Depuis quelques annĂ©es, l’investissement en infrastructure s’est largement rĂ©pandu au cƓur du portefeuille des institutionnels, au sein de leur allocation dite alternative ou non cotĂ©e.

Historiquement, ce sont les banques australiennes qui, dĂšs les annĂ©es 90, furent parmi les premiers acteurs privĂ©s Ă  avoir participĂ© Ă  la privatisation des actifs de leur Etat. Les grands fonds de pension canadiens ont aussi investi trĂšs tĂŽt dans ce segment. Ils ont dĂ©veloppĂ© une expertise et des Ă©quipes qui en font toujours aujourd’hui des acteurs trĂšs actifs, investissant directement. Il y a une dizaine d’annĂ©es, des banques ou des gĂ©rants d’actifs se sont aussi intĂ©ressĂ©s aux infrastructures, pour leur compte propre, ou pour enrichir leur offre produit pour compte de tiers : les fonds d’infrastructures ont commencĂ© Ă  se dĂ©velopper. Ainsi la part d’allocation des investisseurs aux infrastructures a pu croitre rĂ©guliĂšrement.

Cette classe d’actifs dont la performance attendue est composĂ©e d’une part de rendement courant et d’autre part de rendement en capital, a parfois Ă©tĂ© logĂ©e au sein d’un portefeuille immobilier, ou bien de capital investissement, tĂ©moignant de son caractĂšre hybride, avant de trouver sa propre place. NĂ©anmoins, elle reste encore jeune, les processus de privatisations des infrastructures publiques n’ayant dĂ©butĂ© qu’il y a une vingtaine d’annĂ©es en Europe par exemple. La profondeur de marchĂ© reste encore limitĂ©e et la diversitĂ© de ce que l’on peut appeler une infrastructure est telle que la classe reste peu homogĂšne, et les benchmarks de prix ou de performances encore rares.

Les caractĂ©ristiques de l’infrastructure

  • Les infrastructures sont des installations, des structures, des rĂ©seaux qui fournissent des services Ă  un grand nombre d’utilisateurs.
  • Elles bĂ©nĂ©ficient en gĂ©nĂ©ral d’une situation de monopole, ou de quasi-monopoles avec de fortes barriĂšres Ă  l’entrĂ©e (contraintes rĂ©glementaires, physiques ou capitalistiques).
  • Leur durĂ©e de vie est longue
  • Leur exploitation gĂ©nĂšre des revenus stables et prĂ©visibles, rĂ©gulĂ©s ou contractualisĂ©s sur le long terme. Ces revenus sont souvent liĂ©s Ă  l’inflation.
  • L’infrastructure est un actif peu cyclique du fait de la stabilitĂ© de la demande pour le service qu’elle fournit .

On nomme greenfield, les actifs en phase de construction et brownfield, ceux en phase d’exploitation.

Ces actifs offrent donc thĂ©oriquement une forte visibilitĂ© de cash-flow, une possibilitĂ© de dividendes Ă©levĂ©s et rĂ©guliers, une protection contre l’inflation, une longue duration et une faible corrĂ©lation a priori avec les autres classes d’actifs.

Ils peuvent correspondre aux besoins de placements Ă  long terme des investisseurs face Ă  leurs passifs longs (notamment fonds de pension, assureurs), proposant un rendement espĂ©rĂ© rĂ©gulier, permettant aussi une certaine diversification des portefeuilles. Enfin, les investisseurs peuvent aussi capter la prime d’illiquiditĂ© qui est associĂ©e. Le couple risque/rendement des infrastructures oscille entre celui de l’immobilier et celui du capital investissement.

Trois grandes familles

Les infrastructures rĂ©gulĂ©es regroupent les rĂ©seaux de transports, tels que les routes Ă  pĂ©ages, les ports, les aĂ©roports, les ferries, les rĂ©seaux ferrĂ©s
 ainsi que les rĂ©seaux de transports ou de distribution d’énergie (gaz, Ă©lectricitĂ©) ou d’eau. Souvent ces infrastructures ont Ă©tĂ© des biens publics avant d’ĂȘtre privatisĂ©s. Ils fonctionnent en gĂ©nĂ©ral sous un rĂ©gime de type concession. Une autoritĂ© nationale dĂ©termine les objectifs de service public et le cadre de rĂ©munĂ©ration attachĂ©, qui est rĂ©visable rĂ©guliĂšrement. Le rĂ©gulateur dĂ©finit une politique tarifaire et/ou un CoĂ»t Moyen du Capital PondĂ©rĂ© autorisĂ©. Ce sont des objets qui peuvent reprĂ©senter un ou plusieurs milliards d’euros.

