Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais.
Mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, alors je ne sais plus.
Saint-Augustin (Les Confessions)

 

À la manifestation de modestie et, dans le même temps (!), l’aveu d’impuissance de Saint-Augustin, font écho les vertigineuses questions que chacun de nous ne manque de se poser sur le temps de manière récurrente, sans jamais parvenir à y apporter de réponses claires : pourquoi et comment nous paraît-il tantôt long, tantôt court ; tantôt lent, tantôt rapide ? Avant d’approfondir ces questions ardues, déjà survolées dans les deux chapitres précédents, il est préalablement utile d’en clarifier une autre, a priori plus simple : quelles places le temps et l’espace occupent-ils dans nos esprits et quels rapports y entretiennent-ils ?

Jalons d’espace et de temps

Ce sont les objets meublant l’espace, ou les évènements rythmant le temps, qui nous rendent perceptibles ces catégories abstraites. De même que ce n’est pas l’espace en soi qui accroche notre attention, mais le décor qui l’emplit, de même ce n’est pas le temps en soi qui importe en premier, mais l’usage que nous en faisons : tout est affaire d’emploi du temps ! En creux, lorsque nous sommes confrontés à des « espaces vides » ou à des « temps morts », il nous arrive de perdre la notion de l’espace ou celle du temps. Les spéléologues connaissent de telles sensations et le géologue Michel Siffre, pionnier des expériences de confinement souterrain, l’exprime de manière limpide et frappante : « Sous terre, sans repère, c’est le cerveau qui crée le temps. » !

S’agissant de l’espace, la matière qui l’occupe nous procure une représentation concrète de son organisation, de ses « lieux » et des distances relatives qui les séparent : cette chaise est plus près de moi que cette table et cette table, plus proche que cet arbre au fond du jardin. Mais si j’étais perdu sur un radeau en pleine mer, ou jeté en plein désert « au milieu de nulle part », ou encore embarqué sur un vaisseau spatial plongé dans le vide intersidéral, alors, privé de jalons matériels permettant de me situer, l’espace m’apparaîtrait certainement beaucoup moins tangible.

De même, le temps est scandé par une séquence d’évènements, constituant des marqueurs pertinents pour des individus comme pour des groupes sociaux.  L’occurrence, l’ordonnancement et la fréquence de ces marqueurs manifestent la « substance » temporelle. S’il ne se passait strictement rien, si le temps était totalement vide d’expériences, alors il échapperait à notre perception et s’araserait pour ne plus former qu’une plate éternité. Lorsque plus aucun phénomène extérieur ou intérieur ne vient fixer notre attention, nos repères temporels s’évanouissent. L’indissociabilité de la perception du temps et d’un « flux directeur » qui la commande constitue le postulat fondamental et structurant sur lequel repose notre essai.

Mouvement dans l’espace et consommation temporelle

Il existe une intrication forte entre l’espace et le temps. Elle se manifeste à travers les mouvements dans le premier que le second permet. Lisons à cet égard Amélie Nothomb dans la Métaphysique des tubes :

Le temps est une invention du mouvement.
Celui qui ne bouge pas ne voit pas le temps passer.

Le temps peut en effet être regardé comme la ressource nécessaire, le consommable indispensable pour traverser l’espace. L’ubiquité, ou déplacement immédiat, sans durée, est une fiction hors d’atteinte. La lumière elle-même ne se déplace pas instantanément, il lui faut à cet effet du temps… et elle le prend : huit minutes, par exemple, pour parvenir jusqu’à nous depuis le soleil, même si nous n’avons pas pleinement conscience d’accueillir sur nos rétines des photons déjà forts d’une certaine ancienneté !

Se mouvoir est chronophage, littéralement, c’est-à-dire « mange » du temps. Et même si je n’ai pas l’impression de bouger moi-même, je suis toujours lié à un support qui bouge et qui, donc, avale du temps : le TGV où je suis assis en écrivant ces lignes, une voiture qui m’emporte sur l’autoroute, la Terre que j’habite et qui tourne sur elle-même, ainsi qu’autour du soleil.

