L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) va organiser à Paris[1], du 25 au 27 novembre 2025, les Journées de méthodologie statistique de l’Insee (JMS). Ce sera la 15ème édition de cette manifestation, dont la première a eu lieu en mars 1991 : plus de 34 ans se sont écoulés, au cours desquels les spécialistes et praticiens de la méthodologie statistique se sont réunis régulièrement pour exposer leurs travaux et leurs innovations, confronter leurs idées, suggérer et discuter de nouvelles méthodes d’exploitation et de traitement, de conception et de production, de modélisation et de prévision, de protection et de diffusion des données statistiques.

Les JMS permettent de faire connaître des travaux novateurs et d’en assurer la diffusion. Elles ont aussi une ambition pédagogique qui vise à ce que les auditeurs trouvent matière à mettre en œuvre dans leurs propres travaux les techniques exposées.

Cette manifestation concerne les diverses composantes de l’activité du service statistique public : enquêtes et opérations statistiques sur les ménages ou sur les entreprises, démographie et travaux sur le recensement, méthodes statistiques pour le traitement des données (apprentissage, analyse des données, économétrie…), qualité des processus de collecte, techniques spécifiques aux données d’intérêt régional ou local, analyse des séries temporelles, … Mais elles ne concernent pas et n’intéressent pas que les statisticiens publics. Les JMS sont devenues au fil du temps un lieu d’échanges attendu et très apprécié, où se retrouve un public diversifié, au sein du service statistique public ou à sa périphérie, ouvert au monde de l’enseignement et de la recherche, au secteur privé, ainsi qu’aux collègues statisticiens de l’étranger. De plus, l’évolution des thématiques abordées reflète la richesse de la méthodologie face aux nouveaux défis de la statistique.

Origine et création

Les JMS ont été créées en 1991 à l’initiative de Jean-Claude Deville (Ensae 68), avec la collaboration de Dominique Ladiray (Ensae 85) et Olivier Sautory (Ensae 80).

Jean-Claude Deville (1944 – 2021) a été pendant de longues années enseignant à l’Ensae (mathématiques, processus aléatoires du second ordre, sondages approfondis, …). Sa carrière à l’Insee l’a mené de la démographie aux échantillonnages issus des recensements de la population, à la paternité du recensement rénové de la population (annuel, par échantillonnage) puis à la direction de l’Unité Méthodes statistiques de l’Insee et à la responsabilité du laboratoire de statistique d’enquêtes au Crest-Ensai à Bruz.

Pour comprendre ses motivations et ses objectifs au lancement des JMS, on peut reprendre les termes de l’introduction qu’il en a faite en 1991, qui figure dans les Actes de cette première édition.

« Le premier pari de ces Journées était de donner une [expression] concrète de [la] communauté [des statisticiens] en la rassemblant dans un même lieu pendant deux jours.

Le second pari est de faire sentir aux « statisticiens praticiens » que les méthodes de la statistique sont utiles pour faire de la statistique.

Le troisième pari était de monter une manifestation de niveau scientifique élevé, quitte à mettre la barre un peu haute pour une partie du public ».

Il partait du constat que beaucoup de personnes à l’Insee ou dans les services statistiques ministériels faisaient des travaux méthodologiques, à l’occasion des tâches de production, d’analyse ou de diffusion qui constituaient le contenu principal de leurs missions, mais sans organisation fédératrice et avec peu d’occasions de se rassembler et d’échanger entre eux. Il s’était aussi fortement inspiré, pour la création des JMS, de l’organisation des symposiums annuels de Statistique Canada.

Histoire et développement

À leurs débuts, les JMS étaient une manifestation presque confidentielle. Elles se tenaient dans un amphithéâtre de l’Ensae, alors installée à Malakoff. L’organisation initiale confinait beaucoup à l’artisanal : l’équipe organisatrice était limitée à Jean-Claude Deville, sa secrétaire et quelques cadres de sa division, les inscriptions étaient manuelles à l’aide d’un bordereau papier. La première édition en 1991 ne comportait que 20 papiers, émanant d’intervenants sollicités intuitu personae et a accueilli une centaine de participants.

L’augmentation du nombre d’inscrits a ensuite rendu nécessaire la mobilisation d’un second amphithéâtre avec une retransmission télévisuelle entre les deux.

De 1991 à 1998, les JMS se sont tenues à un rythme à peu près annuel. À partir de l’année 2000, elles sont passées à un rythme quasi-triennal : décembre 2000, décembre 2002, mars 2005, mars 2009, janvier 2012, mars-avril 2015, juin 2018, mars 2022 et bientôt novembre 2025. Il ne faut pas y voir une raréfaction, mais au contraire une forte croissance : la première édition des 13 et 14 mars 1991 a accueilli 160 personnes. Le nombre d’inscrits a dépassé les 700 en 2015. La dernière édition qui s’est déroulée du 29 au 31 mars 2022 a enregistré environ 860 inscriptions.

