Confrontée à des déséquilibres (montée du déficit en logements, déclassement « énergétique » d’une partie importante du parc de logements, …) de plus en plus difficilement maîtrisables, la réorientation de la politique publique du logement s’est appuyée à partir de 2010 sur un recentrage des aides en faveur des territoires sur lesquels les déséquilibres seraient les plus prononcés.
Dans ces conditions, les déséquilibres quantitatifs entre l’offre et la demande doivent « à tout prix » être résorbés sur ces territoires. D’autant que ces déséquilibres y seraient tellement puissants que même les ménages à revenus moyens en seraient exclus. L’Etat devrait ainsi concentrer (presque) tous ses moyens au bénéfice de ces territoires. C’est-à-dire sur quelques bassins circonscrits de mal logement, plutôt que de continuer, avec une inefficacité souvent qualifiée de remarquable, de saupoudrer l’intervention publique sur un large territoire[1].
Un argument largement utilisé et pourtant fréquemment démenti est présenté en appui de cela : en dehors des territoires les « plus tendus » (donc hors les zones Abis, A et B1, voire hors la zone B2 urbanisée[2]), les niveaux des prix seraient suffisamment bas pour permettre de se passer des interventions publiques (une autre forme du « saupoudrage inefficace »).
Pourtant, les prix des logements à l’achat, comme d’ailleurs les valeurs locatives sont à l’image des niveaux de revenus. Sur chaque territoire, les valeurs (prix ou loyers) s’adaptent à la capacité financière des clientèles potentielles. Il est aussi difficile pour un Auvergnat ou un Franc-Comtois d’accéder à la propriété ou de trouver un logement à louer dans sa région à un niveau compatible avec ses ressources, qu’à un Francilien en Ile-de-France.
Afin d’illustrer cela, on peut constater que la situation financière des ménages qui accèdent (ou qui primo accèdent) à la propriété est comparable sur (presque) tous les territoires de la Métropole, en observant les deux indicateurs habituellement utilisés[3] : le coût relatif des opérations d’accession réalisées (le rapport entre le coût d’achat, y compris les frais de notaire et les éventuels frais d’agence, et les revenus du ménage) et le taux d’effort supporté (la part du remboursement des crédits contractés pour financer l’achat immobilier dans les revenus du ménage).
Mis à part le cas particulier de l’agglomération parisienne (dont Paris), il est en effet aussi coûteux pour un ménage d’accéder ou de primo accéder à la propriété dans une petite commune de 2 000 à 5 000 habitants que dans une agglomération urbaine de plus de 200 000 habitants. En outre, le coût relatif d’un logement en accession est plus élevé dans une commune rurale de moins de 2 000 habitants que dans les agglomérations de 20 000 à 200 000 habitants.
De même, les taux d’effort ne sont pas moins élevés dans les communes et agglomérations urbaines de moins de 20 000 habitants que dans les unités urbaines de plus de 200 000 habitants. Cela veut donc dire que l’action publique doit bien porter sur tous les territoires car les déséquilibres sont comparables sur tous les territoires.
Seule finalement, la situation de l’agglomération parisienne semble plus « tendue » que celle qui s’observe sur d’autres territoires : certes les ménages qui y accèdent à la propriété disposent d’un apport personnel proportionnellement beaucoup plus élevé qu’ailleurs (de l’ordre de 50 %), autant en raison d’une proportion de primo accession nettement inférieure que de revenus sensiblement plus élevés ; mais ils doivent faire face à des coûts d’opérations nettement plus élevés, en raison d’une pénurie de l’offre sanctionnant plusieurs décennies d’une construction insuffisante, tant en raison des choix de collectivités locales malthusiennes que de l’absence de volonté des décideurs nationaux.
L’analyse détaillée de ces territoires sur lesquels, a priori, tout ne serait qu’équilibre révèle donc des déséquilibres d’une nature comparable à celle qui peut se constater sur des marchés réputés « tendus ». D’autant que les ménages qui y résident sont exposés à la pauvreté « comme ailleurs ».
