Dans La Réconciliation Fiscale (Ed. Odile Jacob, janvier 2016, pages 113 et 124 et suivantes), je lançais l’idée que « l’impôt sur la fortune » ne soit « ni supprimé, ni maintenu en l’état », mais « remplacé par une Contribution foncière sur la fortune (CFF), frappant exclusivement les biens immobiliers». Quelques mois plus tard, Emmanuel Macron en faisait une de ses propositions phares qui, selon toute vraisemblance, se transformera en réalité dès le 1er janvier prochain. Mais quelle est l’analyse économique qui a conduit à la proposition d’un Impôt sur la Fortune Immobilière ?

Toutes les richesses ne se valent pas

Au-delà des statistiques qui mesurent des inégalités purement comptables, il est nécessaire  d’approfondir l’analyse par une approche qualitative de la richesse.

La richesse exclusive

La richesse immobilière est une richesse bien particulière. C’est la conséquence directe d’une part de sa dimension géographique, qui s’oppose à toute élasticité de l’offre foncière et, d’autre part, du caractère exclusif du droit de propriété. Par définition, la propriété privée d’un bien immobilier a pour conséquence d’en réserver la jouissance à ses seuls propriétaires. L’offre étant limitée, ceux qui ont acquis les premiers les biens immobiliers les mieux placés sont les titulaires d’une richesse exclusive de celle des autres et dont la valeur est croissante quand la population augmente.  C’est un bel exemple de rente de situation, au sens propre du terme. La dépense publique contribue à augmenter encore la valeur des actifs immobiliers privés, quand des équipements publics sont réalisés à proximité. Les biens les plus chers bénéficient souvent des meilleures infrastructures, sans en supporter le coût. La richesse croissante des uns est ici un obstacle direct à l’accès des autres à la propriété. Le marché de l’immobilier en Ile-de-France en fait la démonstration manifeste. Cela pose un problème social et une question d’équité. Il n’est donc pas illogique d’imposer la richesse immobilière, d’autant qu’elle ne peut pas passer de l’autre côté de nos frontières et qu’elle demeure soumise à la souveraineté fiscale de l’Etat.

La richesse créatrice

La richesse créatrice ou productive, autrement dit le capital des entreprises, est une richesse qui a une dimension collective par opposition à l’exclusivité de la propriété immobilière privée. Les fruits des entreprises sont toujours partagés, avec les salariés, les fournisseurs,  les clients et, surtout, avec l’Etat auquel de nombreux impôts sont payés. Par ailleurs, les actions s’analysent en une sorte de papier-monnaie, que les entrepreneurs ont eux-mêmes imprimé et dont l’offre n’est pas limitée. Cette richesse n’a donc été prise à personne, d’autant qu’elle demeure en quelque sorte potentielle. Si l’entreprise disparaît, les actions perdent toute leur valeur. Naturellement concentrée dans les mains des créateurs d’entreprises ou de leurs héritiers, la richesse productive a pourtant été lentement chassée de France par la fiscalité. Elle a en effet pour caractéristique d’être très concentrée et d’autant plus mobile que les sommes concernées sont importantes. C’est une proie convoitée par tous les pays qui ont choisi de jouer la carte de la compétitivité fiscale. Entre liberté de circulation des capitaux et aberrations fiscales, la France a perdu une part importante de son capital mobilier, faute d’avoir adapté sa fiscalité à la révolution de la mobilité et de l’optimisation généralisée intervenue depuis la fin du XXème siècle.

La richesse thésaurisatrice

La richesse thésaurisatrice est dans une certaine mesure un élément neutre : elle est constituée par l’accumulation des moyens de paiement ou des créances, comme les obligations, les comptes bancaires, l’argent liquide ou les livrets d’épargne. Cette richesse n’est pas accaparatrice, dès lors que depuis la rupture avec l’étalon-or, la quantité de monnaie disponible est illimitée, comme la Banque centrale européenne (BCE) en fait la démonstration. Cette richesse ne présente donc pas d’inconvénients en elle-même, puisque celle des uns ne fait pas obstacle à celle des autres, bien au contraire, cette richesse pouvant à tout moment se transformer en dépenses, qui stimulent la demande ou l’investissement et donc l’activité.

A partir de cette analyse de richesse, on est conduit à envisager sous un jour différent la question de l’imposition de la fortune, surtout si on ajoute que la fortune mobilière est mobile comme son nom l’indique et comme les faits l’ont dramatiquement prouvé depuis 35 ans que les capitalistes français s’expatrient…

Un impératif de compétitivité, pour remédier à un déséquilibre manifeste

Il suffit d’écouter le marché. Quand des dizaines de milliers de Français choisissent d’aller payer leurs impôts à l’étranger, en conservant souvent un, voire deux pieds-à-terre en France, tandis que des centaines de milliers de personnes, mais aussi des fonds de pension, du monde entier choisissent de devenir propriétaires de biens immobiliers en France sans y être résidents fiscaux, cela signifie que notre système fiscal est mal réglé.

