Introduction

Au 1er janvier 2023[1], la nouvelle norme comptable internationale IFRS 17 sur les contrats d’assurance entrera en vigueur. Cette norme a été élaborée par l’IASB[2] dont la mission est de définir les normes comptables IFRS[3] qui régissent les règles à respecter lors de la présentation des comptes annuels et des états financiers. Depuis le 1er janvier 2005, les sociétés cotées européennes sont tenues de présenter leurs comptes consolidés suivant les normes IFRS adoptées par l’UE ainsi que leur potentielle interprétation[4].

IFRS 17 vise à harmoniser mondialement les méthodes de comptabilisation des contrats d’assurance. Elle cherche ainsi à apporter une comptabilité cohérente pour tous les contrats d’assurance (un même type de contrat d’assurance devrait être comptabilisé de la même manière dans tous les pays), et une amélioration de la transparence des informations financières publiées par les entreprises d’assurance et de réassurance[5].

La précédente norme IFRS 4, toujours en vigueur, a été introduite en 2004 comme une norme intermédiaire le temps qu’une « véritable » norme soit écrite pour les contrats d’assurances. IFRS 4 repose principalement sur la réglementation locale. De fait, les principes de comptabilité peuvent être très différents entre pays et ne sont pas toujours cohérents avec les principes des autres normes IFRS (l’un des objectifs annoncés par l’IASB est d’avoir un corpus complet de normes comptables cohérentes entre elles). Un même type de contrat d’assurance peut ainsi être comptabilisé différemment entre différentes compagnies, ou même au sein du même groupe si ceux-ci ont été souscrits dans des pays différents.

L’un des intérêts attendu par cette réforme est la réduction du coût de financement sur les marchés financiers pour les assureurs à travers la diminution de ce que l’on appelle la « prime d’opacité ». Cette prime correspond à un surcoût de financement dû à la complexité actuelle de comparer les états financiers entre assureurs, et l’opacité relative de ces états financiers par rapport à d’autres industries. Néanmoins, il faut noter que cela ne risque de se produire qu’à moyen terme, le temps que les analystes financiers puissent prendre en main les changements introduits par cette nouvelle réglementation[6].

Cadre

IFRS 17 s’applique aux sociétés soumises aux normes IFRS, ce qui concerne la majorité des pays dans le monde, malgré des exceptions majeures comme les Etats-Unis ou la Chine[7]. De plus, certains types de société, comme les mutuelles en France, ne sont pas concernés. Néanmoins, la quasi-totalité des principaux assureurs mondiaux sont concernés. En tout, l’IASB estime qu’environ 450 assureurs et réassureurs cotés dans le monde appliquent ces normes, représentant 13 000 milliards de dollars d’actifs[8], soit environ l’équivalent du PIB de la Chine[9]. Cette réforme représente donc un enjeu majeur pour le secteur de l’assurance.

Cette norme s’applique aux :

  • Contrats d’assurance et de réassurance émis ;
  • Contrats de réassurance détenus ;
  • Contrats d’investissement avec des participations aux bonus discrétionnaires si l’entité vend également des contrats d’assurance (ceci concerne les contrats d’assurance vie).

Elle ne s’applique qu’au passif des sociétés d’assurance représentant leurs obligations liées aux contrats d’assurance. IFRS 17 est lié également à d’autres normes IFRS, en particulier avec IFRS 9 sur les instruments financiers. Les assureurs ont d’ailleurs obtenu de pouvoir appliquer IFRS 9 plus tard que les autres entreprises dans le but d’avoir une entrée en vigueur simultanée avec IFRS 17 pour permettre une meilleure cohérence actif-passif au bilan.

Grands principes de IFRS 17

IFRS 17 repose sur de nombreux principes qu’il serait trop long et fastidieux d’évoquer ici en détail. Nous allons néanmoins présenter brièvement les principaux. Si ceux-ci peuvent faire l’objet d’une interprétation différente par les entreprises sur certains aspects, les grands principes énoncés ci-dessous restent communs.

Evaluation des passifs en valeur de marché

Les passifs d’assurance devront être mesurés en valeur de marché, en estimant la valeur actuelle des cash-flows futurs attendus. Actuellement certains assureurs utilisent parfois les informations à la date de la signature du contrat pour évaluer le passif du contrat d’assurance, et ce même 10 ans après la signature. Ils devront désormais également refléter la valeur temps de l’argent dans l’estimation des flux financiers (primes, sinistres, frais, commissions, …).

