Cet article est une version raccourcie et actualisée d’un article publié sur le site de La vie des idées, http://www.laviedesidees.fr/La-part-manquante-de-l-assurance-chomage.html
Loin de s’orienter vers une flexisécurité à la danoise, la réforme de l’assurance chômage risque de manquer d’ambition dans la prise en charge des chômeurs.
La réforme de l’assurance-chômage vise à d’accroître à la fois la mobilité et la protection des actifs sur le marché du travail, grâce à la réforme conjointe de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Elle promeut une flexisécurité à la française, sur le modèle danois que le gouvernement invoque souvent pour justifier sa politique. L’enjeu serait de favoriser une forme de gestion plus flexible de la main-d’œuvre, encadrée par l’adoption de nouvelles protections censées sécuriser les multiples transitions possibles sur le marché du travail.
L’ouverture de droits nouveaux pour les indépendants et les démissionnaires, au même titre que la nécessaire couverture des zones grises de l’emploi (Louvion, 2017), vont dans ce sens, à condition d’offrir des allocations chômage d’un niveau suffisant pour favoriser de nouvelles transitions. Si la responsabilité de l’État doit être engagée, ce n’est pas uniquement pour fixer hier une feuille de route, aujourd’hui une lettre de cadrage aux partenaires sociaux, mais pour qu’il prenne part au financement et à la régulation d’une assurance-chômage plus étendue qui intègre le régime de solidarité. Il est possible que les négociations en cours soient l’occasion d’intégrer l’Etat à une réforme plus globale si ce dernier ne se défausse pas sur les partenaires sociaux de ses responsabilités en la matière. Aujourd’hui comme hier, les questions de gouvernance et de financement de l’assurance-chômage devront s’inscrire dans le cadre d’une réflexion plus ambitieuse sur la façon dont il convient d’articuler la protection contre le chômage, les évolutions souhaitables du marché du travail, et le souci de renforcer la cohésion sociale.
L’Unedic, entre gestion du marché du travail et assurance sociale
Le principe de base qui sous-tend la réforme proposée est de faire de l’assurance-chômage un instrument de gestion des transitions sur le marché du travail. Le souhait gouvernemental d’ouvrir l’assurance-chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants doit se lire dans cette optique. La mesure vise à favoriser leur mobilité professionnelle et à faire en sorte que ni le motif de la perte d’emploi ni le statut professionnel ne viennent faire obstacle à la recherche d’une nouvelle activité. Les partenaires sociaux sont en outre invités par le gouvernement à trouver de nouvelles règles pour faire progresser l’emploi stable aux dépens des emplois courts de moins d’un mois. Derrière cette extension du domaine d’intervention de l’assurance-chômage, l’idée est de tendre vers un système plus universel. C’est ce changement d’échelle qui justifierait, aux yeux des pouvoirs publics, une fiscalisation partielle des ressources du régime assurantiel ainsi qu’une participation accrue de l’État à sa gouvernance.
L’Unedic est en 1958 un « régime national interprofessionnel d’allocations spéciales aux travailleurs sans emploi de l’industrie et du commerce ». Le système vise à inscrire l’indemnisation du chômage dans le cadre de la mobilité de la main-d’œuvre à travers une indemnisation des périodes de transition entre deux emplois. L’assurance-chômage ainsi conçue est avant tout au service des politiques d’emploi et les modalités d’indemnisation des chômeurs retenues n’ont que peu à voir avec le principe de contributivité qui veut proportionner les indemnisations versées au montant des cotisations perçues. Le régime paritaire accepte ainsi d’indemniser des personnes n’ayant préalablement jamais cotisé, comme les jeunes, les anciens salariés du secteur agricole victimes de l’exode rural, etc. Cet accès aux allocations chômage sans condition de contribution préalable vise à favoriser leur intégration sur un marché du travail alors en profonde recomposition sectorielle (Daniel, Tuchszirer, 1999).
Un tripartisme mal assumé
C’est autour d’un ménage à trois que s’est structuré le système français d’indemnisation des chômeurs. Dès la mise en place de l’Unedic, le système d’assurance-chômage est lié au régime public financé par l’impôt et géré par l’État. Le caractère bicéphale de l’indemnisation du chômage va perdurer jusqu’en 1979, où une loi instaure un régime unique d’indemnisation co-financé par l’État et les partenaires sociaux. Mais ce régime unique est de courte durée : dès 1984, sous la pression du patronat, il est à nouveau scindé en deux. D’un côté, l’assurance-chômage, gérée et financée par les partenaires sociaux, est réservée aux salariés ayant cotisé suffisamment longtemps. De l’autre, un régime dit, à tort, de solidarité est destiné aux exclus de l’assurance (chômeurs de longue durée, jeunes à la recherche d’un premier emploi ou chômeurs n’ayant travaillé qu’une courte période) à qui il délivre une allocation forfaitaire financée par l’impôt, l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ainsi qu’une allocation d’insertion pour les jeunes primo demandeurs d’emploi (voir encadré). Reste que ce régime de solidarité a eu, dès l’origine, le plus grand mal à s’acquitter pleinement de sa mission indemnitaire, en raison des conditions fort exigeantes en matière d’activité préalable.