Une modernisation permanente au service d’un public de plus en plus nombreux

Un changement d’échelle important s’est manifesté quand les amphithéâtres de l’Ensae se sont révélés insuffisants pour accueillir tous les participants : en 1998, les JMS ont ainsi été accueillies au prestigieux Centre de Conférences Pierre Mendès-France du Ministère de l’Economie à Bercy. Toutefois, les aléas de l’occupation ministérielle des salles à Bercy les ont contraintes à émigrer vers divers autres lieux à partir de 2005.

À partir de l’année 2000, les orateurs n’ont plus été recrutés sur invitation mais ont été sélectionnés à partir d’un appel à contributions et validés par un Comité scientifique (renouvelé chaque année), constitué de différents représentants du service statistique public, de la Société française de statistique (SFDS) ou du milieu universitaire.

Parallèlement, le nombre de communications, qui était de l’ordre de la vingtaine jusqu’alors, a crû progressivement pour atteindre ou dépasser la centaine (avec 247 auteurs en 2022).

À partir de 2005, la durée des JMS, limitée jusqu’alors à 2 jours, a été portée à 2,5 jours, tandis que des sessions en parallèle (2, puis 3 à partir de 2009) étaient mises en place. De plus, dès 2000, des communications « associées », c’est-à-dire écrites, dûment inscrites dans le programme et archivées dans les Actes, mais sans présentation orale, ont été instituées pour faire face à l’accroissement du nombre de communications proposées.

Le champ des intervenants et des inscrits s’est élargi aux statisticiens des services statistiques ministériels, et plus généralement des organismes publics assurant la production de données économiques et sociales. Des membres du Genes[2], des universitaires, des chercheurs sont également intervenus aux JMS, ainsi que des statisticiens du secteur privé. Une ouverture, certes modeste, à l’international a permis d’accueillir aussi des statisticiens étrangers, principalement francophones.

Un site internet a été mis en place en 2002, à la fois pour gérer le processus d’inscription, publiciser le programme et permettre aux inscrits d’accéder aux documents supports des communications. Ce site a été modernisé à plusieurs reprises et joue un rôle essentiel (cf. infra).

L’édition 2022 a été l’une des toutes premières manifestations du domaine à se tenir après la pandémie de la Covid-19, si l’on excepte le colloque francophone sur les sondages de la SFDS organisé à Bruxelles en octobre 2021. Cette occasion d’une nouvelle rencontre entre praticiens et spécialistes, après des mois d’isolement, de confinement et de contacts virtuels, a été richement appréciée.

Cette édition 2022 a été aussi la première sans Jean-Claude Deville, malheureusement disparu en octobre 2021. Ironie de l’histoire, n’y eût-il eu cette pandémie, il aurait sans doute pu participer aux JMS, prévues initialement en mars 2021, pour célébrer leur trentième anniversaire. Ce fut l’occasion d’un hommage appuyé et émouvant à l’œuvre de Jean-Claude Deville et à l’homme (entier) qu’il était, de la part de ses proches collaborateurs et de tous ceux qui avaient travaillé à ses côtés, soit sous sa direction à l’Insee, soit dans les travaux de recherche qu’il a réalisés avec de nombreux collègues français ou étrangers.

Crise de la Covid oblige, c’est la première fois que les JMS ont été retransmises en visio-conférence. C’était un enjeu et un défi majeur à une époque où la plupart des communications ou réunions avaient déjà lieu depuis deux ans en « distanciel ». L’organisation en mode Webinaire, avec possibilité de basculer d’une session à l’autre, était plus compliquée qu’une simple réunion. Le colloque s’est donc tenu « en présentiel avec possibilités d’accès en visio-conférence ». Quelques orateurs lointains ou empêchés ont pu, grâce à la retransmission, faire leurs communications à distance.

L’édition 2025 des JMS, dans la lignée des acquis techniques des précédentes, innovera en proposant une série de trois formations courtes (une masterclass et deux ateliers), respectivement sur les thèmes de l’apprentissage statistique, de la collecte multimode, et de la confidentialité des données, qui auront lieu avant le cycle de conférences. Compte tenu du nombre de communications proposées, une autre innovation sera d’en retenir un certain nombre pour une présentation orale limitée à 3 minutes.

Évolution des thématiques

Une vision stéréoscopique des programmes des différentes éditions donne une idée de l’évolution des thématiques traitées, qui reflètent évidemment les préoccupations statistiques de chaque époque mais aussi les besoins nouveaux ou émergents, tandis que d’autres sujets traditionnels, sans qu’on puisse prétendre que tout avait été dit à leur sujet, semblaient moins susceptibles de nouveaux développements.

