Ubérisation ou pas ?

Ne cherche-t-on pas trop à parler d’ubérisation dans tous les champs de l’économie alors que le marché des bureaux en serait trop éloigné ?

Se poser la question sur le tertiaire immobilier est pleinement légitime. D’abord,  l’immobilier, dans sa vocation résidentielle, a été un des premiers secteurs, avec les transports, dont les pratiques et les usages ont été révolutionnés, notamment par AirBnB. Ensuite, des modèles médiatisés comme WeWork montrent que les coûts variables, à la demande ou à l’usage, sont en train de se mettre en place. Enfin, Le flex [1]qui se généralise dans les entreprises offre un potentiel de mise à disposition des espaces en fonction des usages qui prépare un mode de facturation à l’usage.

Le flex office réduit les surfaces sous engagement par un seul occupant et intensifie l’usage au m2

Aujourd’hui, refléter la stratégie des groupes, c’est permettre davantage de transversalité, favoriser l’agilité des espaces collaboratifs réservés et des espaces collaboratifs spontanés, où les rencontres sur des temps improductifs peuvent devenir productives en favorisant la transversalité. Si la configuration des espaces en « flex », « bureaux dynamiques » ou autres appellations, est une attente généralisée des occupants, au fur et à mesure de son déploiement, elle révèle de nouvelles pratiques qui viennent changer les équilibres de marché.

D’une part le « Flex Office » consiste à favoriser de nouvelles pratiques de travail dans une logique d’espaces plus collaboratifs, et invite l’utilisateur à entrer dans une expérience servicielle de ses bureaux. Du point de vue des utilisateurs, il consiste à savoir adopter des méthodes de travail plus collaboratives et à s’intégrer dans une vision plus transverse de l’entreprise. Dès lors, l’utilisateur suit un mouvement général de notre société, ne souhaitant plus être engagé au-delà de ses besoins immédiats.

D’autre part et surtout, le flex s’inscrit dans une logique économique d’optimisation des espaces. La mise en place du flex permet de « densifier » les occupants de manière habile, en bénéficiant des temps de non-occupation et de rotation. La conséquence immédiate est que les entreprises qui mettent en place le flex libèrent déjà des espaces qu’elles cherchent à réallouer sous forme de remise sur le marché en sous-location (Ex : Engie qui libère la Tour T2 à La Défense ou Atos qui confie les m2 libérés à Nexity Blue Office à Bezons) ou sous forme de réallocation à d’autres vocations (ex : IBM qui affecte un espace pour l’accueil de start-ups).

Enfin, le flex fait découvrir à chacun l’univers des possibles offerts par la flexibilité.

Pour ce qui concerne les surfaces, la question de la flexibilité peut se poser en termes classiques : selon la surface libérée et les possibilités offertes de réduire les engagements et de réellement bénéficier de cette réduction de surfaces en gain économiques – ce que tous les baux ne permettent pas et qui engage une négociation avec le bailleur-, l’arbitrage pourra se faire en faveur d’un maintien réduit sur site ou d’une libération des surfaces pour trouver un bien mieux adapté. La question qui se pose alors pour l’occupant est : le maintien sur site est-il plus intéressant qu’un déménagement ? Le pendant pour le propriétaire est : un congé de mon locataire obère-t-il ma rentabilité (période de vacance locative, frais de commercialisation) ?

Mais pour les surfaces, l’équation peut se poser en termes plus subtils que leur simple libération. Comment valoriser les surfaces libérées : par ou pour le preneur? Quelles sont les possibilités de proposer des espaces libérés au marché avec une flexibilité de type hôtelier ? En somme il s’agit d’accompagner le besoin de flexibilité par une souplesse d’occupation des espaces.

Une ubérisation par la demande qui attend le réveil de l’offre

Classiquement, les marchés touchés par l’ubérisation sont souvent historiques (le transport de personnes en ville, l’hôtellerie), anciennement dans un cadre réglementaire rigide (réglementation de licence ou de droit au bail) et déstabilisés par une offre qui crée de la demande (plate-forme digitale qui ouvre de nouveaux usages).

C’est ainsi que dans l’immobilier de bureaux, la demande est déjà prête à une flexibilisation des pratiques. Or, à ce jour, cette flexibilité ne s’offre pas au-delà de la première frontière interne et de quelques exemples comme WeWork.