D’après Filocom, sur les territoires des communes rurales réputés être un lieu d’absence de déséquilibre et d’accès facile au logement et qui accueillent 22 % des ménages (6,1 millions de ménages), on trouvait en 2009 de l’ordre de 32 % de ménages à bas revenus, donc 1,9 million des ménages pauvres et modestes de la Métropole (23 % de ces ménages). Pour leur part, les unités urbaines de plus de 100 000 habitants (hors unité urbaine de Paris) accueillent 31 % des ménages (8,7 millions des ménages) et 32 % de ménages à bas revenus, soit 33 % de l’ensemble des ménages pauvres et modestes. Au strict plan quantitatif, il n’y a donc pas de raison de privilégier certains territoires au détriment des autres.
La question de l’accès à un logement se pose donc aussi dans la plupart des territoires ruraux et dans un grand nombre de territoires intermédiaires. Mais l’offre existante ne permet pas, bien souvent, de répondre à la pression de la demande, alors que les tendances démographiques pour l’avenir ne devraient guère contribuer à une amélioration de la situation.
De ce fait, privilégier certaines parties du territoire au détriment d‘autres, ce n’est pas apporter une bonne réponse à la question des besoins en logement en France, notamment pour les ménages les plus modestes. Ni à celle de l’aménagement du territoire. S’interroger sur la spécialisation territoriale des aides publiques, sur la pertinence des conditions dans lesquelles sont calibrées les aides à l’accession, au locatif privé et au locatif social est en revanche nécessaire. Il ne faudrait pas qu’un recentrage prononcé et une spécialisation des interventions publiques au bénéfice de quelques territoires jugés « emblématiques » viennent contrarier les projets de développement économique et les efforts consentis partout pour trouver une réponse adaptée aux attentes des habitants en matière de logement[4], de services de proximité, de qualité des espaces publics, ….
[1] Il est vrai que pour nombre de commentateurs et une grande partie des décideurs des Ministères du Logement et de l’Economie, en dehors des zones urbaines « qualifiées de tendues », tout ne serait qu’équilibre et harmonie. Et qu’une aide publique sur ces territoires ne sera consentie qu’en pure perte. Ce ne serait même qu’un strict effet d’aubaine !
[2] Le zonage A/B/C a été créé en 2003 dans le cadre du dispositif d’investissement locatif dit « Robien ». Il a été révisé depuis, en 2006, en 2009 et enfin en 2014. Le critère de classement dans une des zones étant « la tension du marché immobilier local ». La tension d’un marché immobilier local est « en théorie » définie sur un territoire donné par le niveau d’adéquation entre la demande de logements et l‘offre de logements disponibles : une zone est dite « tendue » si l’offre de logements disponibles n’est pas suffisante pour couvrir la demande (en termes de volume et de prix). Mais on se souviendra que la méthode d’élaboration du zonage est pour le moins très fragile, compte tenu des hypothèses retenues et des statistiques utilisées. Et on remarquera que le locatif social est déjà quasiment absent de ces territoires « détendus » et que la demande qui s’y exprime est par nature mal traitée par les aides publiques ou devrait se repositionner sur les espaces agglomérés. La lutte contre l’étalement urbain ayant des limites, notamment celle de l’aménagement de territoire …
[3] Poursuivant donc la méthode adoptée dans la contribution reprise par le « Rapport d’information déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation des aides à l’accession à la propriété » (Audrey Linkenheld et Michel Piron, Assemblée Nationale, 22 février 2017) : Michel Mouillart, « Quelques réflexions sur l’accession à la propriété », décembre 2016.
[4] Sur ce point, par exemple : « Soutenir les territoires en crise ou aider leurs habitants à s’installer ailleurs ? », CGET, En bref n° 41, juillet 2017.
- Est-il moins coûteux de se loger à la campagne qu’en ville ? - 15 novembre 2017
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