En France, le système de financement du logement social n’a pas d’équivalent en Europe et, à notre connaissance, au monde…

Une transformation de l’épargne populaire liquide en prêt à très long terme

Pour bien le comprendre, il faut d’abord se plonger dans l’activité des bailleurs sociaux dont la mission première est d’héberger les personnes à revenus modestes. Ils ont en réalité plusieurs activités : construction de logements sociaux (leurs investissements représentent près d’un tiers de la construction neuve) ; gestion de ces logements et hébergement des populations les plus modestes, sous condition de revenus, et à des loyers plafonnés. Le parc locatif social représente près de 4,5 millions de logements, soit environ 16 % du parc sur le territoire. Cette activité nécessite d’importants investissements d’entretien du parc, notamment les travaux de réhabilitation lourde, thermique.

Au total, les bailleurs sociaux investissent près de 2O Md€ chaque année. Leur mission d’intérêt général consistant à produire des logements à loyers modérés repose sur un mécanisme de financement particulier.

En contrepartie de leur mission, les bailleurs sociaux bénéficient d’avantages fiscaux (réduction de TFPB[1], TVA à taux réduits) et surtout d’un circuit de financement de leurs investissements dédié. En effet, plus de 70% du financement de leurs nouveaux investissements proviennent des prêts de la Caisse des dépôts ce qui représente ces dernières années autour de 15 Md€ de flux de prêts annuels.

Ces prêts sont issus de la transformation de l’épargne réglementée, essentiellement le Livret A et le Livret Développement Durable centralisée à la Caisse des dépôts. C’est la transformation de cette ressource liquide et à vue en prêts à très long terme qui assure chaque année le financement de près de 110 000 logements sociaux sur le territoire.

En somme, le secteur du logement social bénéficie d’une ressource, l’épargne réglementée, dédiée à son financement.

Les prêts de la Caisse des dépôts ont plusieurs spécificités qui permettent au secteur de produire chaque année les investissements massifs qui répondent aux ambitions des pouvoirs publics. Les maturités, longues voire très longues (supérieures à 40 ans pour plus de 20 % des nouvelles signatures) correspondent à une offre que le secteur bancaire traditionnel ne propose pas. Les taux d’intérêt sont les mêmes, quelle que soit la durée, la contrepartie et le territoire sur lequel le bailleur intervient, ce qui constitue en soi un système de péréquation au sein du secteur. Pour les bailleurs sociaux, la liquidité du livret A qui assure le financement de leurs investissements est toujours assurée. Cette épargne, vieille de près de 200 ans n’a en effet jamais été désaffectée, sans doute grâce à sa réputation historique de solidité mais aussi grâce au rôle de garant de l’Etat. Ainsi, au plus fort de la crise financière des années 2008 à 2011, le financement du logement social en France n’a pas été secoué par l’assèchement brutal de liquidités, comme ce fut le cas dans d’autres pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas et, dans une moindre mesure, Allemagne).

Les taux des prêts sont indexés sur la rémunération de la ressource et dépendent donc du taux de rémunération de l’épargnant, essentiellement celui du livret A. Les taux des prêts proposés par la Caisse des dépôts sont fixés en fonction de la destination sociale des biens financés : plus les biens sont destinés à une catégorie modeste, plus les taux sont faibles. Le livret A, dont la formule repose en grande partie sur le taux d’inflation pour protéger le pouvoir d’achat de l’épargne populaire, n’est pas sans lien avec l’activité des bailleurs sociaux dont les principaux revenus, les loyers, dépendent également de l’inflation.

Pour assurer la protection de l’épargnant, mission originelle confiée à la Caisse des dépôts, le système de financement du logement social est très sécurisé : chaque prêt consenti aux bailleurs sociaux doit faire l’objet d’une garantie, apportée en grande partie de manière gratuite par les collectivités locales[2]. En contrepartie de cette garantie, les collectivités locales bénéficient d’un droit de réservation d’une partie des logements ainsi construits. Ce mécanisme de garantie contribue donc à l’équilibre de la politique du logement sur le territoire.

Au final, depuis plus de 100 ans, le financement du logement social repose sur ce mécanisme de transformation unique. Si ce modèle a largement fait ses preuves par le passé, les défis pour l’avenir sont importants.