Le système indemnitaire français aujourd’hui
- La principale composante du système d’indemnisation des chômeurs est le régime d’assurance-chômage. Ses paramètres sont définis par les partenaires sociaux, et mis en œuvre par l’Unedic, l’Acoss (pour la perception des recettes) et Pôle emploi (pour le versement des allocations). C’est un régime financé par cotisation dont les prestations sont définies par le régime conventionnel. L’allocation versée, l’Allocation de Retour à l’Emploi, est proportionnelle au salaire antérieur et est réservée aux salariés ayant cotisé au moins 4 mois au cours des 28 derniers mois.
- L’autre composante du système indemnitaire est un régime dit d’assistance et de solidarité. Le dispositif indemnitaire relève de la responsabilité et du budget de l’État, qui définit la nature des prestations versées. Depuis 1992, il ne verse plus qu’une allocation principale, dite de solidarité spécifique. C’est une allocation forfaitaire (490€/mois) versée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits au titre du régime d’assurance-chômage. Comme tout régime d’assistance, cette prestation est placée sous condition de ressources. Pour l’obtenir, il faut en outre avoir travaillé 5 ans au cours des 10 dernières années. Ces conditions sont plus dures que celles exigées par le régime d’assurance.
C’est une des raisons qui expliquent que certains demandeurs d’emploi finissent par recourir au RSA.
Nous sommes donc en présence d’un système qui associe l’État et les partenaires sociaux dans un dispositif faiblement coordonné. Ce tripartisme mal assumé porte sa part de responsabilité dans l’affaiblissement de la couverture indemnitaire des chômeurs depuis les années 1980. On comprend mieux, dans ce contexte, la place spécifique occupée par le RMI, créé en 1988, transformé en RSA et géré aujourd’hui exclusivement par les conseils départementaux. Depuis le milieu des années 1990, le lien entre la progression des allocataires du RSA et le chômage non indemnisé est établi (Bouchoux, Houzel, Outin, 2008) : cette prestation sociale est, de fait, le dernier filet de sécurité du régime d’indemnisation du chômage. La prise en charge du revenu de remplacement est donc fortement inégale, selon que les chômeurs relèvent des partenaires sociaux, de l’État ou des départements. En outre, ce système indemnitaire éclaté ne fait l’objet d’aucune régulation conjointe par l’ensemble des acteurs concernés. D’où, comme par le passé, des effets de vase communicant dommageables pour les demandeurs d’emploi, quand l’État décide de reporter sur les départements les conséquences du durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs décidé unilatéralement par l’Unedic (Tuchszirer, 2008).
Renforcer la place de l’État, mais pour quoi faire ?
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du paritarisme que l’État s’immisce dans l’organisation de l’assurance-chômage. À cet égard, c’est moins la présence de l’État que la place effective qu’il veut prendre qui suscite des interrogations. Pourtant la responsabilité de l’État est engagée, et cela de longue date, dans le système indemnitaire des chômeurs au titre du régime de solidarité qu’il gère.
Là où la réforme se limite à l’assurance-chômage, il aurait fallu remettre à plat le système d’indemnisation des chômeurs dans son ensemble. Jusqu’en 2008 du reste, les partenaires sociaux gestionnaires de l’Unedic réclamaient une telle refonte du cadre indemnitaire, pour repenser conjointement l’évolution des régimes d’assurance-chômage et de solidarité. En tant qu’acteur du système d’indemnisation des chômeurs, l’État ne peut pas se poser uniquement en régulateur de ce dispositif de protection sociale.
Dans la lettre de cadrage adressée aux partenaires sociaux il y a quelques jours, la situation des jeunes aurait pu faire l’objet d’une attention particulière. L’Unedic n’assure qu’une faible couverture indemnitaire aux jeunes qui ne sont pas encore pleinement insérés sur le marché du travail et l’État a supprimé l’allocation d’insertion qui leur était réservée jusqu’en 1992. Ce sont donc les contrats aidés de la politique de l’emploi (emplois d’avenir, garantie jeunes) qui permettent de délivrer un revenu salarial aux jeunes dont l’insertion sur le marché du travail est difficile. La forte réduction du budget alloué à ces contrats aidés risque de rendre encore plus délicate la situation financière de certains jeunes et devrait remettre à l’ordre du jour la question de leur accès à une allocation chômage. Voilà en tout cas un enjeu qui pourrait justifier un rapprochement plus étroit entre les partenaires sociaux et l’État pour élargir le périmètre des actifs sans travail. Mais la négociation qui s’ouvre ne s’engage pas dans cette voie.
