Cet article, initialement publié sur le site de Vox-Fi le 15 juin, a été repris par Le Monde le 19 août, dans une version légèrement remaniée.

Suivant en cela l’exemple d’autres grandes entreprises, Bernard Looney, le nouveau dirigeant de la compagnie pétrolière BP, vient d’engager sa société à être « zéro carbone » en 2050 ou avant. On souhaite qu’elle y arrive, et le plus tôt possible. Un moyen simple peut y aider : faire rentrer le coût carbone de l’activité de l’entreprise dans ses comptes financiers publiés régulièrement. Ce sera un moyen pour le public et les actionnaires, désormais acquis en majorité à l’idée de mettre en place un prix de la ressource carbone, de mesurer le progrès accompli d’année en année et de rendre l’engagement opposable. En France, la société Danone est en avance sur ce chemin : elle calcule déjà un résultat consolidé net du coût du carbone consommé dans le processus de production, en indiquant dans son rapport annuel les sources de ses coûts directs et indirects en carbone (section §5-3 de son rapport).

Voici comment, sur le modèle de Danone, la proposition peut être articulée. Toute entreprise souhaitant afficher qu’elle se conforme bien aux principes ESG (engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance) conviendrait, à côté de son jeu de comptes financiers établis comme toujours, de publier en annexe les mêmes comptes, mais cette fois en faisant comme si le carbone consommé, c’est-à-dire rejeté dans la nature, coûtait un certain prix. Ce prix pourrait être par exemple 35€, comme le fait Danone en lien avec ce que retient aujourd’hui l’Union européenne, un prix jugé trop bas par les spécialistes ; il pourrait si elle le souhaite se rapprocher des 120€ retenu par la Suède pour sa propre taxe. Ce montant viendrait s’ajouter, de façon notionnelle, au coût de tous les biens et services consommés par l’entreprise contenant du carbone. En quelque sorte, elle ferait comme si la totalité de ses intrants supportait déjà une taxe carbone pleine et entière, sans bien sûr à ce jour la payer. Telle entreprise pourrait publier un résultat net d’un milliard d’euros dans ses comptes financiers habituels, mais qui serait réduit à 400 M€ une fois prix en compte le coût carbone. La différence de 600 M€ serait ainsi son estimation de ce qu’elle rejette à titre gratuit dans l’environnement dans lequel elle opère, au détriment de tous. Elle montrerait d’année en année comment progresse ce résultat « net de carbone », notamment en comparaison avec son résultat y compris carbone.

On concède que l’entreprise modifiera moins ses comportements de consommation de carbone avec une telle « taxe » notionnelle que si la taxe était effective. Minimiser la charge fiscale reste encore le meilleur moteur pour des décisions opérationnelles économes en carbone. Ici, la pression ne serait pas un coût monétaire effectif, mais la divulgation à ses actionnaires et à ses parties prenantes. Comme les esprits changent rapidement devant la menace climatique, on ne peut sous-estimer la force de ce second effet.

L’État aiderait à cet engagement : il recommanderait un prix du carbone unique, de façon à ce que les coûts soient pris en compte de façon parallèle chez toutes les entreprises et pour en faciliter le report en aval chez les entreprises clientes. On note ici que l’engagement de BP ne porte que sur ses intrants et non sur sa production de pétrole : ce sera à ses clients de reporter dans leurs comptes financiers le coût augmenté des produits pétroliers consommés. L’État pourrait également s’engager à publier des comptes publics incluant le coût environnemental des services publics. Il pousserait aussi pour que les comptes nationaux publiés par l’INSEE comportent autant que possible le coût de la ressource carbone, un exercice rendu plus facile au fur et à mesure que les entreprises rendraient publics de tels comptes inclusifs. L’INSEE pourrait également s’engager dans la publication de coefficients techniques exprimant le contenu en carbone des biens selon les nomenclatures de biens et services en usage.

Enfin, d’un point de vue pratique, une publication régulière rendrait beaucoup plus facile à l’autorité publique de faire plus rapidement monter en régime une taxation carbone, comme le souhaite une opinion publique informée.