1. L’intelligence artificielle permet de présélectionner des titres avec un coût marginal faible et une grande robustesse. Elle repose sur la mathématisation des processus de construction de portefeuille: analyse fondamentale et analyse technique.

2. Elle est complémentaire des approches traditionnelles via une gestion Homme + Machine.

3. Elle est difficile à implémenter et à commercialiser car elle repose sur des tradings secrets et non pas sur une propriété intellectuelle brevetable.

L’apport de l’intelligence artificielle ?

Turing est le créateur de l’intelligence artificielle via la machine de Turing. Il a défini l’intelligence artificielle comme la capacité de programmer une machine de manière à ce que son travail soit non identifiable par rapport à celui d’un être humain (« test de Turing »), cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Turing_test.

La recherche quantitative traditionnelle ne remplit pas le test de Turing. Certes, elle est capable d’identifier un groupe d’actions correspondant à une structure financière donnée. Par contre, elle a souvent du mal à s’adapter aux changements de la structure économique et financière (changement de paradigme de marché).

Par opposition, les algorithmes d’intelligence artificielle sont conçus pour s’adapter aux changements de la structure du marché (cycle économique, disruptions technologiques, mondialisation, …). L’intelligence artificielle repose sur le développement d’algorithmes qui vont « traduire » en mathématiques les processus d’analyse des analystes traditionnels. Cette approche est particulièrement efficiente pour deux dimensions fondamentales de la gestion d’actifs :

– identifier les valeurs « GARP » (Growth at Reasonable Price ou valeur de croissance à prix raisonnable) suivant les principes de Warren Buffet, parfois surnommé « le Sage d’Omaha »,

– construire des portefeuilles d’allocation d’actifs.

En gestion actions, l’Intelligence Artificielle apporte une capacité de « radar screening » importante (sélection d’un portefeuille de titres dans un univers d’investissement important)

Le but de l’analyse financière actions est à la fois extrêmement simple à exprimer et complexe à réaliser: comment sélectionner des titres parmi un univers investissable de centaines, voire de milliers de titres. Le but est de converger vers la performance du marché (la frontière efficiente), voire la dépasser.

Pour les investisseurs particuliers, la méthode traditionnelle est avant tout « bottom up » (du bas vers le haut). Elle consiste à identifier des titres via les médias, les réseaux sociaux, le bouche à oreille. Cette approche était justifiée quand la complexité du marché était relativement limitée. Une approche « père de famille » consistait alors à suivre un nombre relativement limité de titres reconnus et porteurs. La création de l’euro et la mondialisation ont considérablement élargi et donc complexifié l’univers investissable. Il est maintenant possible d’investir un PEA dans toute l’Union Européenne, soit des centaines, voire des milliers de titres.

L’intelligence artificielle en gestion actions permet de compléter l’approche traditionnelle en analysant l’ensemble des titres investissables et non pas une pré-sélection forcément moins efficiente.

En allocation d’actifs, l’IA permet de « lire » le langage caché du marché

En allocation d’actifs, l’intelligence artificielle est aussi particulièrement puissante. Elle permet de capter des changements de la structure haussière d’un actif (capacité de cet actif à performer sur le moyen terme) avant même de connaître les nouvelles fondamentales permettant d’expliquer a posteriori ces changements. Ainsi, durant la crise COVID, le consensus des médias, des scientifiques de l’OMS, et des politiciens était que le risque d’explosion de la crise était limité. Or, dès la fin février 2020, nos modèles ont donné des signaux clairs d’un retournement du marché, en se mettant même à 100 % en liquidités début mars. Ceci était particulièrement étonnant car normalement, une baisse du marché actions se traduit par un retour vers les obligations. Or, en 2020, pour la première fois depuis très longtemps, on a assisté à une corrélation entre obligations et actions qui ont baissé ensemble. Il a fallu que la FED intervienne pour la première fois sur les ETFs (fonds indiciels cotés) obligataires pour éviter une dislocation du marché et le stabiliser.

La robustesse de cette approche est prouvée avant tout par la capacité à limiter les pertes dans les scénarios de crise. La performance de long terme peut rester assez proche d’une gestion d’actifs passive. Par contre, le ratio de Sharpe augmente fortement. Mais encore plus, c’est la volatilité du ratio de Sharpe qui est minimisée.

