Il flotte, en cet été indien 2018, comme un air de Printemps de l’éducation financière. L’Association française de gestion financière la choisit comme thématique d’une table-ronde de ses Assises européennes ; le Centre des professions financières en fait un numéro spécial complété par une conférence ; le blog Variances.eu consacre un dossier à l’enseignement de l’économie… Sujet tendance, l’éducation financière ?  Il faut se méfier des modes, par définition passagères, et s’inscrire dans la durée. A-t-on progressé depuis douze ans, depuis qu’en avril 2006, était créé l’Institut pour l’éducation financière du public, qui rassemblait pour la première fois différents partenaires publics et privés pour mettre la finance à la portée de tous ?

Revenons quelques instants sur la notion d’éducation financière. Ce concept nous vient des anglo-saxons qui, plus décomplexés que nous, parlent plus volontiers de « financial literacy » – littéralement « alphabétisation financière ». C’est qu’ils insistent sur la nécessité d’acquérir les compétences de base pour donner à chacun la maîtrise de ses choix financiers. Voilà des années qu’Australiens, Néo-zélandais, Américains, Canadiens et Britanniques font de la lutte contre la « financial illiteracy » un combat prioritaire.

Qu’en est-il dans l’Hexagone ? Fin 2016, pour se conformer à une recommandation de l’OCDE, la France a décidé de mettre en place une stratégie nationale d’éducation financière et a désigné la Banque de France comme opérateur de cette stratégie. Ce fut le signal, 10 ans après la création de notre association, l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP), plus connue du grand public sous le nom de La finance pour tous, de l’intérêt porté à cette question par les pouvoirs publics. Ne voulant pas heurter l’ensemble des organismes (La finance pour tous, Les clés de la banque, l’INC, Finances et Pédagogie, Crésus …[1]), qui depuis de nombreuses années tâchent de progresser tant bien que mal dans l’éducation financière du grand public, la Banque de France se veut chef d’orchestre et entend impulser les actions et coordonner les acteurs autant que développer des contenus. Son portail www.mesquestionsdargent.fr renvoie sur la plupart des sites des organismes cités plus haut.

Beaucoup de journaux, même généralistes, ont une rubrique « finances personnelles » dans laquelle ils donnent des conseils de placement aux épargnants aisés. La pédagogie économique commence à être associée à l’éducation financière, depuis qu’à La finance pour tous nous avons distingué, au sein d’un seul et même site, l’univers Pratique qui s’adresse à tous ceux qui veulent progresser dans la gestion de leur argent et la partie Décryptages qui s’adresse aux mêmes individus dans leur identité de citoyens. D’ailleurs, « donner à tous les clés de compréhension des débats économiques » est le 4ème pilier, parmi les cinq, de la stratégie nationale.

Mais y a-t-il vraiment besoin de faire de l’éducation économique et financière en France, pays de l’épargne, de l’immobilier, du livret A, de l’assurance-vie et des taux de crédit fixes ? C’est vrai, on l’a vu au moment de la crise de 2008, nos comportements prudents nous protègent un peu, mais le revers de la médaille est dangereux à long terme : nous laissons dormir notre épargne financière des années dans des supports qui ne sont pas faits pour le très long terme. Comme nous n’investissons en bourse qu’à contre-cœur, nous le faisons généralement à contre-temps, quand le marché est au plus haut. Nous paniquons quand les choses vont mal et vendons alors au plus bas. Notre aversion au risque fait de nous de piètres entrepreneurs. Tout aussi grave, nous n’osons pas parler d’argent, nous avons peur de la finance, nous diabolisons les marchés financiers et, du coup, ne voulons même pas voir qu’ils existent et qu’ils ont leur utilité. On pourrait penser qu’au moins sur un plan purement académique, les Français seraient mieux armés que les autres. Bons en théorie et mauvais en pratique ? Même pas ! Sondage après sondage, on mesure que les Français ont du mal avec les calculs financiers de base[2], et que leur culture financière est ni plus ni moins que moyenne, comparée à celle de leurs homologues européens.

Indicateur de culture financière : les Français ont juste la moyenne !