Les infrastructures commerciales, non rĂ©gulĂ©es, en position de concurrence toutefois limitĂ©e. Leurs revenus sont stables et souvent contractualisĂ©s pour une durĂ©e assez longue en contrepartie du caractĂšre important du service rendu, de leur taille, de leur position quasi monopolistique. On peut trouver dans cette catĂ©gorie la production d’électricitĂ©, le stockage d’hydrocarbures, le matĂ©riel roulant, les flottes de tours tĂ©lĂ©com
 La taille de ces actifs est trĂšs variable, de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros en moyenne.

Les infrastructures sociales sont les Ă©quipements Ă  usage public dont la construction et l’exploitation ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©es au secteur privĂ© (les PPP ou dĂ©sormais marchĂ©s de partenariat) et dont l’utilisation est rĂ©munĂ©rĂ©e par la puissance publique. Ce sont les Ă©coles, les stades, les prisons, l’éclairage public ou autres nouveaux bĂątiments publics comme les tribunaux, hĂŽpitaux
 Ces Ă©quipements reprĂ©sentent en gĂ©nĂ©ral quelques dizaines de millions d’euros.

Les principaux types de risque sont multiples sur cette classe d’actifs

Le risque rĂ©glementaire : risque que la nature de la concession ou que la rĂ©glementation soient modifiĂ©es pendant la durĂ©e de vie de l’infrastructure. La rĂ©glementation peut faire Ă©voluer aussi bien les pĂ©riodes encadrĂ©es, les politiques tarifaires ou les indemnisations. Une rĂ©glementation dite « incitative » a aussi tendance Ă  se dĂ©velopper : ses termes sont conditionnĂ©s Ă  l’atteinte par l’opĂ©rateur d’objectifs de performance. C’est un risque, longtemps sous-estimĂ©, qui a tendance Ă  se renforcer sous la pression des politiques gouvernementales de rĂ©duction des dĂ©ficits publics. Le cas le plus marquant fut celui des dĂ©cisions rĂ©troactives touchant les tarifs de rachat de l’électricitĂ© renouvelable en Espagne qui a fait perdre une grande partie de sa valeur aux investissements du secteur. De façon moins brutale mais rĂ©pĂ©titive, en Angleterre, chaque rĂ©vision quinquennale de rĂ©gulation des prix des sociĂ©tĂ©s de traitement des eaux baisse davantage le coĂ»t moyen pondĂ©rĂ© du capital proposĂ© aux opĂ©rateurs.

Le risque de prix : pour les actifs non rĂ©glementĂ©s, pour lesquels les niveaux de prix, et aussi la durĂ©e du contrat, sont dĂ©terminĂ©s Ă  l’issue d’une nĂ©gociation conclue avec la contrepartie bĂ©nĂ©ficiant du service offert. Ces actifs sont plus sensibles au jeu d’une concurrence Ă©ventuelle.

Le risque de volume : risque que les volumes finaux soient inférieurs aux attentes. Cela peut concerner le trafic autoroutier, aéroportuaire, mais aussi les volumes de productible (vent, soleil) pour les énergies renouvelables.

Le risque opĂ©rationnel dĂ©pend de la bonne gestion mise en Ɠuvre par l’opĂ©rateur. On vise ici aussi bien le bon Ă©tat de l’actif (et donc les investissements qui lui seront dĂ©diĂ©s pour assurer des performances techniques de qualitĂ©) que la bonne gestion opĂ©rationnelle et stratĂ©gique lorsqu’il s’agit d’entreprises (aĂ©roports, rĂ©seaux de transports d’énergie).

Le risque de construction / le risque greenfield : le risque supportĂ© par le promoteur du projet peut comprendre en amont de la phase de construction, toute la phase d’obtention des permis de construire, de sĂ©curisation des contrats de concession ou encore de candidature Ă  appels d’offres publics. C’est une phase trĂšs incertaine, qui peut ĂȘtre longue, oĂč nombre de projets sont finalement abandonnĂ©s. Vient ensuite la phase technique de construction elle-mĂȘme, qui selon l’actif peut ĂȘtre plus ou moins complexe. Le promoteur du projet cherche alors Ă  transfĂ©rer une bonne partie de ce risque Ă  un constructeur via un contrat de construction au titre duquel il pourra rĂ©clamer des indemnitĂ©s de retard ou de performances non atteintes si nĂ©cessaire. Cette phase greenfield est en gĂ©nĂ©ral une pĂ©riode sans revenus, pour laquelle un financement spĂ©cifique a Ă©tĂ© mis en place, financement qu’il s’agira de refinancer lors de la rĂ©ception de l’actif construit. Enfin, les premiers mois ou annĂ©es de la mise en opĂ©ration de l’actif devenu brownfield permettront de vĂ©rifier les hypothĂšses initiales (trafic, performance opĂ©rationnelle, 
).