Tout mètre franchi dans l’espace implique une dépense temporelle, à savoir la durée nécessaire pour parcourir ce mètre. La consommation de temps dépend évidemment de la technologie de transport utilisée : un TGV lancé à pleine vitesse prend une heure pour effectuer 300 km, soit une consommation temporelle de 12 millisecondes par mètre. Une voiture roulant à 120 km/h parcourt 100 kilomètres en 50 minutes, soit une consommation temporelle de 30 millisecondes par mètre. Quant à la lumière, très économe de son temps, elle ne consomme qu’environ un trois-centième de microseconde par mètre.

La relation intime entre le temps et l’espace prévaut à tous les niveaux d’observation : le temps est l’artisan de mouvements dans l’espace, que ce soit à l’échelle de nos vies humaines ou à celle de l’évolution. Seuls diffèrent les ordres de grandeur de la consommation temporelle. Ainsi aura-t-il fallu plusieurs millions d’années à l’homme primitif pour essaimer depuis son berceau africain originel vers l’ensemble des régions du globe. À raison d’environ un million d’années pour migrer à dix mille kilomètres de distance, cela revient à une consommation d’un peu plus de trois millions de secondes par mètre, certes bien supérieure à celle d’une seconde par mètre qui m’est nécessaire pour rejoindre mon bureau depuis ma terrasse… mais la loi sous-jacente est fondamentalement la même : il faut du temps pour se mouvoir !

Vitesse apparente du temps

Une consommation de temps, associée à la traversée d’un espace, peut encore s’interpréter comme une vitesse inversée, une jauge de l’avancement du temps par unité d’espace parcouru. Installé dans un TGV à pleine vitesse et voyant régulièrement défiler les bornes hectométriques, la cadence de leur passage dans mon champ visuel devient pour moi un repère temporel alternatif : je peux légitimement me demander quelle est la vitesse de la trotteuse de ma montre, si je la « méta-chronomètre » dans ce repère temporel singulier où l’hectomètre séparant deux bornes successives s’est mué d’unité d’espace en unité de durée. La réponse est simple : ma trotteuse sautille à la « vitesse » de 1,2 seconde par hectomètre, égale à la durée qui correspond à 1 hectomètre sur la voie ferrée.

M’exprimant de manière à peine abusive, je peux même affirmer : lorsque je suis lié à un mobile lancé dans l’espace à 300 km/h, la vitesse apparente du temps vaut pour moi 1,2 s/hm, soit 12 s/km. Si le TGV ralentit et roule désormais à 200 km/h, le temps apparent, quant à lui, a accéléré et il galope maintenant à 18 s/km : plus j’avance vite, plus le temps semble avancer lentement par unité de distance et vice versa. La vitesse apparente du temps, inverse de la vitesse du train, n’est autre que la consommation temporelle par kilomètre. La relativité des vitesses du train et du temps s’exprime on ne peut plus clairement dans cet émerveillement d’un passager :

– Quoi, il est seulement 9h08 et le TGV entre déjà en gare Montparnasse ! Quelle performance de vitesse ! C’est à croire que les horloges ont ralenti depuis notre départ à 7h en gare de Bordeaux Saint-Jean !

Descendons maintenant du TGV pour nous projeter hardiment dans une ascension de l’Everest, par la voie népalaise. L’espace pertinent pour suivre le mouvement de notre cordée est l’échelle des altitudes, s’étageant d’environ 5 400 m au camp de base à 8 800 m au sommet. La consommation de temps, tout comme celle d’oxygène, n’est pas homogène au fil de l’ascension. Notamment, les dernières centaines de mètres de dénivelée seront sensiblement plus pénibles à gravir, et donc plus chronophages que les . Les passages les plus ardus laisseront « filer le temps », tandis que d’autres, plus aisés, contiendront davantage sa course. Mesurée en termes de durée réelle consommée par mètre d’élévation, la vitesse apparente du temps augmente lorsque les grimpeurs progressent plus lentement et elle diminue lorsqu’ils progressent plus rapidement. Écoutons plutôt ces témoignages éloquents, recueillis sur le vif :

– Aïe ! Déjà 5h du matin ? Comme la nuit a passé vite ! Il nous aura fallu plus de cinq heures pour traverser les 300 petits mètres de la cascade de glace du Khumbu !

– Waouh ! On approche du col Sud et le camp IV est déjà en vue ! À peine trois heures depuis le camp III pour franchir l’Éperon des Genevois et la Bande jaune ! Nous n’avons vraiment pas traîné… ou alors, c’est le temps qui ne s’est pas pressé !

