Variances : tu es diplĂŽmĂ©e de l’Ecole Polytechnique et de l’ENSAE, peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours acadĂ©mique ? Pourquoi avoir rejoint le corps des INSEE ?

D’abord le choix de la fonction publique : fille de fonctionnaires, j’ai souhaitĂ© moi aussi travailler pour l’Etat. Quant au corps des Administrateurs de l’INSEE : je savais ce que c’était que la statistique et l’économie quantitative et j’avais une certaine appĂ©tence pour ces matiĂšres.

Variances : une fois diplĂŽmĂ©e, tu choisis un premier poste Ă  l’ENSAE en tant qu’assistante d’enseignement en Ă©conomie. DĂ©jĂ  l’envie de rester proche des Ă©lĂšves et de les aider Ă  mener Ă  bien leurs Ă©tudes ?

En fait, l’envie de rester proche des Ă©lĂšves est venue pendant ce poste. Ce qui m’a amenĂ© Ă  choisir ce poste, c’est avant tout le goĂ»t de transmettre et d’enseigner. Et je n’ai pas Ă©tĂ© déçue ! Il faut aussi y voir une volontĂ© de ma part d’approfondir certaines thĂ©matiques Ă©conomique.

Variances : tu as occupĂ© 3 postes sur l’environnement. D’abord Ă  l’INSEE de 1991 Ă  1994 en tant que chargĂ©e d’études Ă©conomiques sur l’environnement, puis Ă  Bercy de 1998 Ă  2000 en tant que chef du bureau Agriculture et environnement et enfin au ministĂšre en charge de l’écologie, de 2000 Ă  2004, en tant que sous-directrice de l’Environnement, des rĂ©gulations Ă©conomiques et du dĂ©veloppement durable. C’est donc un sujet qui te tient particuliĂšrement Ă  cƓur ?

Effectivement, ce n’est pas un hasard car j’ai pu choisir mon sujet d’études en arrivant Ă  l’INSEE en 1991. Et j’ai choisi l’environnement car les thĂšses soutenues par les partis Ă©cologistes commençaient Ă  se faire entendre et le sujet m’intĂ©ressait. Je me suis aperçue trĂšs vite de l’étendue du sujet, et j’ai Ă©galement pu revenir aux fondamentaux de la microĂ©conomie. Je me suis rendue compte qu’à l’époque, aussi bien chez les verts, qu’au ministĂšre en charge de l’écologie, on ne faisait pas d’économie spontanĂ©ment, une vrai terre d’évangĂ©lisation pour les Ă©conomistes donc. La tĂąche de travail a Ă©tĂ© immense : le protocole de Kyoto n’existait pas encore, mais on parlait dĂ©jĂ  de marchĂ©s de droits Ă  polluer dans certaines parties des Etats-Unis et leur marchĂ© fonctionnait bien.

Je me suis rendue compte qu’à l’époque, aussi bien chez les verts, qu’au ministĂšre en charge de l’écologie, on ne faisait pas d’économie spontanĂ©ment

En 1998, j’ai rejoint la direction de la PrĂ©vision au ministĂšre en charge de l’économie et il a fallu expliquer aux responsables politiques français (Dominique Voynet, alors ministre de l’environnement) les impacts de la signature du protocole de Kyoto par la France. Pour la petite histoire, j’ai aussi eu l’occasion de travailler avec Nathalie Kosciusko-Morizet puisqu’elle faisait partie de mon Ă©quipe. Une femme douĂ©e, sĂ©rieuse, et dĂ©jĂ  trĂšs politique.

A l’étĂ© 1998, j’ai aidĂ© l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’INSEE dans le cadre d’une mission sur la nĂ©cessitĂ© d’installer des Ă©conomistes au ministĂšre de l’environnement. A cette Ă©poque, je connaissais plus le monde de l’économie de l’environnement que n’importe qui Ă  l’INSEE. Et en 2000, le ministĂšre de l’environnement a justement souhaitĂ© mettre en application les recommandations de notre mission d’inspection en crĂ©ant une direction en charge des thĂ©matiques Ă©conomiques, c’est donc naturellement que j’ai Ă©tĂ© appelĂ©e Ă  rejoindre ce ministĂšre.