Le risque de financement / de refinancement : croissant avec l’importance du levier, constitutif d’une partie de la performance pour l’investisseur.

Le risque de remontĂ©e des taux : une telle remontĂ©e, au-delĂ  du coĂ»t de financement des actifs qui peut progresser, pĂšsera sur les taux d’actualisation utilisĂ©s pour valoriser les actifs.

La superposition de ces risques permet de faire émerger une classification des actifs infrastructures, fonction du niveau de risque combiné : les actifs dit Core, Core +, Value-Add, ou encore Opportuniste.

L’appĂ©tit de l’investisseur institutionnel, fonction de paramĂštres qui lui sont propres, tels que la duration de son bilan ou le niveau de rendement recherchĂ© par exemple, lui permettra de dĂ©finir le niveau de risque/rendement qui lui convient le mieux afin de construire son portefeuille infrastructure.

Construire un portefeuille d’infrastructure – l’offre disponible pour un investisseur

Comme pour les autres classes d’actifs, l’investisseur pourra faire le choix entre investir en direct ou de maniùre indirecte :

Le choix d’investir en direct offre toujours Ă  l’investisseur une plus grande maĂźtrise de son exposition : il dĂ©termine actif par actif ce qui constituera son portefeuille et quand investir ou dĂ©sinvestir. Bien Ă©videmment, il lui est nĂ©cessaire de dĂ©velopper en interne une Ă©quipe de professionnels spĂ©cialisĂ©s. Compte-tenu de la diversitĂ© des infrastructures, il est important de constituer une Ă©quipe aux profils complĂ©mentaires (en gĂ©nĂ©ral par grands secteurs). La taille minimale critique et l’investissement que cela reprĂ©sente pour l’institutionnel sont assez significatifs. Les investissements directs se portent plutĂŽt vers des actifs Core, par exemple les portefeuilles opĂ©rationnels d’énergies renouvelables, ou bien des actifs de trĂšs grande taille, dits trophy assets. Les investisseurs cherchent alors Ă  percevoir les rendements courants gĂ©nĂ©rĂ©s par les actifs sur le long terme, plutĂŽt que de bĂ©nĂ©ficier d’une revalorisation de l’actif.

L’indirect peut prendre deux formes : le mandat dĂ©diĂ© confiĂ© Ă  un gĂ©rant spĂ©cialisĂ© (en gĂ©nĂ©ral offre proposĂ©e par les grandes plateformes d’asset management), ou le fonds diversifiĂ©. La gouvernance de l’investisseur reste plus forte dans le cadre du mandat s’il est non discrĂ©tionnaire. Dans les deux cas, l’investisseur s’appuie sur une Ă©quipe de spĂ©cialistes qui peut dĂ©montrer une expertise et des performances passĂ©es le cas Ă©chĂ©ant. L’investisseur peut alors s’exposer et dĂ©ployer rapidement son programme, et atteindre un niveau de diversification satisfaisant, tant en secteurs qu’en gĂ©ographie, notamment sur des gĂ©ographies qui lui sont lointaines. L’offre des fonds s’est enrichie sur les dix derniĂšres annĂ©es, et s’est inspirĂ©e pour la structuration aussi bien des modĂšles de fonds immobiliers (par exemple les fonds Core, ouverts ou fermĂ©s avec options de liquiditĂ©s intĂ©rimaires sur des durĂ©es de 25 ans) que des modĂšles de Private Equity (les fonds, plutĂŽt de stratĂ©gie Value-add, fermĂ©s avec une durĂ©e de vie d’une dizaine d’annĂ©es).  Certains fonds ont aussi pu se spĂ©cialiser, sur des stratĂ©gies renouvelables ou PPP par exemple. Si la performance Core s’appuie davantage sur le rendement courant, la stratĂ©gie Value-add doit permettre de revaloriser les actifs par une gestion dynamique : investissements complĂ©mentaires pour augmenter des capacitĂ©s, rĂ©alisation d’opĂ©rations d’acquisitions pour crĂ©er des plateformes larges, optimisation des structures de financements
 Le rendement en capital pourra alors peser autant voire plus que le rendement courant dans la performance atteinte.