– Après deux heures d’effort pour douze mètres d’escalade, nous voici à peine dégagés du ressaut Hillary. Le temps file à toute allure ! Atteindrons-nous le sommet ?

Asymétrie entre l’espace et le temps

En dépit de la relation d’inversion entre la vitesse d’un mobile lancé dans l’espace et la vitesse apparente du temps pour un occupant de ce mobile, le rapport entre l’espace et le temps est empreint d’une asymétrie essentielle. En termes de chaîne alimentaire, c’est en effet l’espace qui mange le temps, et non pas l’inverse. Parcourir l’espace prend nécessairement du temps et suppose habituellement le choix préalable d’une destination. En revanche, parcourir le temps – pourvu, bien sûr, que ce soit du passé vers le futur ! –, non seulement n’exige aucune consommation de ressource d’espace, mais encore se produit inéluctablement, indépendamment de notre volonté, en échappant totalement à notre liberté d’action.

Paul Auster, faisant mentir Amélie Nothomb, illustre magistralement cette idée d’un temps perceptible hors de tout déplacement physique. Un de ses personnages, Auggie Wren, apparaissant dans la nouvelle Auggie Wren’s Christmas Story et dans le film Smoke, met à exécution un étrange projet photographique : prendre chaque jour, à la même heure, un cliché de l’angle de rue sur lequel s’ouvre sa petite échoppe de cigares. Il classe ses photos par ordre chronologique et, au bout de douze ans, il a ainsi composé douze albums représentant chacun une année de travail. Feuilleter ces albums est pour lui comme contempler le temps qui passe à l’état brut, sans qu’il ait à en consommer une seule once pour se déplacer dans l’espace. Alors que certains sillonnent le monde en laissant une forte empreinte spatiale (et carbone !), lui s’abandonne à un bain de temps pur, en un seul et même lieu. Il y voit couler l’eau du temps, au gré des événements que ses albums lui laissent deviner : tel familier du quartier disparaît un jour définitivement des images ; telle personne, au contraire jusque-là invisible, fait son apparition ; tel jeune couple qui, sur les premières photos s’embrasse, sur les suivantes pousse un landau…

Une formule ramassée traduit à la perfection l’asymétrie de l’espace et du temps :

L’espace est grand et le temps est petit.

Pour décoder cet énoncé lapidaire, imaginez que vous ayez rendez-vous et qu’il vous manque une de ces deux informations critiques : soit la date, soit le lieu. Si vous savez où mais ne savez quand, il vous suffit de vous rendre au lieu convenu, au prix d’une certaine consommation de temps, maîtrisable. À la seule condition que vous arriviez en avance, il ne vous restera plus qu’à attendre sur place et votre contact vous y rejoindra, à un moment ou à un autre. En revanche, si vous savez quand mais ne savez où, alors vous manquerez quasi-certainement votre rendez-vous, après avoir exploré l’espace en tous sens, emporté par la quête désespérée de retrouver votre contact quelque part, au prix d’une dépense temporelle incontrôlée ! Seul un phénomène de « focalisation » est susceptible de vous sauver la mise : s’il s’agit par exemple de retrouver un être cher, alors il existe un lieu infiniment plus probable que tout autre : celui de votre première rencontre !

Temps et changement

Un mouvement dans l’espace physique n’est qu’un cas particulier d’une notion beaucoup plus générale : le « changement ». Cette notion peut être appréhendée de manière rigoureuse en raisonnant sur un espace abstrait, descriptible par une collection « d’états ». Le lien entre temps et changement est dès lors établi : au sein de l’espace abstrait, transiter d’un état vers un autre réclame du temps. Selon ce schéma conceptuel élargi, le temps apparaît comme le « carburant » du changement, comme la ressource indispensable à toute transition. Dans le cas où l’espace abstrait se confond avec l’espace concret, un état s’identifie à une localisation physique et un changement d’état correspond à un déplacement ordinaire. Considérons maintenant un espace alternatif complexe : celui des états de mon ordinateur !