Variances : Dans le dernier portait Variances, Philippe CunĂ©o nous parlait de son expĂ©rience Ă  la direction des Ă©tudes puis Ă  la direction de l’ENSAE. Peux-tu Ă©galement nous raconter ces deux postes que tu as occupĂ©s ? Est-ce que cela a Ă©tĂ© difficile d’introduire l’ENSAE dans le rĂ©seau Paristech ? Dans l’Ecole d’économie de Paris ?

J’ai souhaitĂ© prolonger le travail de mon prĂ©dĂ©cesseur, c’est ainsi que les doubles diplĂŽmes ENSAE/HEC et ENSAE/ESSEC ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s, et que l’ENSAE a rejoint la fondation du risque (une ouverture nĂ©cessaire Ă  l’amĂ©lioration du financement de nos chercheurs)

Pas vraiment car la machine Ă©tait dĂ©jĂ  largement enclenchĂ©e Ă  mon arrivĂ©e grĂące Ă  mon prĂ©dĂ©cesseur StĂ©phane Lollivier qui a eu l’intuition que nous associer Ă  d’autres Ă©coles serait bĂ©nĂ©fique. L’ENSAE faisait donc dĂ©jĂ  partie de Paristech, qui Ă©tait alors un « club » de directeurs d’écoles. Mais quand Paristech s’est transformĂ© et que c’est devenu un Ă©tablissement public, lĂ  ça a Ă©tĂ© compliquĂ© de rester parce que l’ENSAE Ă©tait un service de l’INSEE et n’avait pas de personnalitĂ© morale
 Un dĂ©tail juridique qui a bien failli nous coĂ»ter notre ticket dans cette aventure ! J’ai souhaitĂ© prolonger le travail de mon prĂ©dĂ©cesseur, c’est ainsi que les doubles diplĂŽmes ENSAE/HEC et ENSAE/ESSEC ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s, et que l’ENSAE a rejoint la fondation du risque (une ouverture nĂ©cessaire Ă  l’amĂ©lioration du financement de nos chercheurs).

Sur l’Ecole d’économie de Paris : le sujet a suscitĂ© beaucoup d’émotions chez les anciens. Au dĂ©but l’ENSAE n’en faisait pas forcĂ©ment partie, et cette Ă©cole s’est crĂ©Ă©e au moment oĂč on commençait Ă  envisager la possibilitĂ© de rejoindre le plateau de Saclay. Or l’Ecole d’économie de Paris nous a rapidement fait comprendre qu’il serait impossible de nous associer Ă  eux si nous partions pour Saclay et nous a mĂȘme proposĂ© d’aller nous installer sur leur parking Ă  Boulevard Jourdan


Nous avons finalement rĂ©ussi Ă  trouver un Ă©quilibre et avons Ă©galement fait le choix de partir pour Saclay en 2006. Beaucoup de professeurs et d’anciens ont estimĂ© que notre place Ă©tait auprĂšs d’écoles complĂ©mentaires auxquelles nous pourrions proposer des enseignements qu’elles ne dispensaient pas forcĂ©ment. Je me souviens encore des propos du directeur gĂ©nĂ©ral de l’INSEE Jean Michel Charpin qui nous a dit en substance « ce n’est pas du tout la vision que j’avais mais je vous suivrai si c’est la dĂ©cision du conseil d’administration». J’ai encore aujourd’hui beaucoup de respect pour cette façon de suivre le collectif. Il a d’ailleurs tenu parole et s’est tournĂ© vers Bercy pour obtenir le financement nĂ©cessaire Ă  la construction d’un nouveau bĂątiment.

