On a très vite observé, dès les débuts de l’épidémie, que les seniors, les plus de 65 ans étaient davantage enclins à faire des formes sévères de la maladie et souvent à en mourir.

Il se trouve que, assez naturellement, c’est dans ces classes d’âge que l’on enregistre le plus de décès. Cette note tente de rapprocher les deux phénomènes, et ainsi d’évaluer la surmortalité imputable à l’épidémie. Ce constat entraîne un certain nombre de conséquences quant à la politique sanitaire qu’il est nécessaire de mener.

Le tableau ci-dessous met en regard le nombre de décès constaté en année courante, ici en 2018, donc avant l’épidémie. Ce nombre s’élève un peu au-dessus de 600 000. On est en droit de faire l’hypothèse qu’en 2020, on aurait décompté un nombre voisin de décès. Les morts dus au Covid, soit 31 000 environ à ce jour, vont s’ajouter à cette statistique et entraîner ex post une augmentation des taux de mortalité dans les différentes classes d’âge.

Sources : INSEE, INED, SPF. Les données relatives aux Ehpad ont été ventilées en tenant compte d’un âge médian de leurs pensionnaires, supérieur à 85 ans.

Le tableau se lit ainsi : pour les 80-89 ans, le nombre de décès a augmenté de 5,8 % par rapport à 2018. Sur 1000 individus appartenant à ce groupe, 57 meurent dans l’année, en temps normal. Ce chiffre a été majoré de 3 unités (60 au lieu de 57). Pour les plus de 90 ans, c’est à 10 décès supplémentaires que l’on aura assisté, sur 1000 individus vivants en début d’année. Ce qui semble peu, d’autant que jusqu’à l’âge de 65 ans, la surmortalité est imperceptible.

Ce constat doit être tempéré pour plusieurs raisons :

  1. L’année 2020 n’est pas terminée, et l’automne pourrait voir ré-augmenter le nombre de cas graves et de décès.
  2. La politique de confinement a stoppé la propagation du virus et a empêché que le bilan ne soit beaucoup plus lourd. En l’absence de confinement, si l’on était resté sur les niveaux constatés de la mi-mars à la mi-mai (2 mois), c’est un nombre 6 fois plus élevé de morts qu’il aurait fallu déplorer sur 12 mois, soit quelque 180 000. Le taux de mortalité pour l’ensemble de la population serait passé de 9,1 à 11,8, une augmentation de 30 % environ, imputable pour l’essentiel aux âges élevés.
  3. Rien ne dit que, en l’absence de réactions des pouvoirs publics, l’épidémie n’aurait pas continué à progresser. Si elle s’était établie sur la moyenne constatée en Belgique, le pays le plus touché en Europe, le nombre de décès serait passé de 466 par million d’habitants à 833, presqu’un doublement. Le dernier tableau montre qu’en cumulant les deux phénomènes, absence de confinement et progression de l’épidémie, les seniors auraient payé un très lourd tribut. Le taux de mortalité des 80-89 ans aurait été majoré des deux tiers. Les plus de 65 ans auraient enregistré 315 000 décès sur un total de 345 000 environ.

Le coût social et politique d’une telle hécatombe eût été inacceptable. Personne n’aurait supporté la vue de morgues et de cimetières saturés. Ce qui explique a posteriori la sévérité des mesures de confinement et la panique qui a pu saisir les hommes politiques et les experts qui les conseillent.

Implications pour la politique sanitaire

Aucune des mesures prises pour lutter contre l’épidémie n’a été indexée sur l’âge. Pour des raisons morales parfaitement compréhensibles. Mais c’est l’ensemble de la population qui a payé le coût de ce manque. Un coût économique considérable. Pis, les Ehpad, où vivaient les personnes les plus exposées, n’ont bénéficié d’aucune aide spécifique, bien au contraire. Or sur les 31 000 morts recensés, 10 000 résidaient dans ces institutions. Et si l‘on compte les personnes décédées à l’hôpital, mais transférées depuis un Ehpad, 50 % des défunts vivaient en Ehpad.

Il est encore temps de se ressaisir et d’imaginer des mesures ciblées visant à protéger les personnes âgées et vulnérables. Il faut, à défaut de les contraindre, les aider et les inciter fortement à s’auto-confiner, tout en dissuadant les plus jeunes de les approcher. Une intense campagne de communication en ce sens, s’appuyant sur des données chiffrées, serait la bienvenue. Si chacun se plie spontanément à cette discipline, alors les contraintes qui aujourd’hui sont imposées indistinctement (tests à répétition, traçage, port du masque, limitation de la présence aux manifestations sportives et culturelles, etc.) pourront être desserrées, pour le plus grand bénéfice de l’activité économique.

Bien entendu, les institutions abritant les personnes âgées et dépendantes méritent une assistance et une vigilance particulière, alors qu’elles ont été presqu’oubliées au cours de l’épisode précédent.

Bref, la surmortalité des seniors doit être mieux prise en compte, voire être placée au cœur de la stratégie des autorités sanitaires.

Gérard Maarek
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