Plus souple, plus rapide Ă  mettre en place, une stratĂ©gie d’investissement indirect via des fonds a un coĂ»t : les frais de gestion Ă  verser annuellement et les frais de performance ou carried interest, rĂ©munĂ©ration du gĂ©rant fonction de la performance du fonds. Un fonds fermĂ© adoptera les standards du capital investissement pour le carried, Ă  savoir une quote-part de la plus-value versĂ©e Ă  l’équipe de gestion, plutĂŽt en fin de vie du fonds, une fois que la performance ciblĂ©e aura Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e au fil des cessions d’actifs et versĂ©e aux investisseurs. Pour un fonds ouvert il est parfois prĂ©vu des versements de carried sur un rythme rĂ©gulier qui s’appuient sur la valorisation latente, non encore rĂ©alisĂ©e, du portefeuille.

Un chemin intermĂ©diaire rencontre actuellement un fort succĂšs auprĂšs des institutionnels, tout comme ce que l’on peut observer dans la sphĂšre de l’investissement en Private Equity : la recherche de co-investissement auprĂšs des fonds dans lesquels l’institutionnel est dĂ©jĂ  souscripteur. Par ce moyen, l’institutionnel peut choisir d’investir plus largement sur un secteur ou une zone gĂ©ographique recherchĂ©e. Il peut aussi par ce biais monter progressivement en compĂ©tence.

Les attentes des investisseurs

IP Real Assets a publiĂ© les rĂ©sultats de sa 4Ăšme enquĂȘte annuelle portant sur les intentions de gestion auprĂšs d’une centaine d’investisseurs institutionnels. Trois-quarts des rĂ©pondants confirment investir en infrastructure, prĂšs de 90% d’entre eux choisissent d’investir dans des fonds non cotĂ©s (source : Preqin quaterly update : infrastructure Q3 2017).

L’Europe, suivie par l’AmĂ©rique du Nord, semble prĂ©senter Ă  leurs yeux le meilleur gisement d’opportunitĂ©s. Le secteur le plus attirant est celui des Ă©nergies renouvelables, puis celui de l’eau. On trouve ensuite les secteurs plus classiques du transport (routes, aĂ©roports, rail), les tĂ©lĂ©coms, l’énergie (non renouvelables).

Les infrastructures sont de plus en plus considĂ©rĂ©es comme une classe d’actifs indĂ©pendante, mais dans une mesure limitĂ©e (42 %). Elles restent encore souvent associĂ©es aux actifs alternatifs ou Ă  l’immobilier.

Les trois-quarts des investisseurs ciblent un rendement annuel compris entre 5 % et 10 %.

Les fonds d’infrastructure, une classe d’actifs encore jeune.

Les levĂ©es de fonds d’infrastructure ont atteint en 2017 un montant de nouveaux engagements contractĂ©s de 65  Md$, soit un niveau historique pour la classe d’actifs, mais qui reste toutefois limitĂ©e au regard des 754 Md$ levĂ©s par l’ensemble de l’industrie des fonds non cotĂ©s. La taille moyenne d’un fonds se situe Ă  992 M$, poussĂ©e Ă  la hausse par les levĂ©es records de mĂ©ga-fonds. L’AmĂ©rique du Nord et l’Europe captent respectivement 54% et 33,5% des intentions d’investissement. (source : Preqin Q4 fundraising update).

La segmentation des thĂšmes d’investissement des fonds se poursuit et l’offre en infrastructure continue de s’enrichir. Le profil de risque Core, Core+, Value-Add ou Opportuniste est dĂ©sormais clairement identifiĂ© dans la phase de marketing du fonds. Depuis quelques annĂ©es les propositions de fonds de dette se sont multipliĂ©es. On assiste aussi Ă  l’émergence des fonds de fonds, qui cette annĂ©e devraient avoir levĂ© prĂšs de 3 Md$ (contre 0,3 Md$ en 2008), dĂ©montrant une profondeur de marchĂ© en plein dĂ©veloppement. Enfin les premiers fonds de fonds secondaires d’infrastructure apparaissent.

Olivia Yedikardachian
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