A partir de dix questions de connaissances figurant dans un sondage réalisé en 2011 par le Credoc à la demande de l’AMF et l’IEFP, un indicateur de « culture financière de base » a été construit. C’est un instrument synthétique qui permet de départager la population en deux catégories : ceux qui maîtrisent plutôt bien les notions élémentaires de calcul financier ou de placements, et ceux qui ont davantage de difficultés.

Seule une personne sur deux obtient une note supérieure ou égale à la moyenne et 1 % seulement des sondés ont été capables de trouver les 10 bonnes réponses aux questions. Ces questions de connaissances portent notamment sur des définitions de base (qu’est-ce qu’un dividende, une obligation, un FCP…), de calcul (de rendement sur 1 an, 5 ans…), d’appréciation du risque… Avec une note moyenne de 5,1/10, les hommes s’en sortent mieux que les femmes (4/10). Les diplômés obtiennent également de meilleurs résultats (5,4/10 pour les bacheliers, 6,1/10 pour les diplômés du supérieur), de même que les cadres (6,4/10), les travailleurs indépendants (5,3/10), les professions intermédiaires (5/10) et les hauts revenus (5,3/10).

Pour savoir si vous faites mieux que la moyenne des personnes interrogées lors de ce sondage, vous pouvez tester vos connaissances sur le site de La finance pour tous.

Or les besoins d’éducation financière vont augmenter dans les prochaines années. Qu’on le veuille ou non, les Français sont confrontés à de plus en plus de décisions individuelles d’épargne et de crédit. Des retraites qui fondent, des études de plus en plus coûteuses, des déremboursements qui se multiplient… Qu’il faille accompagner ces évolutions par plus de régulation, une meilleure protection du consommateur, une plus grande lisibilité des documents et des produits, cela va sans dire. Mais qu’il faille placer, en face des établissements financiers, des citoyens capables de comprendre et de se défendre, cela devrait aussi être évident. Les Français n’échappent pas non plus à l’ubérisation de l’économie, qui les transforme en loueurs occasionnels d’un bien immobilier sur Airbnb, usagers d’un site de covoiturage, chauffeurs Uber… ni au développement de formes de travail non salarié. Se pose alors à eux une série de questions pratiques d’ordre financier ou comptable auxquelles les formes traditionnelles de relation au travail ou à la propriété ne les ont pas préparés.

Ainsi posée, la nécessité de faire de l’éducation financière et la volonté affirmée des pouvoirs publics de l’élever au rang de stratégie nationale, comment faire concrètement ? On l’a vu plus haut, il y a quelques acteurs – pas si nombreux – qui interviennent dans ce domaine depuis quelques années. A La finance pour tous, nous avons dès le début segmenté notre public en fonction des lieux où on pouvait l’atteindre : les jeunes à l’école, les actifs en entreprise (lieu où on gagne sa vie, où on se forme et où on épargne), les consommateurs de produits et services financiers dans les établissements financiers et les personnes en difficulté financière via les intervenants sociaux.

Douze ans après la création de notre association[3], quel bilan peut-on dresser ? Où y a-t-il eu progrès ? Quels sont les obstacles rencontrés ?

S’agissant du public « jeunes », nous avons délibérément cherché à l’atteindre au travers des enseignants et du système scolaire. Nous avons signé une convention nationale avec le ministère de l’Education Nationale, régulièrement renouvelée, obtenu l’agrément pour aller dans les classes et décliné notre action localement dans quelques académies. Les programmes n’ont guère bougé mais nous nous sommes inscrits dans le cadre des disciplines existantes pour proposer des modules pédagogiques, en économie bien sûr, mais également en histoire, en français, et en mathématiques. La pertinence de cette démarche a été reconnue par l’inspection générale de mathématiques puisque le groupe de travail constitué dans le cadre de la stratégie nationale (et auquel La finance pour tous a participé activement) s’est très largement inspiré de nos exercices. Interventions dans les classes, organisation de conférences à destination des enseignants et des élèves, lancement d’un Grand Prix en direction des étudiants qui en est maintenant à sa 5ème édition : autant d’actions qui s’ajoutent aux ressources du site internet et font chaque année progresser la sensibilisation des enseignants et des élèves aux sujets financiers. Ces progrès évidents ne doivent pas faire oublier l’ampleur de la tâche. Nous sommes loin d’une formation systématique des jeunes à ces questions. Si le ministère de l’éducation nationale n’est pas insensible à nos arguments, il reste prudent, soucieux de mettre en avant d’autres priorités, et les enseignants continuent d’être méfiants.