L’impôt prend trop à celui qui travaille ou donne du travail en France, et trop peu à celui qui ne fait qu’y posséder des actifs immobiliers. Pour mettre un terme à l’effet de pair[1] qui mesure l’impact sur nos finances publiques du départ des grandes fortunes d’origine française, il est urgent de cesser d’imposer la composante mobile des fortunes. En revanche, une imposition raisonnable de la fortune immobilière est possible. La France a assez d’atouts pour fixer un prix à la détention d’une partie de son territoire : l’IFI, l’Impôt sur la Fortune Immobilière.

Pour que chacun contribue aux frais de la maison commune

Du seul fait de sa qualité de propriétaire, le détenteur d’un actif immobilier bénéficie, pour lui ou ses locataires, des multiples bénéfices de l’action publique, de la défense du territoire aux infrastructures culturelles, sanitaires et de transport. Pourtant notre système fiscal est ainsi construit, que pour toutes ces prestations un propriétaire n’acquitte aucune contribution. Il n’est redevable que d’impôts locaux, qui ne couvrent, en France, qu’une infime partie des charges communes. L’explication est historique. Du fait de sa tradition centralisatrice, notre pays met la plupart des dépenses à la charge de l’Etat. Nos impôts locaux, bien qu’ayant considérablement augmenté restent comparativement très faibles par rapport à la plupart des autres pays, surtout pour l’immobilier de luxe. Ainsi à New-York, il faut compter 2% par an de la valeur de l’immeuble en taxes. C’est bien plus que notre petit impôt sur la fortune !

Les détenteurs d’actifs immobiliers ont vu l’avantage comparatif de leur situation augmenter considérablement au cours des 20 dernières années, le propriétaire inactif étant placé dans une situation financière et fiscale incomparablement préférable à celle d’un actif n’étant pas propriétaire. L’expression ultime de ce déséquilibre est l’absence de toute imposition du propriétaire qui vend, suffisamment longtemps après son acquisition, un bien autre que sa résidence principale à un salarié demeuré locataire toute sa vie ! Le premier encaisse, net d’impôts, une somme dont l’origine est pour une large part la conséquence d’investissements publics dans des infrastructures… financés par les impôts acquittés toute sa vie durant par l’acquéreur !

Afin que chacun soit imposé en France à hauteur de sa faculté contributive réelle, il est légitime que la propriété d’un bien immobilier implique l’obligation de s’acquitter d’un impôt, en contrepartie des droits que procure cette propriété. C’est particulièrement vrai dans un pays ouvert comme la France et d’autant plus nécessaire que la dissociation entre pays d’imposition et pays de localisation des actifs immobiliers devient plus fréquente. Or un des phénomènes les plus marquants – et les moins documentés – qu’a connu la France ces 35 dernières années est l’explosion du nombre de départs à l’étranger de Français possédant des immeubles en France, et la multiplication des acquisitions d’actifs immobiliers situés en France par des personnes n’y payant pas l’impôt sur le revenu.

C’est la conséquence directe de la structure actuelle de notre fiscalité. En l’état actuel de la législation, à patrimoine immobilier identique, les résidents sont plus lourdement imposés à l’ISF que les non-résidents, dès lors que le barème est progressif et que le taux d’imposition des uns est déterminé en prenant en compte la totalité de leur patrimoine, alors que pour les autres, seuls leurs biens immobiliers situés en France sont comptabilisés. En outre, les non-résidents utilisent souvent des montages à base de société ou de dette bancaire qui diminuent d’autant leur base d’imposition à l’ISF. Conséquence économique logique de ce déséquilibre, de plus en plus de Français fortunés s’expatrient… tandis que les Français expatriés représentent un pourcentage croissant des acquéreurs de biens immobiliers haut de gamme en France ! En effet, pour autant qu’on soit domicilié à Londres, on peut être propriétaire  d’une villa en Provence d’une valeur de 1.300.000 euros et détenir à travers une SCI un immeuble à Paris valant 10 millions, dont l’achat a été financé par de la dette[2], sans avoir aucun ISF à acquitter, en toute légalité.

Quels effets attendre de la réforme ?

L’effet principal : une incitation à rentrer au bercail 

Le principal objectif du passage de l’ISF à l’IFI sera de ne plus inciter au départ, mais d’inviter à revenir en France les plus gros contribuables. Alors que le poids de l’impôt sur le revenu est particulièrement concentré sur les ménages les plus aisés, il est urgent de mettre fin à leur exode. C’est un impératif budgétaire. L’IFI y contribuera de trois manières, d’abord en cessant d’imposer les composantes du patrimoine qu’il suffit d’emmener avec soi à l’étranger pour ne plus payer d’impôt, ensuite en cessant d’appliquer un plus faible taux d’imposition au patrimoine immobilier de ceux qui ne payent pas en France l’impôt sur le revenu – on l’a vu ci-dessus – , enfin en accordant un avantage à ceux qui choisissent de payer leur impôt sur le revenu en France. En effet, la réforme est prévue toutes choses égales par ailleurs en termes de taux (0,5 à 1,5%), de seuil d’imposition (1.300.000 euros) et d’abattement de 30 % sur la valeur de la résidence principale, avantage réservé aux résidents.