Les défis

Ces défis reposent en partie sur l’ambition que leur font porter les pouvoirs publics. Jusqu’à présent, les bailleurs sociaux ont pour mission de loger toujours plus de personnes : les enjeux de pouvoir d’achat de la population, les transformations de la société (familles monoparentales, retraités, personnes âgées) modifient sans cesse la carte des besoins en logement et il est difficile de sortir du diagnostic de crise du logement. La loi SRU qui concerne les communes dont le nombre d’habitants dépasse un certain seuil, leur impose un quota de logements sociaux sur leur territoire, ce qui alimente chaque année les besoins en production neuve de logements sociaux.

Dans ce contexte de poursuite du choc d’offre, la question du financement se pose inévitablement. En effet, si 70 % du financement est assuré par des prêts, il demeure 30% du financement à combler.

Jusqu’à présent, celui-ci se répartit, en simplifiant quelque peu, en 15% de subventions (environ 10 % de collectivités et 5 % de l’Etat sous forme « d’aides à la pierre ») et 15 % de fonds propres des organismes, dégagés par leur activité locative ou par la vente de patrimoine.

Face à la rareté de la ressource budgétaire, qu’elle provienne des collectivités locales ou de l’Etat, la question de la capacité à dégager des fonds propres est essentielle pour que le secteur du logement social puisse continuer à exercer sa mission d’intérêt général. C’est précisément ce qui préoccupe les bailleurs sociaux aujourd’hui : les ventes de patrimoine dans des dispositifs d’accession sociale à la propriété se heurtent à plusieurs contraintes, telle que la capacité des ménages à acquérir les biens, à un enjeu de « qualité du parc » à vendre mais également tout simplement à pouvoir vendre le parc tout en respectant les quotas de logement sociaux imposés par la loi SRU.

La capacité de dégager des fonds propres repose aussi sur la question de la rentabilité de l’activité de gestion locative mais, là encore, la réponse n’est pas simple : les populations hébergées sont de plus en plus modestes, les hausses de loyers sont donc incompatibles avec leur mission d’intérêt général et l’actualité indique que ce sujet ne correspond pas au sens de l’histoire puisque le gouvernement actuel souhaite que les bailleurs compensent la baisse des Aides Personnalisées au Logement (APL) par des baisses de loyers. Cette capacité se réduit encore lorsque l’on prend en compte les nécessaires investissements d’entretien du parc.

C’est à partir de ce constat que la Caisse des dépôts, en partenariat avec Action Logement, a mis en place un dispositif de prêt de haut de bilan bonifié en 2016 : la distribution de 2 Md€ de prêts, à taux zéro et différé d’amortissement pendant 20 ans, devrait répondre en partie à ces difficultés pour permettre aux bailleurs d’accélérer leurs investissements sur le parc et en particulier ceux qui ne génèrent que peu de revenus, à savoir la réhabilitation thermique. Cette longue période sans amortissement ni intérêt permet de lancer les investissements nécessaires aujourd’hui pour que les bailleurs pilotent leurs fonds propres à moyen terme plutôt que d’avoir à les mobiliser immédiatement.

Cette enveloppe a permis de générer un surcroît d’investissement pendant deux ans mais ne répondra pas durablement à la question de la capacité des bailleurs à compenser les baisses de subventions publiques. Cette capacité dépend bien entendu de l’ambition que leur font porter les pouvoirs publics en termes de constructions de logement et à l’inventivité qui permettra aux bailleurs sociaux de dégager des fonds propres tout en préservant leur mission d’intérêt général.

Les paramètres de cette équation sont à la main des pouvoirs publics. A ce jour, ils ne sont pas encore tous connus mais les récentes mesures de la Loi de Finances visant à demander aux bailleurs sociaux de réduire les loyers pour compenser la baisse des APL mettent en cause leur capacité à dégager des fonds propres.

Le gouvernement n’a pas encore dévoilé tous les termes de cette équation, comme la manière dont les bailleurs pourront être accompagnés dans la vente de leur patrimoine pour reconstituer leurs fonds propres mais aussi les mécanismes de péréquation au sein du secteur. Surtout, l’objectif de production de logement social sur le territoire n’est aujourd’hui pas encore clarifié et il est à craindre qu’il devienne la variable d’ajustement de cette équation complexe.


[1] Taxe foncière sur les propriétés bâties

[2] La majorité des prêts au logement social sont garantis par les collectivités locales mais ils le sont également, de manière plus résiduelle, par la Caisse de garantie du logement locatif social. 

Laure Maillard