Côté actifs en entreprises, le bilan est encore plus contrasté. La finance pour tous n’est pas encore parvenue à convaincre des sociétés non financières de rejoindre son conseil d’administration ou de lancer un vaste programme de formation de ses salariés au budget ou à l’épargne. Cela viendra peut-être un jour. On peut espérer qu’avec le coup de pouce donné prochainement à l’épargne salariale, grâce notamment à la suppression du forfait social pour les petites et moyennes entreprises, ce sujet sera plus largement débattu. On veut croire que, parallèlement, une impulsion sera donnée à l’information et à la formation en entreprise sur les sujets d’épargne et de retraite.

En ce qui concerne notre troisième public cible, les clients des banques et des compagnies d’assurance, nous développons une gamme de réalisations diversifiée et originale (par rapport à ce qui se fait à l’étranger notamment, et même en France) : nous avons réalisé des « guides pratiques pour se poser les bonnes questions » pour des établissements bancaires qui les remettent à leurs clients dans une démarche d’accompagnement. Pour d’autres partenaires, nous réalisons des dépliants, des contenus web, des mini-formations ou des séries vidéo… Malheureusement, nous n’avons pas réussi à convaincre les plus grands sites bancaires de la pertinence de notre modèle : une association soutenue par les pouvoirs publics fournissant des contenus de qualité, pédagogiques et non commerciaux. Pour obéir aux injonctions de Google et de son moteur de recherche, les établissements financiers ont intérêt à proposer des contenus (plus ou moins pédagogiques) s’ils veulent attirer les internautes sur leurs sites. Ils pourraient déléguer la rédaction, ce serait pour eux et pour leurs clients la garantie d’un contenu précis, pédagogique, impartial, et ne pouvant être accusé d’être réalisé dans une logique commerciale.

Enfin, s’agissant des personnes en difficulté, nous avons privilégié la formation des intervenants sociaux (et non celle du public final, faute de lieux où le rencontrer) qui sont au contact de la population et qui manquent parfois des bases nécessaires pour accompagner correctement leurs publics : guide pédagogique, formation de coach budgétaire, outils divers tels des calculateurs de budget ou de crédit.

Des progrès donc, depuis dix ans, une stratégie nationale récemment mise en place qui n’a pas (encore?) eu le temps de donner l’élan décisif attendu. La concurrence reste vive entre les différentes structures. C’est que les ressources se font rares et les arrière-pensées toujours présentes. Quand la manne à se partager se réduit au fil des coupes budgétaires, chacun protège son pré-carré, et c’est normal. Mais nous ne perdons pas espoir qu’un jour, l’éducation financière figure au rang des critères à satisfaire au titre de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), ce qui donnerait une impulsion sans précédent à ce beau projet.

[1] Et leurs sites respectifs lafinancepourtous.com, lesclesdelabanque.com, inc-conso.fr, finances-pedagogie.fr, cresus-france.org.

[2] Voir l’encadré sur l’indicateur de culture financière

[3] Créé en 2006, l’Institut pour l’éducation financière du public, autrement appelé « La finance pour tous », du nom de son site internet www.lafinancepourtous.com, est le fruit d’un partenariat public/privé. Cohabitent au sein de son conseil d’administration des représentants des pouvoirs publics (ministères de l’économie et de l’éducation nationale, Banque de France, Autorité des marchés financiers…), des entreprises financières (fédérations professionnelles – FBF, FFA, ASF, AFG / banques et mutuelles – Banque Postale, MIF, BNP Paribas) et de la société civile.

Pascale Micoleau-Marcel
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