Pas de Reconnaissance des profits tant que les services ne sont pas fournis

IFRS 17 introduit une nouvelle provision appelée CSM (marge de service contractuelle) correspondant aux profits futurs. Cette provision est ensuite relâchée progressivement au long de la vie du contrat pour lisser les revenus. Actuellement, en fonction des pays les profits peuvent être reconnus au moment où interviennent effectivement les flux financiers. Ainsi, si nous prenons l’exemple d’un contrat de 5 ans avec une prime unique payée par l’assuré à la signature du contrat, l’intégralité des profits peut être totalement reconnue dès le début du contrat. Désormais, ces profits seront toujours répartis sur la totalité de la durée du contrat pour assurer une meilleure cohérence avec les services fournis au cours du temps. Ce changement va entrainer une stabilité accrue des profits d’une année à l’autre dans les états financiers.

Présentation des résultats dans les états financiers : transparence accrue et cohérence avec les états financiers des autres industries

Sous IFRS 17, les sociétés concernées vont faire face à des obligations accrues en terme d’information à fournir sur la source des profits (ex : séparation des revenus assurantiels et des revenus financiers, profits reconnus vs profits futurs, …). De plus, ces informations seront désormais harmonisées avec celles demandées par les autres normes IFRS, permettant une compréhension plus aisée pour les analystes financiers.

Impacts clefs de IFRS 17

Granularité des données

La mise en place de IFRS 17 nécessite une granularité et un détail accru des données, ainsi que de conserver les hypothèses utilisées (actuarielles et économiques) à la date du début de chaque contrat d’assurance.

Les processus d’arrêté comptable et de budget doivent dès lors être entièrement revus d’un point de vue IT pour prendre en compte cette augmentation importante de données à manipuler et à conserver. Les outils actuels peuvent ne pas être suffisants pour l’augmentation du flux de données.

Cela représente néanmoins une opportunité pour les assureurs pour améliorer la qualité de leurs données[10] et la connaissance de leur business, et ainsi permettre une meilleure prise de décisions[11].

Efficacité opérationnelle

La complexité accrue de la production des états financiers va impacter les processus et le temps de production. Les assureurs vont devoir améliorer l’efficacité et le contrôle de leur processus interne de production des états financiers de bout en bout pour s’assurer d’être en capacité de respecter les délais de publication et la qualité requise.

Refonte des processus et impact sur le personnel

IFRS 17 pousse les sociétés à changer leur organisation interne pour permettre, et inciter à une plus grande collaboration entre les services, en particulier les actuaires et les comptables, du fait de l’accroissement de leurs interdépendances. Ces changements pourraient même aider à l’avenir à améliorer la façon dont ces entreprises sont gérées grâce à une meilleure communication entre les différents services. Cela nourrit également un besoin accru en personnel qualifié. 

Difficultés potentielles rencontrées lors de l’implémentation

La mise en place d’IFRS 17 n’est pas aisée et se révèle assez coûteuse pour les sociétés. Elle nécessite la conduite de projets importants impliquant de nombreuses personnes et le recours parfois important à des ressources externes à l’entreprise. Plus d’un tiers des assureurs estiment devoir dépenser plus de €50m pour l’implémentation[12]. Ce coût est en grande partie dû au besoin d’améliorer les systèmes informatiques, en particulier pour les entreprises dotées de très anciens systèmes, et le nombre de personnes mobilisées.

Ainsi, par exemple, le programme de mise en place de IFRS 17 pour certains assureurs peut représenter plusieurs centaines de personnes à temps plein à travers le monde pendant plusieurs années. Des programmes d’une telle ampleur en terme de ressources soulèvent plusieurs difficultés :

  • Le manque de personnes en interne, ce qui nécessite un recours important à des prestataires externes ;
  • Des impacts potentiels sur les autres activités et projets des entreprises du fait du nombre de personnes impliquées sur le programme IFRS 17 ;
  • Des problèmes de communication pour diffuser les informations aux personnes travaillant sur ces projets. Cette difficulté est exacerbée par le fait que ces projets nécessitent la mise en place d’organisations ad hoc, évoluant avec l’avancée du projet et la rotation potentielle des personnes impliquées.

Les difficultés rencontrées peuvent également être différentes en fonction des zones géographiques ou pays. Les assureurs européens viennent juste de finir de mettre en place Solvabilité II (1er janvier 2016). Cette réglementation européenne avait déjà nécessité des coûts importants, nous pouvons imaginer, et déjà constater que les assureurs en Europe ne sont guère enthousiastes à l’idée de se lancer de nouveau dans un projet majeur de transformation de l’entreprise. Ainsi, en Europe les assureurs tendent à vouloir s’appuyer au maximum sur les infrastructures et processus mis en place pour Solvabilité II, au contraire des assureurs dans d’autres parties du monde qui doivent de leur côté « commencer de zéro », et parfois de très loin tant leurs normes locales sont éloignées de IFRS 17.