Il nous semble qu’il existe une opportunité réelle offerte aux propriétaires (foncières, bailleurs). Elle consiste à proposer une offre permettant de répondre aux besoins des utilisateurs tant en termes de services que de flexibilité du cadre. Ces acteurs amont « classiques » de l’immobilier pourraient être à l’initiative d’un modèle davantage orienté vers le service et ainsi créer de la valeur plutôt que subir la flexibilisation de leurs surfaces mises en location.

Il s’agit donc de trouver un modèle qui propose de la flexibilité par l’offre classique, avant que cette offre ne se fasse « ubériser » avec un risque de perte de valeur.

De la flexibilité physique à la flexibilité des contrats

Plusieurs propriétaires s’inscrivent dans cette démarche de flexibilité : certains proposent des services supplémentaires dans les espaces libérés ouverts aux occupants ou à l’extérieur (création de salle de réunions, de point de rencontre….), d’autres proposent des partenariats avec des structures gérant jusqu’à présent des centre d’affaires, etc.

On crée ainsi les conditions d’une flexibilité du cadre juridique et de la gestion des immeubles.

Les propriétaires qui construisent leur stratégie et leur business plan autour des notions de remplissage et de sécurisation des revenus doivent penser à sécuriser leurs ressources et donc à éviter toute rupture d’occupation. La flexibilité ramenée au cadre juridique aurait un impact évident sur la lisibilité du business plan. Pour autant, des pratiques vont dans le sens d’une souplesse contractuelle :

  • En matière de flexibilité des espaces entendue ici comme la libération d’espaces (et donc un processus continu d’optimisation de l’occupation) : l’outil existe, il s’agit de favoriser la sous-location et d’en libérer les pratiques pour les preneurs (assumant les charges et efforts induits). Mais on peut imaginer une synergie entre propriétaire et preneur pour favoriser cette sous-location (pratique de recherche de successeur, partage des économies, affectation d’espaces de co-working ouverts, ) ;
  • Sur la flexibilité de la durée : cela revient à interroger la question de la durée ferme des engagements. Les textes préparatoires aux dispositions de la loi PINEL avaient envisagé d’empêcher les durées fermes pour revenir au congé triennal puis l’autorisant pour les locaux à usage exclusif de bureaux (les propriétaires ayant relayé leur inquiétude et besoin de sécurité). L’évolution des comportements aura peut-être pour effet d’introduire de la souplesse dans l’engagement temporel. S’il est peu probable que cela aboutisse à une liberté totale, c’est-à-dire une faculté de résiliation dans un court délai, des tempéraments pourraient en revanche être envisagés dans le cadre de négociations : limités à certains espaces ou proportions par exemple (ils existent déjà lorsque l’on raisonne à l’échelle d’un patrimoine important).

Au fond, poussée à son extrême, la flexibilité des espaces et des durées pourrait aboutir à une gestion hôtelière des espaces de bureaux, promue par l’amont plutôt que par l’aval.

Vers une gestion hôtelière ?

A proprement parler la gestion hôtelière des espaces de bureaux existe déjà :  incubateurs ou pépinière d’entreprises, centres d’affaires,  espaces de coworking (Nextdoor, Wework).

Ce qui pourrait s’amplifier c’est :

  • L’immixtion du phénomène pour les espaces libérés dans le cadre d’une flexibilité de surface ou de durée (ou conjointe) qui serait une alternative à la sous-location (pertinente parfois selon les besoins) ;
  • L’importance prise par certains espaces dans des immeubles de bureaux (notamment la multiplication des besoins de salles de réunion) qui supposent une valorisation et une gestion de l’occupation (rendue possible par la technologie).

En somme, on pourrait passer d’une logique de cash-flow selon un modèle de sécurisation des flux à une logique intégrant une gestion du remplissage. Dans tous les cas, ce phénomène conduit d’ores et déjà à trouver une fonction plus valorisante à des espaces moins « standards » en terme d’usage tertiaire.

Cette tendance à la flexibilité trouvera donc certainement un relais de croissance dans l’accompagnement client et la logique servicielle qui, à terme, permettront très certainement de mieux moderniser le patrimoine par « touches » sur la proportion des surfaces libérées, et donc vraisemblablement de mieux le valoriser.


[1] Le flex office est une organisation du travail qui se veut dynamique. L’environnement du salarié ne se présente plus comme un cadre contraint, mais comme une panoplie de solutions à la carte pour le collaborateur

Sébastien Boussuge et Jeanne Frangié