Cet article reprend celui publié par l’Institute for Climate Economics (I4CE), avec son autorisation, dans le numéro spécial de sa newsletter consacré aux Risques climatiques physiques en finance.

Les vagues de chaleur vécues en France à l’été 2019 sont des symptômes d’un changement climatique déjà enclenché, comme le rappelle Météo-France dans son nouveau rapport de référence sur le climat de la métropole. Ces événements peuvent occasionner des pertes pour les banques et autres institutions financières, qui vont donc devoir intégrer le changement climatique dans leurs décisions. Les régulateurs poussent d’ailleurs dans ce sens. Des difficultés pratiques ont cependant été soulevées par les institutions financières, au point de se demander si la gestion de ce qu’on appelle les « risques climatiques physiques » n’était pas mission impossible.

 

Pour Romain Hubert d’I4CE, les acteurs financiers peuvent surmonter ces obstacles à condition d’y mettre des moyens. Mais d’autres questions se posent sur les conséquences de la gestion des risques climatiques par ces acteurs. Il partage ses perspectives au sujet des banques, après trois ans de recherche dans le cadre du projet européen ClimINVEST.

Un exercice nécessaire

Vagues de chaleur, pluies diluviennes et autres événements climatiques vont impacter les individus, l’activité des entreprises, voire la stabilité des régions. Cela peut se traduire par une difficulté de ces acteurs à rembourser leurs prêts aux banques ou à rémunérer leurs investisseurs, ou bien par une demande accrue de compensation à leurs assureurs. Il s’en suit que les banquiers, investisseurs, assureurs et autres acteurs financiers sont eux-mêmes exposés à ces « risques climatiques physiques » à travers leurs activités.

Il est urgent que les acteurs financiers s’inquiètent de leur exposition au risque climatique physique. En 2018, les assureurs n’ont couvert que la moitié des dégâts naturels. Face à la dégradation climatique désormais inévitable tout au long des décennies à venir, les primes des assurances vont augmenter rapidement et certains risques ne seront plus « assurables ».

Malheureusement, les acteurs financiers ont encore une faible propension à réaliser ces analyses. La plupart considère que les impacts du changement climatique vont survenir dans des dizaines d’années, bien au-delà de l’horizon de leurs prêts et autres outils de financement. Les régulateurs et superviseurs du secteur financier appellent cela la « tragédie de l’horizon ».

Pour y remédier, les régulateurs demandent aux acteurs financiers de prendre ces risques climatiques en compte dans leurs décisions de financement et d’investissement, et d’expliquer comment ils s’y prennent. Cela met les acteurs financiers au défi de trouver les méthodes d’analyse et de gestion adéquates.

Les enjeux de faisabilité ne sont pas insurmontables pour les banques : preuve par l’expérience

A mesure que les acteurs financiers ont tenté d’analyser et gérer leur exposition aux risques climatiques physiques, ils ont soulevé des questions de faisabilité, au point de se demander si l’analyse et la gestion du risque climatique physique n’étaient pas tout bonnement une gageure.

Prenons l’exemple d’une banque. Il est difficile de chiffrer les pertes potentielles sur une activité de prêts en conséquence des impacts climatiques. Cette estimation financière est pourtant traditionnellement utilisée par les directions des risques et autres équipes pour tenir compte d’un risque dans leurs décisions. Par ailleurs, il est souvent difficile de récolter les nombreuses données portant sur chaque emprunteur, et qui sont nécessaires pour comprendre en quoi l’emprunteur est exposé et vulnérable aux impacts climatiques.

Les banques ont cependant montré qu’elles pouvaient commencer à gérer le risque, si elles acceptent de mettre de côté leur objectif de produire en masse une information chiffrée et précise sur le risque de chaque emprunteur. La méthode alternative trouvée par les banques s’articule en deux étapes. La banque commence par utiliser un système de notation du risque physique à grosse maille, comme un premier filet pour identifier les grandes poches d’exposition au risque. Elle pose ensuite des questions aux emprunteurs signalés les plus à risque dans l’étape précédente, pour comprendre plus finement leur exposition au risque et prendre une décision.

Cette approche est prometteuse. Elle limite la quantité de données nécessaires, et mobilise la banque pour collecter les données manquantes en même temps qu’elle stimule l’emprunteur à prendre conscience de ses enjeux climat, voire à les gérer. La première étape sous forme de notation permet aussi de contourner la difficulté de réaliser une estimation des pertes, tout en intégrant une logique d’évaluation des impacts financiers liés au climat.

… A condition que chacun y mette les moyens

De trois ans de travail sur ClimINVEST, nous avons acquis la conviction que les banques ont le potentiel pour mener à bien l’analyse de ce risque, quand certaines commencent même à le gérer. Mais il faut admettre qu’il y aura besoin de mobiliser davantage de moyens humains pour que toutes les institutions financières prennent en compte correctement tous les risques climatiques physiques dans les décisions relatives à l’ensemble de leurs activités.

Les moyens humains doivent en priorité être mobilisés dans les institutions financières. Celles-ci doivent réunir leurs directions des risques et de la RSE pour organiser des analyses pilotes sur leurs portefeuilles, afin de monter en compétence et de trouver des process favorables à la gestion du risque climatique physique. Pour ce faire, elles peuvent s’aider d’experts de ces sujets, et de ressources gratuites comme celles mises à disposition par ClimINVEST : des retours d’expérience pratiques, une explication des méthodes disponibles, et autres matériels pédagogiques.

Les équipes des institutions financières ont aussi besoin de s’entourer d’un écosystème d’interlocuteurs plus large. Cela devrait les aider notamment pour continuer de cartographier les vulnérabilités climatiques de divers secteurs d’activité, et pour augmenter l’accès à des données fiables et harmonisées. En Norvège par exemple, institutions financières et municipalités collaborent à une « banque de connaissances », dont l’accès reste restreint par enjeu de confidentialité.

Pour entretenir cette dynamique, l’action soutenue des régulateurs et superviseurs du secteur financier restera clef. Nombre d’acteurs financiers dédient des ressources restreintes aux enjeux liés au climat et priorisent les sujets à traiter suivant les demandes du régulateur.

Une autre question à se poser dès maintenant : vers où les décisions des banques vont nous mener

Faisons l’hypothèse que les banques se mettent à gérer le risque climatique physique. Quelle va en être la conséquence ? Est-ce qu’elles vont engager le dialogue avec les acteurs les plus à risque, et stimuler voire financer leurs efforts d’adaptation ? Ou est-ce qu’elles vont pénaliser les plus vulnérables, en leur imposant des conditions désavantageuses, voire en les mettant de côté ? La réponse est loin d’être évidente. Certaines institutions financières privées semblent ainsi prêtes à envisager le financement de l’adaptation comme une nouvelle opportunité de business. Une exploration attentive de ce sujet s’impose néanmoins, pour aider à clarifier les termes du débat suivant : qui va payer le coût du risque financier lié aux impacts climatiques ?

Romain Hubert
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