Au cours d’une mise à jour, le système d’exploitation entreprend une série de tâches élémentaires, menant la machine d’un état informatique vers un autre. Le degré d’avancement de ce processus, chiffré sur une échelle s’étendant de 0 % à 100 %, est figuré sur l’écran par le déploiement d’une barrette lumineuse. Le cartouche dans lequel défile cette barrette manifeste visuellement l’espace des états. Très généralement, la progression n’est pas régulière : passer de l’état « 54 % réalisé » à l’état « 55 % réalisé » peut parfois consommer deux fois plus de temps que passer de 0 % à 30 %. Qui n’en a jamais fait l’expérience stressante ?

À des intervalles d’égales mesures dans l’espace des états, que ce dernier soit l’espace réel, comme dans le cas de l’ascension himalayenne, ou un espace virtuel, comme dans le cas de la mise à jour informatique , correspondent le plus souvent des intervalles de durées inégales sur la ligne du temps naturel. Au voisinage d’un état donné, tout se passe comme si l’espace des états se montrait plus ou moins « résistant » au changement, la consommation temporelle instantanée étant l’indicateur de cette résistance. Plus la résistance est forte, plus la consommation temporelle est intense, plus le temps défile vite aux yeux de l’alpiniste ou à ceux, imaginaires, du processeur informatique : une grande période de temps s’écoule au regard de la modeste progression du grimpeur ou du processeur, figurant celle de leurs temps propres.

Inversement, pour un observateur extérieur, les yeux rivés sur une barrette informatique qui semble ne pas vouloir avancer, le temps paraît faire du surplace, allant jusqu’à faire naître l’anxiété qu’il ne se bloque à jamais ! D’où provient ce paradoxe d’un temps tout à la fois rapide, pour un ordinateur qui travaille, et lent pour celui qui le regarde travailler ? C’est que l’observé et l’observateur sont stimulés par des flux directeurs radicalement opposés : s’il était doté d’une conscience, l’observé, concentré sur la réalisation du très grand nombre de micro-opérations délicates qui jalonnent son temps propre, ne sentirait pas défiler le temps naturel qui lui semblerait donc passer vite ; tandis que l’observateur, passif et pressé de voir l’aboutissement d’une activité laborieuse sur laquelle il n’a pas de prise, s’alarme de la lente progression qu’il visualise à l’écran et ressent le temps comme terriblement lent.

De cette analyse, il ressort que si le temps « objectif » est unique et se confond avec le temps naturel, c’est-à-dire le temps de la Nature, il donne lieu en revanche à de multiples perceptions subjectives, selon qui le ressent et dans quelles circonstances (cf. tableau).

Tableau. Le temps naturel des horloges versus plusieurs temps ressentis

 

Chrono-perception et accumulation expérientielle

Toute temporalité ressentie peut être assimilée à un espace d’états particulier. Les états de cet espace sont des méta-instants et les distances entre ces méta-instants sont des méta-durées. Percevoir psychologiquement le passage du temps naturel, c’est consommer des durées réelles pour traverser des méta-durées, autrement dit pour se déplacer dans l’espace du temps ressenti. À un tel déplacement correspond un changement dans le champ psychique, une transition nécessitant un incontournable ingrédient : le temps naturel.

De cette conceptualisation spatiale du temps ressenti, il ressort que Auggie Wren, le photographe « stéréotypiste » de Paul Auster, à défaut de se déplacer physiquement, puisqu’il reste à demeure devant sa boutique, se déplace virtuellement en observant des changements dans l’espace fictif que définissent les « états » successifs de son angle de rue, saisis à intervalles réguliers par son appareil. Auggie est exactement dans la même position d’observateur que le touriste scrutant l’évolution d’une cordée sur une paroi rocheuse ou que l’utilisateur informatique surveillant l’avancement d’une mise à jour logicielle. La temporalité qu’il ressent est induite par un flux directeur, à savoir les tribulations des acteurs du roman photo que portent ses albums, le roman du temps qui passe. D’une page d’album à la suivante, le temps peut sembler se précipiter aux yeux d’Auggie, si la pellicule révèle plusieurs faits nouveaux dignes d’intérêt ; ou bien au contraire marquer le pas si, à quelques détails insignifiants près les photos se ressemblent.