Nous avons donc pris des dĂ©cisions trĂšs importantes pendant cette pĂ©riode, et seul le futur pourra nous dire si nous avions raison.  Il y a bien sur des inquiĂ©tudes sur les conditions matĂ©rielles des Ă©tudiants, notamment sur la cantine et sur le logement. Sur les transports en commun, il faudra Ă©galement ĂȘtre encore un peu patient. Mais sur la possibilitĂ© d’avoir accĂšs Ă  d’autres disciplines, l’objectif me semble atteint avec succĂšs, la scolaritĂ© Ă  l’ENSAE sera Ă  l’avenir beaucoup plus ouverte, stimulante et enrichissante.

Variances : quel conseil de l’ancienne directrice que tu es aux futurs Ă©lĂšves et personnels de l’ENSAE sur le campus de Paris Saclay ?

Profitez du campus, vous ĂȘtes Ă  cĂŽtĂ© d’autre Ă©coles qui ont Ă©galement des professeurs fabuleux, profitez-en pour vous ouvrir Ă  d’autres cultures et Ă  un environnement intellectuellement riche. Une vraie vie d’école sera enfin possible sur ce campus, ce que ne permet pas le bĂątiment actuel qui ferme Ă  20h. C’est ce qui manquait Ă  l’ENSAE pour ĂȘtre une vraie grande Ă©cole.

Saclay c’est la chance d’ĂȘtre dans un environnement favorable et dans des conditions normales pour les Ă©tudiants d’une grande Ă©cole. Je fais le pari que dans 5 ans, on parlera d’une Ă©norme rĂ©ussite.

Saclay c’est la chance d’ĂȘtre dans un environnement favorable et dans des conditions normales pour les Ă©tudiants d’une grande Ă©cole. Je fais le pari que dans 5 ans, on parlera d’une Ă©norme rĂ©ussite 

C’est un vrai dĂ©fi de faire monter en compĂ©tences les ministĂšres qui ne font pas forcĂ©ment d’économie en se demandant par exemple « finalement, pourquoi est-ce que le contribuable paie pour construire des prisons ? »

Comme ce qui s’est passĂ© pour le ministĂšre de l’écologie, j’ai participĂ© Ă  une mission sur le CGI depuis l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’INSEE. Notre mission s’interrogeait sur la possibilitĂ© de confier au CGI la rĂ©alisation d’une Ă©valuation socioĂ©conomique des projets d’investissements, avec contre-expertise pour les plus grands projets ; et on m’a finalement demandĂ© de rejoindre le CGI pour mettre en Ɠuvre les recommandations de la mission.

Mon travail est passionnant parce qu’on apprend l’économie Ă  des ministĂšres qui n’en ont jamais fait. Je viens de recevoir un dossier qui s’appelle « évaluation socioĂ©conomique » pour une prison et il n’y a rien d’économique dedans ! Donc on organise des contre expertises, j’envoie des experts pour expliquer ce que les ministĂšres peuvent faire. C’est un peu le retour en terre d’évangĂ©lisation 

et c’est un vrai dĂ©fi de faire monter en compĂ©tences les ministĂšres qui ne font pas forcĂ©ment d’économie en se demandant par exemple « finalement, pourquoi est-ce que le contribuable paie pour construire des prisons ? ». C’est un mĂ©tier qui ne me rend pas forcĂ©ment populaire, car j’impose des contre expertises indĂ©pendantes. Le dĂ©cret qui dĂ©crit notre activitĂ© Ă©voque une Ă©valuation triennale de la direction, j’ai donc demandĂ© en 2016 Ă  l’Inspection gĂ©nĂ©rale des finances (IGF) de venir nous auditer. Cela a Ă©tĂ© une vraie remise en question : est-ce qu’on continue de progresser dans la bonne direction ? Est-ce qu’il vaut mieux tout arrĂȘter ? Finalement le rapport de l’IGF publiĂ© en dĂ©cembre dernier a largement validĂ© nos mĂ©thodes et nous a donnĂ© la pĂȘche pour continuer.