L’édition 1991 ne proposait que 5 sessions : échantillonnages complexes, précision des données issues d’enquêtes complexes, méthodologie des indices, amélioration d’estimateurs, estimations localisées, ainsi qu’une table ronde sur les problèmes méthodologiques en région. Trois grands noms de la statistique d’enquêtes internationale : Michel Hidiroglou, Pierre Lavallée et Carl-Erick Särndal y avaient été invités.

Au cours de la dernière décennie, on a vu émerger de nouveaux thèmes structurants. À côté de thèmes plus traditionnels de la statistique (sondages, pondérations, non-réponse), ont émergé des sujets dont la place s’accroît depuis plusieurs années : données administratives, utilisation conjointe de sources de données, appariements, données massives, intelligence artificielle, machine learning, … De nombreuses études d’économétrie appliquée et d’évaluation des politiques publiques illustrent aussi le pont nécessaire entre la théorie et la pratique : les données servent à la connaissance et à l’action publique. De plus, il faut optimiser la qualité des données sur tous les plans (collecte, d’où le développement du multimode, traitement, analyse) : dans ces domaines, la théorie donne des guides, les échanges internationaux entre collègues conduisent à identifier les bonnes pratiques et, en retour, les données suscitent des réflexions relativement à la manière de les traiter et de les comprendre.

Cette interaction entre théorie et utilisation des données s’est accrue grâce à l’ouverture croissante de l’accès des données aux chercheurs, soit au centre Quetelet-Progedo, soit dans un processus sécurisé et très encadré comme l’est le CASD (Centre d’accès sécurisé aux données), organisation d’excellence française. En même temps, le cadre juridique du traitement des données, la confidentialité, sont des sujets d’importance croissante. Des sujets ont traité de l’actualité brûlante en 2022 : l’impact de la Covid, soit qu’elle ait suscité des enquêtes nouvelles ou l’adaptation de l’appareil statistique, soit qu’elle ait rendu nécessaire d’en mesurer les effets.

L’édition 2025 voit apparaître l’intelligence artificielle (IA) qui fera l’objet d’une conférence inaugurale, assurée par Christine Choirat (Office Fédéral de la Statistique et Université de Genève) : « Statistique et Intelligence Artificielle (IA) : et si l’on remettait la décision au centre ? ». Le colloque s’achèvera par une table ronde consacrée à la question « Maintenir la confiance des utilisateurs des données de statistique publique » et présidée par le Président du Conseil national de l’information statistique (Cnis). Le reste du programme se partage en 33 sessions.

Un outil de capitalisation de la connaissance

Jusqu’à l’édition de 2000, les JMS donnaient lieu à une publication des papiers présentés dans les Collections de l’Insee. Depuis 2002, ce sont les versions numériques des papiers qui sont conservées. Mais grâce à la ténacité de Jean-Michel Souquet (1962 – 2009), l’ensemble des Actes papiers de 1991 à 2000 ont été scannés.

Les JMS sont ainsi le vecteur d’une sédimentation des savoirs et des connaissances, qui constitue une

capitalisation de la méthodologie au point d’en faire un corpus de doctrine cohérent. Elles permettent aussi une matérialisation de ce savoir qui trouve son appui dans le site Internet des JMS : jms-insee.fr.

Le site constitue ainsi une base d’archives documentaires de tous les papiers présentés depuis la création des JMS en 1991 : très riche et unique bibliothèque des travaux méthodologiques menés depuis près de 35 ans. Tout l’historique des sessions depuis la première, y figure, avec les papiers et, pour les éditions les plus récentes, les résumés et les diaporamas de présentation. Une procédure de recherche textuelle permet de retrouver rapidement tel ou tel article ou auteur.

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Image du service public, les JMS sont libres de tout droit d’inscription. Elles sont réalisées avec le soutien de différents organismes publics : l’Insee, les services statistiques ministériels, le Groupe des écoles nationales d’économie et statistique (Genes), la Banque de France, France-Travail, l’Ined.

Les personnes intéressées par l’édition à venir de 2025 – que ce soit en présentiel ou pour assister à certaines communications en distanciel – sont invitées à s’inscrire sur le site internet, qui indique également toutes les modalités pratiques de participation et donne accès au programme détaillé et à  l’historique.

Pascal Ardilly (Ensae 86) et Dominique Francoz (Ensae 92) ont repris les rênes de l’organisation des JMS pour cette édition de novembre 2025. Qu’ils en soient ici remerciés pour la qualité certaine du colloque à venir, ainsi que tous les contributeurs pour l’excellence de leurs travaux et la satisfaction du public !

 

[1] Centre international de conférences de Sorbonne Université, campus Pierre et marie Curie, 4, place Jussieu.  

[2] Groupe des écoles nationales d’économie et statistique.


Bibliographie

Sautory, O., « Trois décennies de JMS », 14èmes Journées de méthodologie statistique de l’Insee, mars 2022.     

Marc Christine
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