Plus d’ambition
Depuis sa création, l’Unedic a eu du mal à honorer la mission de service public qu’elle s’était pourtant assignée : créer un régime obligatoire de protection sociale contre le risque du chômage, pour sécuriser le revenu et les transitions professionnelles. Que l’État aujourd’hui justifie de fiscaliser une partie du financement de l’Unedic au nom de la protection des actifs indépendants et de l’universalisation de l’assurance-chômage peut s’entendre, compte tenu des transformations du marché du travail, mais « l’universalité » ici invoquée est trompeuse. L’Unedic n’est jamais parvenue à indemniser massivement les demandeurs d’emploi qui relevaient de sa responsabilité, c’est-à-dire les salariés privés d’emploi. Depuis le milieu des années 1980, leur couverture indemnitaire s’est tendanciellement dégradée. En 2008, l’Unedic a « laissé filer les déficits » pour amortir l’impact de la crise. Mais dès 2010, la tendance est de nouveau à la baisse. D’après les données fournies par le Ministère du Travail, en septembre 2014, près d’un demandeur d’emploi sur deux ne dispose d’aucune couverture d’assurance-chômage. 10 % d’entre eux sont indemnisables par le régime public versant l’ASS mais, au total, près de 40 % des demandeurs d’emploi ne bénéficient aujourd’hui d’aucune allocation chômage.
La qualité de la couverture indemnitaire est faible : en 2014, l’allocation mensuelle moyenne versée aux chômeurs était de 1029€, elle était même inférieure à 629€ pour un quart des indemnisés.
C’est en définitive à l’aune de cette réalité qu’il convient d’apprécier la contribution effective de l’assurance-chômage à la sécurisation des parcours professionnels. Celle-ci s’écarte du modèle danois de flexisécurité que les pouvoirs publics prennent pour référence. La libéralisation du marché du travail danois s’est accompagnée d’une politique volontariste en matière de sécurisation du revenu et le régime d’assurance-chômage en constitue la pièce maîtresse. L’importance du revenu de remplacement des demandeurs d’emploi permet aux actifs, y compris indépendants, de prendre le risque de changer d’emploi, d’accéder à une formation et de contribuer ainsi à la construction d’un marché du travail plus fluide. Le régime universel repose sur des caisses d’assurance-chômage administrées par les syndicats, mais dont le financement est en grande partie assuré par l’État. Près de 80 % des actifs danois sont ainsi couverts par le régime d’assurance-chômage et le niveau du revenu indemnitaire reste bien plus élevé qu’en France. L’effort pour augmenter le taux indemnitaire se double d’une étroite coopération entre les institutions du marché du travail. L’assurance-chômage, le service public de l’emploi, la formation et l’apprentissage font système pour organiser la « sécurité des ailes », qui vise à accroitre l’employabilité des salariés et à favoriser leur mobilité professionnelle sur le marché du travail (Jorgensen, 2013). C’est l’ensemble de cette architecture qui nous fait aujourd’hui défaut.
Telle est donc la tâche encore considérable qu’il reste à accomplir en France. L’adoption de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel tout comme la négociation paritaire qui va s’ouvrir suite à la lettre de cadrage du gouvernement fait silence sur la faiblesse du taux de couverture et le niveau des prestations versées aux chômeurs. La création, peu probable, d’un bonus-malus, compte tenu des cris d’orfraie du patronat ne suffira pas à renouer avec l’emploi stable sauf à inscrire la réforme du système indemnitaire dans un cadre budgétaire propice au renforcement de la protection sociale des actifs.
Aller plus loin
Christine Daniel, Carole Tuchszirer, L’État face au chômage, histoire de l’indemnisation du chômage de 1884 à nos jours, Flammarion, 1999.
Bernard Gazier, Carole Tuchszirer, Sécuriser les parcours professionnels, initiatives et responsabilité, Liaisons sociales, 2015.
Henning Jorgensen, « Le récent recalibrage du marché du travail et du système de protection sociale au Danemark », Revue des politiques sociales et familiales, 2013.
Alexis Louvion, « Une travailleuse en quête de protection », La nouvelle revue du travail, 11, 2017.
Jean-Luc Outin, Yvette Houzel, Jacques Bouchoux « Modélisation du RMI et trajectoires des allocataires : Une analyse empirique des liens RMI-marché du travail à partir de données individuelles », Document de travail, 2008.
Carole Tuchszirer, « Un dispositif indemnitaire devenu insensible aux évolutions du marché du travail », Chronique internationale de l’Ires, novembre 2008.
Meryam Zaiem, « Les demandeurs d’emploi indemnisables par l’assurance-chômage en 2014 », Dares résultats, décembre 2016.
- La part manquante de l’assurance-chômage - 19 novembre 2018
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