Cette stabilité des performances permet de « leverager » (effet de levier via l’emprunt pour augmenter la volatilité) fortement les positions d’allocation d’actifs. Un portefeuille d’ETFs peut ainsi être leveragé autour de 3 fois. Ceci permet d’augmenter la volatilité du portefeuille d’environ 7 à 10 % en termes annuels (volatilité d’un fonds d’allocation d’actifs 60 % Actions / 40 % Obligations) à 20 % (volatilité actions). Ceci permet de viser un rendement annuel moyen de 20 % avec des baisses maximales de 20 %, en ligne avec une allocation d’actifs passive de type 60 % obligations / 40 % actions.

Comment fonctionne la valorisation des actions via l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle repose sur l’accumulation de filtres quantitatifs.

On peut distinguer quatre grandes étapes :

– Construction de l’univers investissable

– Valorisation fondamentale

– Valorisation technique

– Construction du portefeuille final

 Exemple des étapes de construction d’un portefeuille actions investi en valeurs de croissance

1. La construction des univers d’investissement est fondamentale. Elle consiste à éliminer les actions qui ne sont pas assez liquides, qui ne répondent pas à des critères de finance responsable, et surtout qui ne créent pas de valeur sur le moyen terme pour les actionnaires. C’est une phase également présente dans l’analyse traditionnelle.

2. L’approche fondamentale de valorisation des valeurs GARP est une étape délicate. Tout investisseur sait qu’une action de croissance comme Nokia peut se transformer en « fallen angel » (ange déchu) à partir du moment où elle rate un virage technologique comme la programmation Android.

L’intelligence artificielle permet de définir des indicateurs techniques de valorisation de ces valeurs GARP (cf. graphe ci-dessous). Elle permet de conserver des valeurs gagnantes même quand leur valorisation semble stratosphérique ou d’acheter des valeurs de croissance délaissées car elles ne sont pas au goût du jour.

3. Une seconde famille d’indicateurs repose sur l’analyse comportementale et non pas fondamentale. Ces indicateurs techniques se focalisent non pas sur la rationalité de la valorisation mais sur le comportement psychologique des acteurs. Tout investisseur sait que les cours de bourse reflètent continuellement le côté à la fois rationnel et émotionnel des acteurs financiers. Cette dialectique permanente entre le cerveau droit et le cerveau gauche, entre le « greed and fear » (avidité au gain et crainte des pertes), se reflète dans les structures d’analyse chartistes mais peut aussi être mathématisée.

La question fondamentale est alors de distinguer une baisse du prix entre une consolidation et un retournement de tendance. Dans un retournement de tendance, une action peut monter mais en fait sa structure de prix est devenue baissière. De même, dans une consolidation de tendance, le cours d’une action peut baisser alors que sa structure de prix reste haussière. C’est toute la différence entre une consolidation et un retournement de marché.

4. Enfin, les outils de construction du portefeuille permettent de calibrer le portefeuille final. Beaucoup d’investisseurs ont une approche action par action pour construire leur portefeuille. C’est une approche parfois dangereuse car elle n’équilibre pas bien les risques. De même, le risque final du portefeuille est lié non seulement au risque individuel mais aussi à la corrélation entre les différentes actions, permettant ainsi d’équilibrer la performance du portefeuille. Seuls des outils mathématiques sont à même de quantifier ces phénomènes complexes et de bénéficier ainsi de ce que Friedmann appelait le « free lunch of decorrelation » ( ou « gain gratuit de la décorrélation »).

Comment utiliser les portefeuilles modèles d’intelligence artificielle ?

Un investisseur peut choisir de répliquer intégralement un portefeuille modèle calculé par l’intelligence artificielle. C’est le cas de certains ETFs quantitatifs aux USA.

Un investisseur peut et doit aussi valider chaque choix de titre en étudiant les fondamentaux de l’action proposée et aussi son analyse chartiste. Il peut ainsi améliorer, via son travail, le portefeuille modèle généré par la machine.

Quels sont les avantages de l’intelligence artificielle ?

La puissance de l’intelligence artificielle appliquée à la sélection de titres est qu’elle repose sur des procédures mathématiques et non pas humaines :

– Elle n’est donc pas soumise à des biais émotionnels.

