

Gianni Bruna
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