L’expérience d’Auggie nous ouvre la voie d’une compréhension plus globale de la chrono-perception. Selon le contexte, notre subjectivité a la capacité – parfois souffrance endurée, parfois plaisir recherché –, de lâcher la bride du temps ou de la tenir au contraire.  Dans le premier cas, d’égales durées ressenties consomment de plus en plus de temps naturel, qui semble donc accélérer, tandis que d’égales durées réelles produisent de moins en moins de temps ressenti, qui donc se contracte selon un profil concave de chrono-perception compressive. Il en va inversement dans le second cas : d’égales durées ressenties consomment de moins en moins de temps naturel, qui semble donc ralentir, tandis que d’égales durées réelles produisent de plus en plus de temps ressenti, qui donc s’étire selon un profil convexe de chrono-perception expansive.

Complétons ce tableau, en y introduisant la notion de flux directeur. Selon notre postulat fondamental, un temps perçu comme accéléré (ralenti) est la conséquence d’un flux directeur croissant (décroissant), c’est-à-dire d’une amplification (modération) de l’accumulation expérientielle. Il est important de bien noter le contraste des formes entre le profil de chrono-perception, respectivement compressif ou expansif, et l’accumulation expérientielle, respectivement amplifiée ou modérée : quand le graphe de croissance de l’une de ces grandeurs est concave, celui de l’autre est convexe (cf. Figure). Qui surfe sans modération la vague expérientielle étouffe la durée ; qui navigue posément en eau calme libère la durée !

Figure. Chrono perception et accumulation expérientielle

 

Le contemplatif, le patient, le zen, l’oisif, ou encore le « vieux » de l’adage, modèrent l’accumulation de leurs expériences via la décroissance de leur flux directeur ; cultivant la quiétude, ils sont adeptes d’une réduction de leur chrono-consommation, d’un ralentissement apparent du temps et d’un étirement des durées ressenties. Le pressé, l’impatient, le speed, l’hyperactif, ou encore le « jeune » de l’adage, amplifient au contraire l’accumulation de leurs expériences via la croissance de leur flux directeur ; en quête d’aventure, ils goûtent un accroissement de leur chrono-consommation, une accélération apparente du temps et une contraction des durées ressenties.

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À ce stade, nous avons déjà significativement progressé dans notre entreprise, sans doute autant qu’il est possible de manière informelle, sans mathématisation. Une relative difficulté à désembrouiller les paradoxes et à construire des raisonnements non contradictoires nous a donné toute la mesure du constat augustinien : rien n’est moins simple que réfléchir sur le temps tout en évitant que la pensée ne se mette à tourner en rond, entraînée dans le cercle vicieux du « plus je me demande ce qu’est le temps, moins je le sais ! ». Voici un résumé de nos principaux acquis, en cinq points :

  • Un changement de calendrier n’altère pas la chrono-perception.
  • Le temps naturel est unique, les temps ressentis sont multiples.
  • Postulat fondamental : quand le flux directeur des évènements et des expériences s’accroît, le temps semble passer plus vite ; quand ce flux décroît, le temps semble passer plus lentement.
  • Quand le flux directeur s’accroît, c’est-à-dire quand le rythme de l’accumulation expérientielle s’amplifie, les durées ressenties se contractent ; quand le flux directeur décroît, c’est-à-dire quand le rythme de l’accumulation expérientielle se modère, les durées ressenties s’étirent.
  • Pour déterminer le sens des variations de la vitesse apparente du temps (sans commettre d’erreur ni devenir fou), il faut préalablement se poser trois questions : qui est le sujet chrono-percevant, quel est son flux directeur, ce flux est-il croissant ou décroissant ? Entraînez-vous !

Il reste maintenant à construire en bonne et due forme une théorie de la chrono-perception, que les trois épisodes de cette minisérie ont abordée d’une manière, certes rigoureuse, mais qualitative. À cet effet, n’en déplaise à Henri Bergson qui ne cachait guère son scepticisme face à une telle ambition, nous bénéficions d’un sérieux avantage sur Saint-Augustin : celui que nous procurent les progrès depuis accomplis en matière de géométrie, d’algèbre et d’analyse ! Le lecteur intéressé pourra prochainement accéder à ces développements sur mon site http://ncurien.fr

 

Mots-clés : temps – espace – vitesse apparente – changement – Saint-Augustin – Paul Auster

Nicolas Curien