Dans certains pays, l’une des difficultés est la faible liquidité de la monnaie. IFRS 17 nécessite d’actualiser les flux futurs pour estimer la valeur des passifs d’assurance, ce qui requiert de disposer d’une courbe des taux à un horizon long (pouvant aller jusqu’à plus de 100 ans). Or, lorsqu’une monnaie n’est pas assez liquide sur les marchés, les données sont insuffisantes pour permettre la construction de scénarios économiques (e.g. les données de marchés ne permettent pas d’avoir une courbe des taux jusqu’à 10 ans). Les entreprises doivent alors recourir à diverses approximations.

En lien avec lien avec les scénarios économiques, l’estimation de la valeur temps des options et garanties (TVOG) via des calculs stochastiques n’était pas réalisée partout auparavant, y compris dans des pays développés comme la Corée du Sud. Un tel changement nécessite de revoir et d’améliorer à la fois des outils, des données et des processus de production. Par exemple, l’un des enjeux de la réalisation de calculs stochastiques est l’augmentation du temps de calcul par les outils actuariels ; ce temps doit être pris correctement en compte pour s’assurer que les états financiers puissent être produits dans le temps requis par la norme.

Autre point représentant un défi important pour les assureurs, la transition entre l’ancienne et la nouvelle norme pour les contrats déjà existants. Or, l’ensemble des données supplémentaires nécessaires à son application (en particulier les hypothèses à la date d’émission du contrat d’assurance) ne sont pas forcément disponibles pour les anciens contrats. Si IFRS 17 permet d’utiliser des approximations en cas de non possibilité d’appliquer la norme pour cause de données manquantes, la transition reste difficile et nécessite la création de chantiers dédiés.

De nombreuses autres difficultés peuvent exister, certaines communes à tous (par exemple l’interprétation de certaines parties de la norme), d’autres spécifiques à des pays (telle une obligation locale supplémentaire imposée par le régulateur), à une entreprise (avec des calculs différents entre une entité locale et le groupe), ou à un type de produit (à l’exemple des takaful[13]). Il convient aux différentes parties prenantes de comprendre la spécificité de chaque situation et de s’adapter pour suivre l’esprit de la norme et ses principes énoncés.

Conclusion

L’impact exact d’IFRS 17 sur le secteur de l’assurance est incertain et un bilan ne pourra être fait avant plusieurs années. Un temps sera nécessaire après sa mise en œuvre pour analyser ses effets sur la communication financière, l’accès aux capitaux et la valorisation des entreprises d’assurance et de réassurance.

Les différences d’interprétation de la norme entre les sociétés seront-elles suffisamment faibles, ou claires (via la communication des méthodologies par les entreprises), pour éviter de nourrir des doutes chez les investisseurs ? Ces différences seront-elles propres à chaque entreprise ou verra-t-on des différences géographiques dans les interprétations ? Il est possible que les marchés assurantiels dits « matures » (Australie, Canada, Europe, Japon, …) et les marchés en forte croissance (Asie du Sud-Est par exemple) aboutissent à des différences d’interprétations car les entreprises d’assurance et de réassurance n’ont pas les mêmes problématiques en fonction des pays.

 


[1] Initialement prévu au 1er janvier 2021, la date a été décalée une première fois au 1er janvier 2022, puis au 1er janvier 2023 suite à l’amendement voté par l’IASB le 25 juin 2020

[2] International Accounting Standards Board – Comité des normes comptables internationales

[3] International Financial Reporting Standards

[4] Règlement (CE) n°1606/2002

[5] Nous parlerons uniquement d’assureurs dans le restant de l’article, mais cette norme s’applique également aux réassureurs (« les assureurs des assureurs »)

[6] https://www.insurancebusinessmag.com/uk/news/breaking-news/what-ifrs-17-could-mean-for-european-insurers-cost-of-capital-90723.aspx

[7] La Chine a annoncé vouloir faire converger ses normes locales vers les normes IFRS (https://www.ifrs.org/use-around-the-world/use-of-ifrs-standards-by-jurisdiction/china/)

[8] https://www.ifrs.org/-/media/project/insurance-contracts/ifrs-standard/ifrs-17-factsheet.pdf

[9] 13,61 trillions en 2018 selon la Banque Mondiale

[10] La mise en œuvre de Solvabilité II (Directive Européenne sur le besoin en fonds propres requis pour les assureurs) au 1er janvier 2016 a déjà entrainé une augmentation de la qualité des données chez les assureurs européens

[11] Une augmentation du volume et de la qualité des données ne peut pas améliorer la prise de décision sans la mise en place de processus adaptés pour les utiliser de manière appropriée

[12] https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/cz/Documents/financial-services/cz-global-ifrs-insurance-survey-2018.pdf

[13] Takaful est un instrument utilisé en finance islamique

Loïc Michel
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