Ainsi c’est une inversion totale du sens des incitations qui sera réalisée.

Deux effets secondaires certains : redistribution des cartes et incitation à la diversification

Le plus convaincant est ici de faire une démonstration par l’exemple. Soit Mr et Mme A, propriétaires de dix appartements donnés en location et Mr et Mme B qui n’ont aucun patrimoine immobilier. En raison de la progressivité de l’impôt sur la fortune immobilière, Mr et Mme A auront intérêt à vendre une grande partie de leurs appartements pour réduire leur IFI. Mr et Mme B pourront alors plus facilement devenir propriétaires. D’une part, le nombre de biens immobiliers offerts à la vente augmentera, d’autre part, n’ayant aucun impôt sur la fortune immobilière à payer sur leur première acquisition, Mr et Mme B seront avantagés pour se porter acquéreurs. L’impôt sur la fortune immobilière ne fera pas que faciliter l’accès des classes moyennes à la propriété immobilière, il incitera aussi les personnes qui disposent de capitaux importants à ne pas investir tous leurs fonds dans l’immobilier, mais à orienter une partie de leur épargne vers les entreprises, ce qui pourrait bien leur être bénéfique.

Un effet prix aléatoire

En bonne logique économique, bien qu’il n’y ait pas création d’un impôt nouveau, l’IFI devrait conduire à une baisse relative des prix de l’immobilier, dès lors qu’il diminuera l’espérance de gains après impôts de l’investisseur immobilier, par rapport à l’espérance de gains de l’acquéreur de valeurs mobilières ou d’autres biens. Si tel était le cas, ce ne serait pas une mauvaise chose, socialement, puisque cela faciliterait l’accès à la propriété d’un plus grand nombre de personnes. Toutefois, l’attractivité nouvelle de notre pays, qui résultera de l’exonération des fortunes mobilières, pourrait bien conduire millionnaires et milliardaires à revenir en France et pousser les prix à la hausse, en renforçant encore la demande, en particulier dans le haut de gamme. Dans cette configuration, les recettes fiscales totales augmenteraient, la forte augmentation du produit de l’IRPP induite par les retours au pays natal faisant plus que compenser la baisse très limitée du rendement de l’ISF. Toutefois, il faudra compter avec le temps nécessaire au changement des comportements. La dynamique des départs de Franc était devenue si forte qu’il faudra savoir être patient pour la voir s’inverser. C’est pourquoi il est particulièrement important que la réforme de l’ISF intervienne au plus vite.

Ne pas confondre actif immobilier et activité de construction

On confond trop souvent bonne tenue du marché immobilier et dynamisme du secteur de la construction. Les nombreux soutiens du lobby immobilier s’emploient à entretenir cette confusion. Pourtant, une mesure simple permettra à l’Impôt sur la Fortune Immobilière de ne pas peser sur l’activité du bâtiment. Il suffira de prévoir l’exonération pendant 10 ans des constructions neuves, comme des travaux d’amélioration ou de rénovation. A la limite, cette exonération pourrait être accordée jusqu’à la mutation suivante. Le même impôt aurait ainsi pour effet bénéfique d’inciter à la vente des terrains constructibles, à la réalisation de travaux d’amélioration et à l’investissement dans la construction de bâtiments neufs, qu’ils soient d’agrément ou à usage locatif, sans qu’il soit nécessaire de sacrifier pour cela une partie des recettes de l’IRPP. 

Conclusion

La proposition d’un impôt sur la fortune immobilière est beaucoup plus novatrice et courageuse qu’il ne paraît au premier abord. Novatrice, parce que pour la première fois, un impôt est conçu pour répondre à l’impératif de compétitivité fiscale. Courageuse, parce que la France reste une vieille nation de « paysans » farouchement attachés à la propriété immobilière, même si un pavillon a souvent pris la place du lopin de terre de jadis. C’est dire l’effort de pédagogie qui sera nécessaire pour réunir un large consensus autour de cette évolution indispensable.


1 Voir La réconciliation fiscale, pages 72 à 78.

[2] Nous préconisons le plafonnement à 300.000 euros de la déductibilité des emprunts immobiliers de la base imposable à l’IFI. Ce serait la conséquence logique de la non taxation des actifs autres qu’immobiliers et la façon la plus simple d’éviter les montages artificiels.