Variances : quel contexte particulier en cette pĂ©riode d’élections ?

Beaucoup considĂšrent qu’en pĂ©riode d’élections « tout va s’arrĂȘter ». Et bien non ! Actuellement, nous rĂ©alisons l’audit d’une prison, de deux universitĂ©s et d’une gare. MalgrĂ© la pĂ©riode de rĂ©serve qui dĂ©marre pour les fonctionnaires, rien ne nous empĂȘche de faire murir nos projets. Et dans la mesure oĂč ce qu’on fait est essentiellement technique, nos activitĂ©s peuvent continuer.

Sur les programmes d’investissements d’avenir (PIA), le 3iĂšme volet du PIA a Ă©tĂ© votĂ©. Et le rapport rĂ©cent de l’IGF nous laisse confiants pour la suite. Une des conclusions de ce rapport Ă©tait d’ailleurs qu’il faut renforcer les effectifs de ma direction, malheureusement cela n’a pas encore Ă©tĂ© mis en Ɠuvre. Le CGI est souvent considĂ©rĂ© comme un organisme richissime car nous distribuons, avec les PIA, de grosses sommes d’argent. Mais en pratique, nous sommes une petite Ă©quipe de 30 personnes ! Pour la plupart de nos missions de contre-expertise, nous embauchons des consultants issus de l’administration qui travaillent en « free-lance » et que leurs chefs veulent bien mettre Ă  notre disposition pour une dizaine de jours de travail.

Variances : quels sont tes projets pour la suite ? Pourrais-tu rejoindre le privé ?

AprĂšs mon poste de directrice de l’ENSAE, qui a durĂ© 7 ans, j’ai souhaitĂ© me mettre Ă  temps partiel et j’ai rejoint l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’INSEE. Je me vois trĂšs bien y retourner lorsque je quitterai le CGI mais je suis Ă©galement ouverte Ă  d’autres opportunitĂ©s. Je pourrais rejoindre le privĂ© lorsque je prendrai ma retraite. Il se trouve que j’ai failli ne pas pouvoir rejoindre le CGI car je n’avais pas d’expĂ©rience dans le privé : on m’a demandĂ© en arrivant pourquoi je n’avais travaillĂ© que pour le secteur public ! Dans tous les cas, j’envisage la suite avec beaucoup de sĂ©rĂ©nitĂ©.

Si on a le sentiment que ce qu’on fait ne sert Ă  rien, il faut arrĂȘter

Variances : pourrais-tu comme Jean Pisani Ferry, ouvertement rejoindre l’équipe de campagne d’un candidat pour lui apporter ton expertise ?

Je n’ai pas souhaitĂ© le faire jusqu’ici car aucune Ă©quipe ne m’enthousiasmait et je ne suis pas engagĂ©e en politique. J’ai la chance de me sentir utile sur le poste que j’occupe : c’est l’avantage d’un poste opĂ©rationnel oĂč on a des retours et des satisfactions quoi qu’il arrive. Si on a le sentiment que ce qu’on fait ne sert Ă  rien, il faut arrĂȘter.

Ici au CGI, nous avons une petite Ă©quipe, on se connaĂźt tous, les portefeuilles sont variĂ©s et il n’y a pas de lutte sur les pĂ©rimĂštres. La masse de travail est considĂ©rable mais on apprend Ă©normĂ©ment aux cĂŽtĂ©s des commissaires et c’est une chance de pouvoir Ă©voluer Ă  leurs cĂŽtĂ©s.

Variances : plus personnellement, qu’est ce qui est important pour toi ?

Le weekend, je trouve mon Ă©quilibre en confectionnant moi-mĂȘme des objets, je fais des boĂźtes avec du carton et des maedup (nƓuds d’ornementation corĂ©ens faits avec des cordons de soie). C’est ce qui me permet de rester aussi persĂ©vĂ©rante et enthousiaste la semaine.

 

Propos recueillis par Eléonore Trigano (2009)