– Elle est capable de surmonter la difficulté majeure de valorisation d’une valeur de croissance, c’est-à-dire le caractère aléatoire des anticipations de croissance du bénéfice. (dimension stochastique de valorisation d’une action).

– Elle peut s’adapter et repérer des changements de la structure du marché avant même la rationalisation de ces changements de paradigme.

– Elle est très bon marché une fois que les algorithmes ont été développés avec un coût marginal quasi nul.

Quels sont les limites d’une gestion par l’intelligence artificielle ?

Comme tout processus de gestion, l’intelligence artificielle est soumise à des limites liées à son approche même :

– La dimension « boîte noire ». L’intelligence artificielle repose sur des modèles mathématiques non brevetables. Ils doivent donc être protégés comme un « trading secret » et deviennent de facto des « boites noires ».

– Le risque de « data mining », soit la capacité des analystes quantitatifs à suroptimiser leur portefeuille en identifiant des critères de choix qui ont très bien fonctionné dans le passé mais qui s’avèrent faux dans le futur. C’est pourquoi on doit valider un processus d’intelligence artificielle à partir de performances réelles et non pas seulement de portefeuilles modèles simulés.

– La pérennité des modèles. Rien ne prouve qu’un historique de performances positif sera tout aussi bon dans le futur. Il repose sur le fameux disclaimer selon lequel « les performances passées ne garantissent pas les performances futures ». Ce biais existe aussi pour les gérants traditionnels.

– La difficulté à commercialiser par des sociétés de gestion existantes. L’aspect « boite noire » rebute beaucoup de gérants. Certains d’entre eux se sentent menacés par l’arrivée des machines. Ils redoutent une disruption technologique de l’industrie de la gestion avec l’entrée de nouveaux entrants disposant d’un avantage concurrentiel majeur aussi bien en termes de performance que de structure de coûts.

– Les problèmes de propriété intellectuelle. Beaucoup de sociétés de gestion demandent « d’ouvrir le capot ». Le risque est alors un retro-engineering des algorithmes. Aux USA, il est possible de créer des structures « Hôtel California» qui permettent de protéger une équipe de chercheurs en empêchant toute fuite de la propriété intellectuelle. Ceci repose sur une pénalisation du vol de propriété intellectuelle via le droit du travail, qui est actuellement impossible en France. Ainsi, Goldman Sachs a pu faire mettre en prison un de ses anciens employés qui avait volé des « trading secrets ». De même, Renaissance Technologies (le plus grand hedge fund mathématique du monde) n’a vu aucun de ses chercheurs quitter cette entreprise. En contrepartie, elle a partagé ses profits fabuleux entre tous ses mathématiciens.

Conclusion

L’intelligence artificielle a déjà révolutionné la finance dans les pays anglo-saxons. Paradoxalement, la France, pays de tant de grands mathématiciens, a pris un retard certain dans la mise en place de ces techniques.

La question n’est pas de savoir si l’intelligence artificielle marche. Les track-records réels (ou historiques de performance) prouvent la pérennité des process aussi bien en gestion actions qu’en allocation d’actifs.

Ce sont avant tout les problèmes de propriété intellectuelle qui bloquent son développement en France. Les mathématiciens y sont certainement parmi les actifs d’entreprises les moins bien valorisés par le capitalisme. La recherche en intelligence artificielle appliquée à la gestion n’est pas valorisée ni valorisable car non brevetable. Les grandes institutions sont alors peu capables de développer les meilleurs process face à la concurrence anglo-saxonne qui capte les meilleurs chercheurs.

Cette dichotomie croissante entre technologie et industrie est typique des révolutions schumpetériennes. On ne peut qu’anticiper une future révolution financière quand les coûts d’entrée en gestion financière atteindront des niveaux moins élevés.

Cet article est adressé à titre d’information uniquement et ne constitue ni une offre de produits ou de services, ni une offre, une recommandation ou une sollicitation d’offre de fourniture de conseil ou de service d’investissement pour acheter/vendre des instruments financiers.

 

Mots-clés : Allocation d’actifs – Sélection de titres – Intelligence Artificielle – Gestion d’Actifs – Assurance Vie

François d’Hautefeuille
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